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B/ L’applicabilité de l’article 6§1 en droit positif français : des règles plus protectrices pour la partie civile

53. Comme on l’a précisé précédemment, la CESDH fixe des standards minimums et

tout Etat est libre, d’octroyer à ses citoyens ou non, des droits et libertés plus étendus que ceux contenus dans la convention1. La CEDH accorde l’applicabilité de l’article 6 §1 de la Convention à la victime constituée partie civile sauf dans le cas d’une action à visée purement

« vindicative » ou « répressive ». Elle opte donc pour une conception unitaire de l’action

civile selon laquelle l’action civile tend uniquement à la réparation du dommage subit par la victime, à l’exclusion de toute considération vindicative2. En effet, la CEDH définit la constitution de partie civile comme une composante de l’action civile. De ce fait, la constitution de partie civile d’une victime ne peut bénéficier de l’applicabilité de l’article 6§1 lorsque cette dernière est faite dans un but purement répressif puisque pour la Cour, l’action civile ne peut avoir pour autre objet qu’une finalité patrimoniale. Or, comme nous l’avons déjà constaté, il semblerait que le droit positif français adopte une démarche différente. L’applicabilité de l’article 6§1 de la CESDH à la partie civile se retrouve dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ce dernier est issu de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes3 et reprend en partie les exigences du procès équitable contenues dans l’article 6§1 de la CESDH. En effet, selon le paragraphe premier de l’article préliminaire : « la procédure pénale doit être équitable et

contradictoire, et préserver l’équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent êtres jugées selon les mêmes règles ». Ainsi, comme l’observe si bien le professeur Ph.

1 Art. 53 CESDH

2 Cf. pour les partisans de cette conception : J. LEROY, La constitution de partie civile à des fins vindicatives

(défense et illustrations de l’article 2 du Code de procédure pénale), Thèse Paris XII, 1990; J. de

POULPIQUET, « Le droit de mettre en mouvement l’action publique : Conséquence de l’action civile ou droit autonome ? », RSC 1975, p. 37 et s.; R. VOUIN, « L’unique action civile », D. 1973, Chron. p.265 et s.

3 Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des

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BONFILS, « à la différence de certaines dispositions de l’article 6 de la convention

européenne, l’article préliminaire adopte une rédaction plus impersonnelle, ce qui permet de les accorder sans difficulté à la partie civile »1. De plus, le législateur n’omet pas les droits des victimes en général [victime constituée partie civile ou simple témoin] puisqu’il précise dans un paragraphe II que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des

droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». Le droit français apparaît donc plus

protecteur eu égard à la victime. Il accorde le droit au procès équitable à toute victime constituée partie civile. En effet, la jurisprudence française ne connaît pas les mêmes limites que celles édictées par la CEDH. Selon le droit positif français, l’action civile se distingue clairement de la constitution de partie civile (1) et la constitution de partie civile à finalité exclusivement répressive (2) est reconnue de façon explicite par la jurisprudence.

1/ Une protection plus étendue en raison de la distinction entre l’action civile et la constitution de partie civile en droit français

54. Le droit français n’opte pas pour une conception dualiste2 de l’action civile mais sa vision se distingue de celle adoptée par la CEDH en ce qu’il différencie l’action civile de la constitution de partie civile3. En effet, la législation française ainsi que sa jurisprudence s’accorde toute deux sur « l’unique visage » de l’action civile.

Lorsque le législateur définit l’action civile dans le Code de procédure pénale, il la présente comme « l’action en réparation d’un dommage causé par un crime, un délit ou une

contravention »4. Ainsi, l’action civile, même portée au pénal, poursuit une finalité

réparatrice. On retrouve le même esprit dans les articles suivants qui précisent que « l’action

civile peut aussi être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction »5 ou « devant une juridiction civile, séparément de l’action publique »1. Il s’agit

1 Ph. BONFILS, Rép. pén. 2011, n°164

2 F. BOULAN, « Le double visage de l’action civile exercée devant les juridictions répressives », JCP 1973, I, p. 2563

3 J. VIDAL, « Observations sur la nature juridique de l’action civile », RSC 1963, p. 481 ; R. MERLE, « La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit d’obtenir réparation du dommage causé par l’infraction », in, Droit pénal contemporain, Mélanges en l’honneur d’André VITU, Paris : Cujas, Mélanges Cujas, 1989, p. 397 et s.; C. ROCA, « De la dissociation entre la réparation et la répression exercée devant les juridictions répressives », D. 1991, chron., p. 85 et s.

4 Art. 2 CPP

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dès lors de la même action poursuivant la même finalité réparatrice ; seule diffère la juridiction devant laquelle elle est exercée.

55. La jurisprudence de la Cour de Cassation s’abandonne à une analyse étayant cette

conception unitaire de l’action civile. Dans une première décision, la chambre criminelle distingue l’action civile de la constitution de partie civile en énonçant que cette dernière,

« ayant pour objet essentiel la mise en mouvement de l’action en vue d’établir la culpabilité de l’auteur présumé ayant causé un préjudice au plaignant, ce droit constitue une prérogative attachée à la personne et pouvant tendre seulement à la défense de son honneur et de sa considération, indépendamment de toute réparation par la voie civile »2. Elle ajoute

clairement quelques années plus tard que « la constitution de partie civile (…) ne se confond

pas avec l’action civile (..) »3. Elle précise enfin clairement cette vision unitaire de l’action civile dans un troisième arrêt4 en se fondant justement sur l’article Code de procédure pénale5. La Chambre criminelle décide expressément que « l’action civile a pour seul objet la

réparation des dommages causés par un crime, un délit ou une contravention (…) ». Donc, en

complément de l’article 2 du Code de procédure pénale qui définit l’action civile comme une action en réparation, la Cour de cassation ajoute que la finalité indemnitaire en est l’unique objet. Elle l’oppose donc à la constitution de partie civile qui elle, a pour objet essentiel de corroborer l’action publique et d’établir la culpabilité de l’auteur de l’infraction.

56. Pourtant, dans l’arrêt Perez6, la CEDH affirme dans son paragraphe 63 que « le Gouvernement (français) insiste sur la distinction entre la constitution de partie civile

(l'intervention au procès) et l'action civile (la demande de réparation) » et curieusement, elle ajoute que la constitution de partie civile n'est en réalité qu'une modalité de l'action civile, laquelle peut être exercée par voie d'action ou d'intervention. Ainsi, selon les termes utilisés par Monsieur MOURET dans son mémoire de recherche7, cette analyse de la CEDH engendre une confusion « entre la nature juridique de l’action civile et la constitution de partie civile ».

1 Art. 4 CPP

2 Crim. 16 décembre 1980, Bull. crim. n° 348

3 Crim. 19 décembre 1982, Bull. crim. n° 224

4 Crim. 5 décembre 1989, Bull. crim. n° 462

5 L’article 2 du CPP présente l’action civile sous son seul angle réparateur.

6 Arrêt préc.

7 P. MOURET, La victime et le droit à un procès équitable au sens de l’article 6§1 de la convention européenne

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Selon Monsieur LEVY-AMSELLEM, non seulement, la Cour méconnait ainsi les spécificités du droit français, mais en outre, la Cour se contredit en quelque sorte « puisqu’elle abonde en

réalité dans le sens d’une partie au moins de la jurisprudence interne relative à « l’action civile à but répressif »1.

2/ L’admission de la constitution de partie civile à finalité exclusivement répressive en droit positif français

57. On l’a vu, la jurisprudence de la Cour de cassation admet parfaitement la

constitution de partie civile à des fins purement répressives2. On trouve le fondement de cette jurisprudence dans l’article 418 al. 3 du CPP lequel énonce que : « la partie civile peut, à

l’appui de sa constitution, demander des dommages et intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé ». Donc si « elle peut », cela signifie qu’elle n’est pas tenue de formuler

une demande en ce sens. Or, on peut penser que cette jurisprudence n’admet pas réellement la constitution de partie civile à des fins exclusivement répressives puisque la victime pourra toujours agir devant les juridictions civiles et que la décision au pénal n’est qu’un préalable lui facilitant de faire valoir ses droits de nature indemnitaire devant les instances civiles. Cependant, ce doute se volatilise lorsqu’on observe la jurisprudence de la Cour de cassation qui permet de se constituer partie civile alors même que le juge pénal n’est pas compétent pour condamner l’auteur de l’infraction au paiement de dommages et intérêts.

Deux exemples méritent l’attention, il s’agit tout d’abord de celui d’une victime d’un accident de travail dans le cadre d’une infraction commise par un agent de l’administration. L’article L. 466 du Code de la sécurité sociale interdit le recours du salarié contre l’employeur dans le cas précis d’une demande de dommages et intérêts3. Cependant, la jurisprudence admet que la victime se constitue partie civile devant la juridiction pénale et ce, même si le juge est incompétent pour statuer sur une demande d’indemnisation4. De même, lorsqu’une infraction est commise par un agent public ou un membre de l’enseignement public, lorsqu’il

1 J. LEVY-AMSALLEM, « L’action civile à la française et la Convention EDH. Exercice d’un « droit » à la vengeance privée » ou compensation morale de la souffrance éprouvée ? », préc., p.148 et s

2 Crim.19 décembre 1982, Bull. crim. n° 222

3 Sauf infraction intentionnelle

4 Crim. 15 octobre 1970, Bull crim. n° 268 ; crim. 15 mars 1977, Bull crim. n° 94 (arrêt cité par la CEDH dans l’arrêt Perez au § 23 pour illustrer l’irrecevabilité de l’action civile à des fins purement répressives).

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ne commet aucune faute détachable du service, seule une action en réparation de la victime dirigée contre l’administration et non le fonctionnaire lui-même est recevable. La Chambre criminelle a cependant accordée le même sort à l’agent, auteur de l’infraction qu’à l’employeur. Elle décide en effet que la victime pourra se constituer partie civile devant le juge pénal sans que celui-ci puisse se prononcer sur les éventuels dommages et intérêts invoqués par la victime1.

58. Il apparaît ainsi que la jurisprudence admettant la constitution de partie civile à des

fins uniquement répressives est depuis bien longtemps établie. Bien que la CEDH apparait toujours réticente à la recevabilité de cette action dans son arrêt Perez, certains pensent qu’il ne faut donner qu’une portée limitée à cette décision puisque les situations dans lesquelles la CEDH admet la recevabilité de l’action civile (demande d’une réparation symbolique ou la protection d’un droit à caractère civil tel le « droit de jouir d’une bonne réputation ») et celles décrites par la Cour de cassation (« la défense de son honneur et de sa considération ») sont très proches voire même identiques2.

Quoiqu’il en soit, l’applicabilité du droit au procès équitable à la partie civile étant affirmée à la partie civile, il faut maintenant déterminer le contenu du droit au procès équitable applicable à cette dernière.

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