• Aucun résultat trouvé

Partie I : Cadre théorique

Chapitre 2 : Expérience vécue de l’annonce de mauvaises nouvelles dans le cadre du parcours de

I. Annonces de mauvaises nouvelles dans la maladie chronique : état actuel et synthèse des

1. La communication dans la relation médecin-patient

La communication est un processus continu, jamais figé, qui se structure au sein l’interaction entre le praticien et le patient, au fil des méandres de la maladie. Il existe de nombreuses nuances entre annoncer et informer. Pour Juffé (2000), le terme "informer" nous renvoie d’après son étymologie au sens de "façonner". Lorsqu’on met quelqu’un au courant, ce n’est jamais de manière neutre. On le fait avec certains mots, avec un certain ton. « J’essaie de

vous imbiber de ce dont je vous informe de manière à vous façonner » (Juffé, 2000, p.13). Il n’y

a jamais de discours informatif pur au sens de « mettre au courant une personne » (Juffé, 2000, p.14).

L’information fait partie intégrante des soins, alors que l’annonce ne constitue pas forcément une priorité de l’information à donner au malade. Nommer d’emblée la maladie risque fortement de figer la communication entre le médecin et son patient. Le malade obnubilé par la révélation qui vient de lui être faite n’est alors plus en mesure d’entendre les explications annexes données par son praticien. Pour Juffé (2000), communiquer revient à mettre à

disposition, mettre en commun. Ainsi, on peut communiquer de A vers B (mettre à disposition)

mais aussi entre A et B (mettre en commun). Cet acte présuppose la présence au moins de deux individus pour la parole s’inscrive dans un circuit soit complet, une parole comparable à « un acte individuel de volonté et d’intelligence » (Bougnoux, 1993, p.126) et qui, selon l’auteur, est composée de combinaisons permettant à l’individu qui utilise « le code de la langue » (p.126) d’exprimer sa pensée, et du « mécanisme psycho-physique qui lui permet d’extérioriser ces combinaisons » (p.127).

Le message doit être perceptible (audible dans notre situation), intelligible (avoir un sens pour celui qui le reçoit) et sensible (que le message "touche" l’auditeur). « On ne peut

communiquer que s’il y a quelque chose en commun » (Juffé, 2000, p.15), que s’il y a une

certaine concordance entre les protagonistes. Les problèmes d’interaction seraient selon l’auteur des problèmes de techniques de communication : 1. le message transmis n’a pas la même valeur pour celui qui l’émet que pour celui qui le reçoit ; 2. le message que l’on envoie est lié à des actions et entraine parfois des décisions ; il existe une censure pouvant être expliquée par des motifs différents (ici : ce que le médecin veut garder pour lui et qu’il dira à un autre moment voire jamais, ce que le médecin ne sait pas comment dire, ce qu’il n’ose pas dire, ce qu’il lui est interdit de dire ou qu’il perçoit comme " l’impossible à dire "en référence au réel lacanien auquel il peut être confronté. Limiter la communication à la simple transmission d’un message sans que les participants aient au préalable procédé à une adaptation mutuelle de leurs compétences linguistiques et vie psychique, appauvrit le processus communicationnel et peut entraîner l’apparition d’un sentiment d’impuissance chez l’un ou l’autre des individus (Mortensen, 2008). Pour l’auteur, la seule transmission d’un message ponctué d’instructions créée les conditions d’une mauvaise exécution des directives et préconisations par la personne qui reçoit le message, de mauvaises interprétations qui par ailleurs auront du mal à être révisées par la suite, et peut amener l’individu à qui le message a été transmis à s’en détacher d’autant plus facilement que l’information est porteuse d’une valence émotionnelle négative importante. Pour Mortensen (2008), la perception d’une information dépend également de l’atmosphère qui se dégage de l’interaction entre les deux individus. Ainsi, une personne qui semble maintenir une distance émotionnelle à l’autre pourra potentiellement faire l’objet de suspicion, qui pourrait altérer un sentiment de confiance en devenir. L’analyse de la communication par Bougnoux (2001), pour qui la communication est « comme un gros nuage que les vents poussent et déchirent, et qui plane sur à peu près tous les savoirs » (p.10), précise qu’il est essentiel de distinguer la relation technique ou scientifique d’une relation pragmatique, qui sous-tend non pas une action d’un sujet

sur un objet, mais d’une action de l’homme sur un homme. Pour ce dernier, alors que la relation est descendante dans la première situation, la seconde serait dite circulaire et réflexive, annihilant toute visée purement comportementale ou instrumentale. Les relations pragmatiques comportent ainsi une part d’« incertitude communicationnelle», qui échappe à toute tentative de technicisation, ce qui pose les jalons de notre réflexion quant à l’outil que nous nous proposons d’élaborer au travers de cette recherche. En effet, on peut supposer que l’« incertitude communicationnelle » émane des méandres de la vie psychique de l’individu, de sa subjectivité, qui échappe alors à toute tentative de standardisation, de "protocolisation". Or cette « incertitude communicationnelle », pour reprendre l’expression de Bougnoux (2001), peut s’avérer être la source de pléthore de malentendus, et replacer « l’altérité au cœur d’une communication » (Servais & Servais, 2009, p.21). La reconnaissance de cette altérité doit amener les individus à admettre que les deux protagonistes d’un échange communicationnel, l’émetteur et le récepteur, disposent obligatoirement de versions différentes de la même interaction, et que toute tentative d’objectiver ces versions reste illusoire. Aussi, pour Servais & Servais (2009), la structure essentielle de la communication serait le malentendu.

L’information est un outil thérapeutique indispensable faisant partie intégrante du soin que le médecin doit au malade (Moley-Massol, 2004, p.19), une information « adaptée » permettre au malade de s’approprier peu à peu l’événement-maladie. Cette information est selon l’auteur un moyen de « compréhension, de responsabilisation, d’autonomisation et de

valorisation » (p.19), permettant en outre à la personne de « donner du sens à ce qui est vécu, à mieux se construire dans l’ici et maintenant » (p.19), d’ « envisager l’avenir et de donner de la dignité au sujet » (p.19). Il n’y a pas de formation spécifique concernant la marche à suivre pour

communiquer de mauvaises nouvelles. Buckman (2007) élève la communication médecin-patient au degré d’"art" : « Cet art, tout professionnel de la santé le reconnaît comme relevant de sa

responsabilité, ne semble appartenir à aucune discipline en particulier » (p.42). Autrefois, le

métier du médecin se limitait pour l’essentiel au diagnostic courant, tandis que des interventions thérapeutiques occupaient une place tout à fait secondaire.

Il est vrai que l’acte d’information du médecin vers le malade est d’autant plus important de nos jours que l’information est disponible partout, hors des mains des seuls spécialistes, une « consommation d’information » susceptible de répondre à des enjeux multiples, qui renforcent la position du patient au sein du système de santé (Nabarette, 2002). La typologie des motifs d’accès à ces nouvelles formes d’information révèle que les patients ont recours à ces données pour améliorer leur compréhension de la maladie, la gestion de leur maladie, orienter leur

décision médicale, et dans une approche préventive afin d’améliorer leur santé (Nabarette, 2002). L’information dispensée aux malades et leur place dans le système de soins actuel a fait l’objet de nombreux débats, notamment sous l’impulsions des associations, les pouvoirs de décision des patients, vecteur essentiel d’une véritable démocratie sanitaire. Toutefois, malgré les impératifs juridiques et déontologiques, la rétention de l’information est encore fortement usitée par les médecins (Fainzang, 2009).

La relation médecin-patient se construit progressivement durant la phase des examens. L’intensité des investissements libidinaux au sein de cette dyade trouve alors son acmé lors de l’annonce du diagnostic de la maladie et de l’ensemble des annonces de mauvaises nouvelles propres à la pathologie, émises durant tout le parcours de soins.