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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de

I. Annonces de mauvaises nouvelles dans la maladie chronique : état actuel et synthèse des

3. Entre vérité médicale et vérité psychique

L’information d’annonce de la maladie ne se limite pas à un instant précis et délimité t mais s’inscrit dans un processus continu. C’est d’ailleurs pour cela que nous ne nous penchons non pas seulement sur l’annonce du diagnostic, mais sur la succession d’annonces qui ont lieu tout au long de l’histoire de la maladie. Ce qui s’est dit avant, pendant et après fera trace chez le patient. C’est pourquoi il faut tenir compte des désirs parfois contradictoires du patient (Balint, 1960). En effet, ce dernier oscille entre le désir d’ignorer pour ne rien changer à sa vie quotidienne actuelle et son avenir, mais aussi savoir pour réduire l’angoisse relative au doute qui le tenaille face à l’éventualité d’une maladie qui se voudrait grave de conséquences. Le médecin sera bien entendu soucieux de ne pas réduire la relation de soins à des informations techniques et du discours rationnel, faute de quoi la réciprocité dans la relation au malade ne pourrait émerger (Alvin, 2002). Cependant, tout professionnel de la santé subit inévitablement des pressions d’ordres divers qui peuvent rendre pénible l’entretien médical et le temps de l’annonce. Ces

pressions découleraient du fait de la rencontre de deux êtres humains dont l’un d’eux est en souffrance et de la formation qu’a reçu l’autre protagoniste (Buckman, 2007). Ces difficultés seraient liées pour l’auteur à la peur de faire mal, à la problématique de l’empathie, à la peur des reproches (culpabilité du messager, la peur de l’échec thérapeutique, le contexte médico-légal), à la peur d’un domaine non étudié, à la peur de provoquer une réaction chez le patient, à la peur de sa propre finitude, d’avouer son ignorance, à la peur d’exprimer des sentiments ou la peur de la hiérarchie médicale. Cette liste serait donc autant d’obstacles à la communication de mauvaises nouvelles, une communication aux proies à des réalités et des traditions propres à la pratique médicale. Rouy (2004) souligne que tout a été fait durant les années de médecine pour que l’affectivité personnelle du médecin n’intervienne pas (ou le moins possible) dans son activité médicale. L’accent aura été mis sur la dimension biotechnique de son métier. Cet auteur ira même jusqu’à dire qu’on fait comprendre promptement au médecin de façon plus ou moins explicite qu’il devrait, pour se préserver, agir en « technicien froid ». Buckman (2007) quant à lui précisera qu’à aucun moment le médecin ne se doit d’avouer une quelconque ignorance – « je ne sais pas est banni » (p.22). L’étudiant en médecine apprendra à éviter une réponse de ce type, au risque de paraître incompétent. Dire la vérité aux patients s’inscrit dans un contexte clinique et éthique qui promeut l’autonomie du patient (Schattner & Tal, 2002; Tuckett, 2004), mais aussi les bénéfices psychologiques et physiques de cette posture médicale. Lamont & Christakis (2001) ont mis en évidence que les praticiens préféreraient ne pas communiquer l’espérance de vie dans 22,7% des cas, se disent satisfait de l’espérance de vie annoncée dans 37% des cas et préféreraient communiquer une espérance de vie différente que celle qu’ils ont formulé dans 40,3% des cas. A noter que dans 70,2% des situations, l’espérance de vie communiquée a été positivement réévaluée. L’étude a aussi permis de révéler que l’on transmet de façon plus franche aux patients les plus âgés leur espérance de survie, que les médecins de sexe féminin ont moins tendance à divulguer de façon franche des nouvelles pessimistes. Une étude des mêmes auteurs (Christakis & Lamont, 2000) a souligné le fait que les erreurs de pronostic vont souvent dans le sens d’une amélioration de la maladie et que plus le médecin connaît le patient et plus le nombre de ces "erreurs" a tendance à augmenter. Grassi et al. (2000) ont mené une étude en Italie dans le but d’aborder la problématique de la non-divulgation du diagnostic de cancer auprès de médecins. 45% d’entre eux estiment, "qu’en principe", les patients veulent toujours être mis au courant du diagnostic ; seulement 25% des médecins de l’étude affirment toutefois divulguer dans tous les cas le diagnostic de cancer. La croyance selon laquelle les patients ne veulent jamais connaître la vérité subsiste auprès d’un tiers d’entre eux, un constat étayé par une étude de Sullivan, Lawrence & White (2001), qui montre clairement que les médecins sous-estiment le

nombre de patients qui souhaitent obtenir des informations détaillées sur leur état de santé, 42% des médecins affirmant que les patients désirent un diagnostic précis et une présentation complète de la pathologie et de ses conséquences possibles. Un pourcentage qui semble faible au regard des 72% des patients de cette recherche qui souhaitent être informés avec détail de leur situation clinique. C’est un fait indéniable : l’annonce de diagnostiques confronte le patient à des expériences traumatiques. L’ensemble du corps institutionnel est touché et s’organise de manière plus ou moins adaptée et plus ou moins consciente afin de se protéger de ces éprouvés particuliers. Le sujet se trouvera dans l’obligation d’agir et de transformer la réalité de la situation pathogène pour enfin retrouver la confiance pour, sinon soigner le mal, au moins y faire face. Faire preuve d’honnêteté, de sincérité, pouvoir dire la vérité (« truth-telling ») a un effet sur la qualité de vie du patient en réduisant sa détresse, et reste un processus critique qui nécessite une formation spécifique pour les étudiants en médecine (Tang, Fang, Fang & Fujimori, 2013). « Les mots permettent d’inscrire les informations transmises » (Romano, 2010, p.627), de contenir l’angoisse et de limiter la fantasmatisation de la maladie. Divulguer ou cacher, dire ou mentir, ces questions nous renvoient d’emblée à la notion fondamentale de respect de la personne, au centre de nombreuses préconisations médicales et objet de nombreux textes de règlementations déontologiques et éthiques dans le champ de la médecine.