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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de

III. Expérience vécue des annonces de mauvaises nouvelles chez les neurologues

2. Conséquences psycho-physiologiques des AMN chez les neurologues

a) Facteurs de vulnérabilité et réactions psychologiques

Buckman, médecin de profession, fut l’un des premiers chercheurs à décrire au travers d’un article, par ailleurs placé dans la rubrique « Pour le débat… » du British Medical Journal en 1984, à introduire les réactions et les sentiments du médecin lors de son interaction avec le patient dans le contexte de la divulgation de mauvaises nouvelles, la difficile reconnaissance de ces ressentis négatifs contribuant encore de nos jours à une « culture d’invulnérabilité » (Shaw, Brown, Heinrich & Dunn, 2013, p.245). Buckman (1984) a alors tenté d’identifier les difficultés majeures rencontrées par ces professionnels, source d’anxiété et de peurs, qui rendent délicate l’initiation de l’échange. Aussi, certains médecins craignent d’être perçus comme responsables de la situation, à l’origine des bouleversements profonds induits par l’entrée dans cette pathologie à annoncer. Même si leur formation universitaire se doit de les préparer aux situations de crise, la confrontation à la mort plonge les médecins face à l’inconnu, à l’innommable, au réel au sens lacanien, et contribue à alimenter la crainte de l’annonce de certains diagnostics, tout comme la peur de ne pas être en mesure de gérer les réactions émotionnelles du patient, face auquel il pourrait alors user de stratégies ou d’attitudes inadéquates. L’idée même de ne pas être en mesure de contrôler cette éventualité, d’être soumis à cette part d’incertitude, peut amener le médecin à remettre en question ses compétences, et augmenter sa détresse avant, pendant et parfois même après la consultation. Formé à se montrer serein en toute circonstance à la fois pour ne pas augmenter l’anxiété du patient en situation de crise et se préserver du vécu de ces derniers, le médecin éprouvera de la difficulté à exprimer dans d’autres contextes ses émotions, une posture qui se montrera pourtant essentielle pour la qualité de sa relation au patient. Ces craintes contribuent alors à accroitre le stress éprouvé par les médecins lors des annonces, un

stress qui à l’évidence concerne la majorité des cliniciens (Ptacek et al., 2001; Ptacek & Eberhardt, 1996), même si on note une grande variabilité entre les médecins du degré de stress perçu. Pour certains d’entre eux, cet état de stress se poursuit bien au-delà de la consultation d’annonce, jusqu’à 3 jours ou plus, et impacte alors la qualité de leurs échanges ultérieurs avec d’autres patients (Ptacek, Ptacek & Ellison, 2001). La tâche d’AMN se révèle être également stressante pour les étudiants en médecine (Hulsman et al., 2010), en témoignent l’augmentation significative du rythme cardiaque et de la pression artérielle mesurés par les chercheurs auprès de ces derniers durant l’activité d’annonce, par rapport aux autres types d’échanges existants dans la dyade médecin-patient. Les médecins se montrent conscients de l’impact psychique de l’annonce de diagnostic sur le patient, même si ces derniers semblent dans certains cas majorer par avance l’intensité des réactions émotionnelles des sujets (Ptacek et al., 2001). Comme le soulignent Ptacek & McIntosh (2009), délivrer une mauvaise nouvelle reste une tâche complexe sous- tendue par un nombre importants de facteurs, qu’il semble impossible de lister intégralement tant ils sont subjectifs, même s’il existe des situations cliniques qui génèrent du stress et que l’on retrouve auprès de la majorité des médecins. Leur étude avait pour ambition dans un premier temps d’identifier les facteurs rendant l’AMN difficile pour les médecins, puis de déterminer les facteurs les plus anxiogènes pour ces derniers. Parmi ces prédicteurs, on note le fait d’annoncer une rechute, des complications, une maladie à un patient qui n’avait jamais été rencontré auparavant, annoncer un diagnostic grave à un enfant/adolescent, à un patient auquel on s’identifie socialement ou de même tranche d’âge, aux parents d’un enfant malade, annoncer le pronostic d’une mort certaine, annoncer le diagnostic à une famille jugée toxique, ou encore à un patient perçu comme émotionnellement fragile, ou qui semble rejeter vivement l’idée même de la maladie. Les facteurs qui vont influencer le vécu du médecin peuvent être assignés à six dimensions : 1. facteurs propres au médecin, 2. facteurs liés au patient, 3. facteurs institutionnels, 4. facteurs liés aux relations interpersonnelles, 5. facteurs liés aux caractéristiques de la maladie ; 6. Facteurs non prévisibles par le médecin. Aubert-Godard, Scelles, Gargiulo, Avant & Gortais (2008) corroborent par exemple la difficulté évoquée par Ptacek & McIntosh (2009) quant à l’annonce d’une pathologie grave d’un enfant à ses parents, considérée comme une tragédie par le médecin, qui éprouve des sentiments d’échec, de culpabilité ou encore de solitude, malgré la satisfaction d’avoir accompli parfaitement son devoir, une satisfaction qui peut être accompagnée d’un relâchement physique et psychique (Desauw et al., 2009). Les affects négatifs exprimés par les médecins les amènent à usiter des stratégies pour tenter de les réguler. Ainsi, ils favorisent le recours à la « suppression expressive » (dissimulation volontaire des émotions à leur interlocuteur), à la réévaluation cognitive (modification volontaire du sens donné par le

patient à la situation angoissante pour en atténuer l’impact psychique), au fait de « prendre du recul » (mise en place d’une distance émotionnelle avec le patient pour se préserver des affects négatifs du patient), à la recherche support social et à la résolution de problèmes (se montrer attentif, actif, efficace) (Desauw et al., 2009).

b) Mutations et enjeux actuels en neurologie et spectre du burn-out

La problématique de notre recherche nous amène à inscrire les affects exprimés par les neurologues au regard du contexte de cette discipline en perpétuelle mutation, aux avancées thérapeutiques et diagnostiques particulièrement effectives ces dernières années (Vickrey, 2015) mais encore insuffisantes pour une prise en charge curative des patients. Dans un contexte économique actuellement fragile dans certains pays occidentaux et défavorable pour une réponse pertinente aux demandes des patients, les neurologues prônent des soins plus humains et par conséquent des modèles de soins intégrés, et donc plus onéreux, et expriment leur espoir dans une recherche actuellement en plein émulsion (Vickrey, 2015). Pour ce médecin, la neurologie a toutefois besoin de nouveaux modèles de coordination des soins, d’une recherche fondamentale plus active, et d’une réflexion globale sur l’implémentation des modèles pluridisciplinaires dans leur pratique clinique. Si la majorité des neurologues de l’étude de Ringel, Vickrey, Schembri & Kravitz (2003) affirment qu’il estiment être en mesure de dispenser des soins de qualité à leurs patients, 30% des neurologues de l’échantillon jugent qu’ils ne peuvent actuellement pas assurer une continuité des soins satisfaisante à leurs patients, ni de leur allouer assez de temps, et estiment ne pas bénéficier d’une liberté clinique suffisante. Or l’insatisfaction au travail est un facteur prédicteur de la survenue du burnout chez les neurologues (Ringel et al., 2003; Bianchi, 2015). L’intérêt d’amener le neurologue à identifier les processus psychologiques mobilisés parfois inconsciemment lors de l’AMN et plus généralement dans sa relation au patient, de l’amener à penser ses réactions et à leur donner du sens, pour tenter d’atténuer sa détresse lors de ces rencontres subjectives singulières, réside également dans un constat établi par Sigsbee & Bernat (2014), Sethi (2015), Busis (2014), ou encore Zis et al. (2015): la prévalence du burnout est plus élevée chez les neurologues que dans d’autres professions, et concerne même les internes en neurologie (18.1% de l’échantillon de l’étude de Zis et al., 2015). Or, pour rappel, ce syndrome s’exprime par un épuisement émotionnel, la déshumanisation de la relation à l’autre et

la diminution de l’accomplissement personnel (Maslach & Goldberg, 1998), et maints facteurs peuvent être prédicteurs du burn-out chez les médecins. Parmi ces facteurs, on retrouve la charge émotionnelle quotidienne (être confronté à la souffrance des patients, prendre en charge de jeunes patients, nombreuses annonces de mauvaises nouvelles, répétition des décès), le statut des praticiens (absence de communication entre collègues, désaccord avec les choix thérapeutiques, sentiment d’être sous pression, évaluation négative de ses propres connaissances théoriques …), la charge de travail (charge de travail trop importante, pas assez de temps à proposer aux patients…), les questions existentielles (ne pas savoir que dire aux patients, crainte d’effectuer une erreur médicale …), des facteurs socio-démographiques (Grassi & Magnani, 2000), la demande des patients (demande excessive des patients et leur famille) (Blanchard et al., 2010), le sentiment d’équité au travail (Blanchard et al., 2010; McManus, Surawy, Muse, Vazquez-Montes & Williams, 2012; Truchot, 2009) et plus globalement la satisfaction au travail (Stordeur, Vandenberghe & D’Hoore, 1999).

Le vécu de l’annonce de mauvaises nouvelles peut donc être considéré comme un facteur prédicteur du burn-out chez les médecins (Blanchard et al., 2010).

Le soignant sera parfois confronté « aux aspects sombres de l’âme humaine » (Delbrouck, 2008, p.46), et devra répondre à des demandes émanant de l’infans du patient, qui se révèleront parfois très exigeantes et éprouvantes pour le praticien. Le soignant reste impliqué par identification projective au vécu d’un autre en souffrance (Delbrouck, 2008). Pour l’auteur, le choix même de cette profession n’est pas anodin et renvoie au vécu du professionnel de la santé. A noter que le burn-out est significativement corrélé à des niveaux élevés de symptômes dépressifs, d’idées suicidaires et de passage à l’acte (Olkinuora et al., 1990; Eckleberry-Hunt & Lick, 2015), et d’alcoolo-dépendance chez les médecins (Oreskovich et al., 2012), ce qui amène les auteurs à souligner l’importance du rôle de la formation médicale dans la prévention du burnout (Eckleberry-Hunt & Lick, 2015), la sensibilisation des étudiants en médecine aux outils de gestion du stress, et des apprentissages complémentaires sur l’annonce de mauvaises nouvelles (Blanchard et al., 2010). Ce constat rend compte du caractère essentiel de l’implication possible et du rôle des psychologues dans l’élaboration du cadre d’interventions destinées au médecins et internes et centrées sur la communication médecin-patient dans le contexte de l’AMN, et de l’accompagnement des praticiens dans un travail d’élaboration et par conséquent de transformation de leur subjectivité professionnelle.

3. Conséquences psychiques des AMN chez les neurologues : narcissisme et idéal professionnel du