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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 3 : Intersubjectivité dans la relation médecin-patient

I. Intersubjectivité dans la relation médecin-patient

2. Figures du médecin et du patient

C’est Israel (1968) qui l’affirme, le médecin n’est pas un homme comme les autres. Il a toujours disposé d’une large reconnaissance sur le plan social (Palazzolo, 2007). La position attribuée au médecin habituellement par les conventions sociales va encore grandir au moment de l’annonce de la maladie, car le malade placera en son praticien tout l’espoir d’une guérison hypothétique. Pour

Consoli (2004), l’image du médecin auprès du patient est à la fois :

- celle d’un technicien doté d’un savoir et d’un savoir-faire sur les dérèglements physiologiques ;

- celle d’un confident, neutre et discret, susceptible d’entendre les détresses individuelles et d’être de bon conseil ;

- celle d’un interprète capable de "décrypter" le sens caché de choses qui échapperaient au patient ;

- celle d’un représentant de l’autorité parentale, capable de rappeler à l’ordre, de faire la leçon voire d’infliger une punition.

Le médecin dispose d’un statut de toute puissance, un statut omnipotent qui le différencie des autres individus. Il jouit d’une compétence technique et d’un savoir incontestable en tant que représentant de la Médecine (Palazzolo, 2007). Dans sa relation avec le malade, le praticien est selon Parsons (1995) autonome et dominateur, se devant d’afficher une neutralité affective. Il incarne le Maître. Il apparaît donc aux yeux de Ruszniewski (1999) qu’ « aux antipodes de la

position de faiblesse du malade s’imposeront en contrepoint le savoir et la compétence du médecin ». Le médecin cherche alors à maintenir le pouvoir – imaginaire ou réel – qui lui est offert et fait bénéficier le patient de son intervention thérapeutique, à condition que ce dernier lui renvoie cette image idéalisée, source de valorisation et de gratification narcissique : « L’homme arbore une véritable foi en cet être à part. Il est d’ailleurs établit dans nos sociétés occidentales contemporaines que « la Médecine est notre religion » » (Laplantine, 1992). Le praticien lui-

même a foi dans cet adage ; il voit comme un devoir de remplir sa fonction « apostolique », c’est-à-dire attendre un comportement précis du malade et, si besoin, l’obtenir en convertissant ce dernier (Balint, 1996). Mais cette image de médecin doté de pouvoirs miraculeux serait susceptible de susciter une certaine angoisse chez le patient en raison de sa proximité quotidienne à la mort. Cette proximité directe à la mort conforterait son statut de toute-puissance et l’image fantasmatique idéalisée qu’il renvoie au patient, à savoir pouvoir jouir d’un pouvoir total sur la vie et sur la mort. L’un des aspects les plus investis de la figure du médecin est le rôle maternelle-protecteur qui lui est conféré par le patient. Ce statut désigne selon Israël (1968) le rapport entretenu autour de l’alimentation. En effet, la mère nourrit, et le médecin se retrouve dans l’importance que prend l’alimentation, la prise de traitements – le plus souvent par voie orale, et donc l’oralité dans la régression liée à la maladie. On soulignera l’aspect protecteur que l’administration de traitements thérapeutiques revêt. Une autre image du médecin, complémentaire à la précédente, réside en sa puissance. Le médecin est considéré comme un personnage puissant (Israel, 1968) et inspire alors une certaine crainte. Il est la personne par qui la sentence arrive. Le malade est dépendant du corps médical. Il bénéficie d’un droit inconditionnel à l’aide, sur lequel il s’appuie pour demander à son médecin de le guérir ou au moins de le soulager (Palazzolo, 2007), un droit qui tend à se judiciariser : « les recours juridiques des patients contre leurs médecins sont de plus en plus nombreux » (Castel, 2005, p.446). On remarquera que cette demande repose sur une image idéalisée du médecin. Le patient, en position de sujet ignorant face au discours médical, se soumettra en quelque sorte à son praticien, en qui il placera tous ses espoirs. Si l’on se réfère à Consoli (2004) chez le médecin, l’image du patient et de la pratique médicale renvoient notamment:

- « au désir de soulager, prendre soin, réparer » ;

- « au désir d’affirmer son pouvoir sur les autres, de se faire obéir, respecter » ; - « au désir d’acquérir une « situation sociale » et un emploi rémunérateur » ;

- « au désir d’exercer un « art » qui fait quotidiennement appel à son sens du discernement et à sa capacité de décision ».

Une importante dimension d’idéalisation sous-tend la plupart des attentes réciproques entre le médecin et le patient. Le médecin idéal est pour le patient celui qui pourra être à la hauteur de ses multiples espérances ; pour le praticien, le patient idéal est celui qui lui permettra au mieux de satisfaire sa « vocation » (attentes et désirs conscients/inconscients). Selon Moley- Massol (2004), la demande du patient se situe bien au-delà du savoir technique, du savoir biomédical. Le malade demande au médecin qu’il le reconnaisse dans toute sa réalité et intégrité de sujet, avec ses angoisses, ses peurs et avec une perception de sa maladie qui lui est propre, et

non seulement en tant que malade – sujet que l’on pourrait résumer à la simple définition de sa maladie. La survenue d’une pathologie grave peut ébranler la relation « classique » médecin- malade, du fait notamment de la complexité de la pathologie ou de l’issue mortifère de cette dernière, ce qui remettra fortement en question les compétences du praticien. Il n’est pas rare qu’il se retrouve en difficulté, face aux rechutes de son patient, aux arrêts de traitement, aux passages à l’acte auto- ou hétéroagressifs ou encore à l’aspect fluctuant de la maladie. Hamon (1994) nous décrit ce qui pourrait s’apparenter à un malade idéalisé : le "beau" malade. Le beau malade n’a pas besoin de guérir au final – la guérison serait un "plus" non négligeable. Le "beau" malade est atteint d’une "belle" pathologie, c’est-à-dire une pathologie qui puisse être facilement identifiée et traitée. « Le beau malade est autorisé à mourir si sa mort est explicable, voire utile, confirmant un pronostic, invalidant une fausse piste » (p.84) Il va s’en dire que le malade atteint de SEP ne semble pas entrer dans cette catégorie.

« C’est donc cette partie indifférenciée du soignant (du médecin) qui va pouvoir résonner

fantasmatiquement avec le psychisme du malade qui se trouve plongé dans un état de néantisation catastrophique. C’est encore à ce noyau indifférencié qu’il fera appel pour avoir un

effet vitalisant sur une personne en proie à une maladie grave » (Morel, 1984, p.136).

Balint (1968) relève qu’« à un moment ou un autre de la cure psychanalytique les

patients cessent de vouloir coopérer. Cela peut se manifester sous la forme d’un refus de bouger, de changer ou bien celle d’une incapacité apparemment complète d’accepter aucune circonstance extérieure défavorable ou de supporter le moindre accroissement de tension »

(p.127). Ces attitudes du patient ne se rencontrent pas seulement dans la relation psychothérapeutique, mais sont communes dans les interactions médecins-malades. Pour l’auteur, il y aurait non seulement une régression du patient, mais aussi une régression du médecin. La régression chez le malade serait notamment due au fait qu’il est demandé au patient d’affirmer de façon explicite ce qu’il pense et ce avec une « intensité primitive ». Si régression il y a, nous pouvons suggérer que cette dernière est aussi favorisée par l’interaction médecin- malade, transposable au schéma de la dyade mère-enfant. Les soignants seront confrontés à cet infans (Balint, 1968) du patient et aux demandes inconscientes et/ou latentes de ce dernier. Le patient peut alors interpréter les remarques ou explications du médecin comme des signes d’hostilité et d’agressivité à son encontre, en fonction de sa propre construction psychique.