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La chute du Mur de Berlin et le retour de l’Allemagne comme acteur international à part entière, qui se traduit pour l’URSS par le retrait de son maillon principal, la RDA, vient bouleverser l’équilibre déjà instable du bloc soviétique, le départ des premiers contingents soviétiques d’Allemagne de l’Est fin 1990 précipitant la dissolution du Pacte de Varsovie.

2.1. La fin du système militaire soviétique

Le Traité de Moscou prévoyait le retrait des troupes soviétiques encore stationnées sur le territoire de l’ex-RDA s’élevant à 400 000 soldats d’ici l’année 1994 et l’intégration d’une partie des soldats de l’ex-NVA (la National Volksarmee) au sein de la Bundeswehr310. Les événements de l’année 1989 ont concouru à démanteler le Pacte pas à pas : le 7 juillet 1990, les responsables de la Défense des huit Etats membres se réunissent à Moscou et décident de réformer le Pacte pour rétablir la souveraineté des Etats et assurer une égalité démocratique de leurs droits ; le 31 août, le retrait de la RDA du Pacte amorce une vague de défections au sein de l’alliance soviétique : à la fin de l’année 1990, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie se retirent également, suivies en janvier 1991 par la Bulgarie et la Roumanie. Le Pacte de Varsovie est finalement dissout à Prague le 1er juillet 1991, et conduit à l’implosion de l’URSS, privée de son alliance sécuritaire et de son organisation économique311, dissoute le 25 décembre 1991, et remplacée par la Communauté des Etats Indépendants créée dès le 21 décembre et composée de onze des ex-Républiques soviétiques. La guerre froide est de facto terminée. Le spectre des menaces qui pèsent sur l’Europe s’en trouve radicalement modifié : il ne s’agit plus d’être prêt à affronter la menace globale d’un ennemi unique, mais au contraire de se forger une capacité de réaction rapide pour pouvoir faire face aux menaces diffuses qui émergent : terrorisme, réveil des nationalismes, crises régionales, prolifération nucléaire, crises humanitaires312. La rupture

310 Sur ce point, cf. Nina Leonhard, « Armee der Einheit » : Zur Integration von NVA-Soldaten in die

Bundeswehr, pp. 70-88, in Sven Gareis, Paul Klein (Hrsg), Handbuch Militär und Sozialwissenschaft,

Wiesbaden, VS Verlag, 2004.

311 Le CAEM a cessé de fonctionner en janvier 1990 sur la base du consentement mutuel de ses membres.

312 Sur ces nouvelles menaces, cf. en particulier France, Ministère de la Défense, Livre Blanc sur la Défense

1994, op. cit. ; Allemagne, Ministère fédéral de la Défense, Weissbuch zur Sicherheit der Bundesrepublik Deutschland und zur Lage der Bundeswehr, 1994, op. cit. ; France, Ministère de la Défense, La politique de défense de la France, Rapport de 1ère Phase, 52ème Session nationale, Comité n°1, Pairs, IHEDN, décembre 1999 ; Patrice Buffotot (dir.), La défense de l’Europe : les adaptations de l’après-guerre froide, Paris, La Documentation Française, 1998 et Jean-Claude Mallet, La défense, de la nation à l’Europe, Rapport de l’ENA, Groupe n°10 : Défense et construction européenne, Paris, 1995.

de la logique bipolaire est la résultante d’une accumulation d’« anomalies », notion développée par Thomas Kuhn, c’est à dire du fait que « les problèmes surgis dans le

sous-système ne parviennent pas à être interprétés et “traités” par les configurations cognitives et normatives et par le système d’action établi »313.

Le bloc de l’Est a connu le processus de changement de paradigme que l’on trouve schématisé chez Howlett et Ramesh : après une phase de stabilisation institutionnelle, l’URSS s’est trouvée confrontée à une accumulation d’anomalies qu’elle a tenté de résoudre par des réformes (Glasnost et Perestroïka sous Gorbatchev) des paradigmes en vigueur ; malgré cet élan réformateur, son autorité s’est peu à peu fragmentée à partir du milieu des années 1980, de telle sorte que la contestation de la domination russe sur le bloc oriental a conduit à l’implosion du système soviétique, crise qui offre dès lors l’opportunité aux acteurs politico-militaires d’institutionnaliser un paradigme différent d’action militaire. Dans ce contexte particulier, il devient nécessaire de repenser le rôle des organisations de sécurité du continent européen, l’OTAN, l’UEO et la CSCE afin de les adapter à leur nouvel environnement géopolitique et leurs nouvelles missions. La dislocation du Pacte de Varsovie offre une « structure d’opportunités politiques »314 permettant aux acteurs étatiques occidentaux d’avancer des conceptions militaires renouvelées.

2.2. La marche de l’OTAN vers un « nouvel atlantisme » 315

La fin de la Guerre froide se traduit politiquement par l’enjeu de redéfinition des fonctions militaires de l’OTAN qui va générer deux projets concurrents dans le débat autour de la défense européenne, comme nous l’étudions à la section B. Ce sont non seulement les interactions entre les acteurs politiques de haut niveau français et américains, mais aussi britanniques et français qui permettent de saisir la constitution du projet atlantiste, qui s’oppose au projet mobilisé par les acteurs du partenariat franco-allemand consistant à faire de l’UEO la pierre angulaire d’une défense européenne future inscrite dans le processus

d’intégration communautaire. « Moteur de modernisation des forces armées

européennes »316, l’OTAN a initié un mouvement de réflexion dès 1989 : l’ajustement au nouveau contexte géopolitique international et européen s’avère d’autant plus important que

313 Thomas Kuhn, Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983, cité in Pierre Muller, Yves Surel, op. cit., p. 138.

314 Expression empruntée à Doug MacAdam, op. cit. Pour lui, « n’importe quel événement ou processus social d’ampleur contribuant à saper les calculs et prévisions sur lesquels est structuré le pouvoir politique [en l’occurrence, l’interaction Est/Ouest, et plus précisément OTAN/Pacte de Varsovie/Europe] occasionne un changement des opportunités politiques. » Cité in Lilian Mathieu, art. cit., p. 77.

315 Expression de James Baker, Secrétaire d’Etat américain chargé de la sécurité.

316

Patrice Buffotot, Europe des armées ou Europe désarmée?, Paris, Ed. Michalon, Coll. « Ligne d’horizon », 2005, p. 35.

la disparition de ses objectifs (défense contre la menace soviétique et dissolution du Pacte de Varsovie) met en cause sa survie et sa légitimité, de même que la pérennité de l’engagement militaire américain au sein de cette institution transatlantique. Sous l’impulsion des responsables politico-militaires américains surtout, au premier rang desquels James Baker, britanniques aussi et européens du fait du forum transatlantique de discussion que constitue l’Alliance, l’Alliance est lancée dans un processus de réforme, duquel est tiré le projet atlantiste concernant la défense européenne. Il apparaît clairement ici que ce sont les acteurs politiques, assistés de l’expertise de leurs conseillers militaires (les hauts responsables d’état-major travaillant au niveau politico-militaire) et diplomatiques qui se coalisent et mettent en avant chacun un projet concurrent. James Baker, secrétaire d’Etat américain, et son équipe élaborent ainsi un plan visant à maintenir l’OTAN face au danger potentiel de neutralisme allemand tout en rendant l’Alliance moins menaçante aux yeux des Soviétiques : la nouvelle Alliance est censée adopter un rôle davantage politique axé sur le désarmement, les relations avec les PECO, la sécurité hors zone et le dialogue euratlantique.

Le changement du paradigme otanien se concentre sur deux directions essentielles : élargissement à l’Est317 et nouveau concept stratégique s’appuyant sur l’idée de forces d’action rapide composées d’unités multinationales (déclaration de Londres du 6 juillet 1990). La seconde phase réformatrice est matérialisée par la Déclaration de Rome du 8 novembre 1991 : à cette occasion, le Conseil de l’Atlantique Nord adopte un nouveau concept stratégique fondé sur une approche globale de la sécurité. La philosophie générale de la déclaration se décline selon trois axes clefs :

1. Un nouveau concept stratégique qui met l’accent sur la gestion des crises et détermine le rôle de l’OTAN dans le système de sécurité de l’Europe d’après 1989 caractérisé par la coexistence d’OIG souvent concurrentes et des risques nouveaux liés à l’instabilité politique émergente des Balkans et de la Yougoslavie. L’OTAN choisit ainsi de s’adapter aux nécessités de la gestion de crise en optant pour la mise en place de forces multinationales rapidement disponibles, l’abandon de la doctrine de défense de l’avant318, la nouvelle doctrine nucléaire de dissuasion du last ressort319, dans la lignée de la réponse flexible320 mais dans le

317

La question de l’élargissement de l’OTAN à l’Est relève pour Washington d’une volonté de conjurer la perspective probable que la Russie, intégrée dans le giron de l’Europe centrale, n’ait plus besoin de la tutelle stratégique américaine et fasse alliance en matière de sécurité avec les PECO, laissant les Etats-Unis à l’écart. Ainsi, poussé tant par les dirigeants des ex-pays de l’Est ex-communistes, le chancelier Kohl et le réaliste Zbiniew Brzerinski, le Président Clinton annonça sa volonté d’élargir l’OTAN aux anciens satellites de Moscou dès janvier 1994. L’élargissement a été officialisé au sommet de l’OTAN à Madrid en juillet 1997. En France, ce point ne fit quasiment pas débat au sein de la classe politique. Cf. Gilbert Achar, « Comment l’OTAN a survécu à la guerre froide. Toujours plus à l’Est », in Le Monde Diplomatique, avril 1999.

318

La défense de l’avant était l’un des volets de la doctrine de l’OTAN depuis 1976. Son principe était le déploiement de force le plus avant possible sur le front du bloc de l’Est.

319 La doctrine du last ressort consiste à n’envisager l’emploi de l’arme atomique qu’en dernier recours, une fois toutes les autres possibilités (diplomatiques, conventionnelles…) épuisées.

320

La doctrine de flexible response avait été adoptée sous la présidence Kennedy, en remplacement de celle des représailles massives qui reposait sur la supériorité nucléaire. L’URSS s’étant doté du même arsenal

respect de la limitation des armements nucléaires, empruntant la voie ouverte par les divers traités de non-prolifération nucléaire ratifiés avec l’URSS depuis les années 1970321.

2. La création du COCONA pour favoriser le dialogue avec les anciens membres du Pacte de Varsovie, instance qui proposera en 1994 un Partenariat pour la Paix en direction des PECO et de la Russie.

3. L’adoption d’un nouveau rôle en matière de maintien de la paix : l’OTAN se donne la possibilité de fournir des contingents pour des missions de l’ONU afin d’assurer la paix et la stabilité dans le monde, y compris hors zone OTAN, soit au-delà des frontières des membres de l’Alliance322.

L’accent est mis sur la gestion de crise dans le système de sécurité de l’Europe d’après 1989 caractérisé par la coexistence d’organisations intergouvernementales souvent concurrentes. En outre, cette réforme accentue l’idée de doter l’Alliance de deux piliers, dont un européen, en vue d’un rééquilibrage, mais toujours selon le principe cardinal d’un lien de subordination aux Etats-Unis. La Déclaration de Londres de juillet 1990 souligne d’ailleurs ce « rôle européen en matière de défense » et de pilier européen au sein de l’Alliance en vue de servir les intérêts européens autant qu’atlantiques323.

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