• Aucun résultat trouvé

Partie I : Cadre théorique

Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de

III. Expérience vécue des annonces de mauvaises nouvelles chez les neurologues

3. Conséquences psychiques des AMN chez les neurologues : narcissisme et idéal professionnel du

La survenue d’un trauma psychique vient bousculer les investissements libidinaux et narcissiques d’un individu inclus dans des mouvements pulsionnels intenses inhérents à son activité professionnelle quotidienne. Cependant, le rapport que le sujet entretient à sa profession et l’investissement narcissique de l’objet travail peuvent aussi être à l’origine d’un vécu micro- traumatique. Aussi, après avoir défini la notion de narcissisme, nous approfondirons la question de l’idéal professionnel et de son influence potentielle dans le vécu traumatique des individus. Il est à noter que l’analyse clinique d’orientation psychodynamique des entretiens de la recherche se centrera également sur l’idéal professionnel des soignants et les investissements libidinaux des neurologues de la recherche, afin de répondre aux impératifs de notre recherche et de déterminer des items en vue de l’élaboration de l’outil réflexif d’élaboration de la pratique à destination des neurologues.

a) Narcissisme et idéal professionnel

Si l’on se réfère au concept de narcissisme selon introduit par Freud en 1910, il s’agit d’une forme d’investissement du moi « nécessaire à la vie subjective » (Lemitre, 2015, p.159). Appréhender le narcissisme permet en effet d’approcher encore un peu plus le fonctionnement du moi, une « ouverture par excellence sur le moi » (Lambotte, 2007, p.6). Le narcissisme se constitue progressivement par investissements et retraits pulsionnels successifs du moi et de l’objet, un processus à l’origine du narcissisme primaire et du narcissisme secondaire, qui va conduire l’enfant à découvrir, explorer et s’approprier son corps : « cet investissement contribue à la dynamique narcissique du sujet capable de s’investir comme objet source de plaisir et de satisfaction, ce qui alimente la pulsion de vie » (Lemitre, 2015, p.159). L’investissement libidinal désigne « ce en quoi un objet devient désirable » selon Lacan (1975, p.162) et repris par Lambotte (2007, p.6). L’objet devient désirable lorsque l’individu « les confond avec cette image que nous portons en nous, diversement, et plus ou moins structurée » (Lacan, 1975, p.162), une image qui rend réalisable l’investissement des objets externes et par là caractérise le rapport à la

réalité. Glas (2008) se distancie de la conception classique du narcissisme selon Freud pour qui le narcissisme soit être considéré comme un stade de développement, mais plutôt comme une « auto-organisation structurelle interne à l’appareil psychique » (p.1089), une structure essentielle au travail de subjectivation selon l’auteur, « qui fait sens dans l’avènement de la subjectivité » (p.1083).

Le narcissisme normal correspond pour Kernberg (1997) à l’ « investissement libidinal du Soi » (p.128), défini comme une « structure psychique déterminée par les différentes représentations du Soi ainsi que par les tendances affectives qui y sont associées » (p.128). Le concept de Soi est issu des travaux du courant anglo-saxon des années 1960 portant sur la Self Psychology, dont la figure principale reste Kohut. La Self Psychology s’est développée pour apporter des éléments théoriques à propos de la subjectivité et de l’intersubjectivité, des notions initialement essentiellement appréhendées par le courant freudien, et au sujet de la structuration du soi et des pathologies que les auteurs lient plus aux « perturbation de la conscience de soi » qu’à des confits œdipiens sous-jacents (Mori & Rouan, 2011). Mori & Rouan (2011) définissent quant à eux soi comme « un phénomène d’expérience, expérience subjective et vécue de sa propre existence ; plus qu’une structure stable et objectivable, le soi est un processus subjectif et dynamique » (p.103). Nous pouvons appréhender le concept de Soi sous l’angle théorique de Kernberg (1997) qui affirme que les images et représentations primitives « bonnes » ou « mauvaises » d’objets intégrées par l’individu vont constituer le Soi idéal défini par « les buts conscients, préconscients et inconscients (qui) représentent ce à quoi la réalité du sujet aspire » (Kernberg, 1997, p.131). L’idéal du Moi du soignant ou idéal professionnel désigne les valeurs positives auxquelles le soignant aspire, des valeurs principalement liées à l’objet soin, du fait d’un investissement narcissique massif envers cet objet. Ces investissements répondent notamment à une illusion de toute-puissance, influencée par les nombreuses gratifications libidinales que le soignant perçoit des objets externes – patients, familles, pairs, institution, société, etc. Le monde des objets internes ou des représentations d’objet liés au Moi vont jouer un rôle important dans la régulation de l’estime de soi, et ce en fournissant notamment des apports narcissiques ou investissements libidinaux au Moi. Les représentations d’objet vont avoir un rôle tampon si toutefois il devait y avoir perte d’objet, ce qui est le cas dans la rencontre traumatique. On peut observer, si tel est le cas, une régression qui, pour Kernberg (1997), correspondrait à une « activation régressive des relations d’objet internalisées passées dans lesquelles les représentations d’objet "bonnes" apportent au Soi l’amour et la reconfirmation qui compensent la déception causée par la réalité » (p.131).

b) L’infans, la rencontre traumatique et la blessure narcissique du soignant

Dans la conception freudienne, le narcissisme ne représente pas seulement l’amour du sujet pour lui-même, mais aussi le sentiment de toute-puissance : « ce qui est extraordinaire, c’est sans doute le triomphe du narcissisme manifesté par l’invulnérabilité triomphante du Moi » dira Freud en 1905. Pour ce dernier, au début de sa vie, l’enfant va vivre dans l’illusion de sa toute-puissance narcissique, une illusion renforcée par toutes les circonstances de vie du nourrisson, plus particulièrement par les expériences qui vont reproduire les conditions de sa vie prénatale (Grunberger, 1993). L’enfant va alors prolonger ce sentiment de satisfaction hallucinatoire de ses besoins, pendant un certain temps. L’enfant se heurte toutefois au principe de réalité, une « réalité rugueuse à atteindre », (Grunberger, 1993), ce qui scellera la fin de cette illusion. S’en suit un retrait narcissique de nombre de ses investissements objectaux, externes et internalisés. Il en va de même parfois dans l’après-coup de la rencontre traumatique à un âge plus avancé, cette expérience étant alors réactualisée. En effet, le choc du trauma va perturber la dynamique pulsionnelle et narcissique du sujet, et engendrera alors potentiellement un « désinvestissement du rapport au monde qui s’ensuit s’accompagne d’un désinvestissement narcissique de soi » (Lemitre, 2015, p.159) ainsi qu’un effondrement du socle moïque et du système de croyances, entrainant alors « une crise des instances idéales, édifiées sur la base des investissements narcissiques » (Lemitre, 2015, p.159). On peut alors percevoir une diminution de l’investissement libidinal du médecin dans l’exercice de ses fonctions, principalement dans des circonstances d’ « échec à atteindre les buts du Moi ou être à la hauteur des attentes du Moi », des « pressions du Surmoi » ou de l’« incapacité d’être à la hauteur des attentes de l’idéal du Moi » (Kernberg, 1997, p.134). Pour ce dernier, si une facette du soi idéalisé ou espéré n’a pas été atteint, l’individu fait l’expérience de sentiments d’impuissance voire de désespoir, une idée également partagée par Sandler & Rosenblatt (1962) pour qui l’effondrement du soi peut être l’expression de conflits entre « soi réel et soi idéal ». Il en va de même dans le cas de l’idéal professionnel : l’« affirmation de soi dans la sphère professionnelle » correspond à « une partie de la conception que le sujet se fait de lui-même » (Gadbois, 1969, p.603), et se défini par l’ensemble des buts et aspirations professionnels de l’individu. Pour Daloz (2007), l’idéal professionnel est en partie déterminé par « les études via des identifications marquantes et une idéologie de métier » (Daloz, 2007, p.87), un idéal qui se révèle défaillant lorsqu’il est confronté

au monde institutionnel actuel et aux enjeux complexes des relations de soins. Il découle alors du décalage existant entre la réalité et l’idéal du professionnel une usure psychique grandissante et profondément destructurante pour les instances psychiques du soignant, d’autant plus que le Moi de l’individu présentant une fatigue psychique aura tendance à s’identifier à cet idéal (Daloz, 2007).

IV. Résumé de chapitre

Les annonces de mauvaises nouvelles dans la maladie restent à ce jour un exercice particulièrement sensible pour nombre de praticiens, un art pour certains auteurs qui ne peut être résumé à une simple transmission d’information, aussi complète soit-elle. Les enjeux inhérents à la consultation de l’annonce du diagnostic sont multiples et essentiels à bien des égards pour le patient dans sa gestion ultérieure de la pathologie. Aussi, la consultation d’annonce de la maladie inscrit en l’espace de quelques minutes le patient dans une réalité à la fois nouvelle et parfois brutale, celle d’être amené à endosser le statut de malade, et de faire face aux conséquences d’une pathologie définie outre par des éléments cliniques biomédicaux, mais également par son lot de croyances et de représentations sociales. Cette expérience se révèle bouleversante pour le patient, aux retentissements profonds dans la vie de ce dernier, un événement potentiellement traumatique dont les conséquences cliniques ont fait l’objet de nombreuses descriptions au cours du siècle dernier dans le champ de la psychanalyse. Aussi, qu’il s’agisse pour Freud de l’impossibilité à lier les excitations internes et externes qui ont fait effraction dans la structure moïque et l’introduction par l’auteur de l’idée de blessure narcissique inhérente à ces expériences singulières, ou encore du « destin positif » (répétition du trauma pour une tentative d’intégration des « représentations défaillantes ») ou « négatif » du trauma (enkystement dans le psychisme), de l’auto-clivage narcissique décrit par Ferenczi et du risque de paralysie psychique qui en résulte, de la notion détransitionnalisation de la réalité induite par Janin, ou, pour terminer et dans une perspective plus contemporaine, de la rencontre avec le réel lacanien et du défaut de symbolisation conséquent à l’excès de déplaisir et de l’apparition de la jouissance « là où il ne faudrait pas », le trauma de l’annonce concerne autant le patient que, dans certaines situations et dans une moindre mesure, le neurologue. Si l’appropriation par l’individu de sa nouvelle identité médicale peut s’avérer éprouvante pour ce dernier, l’expérience d’annonce n’est pas dénuée d’appréhension voire d’anxiété pour les médecins, qui se doivent dans le contexte de la sclérose

en plaques d’interagir avec des patients diagnostiqués de plus en plus précocement, parfois avant leur quinzième année, pour une pathologie non curative à l’évolution incertaine, malgré des progrès thérapeutiques récents notables. L’information dispensée durant l’annonce du diagnostic est considérée comme un outil thérapeutique, la législation ainsi que diverses préconisations émanant de structures aussi variées que l’HAS ou encore l’ordre national des médecins tentent d’encadrer cet acte si singulier. Toutefois, si les compétences attendues en termes de savoir-faire et de savoir-être semblent faire consensus au sein de la littérature, les attentes des patients divergent parfois des attitudes des médecins, si l’on se réfère au vécu des patients relatif au contenu « réel » des annonces, soulignant entre autres la question délicate de l’appréhension du pronostic. Le trauma, ou le micro-trauma, surgit alors de la rencontre singulière, et vient bouleverser les mouvements pulsionnels et investissements narcissiques des soignants et des patients, en résulte alors l’apparition possible d’une blessure narcissique et des sentiments de culpabilité ou d’impuissance propres au vécu traumatique des individus de cette dyade. Aussi, la notion d’idéal professionnel, corrélatif au concept de narcissisme, vient inscrire l’annonce du diagnostic dans une réalité professionnelle marquée par un conflit intrapsychique récurrent entre le principe de plaisir et le principe de réalité freudien qui peut engendrer l’émergence d’une souffrance psychique notable chez le neurologue, dont peuvent également découler les sentiments de honte, de culpabilité voire de rage narcissique.

L’ensemble des idées développées dans ce chapitre sont autant d’indices cliniques que nous pourrons identifier dans les analyses cliniques initiées dans cette recherche, qui vont rendre compte du vécu traumatique ou micro-traumatique des patients et des neurologues de l’étude, et ainsi nous permettre de déterminer certaines dimensions de l’outil clinique réflexif destiné aux neurologues, comme par exemple la dimension relative à l’idéalité professionnelle à l’origine de nombreuses tensions psychiques chez les médecins, et vont justifier, ne serait-ce pour l’instant que sur un plan théorique, de l’importance du développement d’un outil clinique dont les visées, multiples, concernent à la fois l’évaluation des processus psychiques mobilisés par les professionnels durant les annonces et le parcours de soins dans leur interaction au patient, et la création d’un espace l’élaboration des expériences vécues comme potentiellement traumatiques/micro-traumatiques par ces derniers. L’outil sera inclus dans une formation plus complète au travers de laquelle sera également abordée l’expérience vécue des patients du parcours de soins et de leur relation au neurologue, afin de les sensibiliser au travail psychique

effectué par les patients et d’initier progressivement une réflexion plus globale sur la notion d’empathie clinique, que nous aborderons dans le chapitre suivant.