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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 5 : Un cadre théorique en psychologie de la santé pour approcher l’expérience vécue du

3. Une approche herméneutique, idiosyncratique et de l’expérience vécue du sujet : L’analyse

a) Description de l’approche

L’analyse interprétative phénoménologique ou IPA (Interpretative Phenomenological

Analysis) (Smith, 2004; Smith, Flowers & Larkin, 2009) est une démarche de recherche

qualitative qui tire son origine de la phénoménologie, cette approche philosophique qui repose sur les travaux de Husserl, mais aussi de Heidegger, Merleau-Ponty ou Sartre. L’exercice complet de l’IPA, initié par Smith (2004), est donc d’investiguer systématiquement la subjectivité de l’individu, à savoir privilégier les contenus de conscience. Ces données expérientielles « fournissent les informations les plus complètes relatives aux significations propres aux sujets » (Mucchielli, 2012), s’appuient sur la description authentique d’un phénomène vécu, relaté par le sujet qui le vit. Cette approche s’érige en critique de la métaphysique classique, le dessein de la phénoménologie est un retour « aux choses mêmes » selon Husserl. Ce retour au concret est concomitant à la recherche du point de rencontre entre le réel et l’esprit, pour atteindre l’ « essentiel » du phénomène évoqué : « la phénoménologie, c’est

l’étude des essences, et tous les problèmes, selon elle, reviennent à définir les essences :

l’essence de la perception, l’essence de la conscience. Mais la phénoménologie est aussi une philosophie qui replace les essences dans l’existence » (Merleau-Ponty, 1945). Si la véritable

connaissance réside dans l’atteinte de ces essences et de la pure essence, ce qui nécessite une réduction eidétique consistant en l’élimination des éléments empiriques, la « réduction phénoménologique » ou « épochè » amène à annihiler le monde objectif pour tendre vers le « moi transcendental, un moi qui ne peut être confondu avec le moi psychologique : « moi, qui

demeure dans l’attitude naturelle, je suis aussi et à tout instant moi transcendental. Mais je ne m’en rends compte qu’en effectuant la réduction phénoménologique » » (Husserl, cité par

Lyotard, 2011, p.31). L’on est alors amené très naturellement à se demander quelles sont les différences entre ces deux entités moïques, l’une obtenue par réduction eidétique, l’autre par réduction phénoménologique : « Le Moi empirique est intéressé au monde, il y vit tout

naturellement, sur la base de ce moi l’attitude phénoménologique constitue un dédoublement du moi, par lequel s’établit le spectateur désintéressé, le moi phénoménologique » (Lyotard, 2011,

p.31). L’intentionnalité est un concept au cœur de la phénoménologie. Elle est une caractéristique de l’expérience, des phénomènes psychiques, d’être dirigés vers un objet, vers quelque chose, à l’inverse des phénomènes physiques. L’intentionnalité de la conscience rend compte de l’articulation entre les actes de la conscience à l’égard d’un objet (la noèse), et l’objet tel qu’il est perçu au travers de ces mêmes actes (le noème) : « C’est parce que la conscience est

intentionnalité qu’il est possible d’effectuer la réduction sans perdre ce qui est réduit : réduire, c’est au fond transformer tout donné en vis-à-vis, en phénomène, et révéler ainsi les caractères essentiels du Je » (p.35).

Le but de l’analyse interprétative phénoménologique est d’explorer de façon approfondie le sens donné par les individus de leur monde personnel et social, et de leur perception d’un objet ou événement (Smith, 2004), en étudiant les récits qu’ils en font. Cette approche nous amène à repenser l’ensemble des dimensions de l’expérience, définie par Depraz, Varela, Francisco & Vermersch (2011) comme « la connaissance familière que nous avons de notre esprit et de notre action, à savoir le témoignage vécu et de première main dont nous disposons à son propos » (p.15). L’expérience est ce dont l’individu a fait l’épreuve, et à laquelle il accède en première personne, que cette activité consciente soit vécue de façon intentionnelle et immanente, perceptive, aperceptive, affective ou encore réfléchissante, et rapportée de soi (conscience de soi) au monde et aux objets externes (intersubjectivité, empathie). L’IPA trouve également son ancrage dans l’approche sociologique de l’interactionnisme symbolique de Mead ou Blumer de l’Ecole de Chicago, ou encore dans l’interprétation ou l’herméneutique. L’interactionnisme

symbolique repose sur trois axiomes issus de la pensée de Blumer (1969) et développés dans son chapitre Symbolic Interaction, cités par Lacaze (2013) : 1. « les êtres humains agissent envers les choses sur la base du sens qu’elles ont pour eux » (p.45) ; 2. « la signification de ces choses dérive et émerge de l’interaction avec autrui » (p.45) ; 3. « le sens est traité et modifié par un processus d’interprétation auquel a recours la personne qui a affaire à celles-ci » (p.45). L’individu n’a donc de cesse d’appréhender son environnement au travers du prisme des interprétations et du sens qu’il lui attribue, c’est pourquoi la phénoménologie nous amène à observer « les humains en situation, dans un contexte vécu fort complexe, inséparable d’une part du cadre naturel de leur existence, d’autre part de leur milieu social et historique, et enfin du monde de valeurs culturelles et privées dans lequel ils sont obligatoirement » (Mucchielli, 1992, p.195).

La phénoménologie s’attèle à saisir l’essence du phénomène, ces « objets de la connaissance phénoménologique », cette « forme de la conscience d’un fait humain » (p.195). Pour tendre vers la structure essentielle du phénomène, l’IPA se fonde sur l’herméneutique. « Nos observations étant toujours effectuées à partir d’une position subjective » (Gelin, Simon & Hendrick, 2015), la compréhension de la relation des individus au monde est alors de nature interprétative (Smith et al., 2009), or le chercheur est engagé dans le processus de production du sens attribué au phénomène vécu. Le chercheur est même impliqué dans une double herméneutique : « il tente de donner sens au récit du participant qui lui-même tente de donner sens à son vécu » (Gelin, Simon & Hendrick, 2015, p.134). Le chercheur tente d’accéder à la subjectivité de l’individu, à ses représentations, ses conceptions du monde, alors que cet accès repose sur ses propres représentations, et reste alors limité par ces dernières.

L’analyse phénoménologique s’inscrit également dans le courant constructiviste : «nous percevons le monde à travers notre implication dans celui-ci mais sa signification émerge de notre relation à lui (intersubjectivité) » (Gelin, Simon & Hendrick, 2015, p.134). L’IPA propose la compréhension de réalités complexes, et met en exergue l’importance des idées d’interprétation et de co-construction de sens : « la meilleure interprétation possible des faits sociaux sont vécues par les personnes directement concernées, soit les chercheurs et les sujets de la recherche » (Poisson, 1991, p.15). La construction d’un récit analytique s’étaye alors sur un processus interprétatif pour le participant à la recherche et le chercheur (Smith, 2004; Smith & Osborn, 2008; Willig, 2007). L’IPA est phénoménologique car elle tente d’appréhender l’expérience subjective de l’individu, suit une démarche inductive et herméneutique, et s’avère être une méthode idiographique, car elle s’attache à approfondir l’expérience vécue du cas

singulier. Cette méthode propose d’identifier la présence et la signification de phénomènes vécus par les sujets, notamment au travers de la mise en exergue des similitudes et différences entre les différents individus composant l’échantillon de la recherche (Smith & Osborn, 2008).

b) Intérêts de l’utilisation de l’approche IPA dans le contexte de cette recherche

L’IPA est au service de l’exploration du sens que le sujet donne au monde qui l’entoure, et de l’appréhension des liens que ce dernier effectue au sein du maillage des représentations. En effet, au travers de l’expérience vécue s’ouvre la possibilité de saisir les représentations et croyances de l’individu, de leur production à la manière dont elles vont opérer dans la pensée du sujet et induire une expérience vécue singulière du phénomène éprouvé. L’expérience est associée au vécu de l’individu pour (Jodelet, 2006), et reste liée à la notion de conscience. La conscience est définie par Vygotski (1994) (cité par Jodelet, 2006) comme « l’expérience vécue de l’expérience vécue, une sorte d’écho de tout l’organisme à sa propre réaction » (p.10). Ce « contact social avec soi-même » dont qui va caractériser l’expérience vécue va induire l’émergence de ressentis, rend compte de ce que le sujet éprouve, et provoque chez ce dernier une prise de conscience sur sa propre subjectivité et son identité. Pour (Jodelet, 2006), l’expérience comprend également une dimension cognitive non négligeable car elle provoque chez le sujet « une expérimentation du monde et sur le monde » qui repose sur des symboles sociaux et des savoirs et connaissances en lien aux objets dans un champ culturel singulier, qui vont être constitutifs de cette expérience, et vont induire l’émergence d’éprouvés subjectifs. Or cette connaissance qui « construit les réalités de la vie courante et transforme les états du monde » (p.20) peut être rapprochée de la notion de représentations sociales, transcendée par la subjectivité de l’individu et parfois issue de l’intersubjectivité car dans certains cas construite puis partagée entre différents individus ayant éprouvé une réciprocité dans leur vécu, des représentations alors socialement acceptées dans un groupe donné.

L’intérêt de l’IPA réside donc également dans le fait de saisir les représentations et croyances qui vont être à l’origine du construit de l’expérience vécue, ces interprétants internes comme autant de « médiations symboliques mobilisées par le raisonnement » (Jodelet, 2006, p.21), pendant le déroulé de l’activité du sujet. Les représentations et les croyances sont composées d’un ensemble de significations ; aussi, les représentations « prennent forme à travers un objet qui les constitue

comme telles et qu’elles structurent » alors que les croyances ne sont pas centrées sur un objet singulier « mais préparent le terrain pour la localisation et la spécification d’un objet » (Apostolidis, Duveen & Kalampalikis, 2002, p.10). Les croyances vont alors fournir aux représentations l’énergie nécessaire à la construction de notre réalité, constituent des systèmes d’ancrage « à partir desquels les objets sont représentés » (p.10) et contribuent à la constitution du support culturel des significations partagées par les individus (Apostolidis, Duveen & Kalampalikis, 2002).

La démarche méthodologique usitée dans cette recherche repose en partie sur l’idée de « double mimesis » de Bruner (2004) cité par Caillaud (2009), pour qui l’expérience de l’individu va être constitutive de la narration, et en retour la narration va structurer la vie du sujet : « le processus de narration structure nos connaissances et nos expériences, et nous devenons en somme notre histoire ». Aussi, ces narrations vont permettre une réflexion à propos du processus de construction des significations, et de s’intéresser aux processus présents qui désignent « la reconstruction de sens au moment même de l’entretien par l’interviewé ».

L’analyse IPA nous permettra par conséquent de mieux explorer le rapport par l’individu à la maladie, une maladie « en tant que réalité représentée » qui renvoie au lien existant entre « ordre biologique » et « ordre social » (Apostolidis & Dany, 2012, p.69), et ainsi d’explorer les processus adaptatifs à la pathologie chronique, influencés par l’évaluation et les représentations et croyances des patients inhérentes à cette dernière (Groarke, Curtis, Coughlan & Gsel, 2005), qui découlent des expériences passées, des informations obtenues au travers de leur interaction aux médecins, à leurs amis et de leurs attentes (Villani, Flahault, Montel, Sultan & Bungener, 2013). Les représentations, qui nous informent sur la relation que l’individu entretient avec la perception de son état de santé, et peuvent aussi être considérées comme des médiateurs entre l’individu, son entourage, le monde et l’ordre social (Apostolidis & Dany, 2012).

L’analyse IPA des entretiens des neurologues sera l’occasion de décrire l’expérience subjective du travail de ces professionnels de la santé, « de décrire le monde à partir du réel » par cette expérience du travail qui est parfois source de souffrance (Dejours, 2006). Nous n’avons pas fait le choix d’une méthodologie centrée sur l’analyse de la clinique de l’activité, toutefois, il est intéressant d’en souligner certains apports théoriques qui vont pouvoir orienter notre appréhension de l’objet de la recherche, lorsque nous explorons l’expérience vécu de l’activité des neurologues. Aussi, il s’agit de se référer à des cadres théoriques articulés autour des

processus intrapsychiques, centrés sur la question de l’intersubjectif, afin d’introduire la conflictualité et la dynamique de la dialectique entre les dimensions du psychique et du social, et de saisir « l’acte comme rencontre avec le réel » (Lhuilier, 2006, p.180) : pour l’auteur, l’objet du travail et sa mise en action sont orientés par la subjectivité et le rapport entre le fonctionnement psychique et la réalité. Il nous semble pertinent de souligner l’importance de la notion de représentation, afin de rendre compte de la relation entre imaginaire et réalité externe, en ne négligeant pas l’analyse des bouleversements des structures représentationnelles confrontées à la réalité et les nouvelles représentations qui en découlent.

Le travail peut être considéré comme un espace possible de sublimation dans une considération freudienne de ce concept (Dejours, 1993), dans une transformation des affects éprouvés par l’individu et une dilution de l’énergie pulsionnelle mobilisée dans sa mise en action : « l’activité de travail engage soi-même à travers la médiation d’un objet à traiter, dans une rencontre inévitable à l’autre » (Scheller, 2002, p.86). En effet, l’activité du travail ne peut être réduite à un acte dirigé sur l’objet de la tâche, elle est également dirigée vers l’ensemble des individus qui en bénéficient (Clot, 1999). Cet engagement subjectif peut aussi être adressé à « un sur-destinataire », c’est-à-dire à une autre chose qu’une personne physique selon Clot (2006), afin de répondre à cette « histoire qui se poursuit ou s’arrête à travers moi, celle que je parviens ou pas à faire mienne en y mettant précisément du mien » (Clot, 2006, p.167).

Nous tenterons dans cette recherche d’approcher le travail dans sa réalité, sans toutefois tenter l’analyse de la clinique de l’activité à proprement parler, dans la mesure où cette méthodologie ne serait pas la plus pertinente au regard de notre problématique.

En effet, nous tenterons plus précisément de saisir le réel du travail des neurologues comme l’impossible à dire, l’impossible à faire, dans cette épreuve où l’individu tente de se réaliser, même si ce travail peut faire l’objet « d’un refoulement social » (Clot, 2006, p.165). Cette expérience du travail va en effet être l’occasion pour le sujet d’engager un développement personnel (Clot & Lhuilier, 2006), l’exercice d’un métier étant « irréductiblement personnel, intime et incorporé » (p.167) et inscrit dans une histoire collective. Aussi, l’individu va progressivement inclure dans son répertoire d’actions des pratiques collectives issues de l’histoire du groupe, autant de gestes, des paroles, d’actes adaptés ou non aux situations professionnelles rencontrées dans son quotidien.

7. Intérêts de l’approche psychanalytique et psychodynamique dans l’analyse des