Partie I : Cadre théorique
Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de
I. Annonces de mauvaises nouvelles dans la maladie chronique : état actuel et synthèse des
2. Qu’est-ce qu’une mauvaise nouvelle ?
De toutes les épreuves de vie que le patient aura eu à traverser, aucune ne l’aura tant affecté ni désemparé que le temps de l’annonce du diagnostic. Pour le médecin, le fait d’annoncer des mauvaises nouvelles peut parfois être considéré comme un acte d’une grande banalité (Rouy, 2004), une mission propre à l’exercice de sa profession, même si cela reste pour certains d’entre eux un des aspects les plus difficiles et les plus étranges de leur travail (Buckman, 2007). Cette tâche, qui fait l’objet depuis une quinzaine d’années environ de moult recherches, porte encore une part d’ignorance et reste scellée du sceau du tabou, comme si l’idée même pour les médecins d’être amenés à repenser leur compétence communicationnelle était soumise à une sorte d’interdiction touchant au sacré. Buckman (2007) explique cette défiance par l’image entretenue par notre société d’un monde où chacun remplit parfaitement sa mission. La révélation d’un diagnostic est un temps qui se voudra déterminant pour l’avenir du patient et ses proches. En effet, cette révélation conditionne pour Romano (2010) l’acceptation d’une nouvelle réalité, celle de la maladie, les modalités du traitement et la prise en charge proposée. Outre le caractère potentiellement traumatique que peut revêtir l’annonce du diagnostic d’une maladie chronique grave, le patient devient observateur de la scène. Le temps de l’annonce est un temps suspendu, qui confronte le sujet à l’indicible (Lacan, 1964), à une information violente, insupportable, qu’il lui est impossible de traduire. Certaines annonces peuvent être apaisantes, si toutefois ce terme peut être approprié au regard de l’intensité de cette expérience ; le patient est rassuré par la présence et les propos du praticien. D’autres se trouveront être traumatogènes et renforceront la souffrance psychique du patient, comme en témoigne l’impression exprimée par
certains patients de ne pas être considéré, de ne pas être détenteur de toutes les informations relatives à la maladie et à sa prise en charge thérapeutique, d’être réduit à un objet scientifique, etc. Il faut garder à l’esprit que le retentissement d’une mauvaise nouvelle reste avant tout individuel et ne pourrait en aucun cas être anticipée par avance. En effet, l’effet de l’annonce reste influencé par l’histoire de vie de chaque personne ainsi que par les traits de personnalité des individus. Ptacek & Eberhardt (1996) définissent une mauvaise nouvelle en tant qu’information qui « entraine chez la personne qui reçoit le message une perturbation d’ordre cognitif,
comportemental ou émotionnel, qui persiste durant un certain temps après la réception du message » (p.496). Les mauvaises nouvelles peuvent également être définies comme des
« situations où il y a un sentiment d’absence d’espoir, une menace envers le bien-être mental ou
physique de la personne, un risque de renverser le style de vie établi, ou un message transmis qui informe l’individu quant à une diminution de ses choix de vie » (Bor, Miller, Goldman &
Scher, 1993, p.70). Les mauvaises nouvelles entrainent bien entendu diverses "altérations" chez le patient (Lesley Fallowfield & Jenkins, 2004), leur caractère négatif dépendant en grande partie des expériences de vie de la personne, de sa personnalité, de ses croyances spirituelles, de sa posture philosophique, du soutien social perçu et de ses capacités de faire face sur le plan émotionnel (Lesley Fallowfield & Jenkins, 2004).
La relation au patient, la pratique de la médecine, la façon de la penser, de la vivre, d’y croire, forment avant tout un " art individuel ", à travers lequel chaque médecin s’exprime et exerce Sa médecine. Les mots que l’on choisit pour annoncer une maladie laissent une marque symbolique importante auprès du sujet. Leur maniement est d’autant plus délicat que le sens attribué par chaque personne n’est pas forcément partagé par tous. Les mots paraissent quelques fois les mêmes, résonnent de façon identique mais n’ont pas forcément le même sens pour le médecin qui les énonce que le patient qui les reçoit (Van Dulmen, 2002). Pour l’auteur, le langage médical ne fait entendre que les signifiants qui sont indispensables pour communiquer avec précision entre professionnels qui s’accordent alors entre eux sur ce dont il est question. Mais ce langage résonne parfois comme une langue étrangère pour les "non-initiés". L’annonce d’une maladie « agit telle une naissance », pouvant être associée à un « acte sacré » (Moley- Massol, 2004), voire « un baptême » pour une personne considérée dès lors comme un malade. Elle marque la transition entre « un temps caractérisé par l’ignorance de la maladie », une maladie redoutée, et le temps où cette dernière prend forme et devient réalité.
Les douleurs, les symptômes, les gênes vont alors être officiellement légitimés par le médecin qui va alors nommer la maladie. Ce verdict va se heurter à des attentes très différentes
d’un patient à l’autre, que nous aurons par ailleurs tout loisir d’explorer dans la suite de notre propos. Dans la plupart des cas, les patients manifestent au praticien leur désir d’obtenir des informations précises quant à la nature du diagnostic émis, même si cette demande se décline alors en de multiples variantes : absolument tout savoir pour certains, avec certaines limites comme l’émission d’un pronostic pour d’autres, ou encore une demande d’informations à la condition que ces dernières s’avèrent être utiles et constructives pour mieux appréhender la maladie (Rouy, 2004). En somme, annoncer au patient un diagnostic de maladie grave reste un problème complexe qui soulève des questions éthiques et juridiques de plus en plus prépondérants dans la pratique du médecin, concernant la transmission d’une information complète au patient dans des contextes cliniques différents (Misery & Chastaing, 2005). L’annonce d’une mauvaise nouvelle induite indubitablement un équilibre à trouver entre ce que le médecin doit dire, ce dont inconsciemment ou consciemment il n’a pas envie de parler et les demandes, attentes et craintes formulées de façon manifeste ou non par le patient, sans compter l’influence du contexte psychosocial du patient dans la perception et le vécu de ce dernier de cet événement majeur, qui par ailleurs inscrit également l’ensemble des membres de sa famille dans un face-à-face douloureux avec la maladie (Vandekieft, 2001). Les médecins ont également leurs propres craintes et questions à propos de cette difficile tâche : maintien d’un sentiment d’espoir même dans des situations médicales complexes, gestion du vécu des membres de la famille, incertitude quant aux réponses émotionnelles du patient… Il existe donc de très nombreuses raisons pour lesquelles il est difficile pour le médecin d’annoncer de mauvaises nouvelles. Cet exercice, cet art, nécessite alors une préparation. Si pour Marie-Frédérique Bacqué (2011) l’annonce ne s’avère pas toujours traumatique pour le malade, l’auteur conçoit aisément que même si l’on ne retrouve pas le tableau clinique complet d’un trouble de stress post-traumatique, la personne peut présenter un certain nombre de signes cliniques propres à l’effet dévastateur d’un événement psychotraumatique. La majorité des écrits relatifs à l’annonce du diagnostic se centrent sur l’annonce du cancer. Bien entendu, il n’est pas d’annonce plus violente que celle d’une maladie qui projette immédiatement le patient à l’orée de sa vie, dans un monde ultra médicalisé qui n’a de cesse de repousser cette funeste échéance. Si le signifiant « cancer » est évocateur de mort, l’annonce d’une autre maladies chronique grave amène le patient à être confrontée à une impérieuse angoisse de destruction, d’anéantissement, à une mort fantasmatique, signe indéniable s’il en est de l’atteinte d’une toute-puissance inconsciente ébranlée.
La question de l’information laisse toutefois présager d’une réflexion portant sur les attitudes du praticien, les mécanismes qui sous-tendent la transmission d’information, ou encore l’exploration de la place de la vérité dans des discours parfois alarmants, graves, où l’espoir semble avoir cédé sa place à une réalité bien plus froide et violente. Fainzang (2006) s’est intéressée au rôle du mensonge dans la relation médicale. Elle a ainsi tenté de mettre en évidence l’importance des pratiques mensongères usitées par chacun des protagonistes durant l’ensemble de leurs échanges, autant de rétention d’informations, de « mensonge par omission », de soustraction de la vérité, qui n’auront de cesse de moduler la qualité de l’interaction avec parfois pour conséquence la défiance du patient à l’égard de son médecin, dès la consultation d’annonce, ou encore, entre autres, la croyance erronée de ce dernier quant au degré de gravité de sa situation médicale. Il est alors légitime d’amener une réflexion sur le contenu des annonces de mauvaises nouvelles, sur les informations qui vont être transmises ou non au patient. Cette attention porte par conséquent sur les facteurs qui vont avoir une influence sur la posture du praticien dans ces moments qui se devraient authentiques et sincères, et constitutifs d’une relation de confiance, dont la fragilité ou l’inexistence ou pourraient avoir des conséquences dramatiques pour le patient.