• Aucun résultat trouvé

Chapitre IV : LA PRODUCTION DE L’URBANISATION MORPHOLOGIQUE

L’ ETALEMENT ET LA DILATATION DES SEGREGATIONS SOCIO SPATIALES

Depuis plusieurs décennies, l’accroissement des vitesses de déplacement dilate les territoires de la quotidienneté urbaine et étend les gisements en offre foncière physiquement urbanisable. Il en a résulté une urbanisation de plus en plus desserrée et étalée, c’est-à-dire de plus en plus consommatrice en ressource foncière et de plus en plus éloignée des noyaux urbains traditionnels. Bien que le relâchement des freins à la mobilité ait permis de libérer les demandeurs fonciers de la très forte concurrence pour l’espace urbain, il existe aujourd’hui d’autres contraintes qui pèsent sur les ménages désireux d’accéder à la construction neuve. Ces contraintes qui se sont fortement renforcées depuis la fin des années quatre-vingt correspondent à la progressive saturation de certaines zones d’habitat et aux prix très élevés des premières couronnes périurbaines. En comparaison des décennies précédentes, ces territoires d’ancienne périurbanisation sont de moins en moins aptes à répondre aux aspirations des ménages pour la construction neuve en assurant une alimentation suffisante du marché en offre à la fois effective et financièrement accessible. Comme nous avons pu le vérifier pour la région fonctionnelle de Bruxelles, il en résulte un important étalement des développements résidentiels neufs, étalement dont on peut suspecter qu’il s’accompagne d’un allongement inutile des déplacements et, dès lors, d’une croissance tout aussi inutile des coûts de mobilité (tant privés que publics).

Dans ce contexte d’étalement de niveaux fonciers, la vision néo-classique qui associe gradient de rente foncière et accessibilité présente des résonances encore très actuelles et un cadre explicatif relativement bien adapté. Même si l’on peut sérieusement douter de la capacité des ménages à arbitrer de manière rationnelle entre le taux d’effort logement et le taux d’effort transport, la concurrence pour « occuper le terrain » en première couronne périurbaine régit bel et bien l’organisation des espaces résidentiels. Afin de donner sens à la grille de lecture de l’arbitrage entre accessibilité et prix de la localisation, se pose toutefois le problème de l’échelle d’observation. Lorsque la première couronne périurbaine se doit d’être considérée comme un espace central plutôt que comme un espace périphérique, ce n’est en effet qu’en considérant un cadre de référence qui dépasse le périmètre des espaces généralement définis comme banlieue périurbaine que les observations prennent sens. Plutôt que de supprimer la structure des niveaux de prix en fonction de l’éloignement au foyer urbain, le relâchement des contraintes de mobilité semble donc avoir entraîné un aplatissement de la pente et un accroissement de l’extension territoriale des gradients, ce qui, précisément, force de nombreux ménages à s’éloigner en lointaine périphérie pour acquérir le terrain constructible auquel leur capacité financière peut donner accès.

Des traitements réalisés au sein des communes wallonnes de la région fonctionnelle de Bruxelles, nous relevons qu’en comparaison du marché de la construction neuve, l’écrémage social induit par le marché des logements de seconde main est plus discriminant encore, cela en relation avec ce que nous avons identifié comme un effet levier des valeurs foncières sur la qualité des réalisations immobilières. Quand on se rapproche de Bruxelles, l’on observe que les valeurs foncières et la qualité des réalisations immobilières évoluent de concert. Parce qu’il se surimpose à l’effet du gradient d’accessibilité, ce phénomène renforce le différentiel de prix entre proche et lointaine périphéries, accentue l’homogénéisation sociale des premières couronnes et dilate les ségrégations socio-spatiales à l’échelle de la région fonctionnelle dans son entièreté. En plus d’inutiles coûts de mobilité, on peut donc suspecter que la tendance lourde vers l’étalement s’accompagne aussi d’une évolution négative des rapports sociaux. En effet, le changement d’échelle des ségrégations socio- spatiales limitant les champs de socialisation et la perception des différenciations sociales, on peut en redouter un affaiblissement de la cohésion sociale et des forces de solidarité (F. Ascher, 2000, p. 56).

Par rapport à la Wallonie, la pression sur les prix fonciers et la progressive saturation des zones d’habitat est bien plus importante en Flandre. Dans le Nord du pays, l’extension territoriale de ces contraintes étant plus vaste, il semble en résulter d’autres conséquences sur les choix résidentiels. En effet, la densité du réseau urbain et la contraction des territoires d’interstices entre zones de pression y limitent désormais les possibilités de l’étalement. Malgré le relâchement des freins à la mobilité, trouver une offre financièrement accessible n’est plus physiquement réalisable pour de nombreux ménages flamands, ce qui contraint sans doute des parties importantes de la demande potentielle à se rabattre vers les alternatives plus urbaines de l’appartement ou du logement de seconde main. Ce phénomène de saturation, qui prend son extension territoriale la plus importante au sein du Losange flamand, correspond sans doute à une des explications du tassement de la périurbanisation observé dans le Nord du pays depuis le début des années nonante.

Les contraintes spatiales qu’engendre l’occupation des deux membres du ménage pèsent aussi sur les choix résidentiels et sur la localisation des développements résidentiels neufs. C’est au sein de la région fonctionnelle de Liège que ces contraintes semblent avoir les plus grands impacts territoriaux. Dans cet espace, elles se conjuguent à l’éloignement de la capitale pour générer un étalement de « conurbation fonctionnelle », en relation avec des urbanisations morphologiques à la fois très périphériques vis-à-vis de Liège et relativement accessibles par rapport aux pôles d’emplois de Bruxelles et de Namur. Pour les régions fonctionnelles d’Anvers et de Charleroi, la recherche d’une bonne accessibilité vers la zone métropolitaine de Bruxelles induit un repositionnement des inscriptions socio-spatiales plutôt qu’un étalement, cela en raison de la proximité plus grande. Pour autant, qu’il s’agisse d’une accentuation de l’étalement ou d’un repositionnement des inscriptions socio-spatiales, force est de constater que la production des nouveaux espaces résidentiels est déterminée par des mécanismes dont l’échelle de fonctionnement dépasse le niveau des régions fonctionnelles. Pour appréhender ces mécanismes, c’est en effet au niveau spatial de la vaste zone métropolitaine qu’articulent Bruxelles, le Losange flamand, le Brabant wallon et d’autres parties de plus en plus vastes de la Wallonie auquel il faut en fait faire référence.

L

E DESSERREMENT ET LE COMPORTEMENT DES ACTEURS DU SECTEUR DE LA CONSTRUCTION

A l’instar des ménages désireux de procéder à une opération de construction, les opérateurs immobiliers ont également à assumer différentes contraintes. Pour ces acteurs, il ressort de nos traitements que le risque d’une mauvaise commercialisation détermine grandement les stratégies d’investissement et les caractéristiques des produits offerts. Concernant les lotisseurs, nous avons notamment observé qu’une meilleure rentabilisation des gisements fonciers par la réduction de la superficie des lots est impraticable là où les limitations de la topographie et de l’offre juridique sont trop faibles. En effet, le lotisseur qui prendrait le risque de réduire la superficie des parcelles en vue d’accroître son profit serait incapable d’attirer la demande si des concurrents moins téméraires choisissent de produire des lots plus vastes. Au chapitre précédent consacré à la variabilité des prix, nous avions observé que les lotisseurs sont en concurrence sur le marché des gisements fonciers. Dans ce chapitre sur la production de l’urbanisation morphologique, nous observons maintenant qu’ils sont en concurrence lorsqu’ils commercialisent leurs réalisations sur le marché des lots constructibles.

Les analyses évolutives du desserrement confirment que la superficie des parcelles techniquement constructibles dépend directement de la disponibilité en terrains juridiquement urbanisable. En effet, lorsque l’on assiste à une réduction de la disponibilité, l’on assiste également à une limitation de la superficie moyenne des lots. L’effet des réformes urbanistiques de 1997 atteste de cette relation entre disponibilité et superficie. Pour la Flandre, les craintes d’une pénurie en offre ayant accompagnées la publication du RSV ont clairement poussé les promoteurs fonciers à alimenter le marché avec des lots de plus en plus resserrés. De même, pour la Wallonie, le blocage des ZAD semble avoir permis

d’enrayer l’accentuation du desserrement observée entre 1988 et 1996. La réduction de la superficie moyenne des lots au sein des territoires où la périurbanisation a été la plus intense confirme aussi que la propension à occuper la ressource foncière est directement fonction de sa disponibilité. C’est en effet là où l’urbanisation résidentielle récente a été la plus gourmande en terrains que la limitation du desserrement est la plus nette. En Wallonie, cette évolution concerne principalement le Brabant wallon. En Flandre, de nombreuses parties du territoire sont concernées et le phénomène est particulièrement affirmé au sein des banlieues et des ZRMA. Plutôt qu’une limitation du desserrement, une croissance de la superficie moyenne des parcelles est par contre observée dans de nombreuses sous- régions wallonnes, cela notamment en dehors des complexes résidentiels urbains. Concernant ces régions, l’on peut suspecter que le modèle culturel périurbain du grand terrain à bâtir s’impose progressivement sur des configurations rurales qui, bien que non contraintes par la concurrence pour l’espace urbain, sont longtemps demeurées parcimonieuses en consommation foncière.

A l’instar de la disponibilité en offre, le niveau des prix fonciers détermine également les options retenues par les promoteurs fonciers en matière de superficie. Lorsque les prix sont élevés, il est en effet moins risqué de proposer des parcelles resserrées vers lesquelles devront s’orienter des ménages contraints de réfréner leur aspiration pour la vaste parcelle. Si la hausse des prix est susceptible d’engendrer une limitation localisée du desserrement, rien n’indique toutefois qu’une économie globale en ressource foncière puisse directement en découler. En effet, les deux modalités de l’occupation et du positionnement sont influencées par l’évolution des prix et, comme nous l’avons clairement observé, une inflation foncière peut aussi rejeter les demandeurs vers des lointaines périphéries où ils peuvent alors bénéficier de parcelles plus confortablement desserrées.

En plus d’influencer les promoteurs fonciers, la configuration des zones d’habitat et la quantité en terrains disponibles pour la construction influencent également les promoteurs immobiliers. Pour expliquer l’intensité de la production en maisons individuelles initiée par des maîtres d’ouvrage professionnels, il faut en effet faire référence à la disponibilité foncière. Selon nos traitements, une pénurie d’offre urbanisable à l’échelle d’un bassin d’emplois est susceptible d’activer la filière promoteur, car elle restreint la capacité des particuliers à accéder au marché foncier et, dès lors, limite le risque d’une mauvaise commercialisation. Cette observation confirme les développements du chapitre II sur les relations qu’entretiennent les mécanismes de la production foncière et les ventilations internationales entre la « filière promoteur professionnel » et la « filière de l’auto- promotion » : là où la planification est peu parcimonieuse, les particuliers sont aptes à lever l’obstacle de l’acquisition foncière et les professionnels de la construction immobilière ne se risquent pas à concurrencer les attributs d’authenticité associés à la filière de l’auto- promotion ; par contre, lorsque l’offre effective est plus limitée, les particuliers éprouvent des difficultés pour acquérir un lot constructible et les constructeurs peuvent proposer leurs réalisations à moindre risque. Contrairement à l’hypothèse pressentie, nous n’avons par contre pas vérifié que de fortes valeurs foncières poussent les promoteurs professionnels à davantage s’impliquer dans la construction de maisons unifamiliales. Ce constat, qui relativise l’idée selon laquelle les constructeurs se lancent dans la maîtrise d’ouvrage afin de bénéficier de surprofits fonciers, s’explique parce que la demande potentielle est souvent économiquement favorisée là où les prix sont élevés. Dans ce contexte, il est alors risqué de spéculer sur le renoncement de cette demande aux attributs d’authenticité que caractérise l’auto-promotion.

De ce chapitre consacré à la production de l’urbanisation morphologique, nous pouvons également retenir la diffusion du mode de vie en immeubles collectifs. En valeur relative, l’étalement de la production immobilière en appartements est en effet plus soutenu encore que l’étalement de la production immobilière en maisons unifamiliales. Contrairement à certaines idées reçues, l’évolution socio-démographique de la multiplication des ménages de petite taille ne va donc pas mécaniquement renforcer la demande au sein des espaces urbains traditionnels. Plutôt qu’un simple transfert de la demande en fonction de l’offre préexistante, l’on assiste aussi à une adaptation de l’offre et les petites structures familiales

disposent progressivement d’appartements périphériques mis en place par des promoteurs immobiliers désireux d’accompagner la nouvelle distribution spatiale de leur demande.

Chapitre V : LA STRUCTURE SPATIALE DES MARCHES

Outline

Documents relatifs