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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de

II. Quand les signifiants "sclérose en plaques" font trauma pour le patient

1. Expérience vécue de l’annonces de mauvaises nouvelles dans la sclérose en plaques : état des lieux

L’annonce de la sclérose en plaques a longtemps été dissimulée aux patients (Raphael, Hawkes & Bernat, 2013), une démarche décidée par certains neurologues alors confrontés à une pathologie progressive pour laquelle il n’existait aucun traitement. Le champ de la sclérose en plaques a connu deux véritables révolutions ces dernières années : une explosion du nombre des

thérapeutiques ainsi qu’une nouvelle grille de lecture des critères de diagnostic (McDonald et al., 2001), bien plus fine que la précédente, et présageant d’une prise en charge plus rapide et efficace des patients (Rolak, 2003). Le développement d’une approche centrée sur le patient prend tout son sens dans le contexte de cette pathologie incurable au pronostic incertain. Il s’agit pour le médecin, dans le respect d’impératifs éthiques, de tenir un discours de vérité et d’espoir, alors que cette annonce, au regard du contexte clinique de la SEP, peut être vecteur de grande détresse chez le patient (Raphael et al., 2013). Ainsi, Heesen, Kolbeck, Gold, Schulz & Schulz (2003) ont démontré que contrairement aux croyances de certaines médecins, 91% des patients sont désireux de recevoir le diagnostic d’une maladie, le diagnostic fut-il incertain, alors que 45% à 55% seulement des neurologues se disent prêts à révéler la possibilité d’une sclérose en plaques aux patients (Tuckett, 2004). Pour Heesen et al. (2003), après une expression intense d’affects négatifs dans la phase précédant le diagnostic, l’entrée dans la sclérose en plaques amène le patient à s’inscrire dans une approche plus positive de lutte contre la maladie. Johnson (2003) partage avec Heesen et al. (2003) l’idée selon laquelle les patients éprouveraient des émotions intenses avant l’annonce de la SEP, même si le chercheur nuance ce constat par la présence chez les patients de suspicions concernant cette maladie et par conséquent d’une relative préparation psychologique au diagnostic, atténuant alors quelque peu le choc de l’annonce. La recherche de Johnson (2003) a le mérite de souligner le rôle central du neurologue dans la vie des patients, et ce dès les premiers examens médicaux. Une relation cependant quelque fois malmenée, car patients et neurologues en arrivent parfois à exprimer les mêmes incertitudes, les mêmes questionnements. Comme le rappelle De Seze (2004), la survenue d’un premier épisode inflammatoire amène actuellement le neurologue à s’engager plus précocement dans une prise en charge thérapeutique du patient, alors qu’auparavant cette décision restait des variable d’un neurologue à l’autre. La représentation de la maladie reste connotée très négativement auprès de ces derniers, par ailleurs de plus en plus jeunes au moment du diagnostic, même si dans 20% des cas la SEP est considérée comme bénigne (De Seze, 2004) - on note une absence de troubles de la marche après des années d’évolution de la maladie. C’est ce qui amène l’auteur à préciser que le diagnostic doit être évoqué avec clarté et beaucoup de précautions, et que les nombreuses sources d’information se doivent d’être « recadrées » par le neurologue, pour asseoir un climat de confiance mutuelle. Au risque de nous répéter, la question éthique est prépondérante dans l’annonce du diagnostic de sclérose en plaques (Krahn, 2014), aux caractéristiques cliniques incertaines, et face à laquelle les patients usent de stratégies de coping fluctuantes et souvent inefficaces. Aussi, la fracture importante entre les demandes des patients et les croyances des médecins au moment de l’annonce renforce la défiance du patient à

l’égard du praticien et la fragilité d’une relation médecin-patient en devenir, selon Krahn (2014), pour qui une éthique du soin répond aux exigences suivantes : « Etre à l’écoute de et aller à la recontre des besoins particuliers des autres pour lesquels nous avons une responsabilité » (p.804). L’auteur précise à cet effet que les émotions ne doivent pas être opposées à la raison, et qu’elles peuvent être considérées comme un guide précieux pour étayer un bon jugement éthique dans le processus d’annonce, une démarche fondamentale lorsque l’on sait que 8 mois après le diagnostic, 34% des patients et 40% de leurs conjoints présentent des scores élevés d’anxiété, et que 36% des patients et 24% de leurs conjoints manifestent une détresse psychologique sévère (Janssens et al., 2003).

L’expérience vécue de l’annonce du diagnostic a fait l’objet de peu de recherches jusqu’à présent. Dennison, McCloy-Smith, Bradbury & Galea (2016) ont par exemple exploré au travers d’une étude qualitative l’expérience vécue du pronostic incertain de la maladie auprès de 15 patients atteints de SEP. Les patients semblent avoir parfaitement intégré l’idée que l’incertitude est un facteur inhérent à la maladie, et se montrent tolérants avec les neurologues qui, dans la majorité des situations cliniques, sont dans l’impossibilité de prédire l’évolution de la maladie et l’impact de cette dernière sur leur état de santé. Malgré ce vécu d’incertitude, tous les patients de l’étude de Solari et al. (2007) ont rapporté leur désir d’être informé dès que possible clairement et sans ambiguïté du diagnostic de la SEP, des résultats corroborés par l’étude de Papathanasopoulos, Nikolakopoulou & Scolding (2005) portant sur 1200 patients grecs atteints de SEP, dont 91% estiment que le diagnostic devrait être émis immédiatement, 7,5% « plus tard », et 1,4% que cela « dépend de l’individu », alors que 44% seulement des patients assurent avoir été avertis de leur pathologie immédiatement après les derniers examens. L’événement s’est avéré extrêmement stressant pour les patients et les professionnels de la santé en charge de l’annonce, une annonce dont le souvenir est encore intact plusieurs années après sa survenue, profondément ancré, enkysté, dans le psychisme du sujet (Solari et al., 2007). Les chercheurs ont par ailleurs mis en exergue trois conditions, suggérées par les patients, pour une meilleure gestion de cet événement inaugural : la personnalisation (contenu, degré de détails, et durée de la consultation adaptés aux caractéristiques de l’individu), la continuité (éviter l’événement potentiellement unique, et inscrire l’annonce dans un processus continu), et un cadre adapté (respect de l’intimité, patient intégré dans un processus de soin holistique). A cela s’ajoute une meilleure prise en considération des émotions des patients durant la consultation d’annonce : les neurologues ont tendance à changer de sujet, donner un avis médical ou ne tenir compte des émotions des patients dans 58% des situations où des émotions ont été émises par leurs patients (communication verbale ou non verbale) (Del Piccolo et al., 2015). L’annonce de mauvaises

nouvelles recouvre également les situations cliniques où le pronostic de la maladie s’avère brusquement défavorable, ainsi que les expériences de fin de vie. Ces dernières ont été appréhendées par une recherche de Buecken et al, (2012) menée auprès de patients atteints d’une forme sévère de la maladie. Ces patients rapportent le désir d’obtenir une communication sincère et critique des aspects de leur pathologie, la majorité d’entre eux considèrent comme essentiel que leur médecin leur transmette continuellement des informations relatives à la progression de la maladie, et d’être informés continuellement sur les décisions qui les concernent au sujet de la fin de vie, un aspect trop souvent négligé par les médecins. Les conséquences de l’annonce du diagnostic sur la qualité de vie des patients, sur la qualité de l’alliance thérapeutique ou encore sur la détresse du patient sont avérées, des répercussions qui risquent encore d’être majorées par les sentiments d’incertitude et d’impuissance éprouvés parfois par le malade dans son cheminement avec cette pathologie incurable. C’est la raison pour laquelle cet acte, loin d’être anodin, mérite d’être élaboré par le médecin.

L’hétérogénéité des possibilités thérapeutiques n’explique qu’en partie les différences existantes dans la prise en charge des pathologies neurologiques. L’étude de Cordesse et al. (2013) révèle de nombreuses divergences entre le parcours de patients à qui l’on a diagnostiqué une de sclérose latérale amyotrophique, une sclérose en plaques, la maladie de Parkinson ou encore la maladie d’Alzheimer, tant dans le nombre moyen de professionnels paramédicaux intervenants au cours de ce parcours, que dans les recours hospitaliers (type, nombre et durée des séjours d’hospitalisation), le délais moyens entre l’apparition des symptômes inauguraux et la première consultation, ou encore le délais moyens entre eux ces premiers symptômes et l’annonce du diagnostic. Ces divergences s’expliquent bien évidemment en grande partie par les caractéristiques cliniques inhérentes à ces pathologies neurologiques, mais comme le soulignent Cordesse et al. (2013), ces différences doive être appréhendées au regard d’un contexte médico- économique où « la réduction des dépenses de santé conduit à globaliser les prises en charge sans prendre en compte l’existence de réelles spécificités en fonction des pathologies, y compris à l’intérieur d’une spécialité donnée » (p.481). Cette étude révèle également l’appréciations subjective des patients atteints de sclérose en plaques de leur parcours de soins. Ainsi, toutes pathologies neurologiques confondues, les patients considèrent un parcours de soins comme chaotique s’ils estiment que l’information délivrée par les professionnels est insuffisante. Or l’on retrouve cette considération auprès de patients atteints de SEP (Edwards, Barlow & Turner, 2008) : ces derniers jugent insuffisantes les informations reçues au moment de l’annonce du diagnostic, et se disent contraints d’effectuer des recherches personnelles pour satisfaire leurs interrogations. De plus, ces patients expriment un manque de soutien pour leur permettre de

donner un sens à cette expérience perturbante (Edwards, Barlow & Turner, 2008). Comme dans toute pathologie chronique, l’entrée dans la sclérose en plaques est considérée comme particulièrement éprouvante par les nouveaux patients (Dennison, Yardley, Devereux & Moss- Morris, 2011; Isaksson & Ahlström, 2006), même si selon Dennisson et al. (2011) certains patients expriment un certain optimisme et tentent d’emblée de mettre en place des stratégies, certes précaires, dans le but de maintenir les conditions d’une vie normale.

L’évolution incertaine de la pathologie laisse toutefois entrevoir un dessein bien plus grave pour certains patients qui en sont atteints. C’est ce qui a amené Strupp, Voltz & Golla (2016) à interroger les besoins non satisfaits des patients présentant une forme sévère de sclérose en plaques et de leurs aidants, ainsi que des éventuels bénéfices d’une prise en charge pluridisciplinaire organisée autour de soins palliatifs, en plus du suivi des traitements habituels dans la SEP. Le recours aux soins palliatifs dans le cas de la prise en charge de patients sévèrement touchés par la SEP a en effet été plébiscité au travers de plusieurs recherches récentes (Higginson et al., 2009; Higginson, Costantini, Silber, Burman & Edmonds, 2011; Strupp, Romotzky, Galushko, Golla & Votz, 2014). La réflexion menée par Strupp, Voltz & Golla (2016) a également permis d’investiguer les besoins et le vécu des aidants, source de soutien essentielle pour les patients atteints de SEP et premiers remparts à l’institutionnalisation parfois inéluctable pour certains d’entre eux. Or l’intensité de la relation patient-aidant a tendance à rendre difficile l’expression des besoins et désirs des aidants aux dépens de ceux du malade, à savoir réussir à prendre un peu de temps pour soi, ou encore être soutenus dans leurs démarches administratives et dans leur souffrance psychologique, et éprouvent le besoin de partager leurs craintes sur les conséquences économiques du handicap de leur conjoint (Borreani et al., 2014; Strupp et al., 2016). La forme sévère de sclérose en plaques amène les médecins à une vigilance accrue et optimale du contrôle des symptômes (Golla, Galushkp, Holger & Voltz, 2012), les médecins préconisant un transfert de connaissances et de compétences bien plus important à l’ensemble des professionnels de la santé interagissant avec ces patients, mais également une expertise médicale bien plus spécifique que dans une prise en charge plus classique de la sclérose en plaques. Les médecins de l’étude ont reconnu une communication insuffisante et une mauvaise coopération avec les autres professionnels de santé impliqués dans le suivi des patients atteints de SEP. Golla, Galushkp, Holger & Voltz (2012) ont également mis en évidence une majoration de la détresse des patients atteints d’une forme sévère de sclérose en plaques, au regard de la souffrance psychique des patients présentant des formes rémittentes évoluant de manière plus classique, avec une vie professionnelle inexistante, un besoin de rééducation majeure, un effondrement psychique inhérent au besoin d’être maintenu à leur

domicile et de se percevoir comme totalement dépendant à l’aidant familial quelques années seulement après être entrés dans la maladie.

Une étude qualitative menée par Hinton & Kirk (2015) s’est intéressée à l’expérience vécue d’enfants atteints de cette pathologie ainsi que de leurs parents, durant la phase suivant l’annonce du diagnostic. Les chercheurs ont dans un premier temps suggéré la présence des difficultés voire d’erreurs dans la détection des premiers symptômes expliquent les délais relativement importants des prises en charge de certains patients. Qu’il s’agisse des enfants, des adolescents ou de leurs parents, Hinton & Kirk (2015) ont souligné que ces derniers ont éprouvé le sentiment que les symptômes alors présentés n’ont pas été suffisamment pris au sérieux par les différents praticiens, exacerbant alors considérablement les craintes et l’incertitude des patients et de leurs parents quant aux conditions de prise en charge de cette pathologie et du pronostic à plus long terme. Au regard de cet indicible, de ces angoisses profondes d’anéantissement, et de ces pulsions mortifères à l’œuvre, Irvine, Davidson, Hoy & Lowe-Strong, (2009) soutiennent que le diagnostic de la SEP entraine des réactions négatives auprès des patients, avec notamment la mise en place du déni, de la dissimulation, et une diminution de la confiance en soi. Malgré cette entrée difficile dans la maladie, la majorité des patients de l’étude ont rapporté que de nombreux changements évalués comme positifs se sont opérés progressivement, atténuant un peu le vécu d’incertitude et les affects dépressifs – on parle alors de croissance post-traumatique, ces changements ayant affecté leur système de valeurs ainsi que leurs perspectives de vie, et se sont traduits par une plus grande appréciation de la vie ainsi qu’une plus grande sensibilité aux questions spirituelles (Irvine et al., 2009).

On saisit instantanément que l’annonce d’une mauvaise nouvelle peut éventuellement être vécue par certains patients comme une rencontre traumatique, et, par le phénomène de traumatisme vicariant ou de transmission des émotions, va potentiellement ébranler psychiquement le médecin. Il nous semble ainsi pertinent de revenir sur les évolutions conceptuelles du trauma ainsi que sur les considérations actuelles de ce notion centrale dans une perspective essentiellement psychanalytique et phénoménologique, par souci de cohérence avec l’objet de notre recherche.

2. Evolution conceptuelle psychodynamique et phénoménologique du psychotraumatisme, et