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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 5 : Un cadre théorique en psychologie de la santé pour approcher l’expérience vécue du

2. Importance de l’implication du chercheur dans le processus de recherche

Une démarche réflexive est essentielle dans une approche qualitative. Une attention particulière sera ainsi portée à l’explicitation de l’ensemble des choix effectués par le chercheur tout au long de la recherche, complétée par une analyse de l’expérience subjective du chercheur dans son dialogue avec le terrain de l’étude.

La réflexivité rend compte du travail critique de retour sur soi au travers duquel le chercheur va procéder à une analyse du champ théorique dans lequel il s’inscrit, et l’impact des hypothèses, positionnements et attitudes sur le processus de recherche (Finlay & Gough, 2003).

Cette phase réflexive à propos du processus de co-construction dans la recherche, dont les visées sont d’aboutir à la production de résultats, fait appel aux capacités humaines de l’auto-

critique (Lynch, 2000). La réflexivité va questionner les pratiques professionnelles du chercheur, la démarche critique étant considérée par Pourtois, Desmet & Lahaye (2006) comme un des trois grands critères de scientificité, avec la validité et la triangulation. La réflexivité induit une critique « des liens qui existent entre l’informateur, l’information et le chercheur » (p.139), et se concentre sur l’ensemble des phases de la recherche afin d’en explorer les fondements et les limites, « la portée et les limites d’une recherche liées aux circonstances de l’instrumentalisation, de la population, des données, des options du chercheur, des problématiques et des hypothèses privilégiées » (p.139).

Cette posture critique répond aux caractéristiques des recherches qui empruntent « des pistes hétérogènes faites d’impuretés et de paradoxes » (p.139), qui vont amener le chercheur à prendre position face à certaines difficultés, affiner sa pensée et ses connaissances, réajuster sa posture méthodologique, voire son rapport général à l’objet d’étude. Par conséquent, cette réflexion épistémologique va révéler inéluctablement la relation subjective du chercheur dans sa dialectique au terrain et à l’objet de l’étude. Aussi, la réflexivité, qui nécessite des compétences d’introspection, reste une évaluation positive de l’expérience vécue du chercheur afin de saisir les préjudices possibles inhérents à la place du chercheur et au type de relation entretenu par ce dernier sur l’objet de sa recherche (Finlay, 2003).

Ce regard critique est d’autant plus important dans le cas du « praticien-chercheur », une posture décrite par De Lavergne (2007) et qui soulève selon l’auteur de nombreux questionnements éthiques, épistémologiques et méthodologiques, et qui désigne « un professionnel et un chercheur qui mène sa recherche sur son terrain professionnel, ou sur un terrain proche, dans un monde professionnel présentant des similitudes ou des liens avec son environnement ou son domaine d’activité » (p.28), deux entités qui se vivent simultanément, un « espace dialogique » qui traduit cette intrication entre ces deux dimensions parfois antagonistes, souvent complémentaires. De Lavergne (2007) estime qu’une recherche menée par un praticien- chercheur est une recherche impliquée, incarnée, qui nécessite selon l’auteur un audit de subjectivité.

Comme le souligne Lavigne (2007), le rapport que le chercheur entretient avec l’objet de sa recherche est considéré par les auteurs selon deux approches distinctes : une distanciation nécessaire ou la recherche de proximité, avec le parti pris de s’effacer totalement des résultats obtenus ou au contraire le désir affirmé d’une prise en considération de sa part de subjectivité.

Il faut toutefois à nouveau souligner le contexte scientifique dans lequel s’inscrivent la plupart des recherches actuelles, une psychologie scientifique positiviste dont la défiance à l’égard du « je » est propre à la genèse même de ce courant de pensée, un courant positiviste ayant même développé des ramifications au sein même des sciences qualitatives. Pour Lavigne (2007), il existerait également une opposition entre le discours rationnel et explicatif de l’observateur, « le vrai » discours, et le discours du sujet observé, un discours centré sur l’expérience vécue de ce dernier de son rapport affectif direct avec l’objet de la recherche. Aussi, seul un sujet expert serait en mesure de saisir l’expérience du sujet observé, un sujet expert seul détenteur « du sens » de cette même expérience. La distanciation entre le chercheur et son objet induit pour Durkheim (1895) dans la lignée de pensée d’Auguste Comte, cité par Feldman (2002), que dès lors « les faits sociaux sont comme des choses », une expérience examinée avec distance, désincarnée, rationalisée, qui traduit une volonté affichée de mettre en exergue les causes et facteurs du déroulé de l’action, au détriment notamment du jugement moral, une perspective qui semble consterner Amery (1995) encore marqué par son expérience dans les camps de la mort.

On est alors loin des postures privilégiées initialement par la sociologie et la phénoménologie qui consistaient à amener le sujet à une prise de conscience et de distance par rapport à l’expérience vécue d’un événement qui sera alors interrogé au regard de sa subjectivité, ou encore de la démarche psychanalytique qui œuvre à l’exploration du monde intérieur du sujet en l’amenant à prendre conscience entre autres de l’existence de manifestations défensives, d’angoisses et d’un rapport singulier à soi et à son environnement. Aux postulats positivistes vont répondre un certain nombre de démarches de recherche, qui vont faire intervenir la subjectivité du chercheur. Ainsi, si l’on extrapole la pensée développée par Ansart (1979) qui écarte rapidement « l’idée messianique » véhiculée par l’approche positive selon laquelle on pourrait arriver à se débarrasser de toute idéologie de recherche, on ne peut que constater que la science avance sur les cendres d’idéologies déconstruites qui ont permis par la suite l’émergence d’idées jugées novatrices. C’est donc bien grâce à une implication idéologique initiale que ces nouvelles idées ont pu émerger.

L’entretien est une interaction sociale singulière qui amène le chercheur à s’engager dans un jeu à trois pôles. Si d’après Masson & Haas (2010) « le chercheur est son propre instrument » (p.5), on peut se demander s’il peut être totalement déraciné du socle idéologique dont il est issu, et si l’on est finalement en mesure de connaître en quelle qualité il interroge un sujet profane. Moscovici (1984) apporte alors une réponse très claire à cette interrogation dans son

ouvrage Psychologie sociale : « que les psychologues américains parlent de scientifique naïf, intuitif ou profane. Or cette dénomination est conception très répandues nous paresse inadéquates. (…) en considérant l’homme comme scientifique naïf, on en fait une sorte d’Adam, au jour de sa création, dépourvu de préjugés, de schèmes des choses, un individu présocial ouvrant des yeux ingénus sur un monde de pures impressions sensorielles qui n’ont pas été coordonnées en une structure conceptuelle, d’un genre ou d’un autre » (p.546).

Le recours aux méthodes qualitatives et plus particulièrement à l’entretien de recherche non directif ou semi-directif s’avère alors particulièrement pertinent lorsque le chercheur désire saisir selon une approche holistique le sens subjectif donné par le sujet de l’expérience vécue d’un événement de vie singulier. Cette approche permet de satisfaire l’idée d’un processus de polyphasie cognitive développée par Haas (2006), qui renvoie à l’existence chez un même individu d’une vision plurielle d’un même objet. C’est la position privilégiée dans cette recherche, un mode d’investigation dit « en profondeur » privilégiant la singularité d’un individu en situation (Blanchard-Laville, 1999).

3. Une approche herméneutique, idiosyncratique et de l’expérience vécue du sujet :