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A/ Les implications de l’applicabilité du droit au procès équitable pour la partie civile

60. Pour que la victime puisse profiter de l’application de la notion de procès équitable à

son égard, encore faut il qu’elle ait accès au tribunal pénal (1). Ce droit une fois consacré, va permettre à la victime de réclamer certaines prérogatives considérables au nom des droits de la défense, de l’égalité des armes et du principe de l’impartialité et de l’indépendance de la justice (2).

1/ Consécration du droit d’accès à un tribunal pénal

61. Au niveau supranational, la reconnaissance du droit d’accès à un tribunal existe en

effet très tôt et même avant l’interprétation de l’article 6§1 de la CESDH1. Par ailleurs, le droit interne l’a aussi rapidement reconnu2 et le conseil constitutionnel a même érigé ce droit en principe fondamental reconnu par les lois de la République3.

62. Quant à la CEDH, c’est bien évidemment l’article 6§1 de la CESDH qui a servi de

fondement à la reconnaissance de ce droit4, elle commence tout d’abord par consacrer celui-ci

1 Art 14. du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, ONU ; Art. 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000; CJCE, 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651

2 CE 7 janvier 1972, Elections au Conseil de l’Unité d’enseignement et de recherche de lettres et sciences

humaines de l’université de Limoges, Ass. Plén., 30 juin 1995, D. 1995, p. 513, conclusions M. JEOL

3 Décision n° 93-325, DC du 13 août 1993, JO du 18 août 1993, p. 11722, Rec. p. 224 ; Décision n° 93-335, DC du 21 janvier 1994, JO 26 janvier 1994, p. 1382, Rec. p. 40 ; Décision n° 96-373, DC du 9 avril 1996, JO du 13 avril 1996, p. 5724, Rec. p. 43 ; Décision n° 96-378, DC du 23 juillet 1996, JO du 27 juillet 1996, p. 11400, Rec. p. 99

4 Cf. dans ce sens : J.-P. COSTA, « Le droit à un tribunal et ses limites, selon la jurisprudence de la CEDH », in,

La procédure en tous ses états, Mélanges en l’honneur de Jean BUFFET, Paris : LGDJ, Les mélanges, 2004, p.

159 ; L. MILANO, Le droit à un tribunal au sens de la CESDH, Thèse Montpellier 2004, compte rendu F. ROLIN, RFDA 2006, p.157

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en matière civile dans l’arrêt Golder contre le Royaume Uni1. Selon la Cour, « tout individu

qui, de manière plausible, se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la convention doit disposer d’un recours devant une instance nationale afin de statuer sur son grief et, s’il y lieu, d’obtenir réparation »2. Elle rattache directement le droit d’accès à un

tribunal au principe du procès équitable en soulignant qu’on « ne comprendrait pas que

l’article 6§1 décrive en détail les garanties de la procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité : l’accès au juge »3. Le droit à l’accès au juge apparaît donc comme une condition

nécessaire pour la mise en œuvre du droit au procès équitable et les garanties qui s’y rattachent4.

63. Après avoir consacré ce droit au tribunal en matière civile, c’est l’arrêt Deweer qui

va transposer cette garantie en matière pénale5. La Cour précise cependant, que « le droit à un

tribunal, n’est pas plus absolu en matière pénale qu’en matière civile »6. Ce droit à un

tribunal engage donc seulement le droit à l’examen effectif de sa cause conformément aux garanties de l’article 6§1, il implique que ces garanties soient respectées dans l’ensemble de la procédure7 ; il s’agit « d ‘une approche globale de la procédure prenant en compte

l’ensemble du procès »8. Ainsi, la conformité aux garanties fondamentales de l’article 6§1

devra être aussi vérifiée en appel9 et devant le juge de cassation10.

1 CEDH, 21 février 1975, Golder C/ Royaume Uni, préc., §28 et §31; cf. plus récemment, CEDH, 12 juillet 2001, Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c/ Allemagne, Req. n° 42527/98, §44

2 CEDH, 25 mars 1983, Silver et autres c/ Royaume Uni, Req n° 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75 ; 7136/75, §113

3 Arrêt Golder c/ Royaume-Uni, précité, § 35

4 Cf. ans ce sens encore : CEDH, 21 novembre 2001, Fogarty c/ Royaume Uni, Req. n° 37112/97, §32 :« les

garanties procédurales concernant l’équité, a publicité et la célérité de la procédure n’auraient aucun sens si l’accès à un tribunal, condition préalable à la jouissance de ces garanties, n’était pas protégé ».

5 CEDH, 27 février 1980, Deweer c/ Belgique, Req. n° 6903/75

6 Ibid., §49

7 Com. EDH, 4 juillet 1983, H. c/ Royaume Uni, Req. n° 10000 /82, Décisions et rapports, vol.33, p. 265 : « Les

procédures dont l’équité est contestée doivent être envisagées dans leur ensemble pour déterminer si un vice affectant une phase précoce a pu être corrigé par la suite ».

8 D. ALLIX, « Le droit à un procès pénal équitable. De l’accusation en matière pénale à l’égalité des armes », Justices, 1998, n°10, p. 25

9 CEDH, 25 mars 1998, Belziuk c/ Pologne, n° 45/1997/829/1035, §37 ; CEDH, 15 février 2000, Garcia

Manibardo c/ Espagne, Req. n° 3869/97, §39 ; CEDH, 11 février 2001, Platkou c/ Grèce, Req. n° 38460/97, §

38

10 CEDH, 29 juillet 1998, Guérin c/ France, n° 51/1997/835/1041, §39 et §47 ; CEDH, 29 juillet 1998, Omar c/

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64. Par ailleurs, afin que la victime puisse effectivement exercer ce droit, les états sont

tenus de prendre des mesures positives pour assurer l’accès au juge, en effet, selon la CEDH :

« l’effectivité du droit d’accès demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits »1.

65. Ainsi, la victime constituée partie civile pourra bénéficier d’un droit d’accès au juge

pénal conformément aux garanties énumérées dans l’article 6§1 de la CESDH et à tous les stades du procès, il reste maintenant à préciser la teneur de ces garanties.

2/ Les garanties afférentes au droits d’accès au tribunal pénal

66. Une fois que la victime accède au prétoire pénal, elle doit pouvoir soutenir sa cause

« dans des conditions qui ne la place pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire »2. « Cet équité doit se traduire d’au moins trois façons : les droits de la victime doivent être respectés, la loi doit prévoir et organiser une égalité des armes entre les parties et la victime doit pouvoir s’exprimer lors d’un débat contradictoire et public »3.

67. S’agissant des droits de la défense, la CEDH, semble réticente à les accorder à la

victime4, pourtant la doctrine française semble considérer que « les droits de la défense de la

victime doivent être rigoureusement garantis et respectés », « il importe que soit également respecté pour elle-même le droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, de bénéficier de l’assistance d’un avocat ou être assistée gratuitement si elle n’en a pas les moyens »5. Les différents auteurs revendiquent tous ce droit

au nom du procès équitable ou du principe de l’égalité des armes6.

1 CEDH, 4 décembre 1995, Bellet c/ France, Req. n° 23805/94, §36 ; CEDH, 10 octobre 2000, Lagrange c/

France, Req. n° 39485/98, §40

2 CEDH, 2 octobre 2001, G.B c/ France, Req. n° 44069/98, § 58.

3 G. LOPEZ, S. PORTELLI, S. CLEMENT, Les droits des victimes, Paris : Dalloz, Etats de droit, 2007, 2ème éd., p. 17

4 Cf. infra n°81

5 Cf. par exemple, R. CARIO, « Victimes d’infraction », Rép. pén. 2007, n°156

6 Cf. par exemple, N. GUEDJ, « Des droits pour les victimes ? », Imaginaire et inconscient, 2005/1 n° 15, p.14 ; J. PRADEL, G. CORSTENS, Droit pénal européen, Paris : Dalloz, Précis Dalloz, 3° éd., 2009

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68. Le principe de l’égalité des armes « requiert que chaque partie se voit offrir une

possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire »1. Il s’agit d’une notion

inhérente à celle de l’équité incluant un procès contradictoire, « il ne constitue qu’un aspect

de la notion plus large de procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial »2.

69. Ainsi, pour être équitable, tout d’abord, la durée totale des poursuites doit être

raisonnable3, tant pour la personne poursuivie 4 que pour la victime constituée partie civile5. Pour évaluer si le temps écoulé est acceptable pour la partie civile, on apprécie la durée de la procédure à compter du dépôt de plainte avec constitution de partie civile et jusqu’à la décision statuant sur les intérêts civils6.

Ensuite, pour respecter les exigences de l’article 6§1 de la CESDH vis-à-vis de la victime, le tribunal doit être indépendant et impartial7. A cet égard, la Cour distingue deux sortes d’impartialité8, l’impartialité subjective selon laquelle tout membre d’une juridiction ne doit pas manifester un parti pris ou un préjugé personnel, elle est présumée jusqu’à preuve du contraire9. Cependant, l’impartialité objective implique elle, une vérification de certains faits

« indépendamment de la conduite personnelle du juge » qui permettraient de « suspecter l'impartialité de ce dernier ». « En la matière, même les apparences peuvent revêtir de

1 CEDH 2 octobre 2001, G.B c/ France, Req. n° 44069/898, §58 ; CEDH 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V c/

Pays Bas, Req. 14448/88, §33

2 CEDH, 27 juin 1968, Neumeister c/ Autriche, Req. n° 1936/63, §22 ; CEDH, 17 janvier 1970, Delcourt c/

Belgique, Req no 2689/65, § 28 ; CEDH, 2 mars 1987, Monnell et Morris c/ Royaume Uni, Req. n° 9562/81, §62

3 Art.175-1 CPP ; art. 6§1 CESDH ; CEDH, 25 février 1993, Dobbertin c/ France, Req. n°13089/87

4 Cf. par exemple, arrêt Neumeister c/ Autriche, préc., §18 ; CEDH, 21 juin 1983; CEDH, 11 octobre 1990, Diaz A Paricio c/ Espagne, Req. n° 49468/99 ; CEDH, 2 mars 2009, Sandra Jankovic c/ Croatie, Req. n° 38478/05

5 Art. 89-1 CPP et art. 175-1 CPP

6 Arrêt Acquaviva, préc., §125 [violation pour une durée totale de cinq ans et dix mois eu égard à la simplicité de l’affaire et au fait que le requérant n’a pas lui même contribué a retarder l’issue de la procèdure]; Arrêt Tomasi, préc., §67 [la cour décide que « compte tenu des circonstances propres à l'affaire et à la situation que connaissait la Corse à l'époque, la procédure d'instruction, prise dans son ensemble, n'a pas excédé le délai raisonnable », pour une durée de quatre ans et quatre mois].

7 CEDH, 25 février 1997, Findlay c. Royaume-Uni, Req. n° 22107/93, § 73; CEDH 3 mars 2005, Brudnicka

et autres c. Pologne, Req. n° 54723/00, § 38, « pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux

fins de l'article 6§1 CESDH, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance ».

8 M. GUILLAUME, « Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l'homme », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2011/07, n°32, p. 67 et s.

9 CEDH, 23 avril 1996, Remli c/ France, Req. n° 16839/90 ; CEDH 6 juin 2000, Morel c. France, § 41, Req. no 34130/96 ; L.-E. PETTITI, « Droits de l'homme. L'affaire Remli (23 avril 1996) relative à l'indépendance et l'impartialité d'une cour d'assises française », RSC 1996, p. 930 et s.

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l'importance »1. Ainsi, il a été jugé récemment que le fait que le président de la République

soit partie civile ne permet pas de douter de l’impartialité et de l’indépendance des juges du siège2. Par contre, la chambre criminelle a décidé dans un arrêt du 24 mai 2005 qu’un juge représentant le ministère public à l’audience au cours de laquelle il statue sur la recevabilité d’une plainte avec constitution de partie civile, ne peut par la suite être appelé à statuer sur une décision de non-lieu dans l’information ouverte sur cette même plainte. Elle juge ces deux fonctions incompatibles sur le fondement de l’article 6§1 de la CESDH.

Enfin, pour être équitable, le procès doit respecter l’exigence de publicité des débats, il s’agit d’une transparence nécessaire à tout état démocratique3. La publicité permet à la justice de préserver son image de loyauté même si elle peut être restreinte dans certains cas pour préserver la dignité de la victime4.

70. Ainsi, la victime constituée partie civile bénéficie aussi de l’article 6§1 relatif au

procès équitable. Cependant, les droits que l’on a évoqués dans cette partie peuvent se voir limités pour la partie civile dans certains cas.

B/ Limites des droits engendrés par l’applicabilité du droit au

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