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Partie I : Cadre théorique

Chapitre 1 : Considérations générales actuelles sur la sclérose en plaques

II. Qualité de vie des patients atteints de sclérose en plaques

2. Troubles psychiatriques et psychologiques associés à cette maladie

La prévalence de la dépression est extrêmement hétérogène au regard des nombreuses recherches qui ont été menées à ce sujet ; elle concerne entre 16 % et 46 % des patients (Galeazzi et al., 2005; Hakhim, Bakeit & Bryant, 2000; Millefiorini et al., 1992; Siegert & Albernethy, 2005), et semble être plus prégnante auprès des patients atteints de la forme secondairement progressive que dans les formes primaire progressive et récurrente-rémittente (Bakshi et al., 2000; Vleugels et al., 1998). Le statut clinique, obtenu notamment grâce à l’Expanded Disability Status Scale (EDSS), l’anxiété-trait, l’alexithymie et le soutien social sont autant de facteurs prédicteurs de la dépression mis en évidence au travers de l’étude de Gay, Vrignaud, Garitte & Meunier (2010). La question du pronostic a également été évoquée comme facteur favorisant l’émergence de ce trouble psychiatrique (Janssens et al., 2004). En effet, une recherche menée par Janssens et al. (2004) auprès de 101 patients s’est intéressé à l’impact de la perception du pronostic sur les niveaux d’anxiété, de détresse et de dépression. Aussi, les résultats ont montré que seuls les patients présentant un haut niveau de risque de dépendance perçu sur 2 ans, 10 ans ou sur toute la vie rapportent une augmentation importante des pensées négatives et des affects dépressifs en lien à la maladie. De plus, un haut niveau de perception du risque de dépendance à deux ans serait lié à des scores élevés d’anxiété, de dépression et d’évitement. Ces résultats ont amené les chercheurs à préconiser d’informer clairement les patients des effets à court terme de cette pathologie. Outre le facteur pronostic, la fatigue constitue également un prédicteur potentiel de l’émergence de la dépression (Chwastiak et al., 2005), et engendre par ailleurs un sentiment élevé de culpabilité, de dévalorisation et une baisse de l’estime de soi (Montreuil, 2000). Ce symptôme particulièrement invalidant concernerait environ 75% des patients adultes (Freal, Kraft & Coryell, 1984) et 20% des enfants et adolescents atteints de SEP (Goretti et al., 2010), et pourrait être parfois exacerbé par certains traitements thérapeutiques, comme les interferon-bêta par exemple (Ziemssen, 2009). La douleur constitue un autre facteur de risque important de la

dépression. Une étude de Alschuler, Ehde & Jensen (2013) portant sur 161 personnes atteintes de la maladie - ayant été diagnostiquées en moyenne depuis 183.50 mois (environ 15 ans), a montré que 73% de l’échantillon présentait des sensations douloureuses, 40 % des participants ayant par ailleurs rapporté des niveaux de douleurs évalués comme modérés à sévères. Les chercheurs ont également souligné un lien significatif entre les douleurs rapportées par les participants et la présence de symptômes dépressifs auprès de ces derniers : ainsi, entre 86 % et 100 % des personnes présentant des critères de dépression ont rapporté avoir vécu des sensations douloureuses en lien à la SEP.

La dépression n’est pas la seule comorbidité psychiatrique occasionnée par la maladie. Les patients présentent également des niveaux importants d’anxiété, comme le rapporte d’étude de Smith & Young (2000) portant sur 88 personnes atteintes de la maladie. En effet, 34% de l’échantillon a relaté des scores importants d’anxiété à l’HADS (Hospital Anxiety and Depression Scale). Un autre trouble psychiatrique semble être prépondérant auprès des patients, sans que l’on soit en mesure d’en expliciter avec pertinence les mécanismes sous-jacents. Il s’agit des troubles bipolaires, dont certaines recherches mentionnent au taux important chez les patients (e.g., Carta et al., 2014), les chercheurs soulignant également les risque de sous- évaluation de ces troubles auprès de sujets présentant également des symptômes dépressifs. Outre la dépression, l’anxiété, les troubles bipolaires ou encore d’euphorie (José Sá, 2008), de nombreuses recherches ont décrit l’existence de niveaux élevés d’idéations suicidaires, de passage à l’acte et de décès engendrés par tentatives de suicide dans la population des patients atteints de cette pathologie neurologique auto-immune (e.g., Feinstein, 2002; Lebrun & Cohen, 2009; Montel & Bungener, 2007). Ce constat est étayé par de nombreuses recherches, dont l’étude longitudinale de Leray et al. (2007) portant sur 1905 patients, suivis de 1976 à 2004, et qui est dénoté 68 décès parmi cette cohorte dont 51 en lien à la maladie, parmi lesquels 9,6 % l’étaient du fait d’un suicide. Ce taux élevé de suicide parmi les patients atteints de la sclérose en plaques est également confirmé par une étude longitudinale plus ancienne menée par Sadovnick, Eisen, Ebers & Paty (1991) et portant sur 3126 patients atteints de cette pathologie, qui rapporta le décès de 145 d’entre eux. Les chercheurs ont mis alors en évidence que le taux de suicide chez les patients était 7,5 fois supérieur au taux de suicide de la population générale. Les facteurs fragilisant ayant une influence notable sur le risque suicidaire serait de vivre seul, de présenter une prédisposition familiale au développements de certains troubles mentaux, de rapporter un stress social élevé, de présenter le diagnostic d’une dépression majeure, de troubles anxieux ou de troubles anxio-dépressifs, ou encore des troubles de dépendances à l’alcool Feinstein (2002).

Ces conclusions ont été remises en question par une autre recherche menée cette fois par Sumelahto, Hakama, Elovaara & Pukkala (2010) en Finlande, pour qui le taux de mortalité au sein de la population des patients est importante, sans toutefois qu’il n’y est une importance significative attribuée au suicide au regard de la population générale.

En plus des comorbitiés psychiatriques présentées par de nombreux patients atteints de cette pathologie neurologique, les patients rapportent également une estime de soi très faible, une baisse de l’acceptation de soi, de la résignation et beaucoup d’appréhensions (Korwin- Piotrowska, Korwin-Piotrowska & Samochowiec, 2010). A cela s’ajoute également, selon ces chercheurs, une restriction de leurs relations personnelles, la difficulté de se projeter dans de nouveaux projets, et une vie totalement centrée sur la perception des symptômes et de leur traitement.

Un des effets majeurs de l’affinement des critères diagnostiques de la sclérose en plaques au cours des 10 dernières années ainsi que l’évolution importante des thérapeutiques dans ce même temps a été la prise en charge possible d’enfants et d’adolescents. L’apparition des premiers symptômes dès le plus jeune âge vient perturber profondément la qualité de vie de ces enfants, comme en témoigne l’étude de Goretti et al. (2010) menée auprès de 56 patients dont l’âge moyen est de 12.3 ans (SD=3.7). Le symptôme de fatigue était retrouvé auprès de 20% des participants, 17% environ ont présenté des troubles affectifs, pour 28% d’entre eux les activités scolaires ont été affectées, les tâches quotidiennes ont été perturbées dans 41 % des cas et 28 % des jeunes patients ont rapporté des difficultés dans leurs relations sociales.

Ainsi, la littérature nous permet d’appréhender un certain nombre de problématiques soulevées par cette pathologie neurologique singulière, en lien à son étiologie, sa prise en charge thérapeutique, son évolution imprédictible ou encore à la diversité de ses signes cliniques, autant de facteurs qui vont renforcer les difficultés pour le patient de faire face à la maladie et se projeter dans un futur qui se veut extrêmement incertain (e.g., McCabe, McKern & McDonald, 2004). L’étude menée par McCabe et al. (2004) auprès de 381 personnes atteinte de SEP a démontré que ces patients adoptaient principalement des styles de coping centrés sur la résolution de problème et sur la recherche de soutien, des conclusions également partagées par Pakenham (1999), qui ajoute par ailleurs que les stratégies de coping centrées sur les émotions engendrent un faible ajustement à la maladie. Jean, Paul & Beatty (1999) ont prouvé à cet effet qu’un niveau plus élevé de détresse et de dépression était exprimé auprès de patients usant de stratégies de coping centrées sur les émotions, mêmes si la mobilisation de stratégies de coping

centrées sur les problèmes n’était pas significativement liée à des niveaux de détresse plus faibles, et que les stratégies d’ajustement centrées sur les émotions étaient principalement utilisées durant des périodes de détresse élevée.

Le soutien social a fait l’objet d’un certain nombre de recherches, qui ont tout démontré sa grande influence sur la santé des patients, des effets directs qui portent à la fois sur la santé mentale et la santé physique (Fischer & Tarquinio, 2006). Pour ces auteurs, un soutien social perçu fort aurait une influence significative sur l’estime de soi, et engendrerait un effet protecteur sur la santé alors qu’a contrario un soutien social perçu faible voire une absence de soutien social constituerait un facteur de risque, un constat corroboré entre autres par des recherches relatives à l’émergence et le développement des maladies cardiovasculaires (Lett et al., 2005), ou encore dans son rôle de modérateur auprès des patients séropositifs (Leserman et al., 1999). Lett et al. (2005) ont ainsi démontré qu’un soutien social faible multiplie de 1.5 à 2 fois le risque de développer une maladie coronarienne ou de provoquer un événement coronarien. L’étude de Leserman et al. (1999) a souligné quant à elle qu’un soutien social faible associé à un vécu de stress augmentent la vitesse de progression de l’infection du VIH. La sclérose en plaques a également fait l’objet de recherches centrées sur ce déterminant de santé. Comme nous l’avons évoqué précédemment, et au risque de paraître redondant dans nos propos, un faible soutien social perçu s’avère être un prédicteur important de l’émergence de la dépression dans la SEP (Gay et al., 2010). Si l’on considère à présent le soutien social au sein du couple, l’étude qualitative conduite par Rollero (2016) auprès de 24 conjoints de patientes atteintes de SEP a permis de souligner l’importance du soutien social et de la vie sociale dans le couple, le rôle d’aidant à temps plein du conjoint, les bouleversement profonds des relations dans le couple et la peur du conjoint quant à l’avenir. Les perturbations et tensions qui s’installent progressivement au sein du couple ont par ailleurs étaient explorées par Boukobza, Gay & Heinzlef (2016) au travers d’une recherche portant sur le soutien conjugal au sein de 34 couples, dont la femme est atteinte de SEP. Aussi, le soutien mutuel des conjoints, qui est un facteur déterminant de la satisfaction conjugale (Cormier & Julien, 1996), est fortement ébranlé par le vécu des deux protagonistes de la sclérose en plaques (Boukobza, Gay & Heinzlef, 2016), une maladie chronique qui s’inscrit durablement dans la dynamique du couple. Pour ces derniers, si la SEP n’a pas d’influence sur l’ajustement dyadique, elle engendre toute de même une perturbation profonde de la perception et de l’évaluation réciproque des deux conjoints quant à leur investissement de la vie de couple et du soutien mutuel apporté au quotidien.