• Aucun résultat trouvé

Chapitre V : LA STRUCTURE SPATIALE DES MARCHES FONCIERS

2. APPROCHE EMPIRIQUE DE LA STRUCTURE SPATIALE DES MARCHES FONCIERS

2.1 L

A DEMARCHE METHODOLOGIQUE ADOPTEE ET SES QUESTIONNEMENTS 2.1.1 Les échelles d’observation et de traitement

Pour cette seconde section du chapitre consacré à la structure spatiale des marchés fonciers, nous allons nous appuyer sur les acquis de l’économétrie spatiale et appliquer la technique statistique de la régression linéaire multiple. Pour rappel, la technique de la régression vise à expliquer, statistiquement parlant, comment une variable (la variable dépendante ou à expliquer) varie en fonction d’autres variables (les variables indépendantes ou explicatives). Pour nos traitements, la variable dépendante à modéliser correspond au prix moyen communal des lots constructibles. L’échelle d’observation de la variable dépendante correspond donc au niveau des communes. Afin d’éviter les biais relatifs à l’agrégation du marché des lots à bâtir et du marché des gisements à viabiliser, la variable dépendante a été établie en ne considérant pas les transactions sur des superficies supérieures à 1500 mètres carrés. Parallèlement, nous avons également choisi de ne pas intégrer les terrains dont la superficie est inférieure à 360 mètres carrés, afin de ne pas considérer des lots dont la destination ne correspond pas au produit immobilier de la maison unifamiliale isolée. C’est le choix de la variable dépendante qui explique pourquoi nos traitements ont porté sur la période 1988-2000. En effet, nous disposons de l’information pour ces treize années1.

Les cartes III.2 à III.7 présentées ci-dessus portent précisément sur l’indicateur du prix des parcelles pour les superficies comprises entre 360 et 1500 mètres carrés, cela pour les périodes de la fin des années quatre-vingt (couple d’années 1988 et 1989) et de la fin des années nonante (couple d’années 1999 et 2000). Ces cartes sur les niveaux de prix attestent du grand différentiel existant entre la Flandre et la Wallonie. En conséquence de ce différentiel, nous avons choisi de produire des modèles qui distinguent systématiquement ces deux régions2. Pour l’échelle de traitement des données, c’est donc le niveau de la

région plutôt que le niveau national qui a été privilégié. Les dissemblances quant aux prix fonciers observés de part et d’autre de la frontière linguistique peuvent être interprétées en fonction des facteurs de structuration spatiale des marchés, c’est-à-dire, rappelons-les, la disponibilité en information et la substituabilité. En effet, si la frontière linguistique apparaît si nettement sur la carte des prix fonciers, cela s’explique parce qu’elle correspond à une barrière, pour la diffusion de l’information comme pour les mobilités résidentielles.

Concernant le Nord du pays, les régressions ont été établies à partir d’une population statistique de 242 communes. Nous avons choisi de ne pas travailler sur une partie importante du territoire flamand, en l’occurrence la province de Flandre occidentale. Cette option se justifie par les difficultés rencontrées lors de la quantification du ratio de disponibilité foncière3. En plus des communes de Flandre occidentale, deux autres

communes flamandes ont aussi été exclues de notre analyse. Il s’agit, d’une part, de la minuscule entité d’Herstappe, pour laquelle les transactions foncières sont inexistantes, et, d’autre part, de la commune de Fourons. Fourons n’a pas été intégrée en raison de son caractère non contigu au reste du territoire flamand. Méthodologiquement, la non-contiguïté engendre des difficultés quant au maniement des modèles autorégressifs. A l’instar de Fourons pour la zone d’étude flamande, l’entité de Comines n’a pas été intégrée à la zone

1 Rappelons que la source de ces données correspond au consultant STADIM et non pas à l’INS.

2 En raison des spécificités du contexte foncier et urbain bruxellois, la Région de Bruxelles-Capitale n’a par contre

pas été intégrée dans nos traitements.

d’étude wallonne. Ici aussi, il s’agit d’un territoire non contigu au reste de l’espace régional. Pour les modèles wallons, deux autres communes peu peuplées n’ont pas été considérées, en l’occurrence Herbeumont et Doische. Nous avons été contraint d’écarter ces communes car différentes années comprises entre 1988 et 2000 y sont caractérisées par une absence de transactions foncières. Au final, les régressions établies pour la zone d’étude wallonne ont été calibrées à partir d’une population de 259 communes.

Les cartes V.1 et V.2 portent sur la configuration des deux zones d’étude. On y retrouve la distinction entre les communes intégrées et non intégrées dans l’analyse. Certains traitements ayant été produits pour l’échelle du bassin d’emploi, ces cartes reprennent également les limites de ces territoires. A propos de la délimitation des bassins, précisons encore que les zones d’étude flamande et wallonne totalisent respectivement 19 et 25 bassins.

2.1.2 L’effet du zonage sur les valeurs foncières

Un premier objectif de la modélisation du prix des terres est d’évaluer l’influence et le pouvoir explicatif de la composante de l’offre. Rappelons que c’est à cet effet que nous avons calculé l’indicateur de ratio de disponibilité. En effet, sur base de cet indicateur, il devient possible de déterminer comment le zonage et le degré de disponibilité en terrains vierges juridiquement urbanisables agit sur les valeurs foncières. C’est dans cette perspective que nous pourrons vérifier si, comme semble l’indiquer l’évolution temporelle des prix fonciers présentée ci- dessus1, les réformes urbanistiques de 1997 (RSV en Flandre et ZAD en Wallonie) sont à

l’origine d’une hausse des valeurs foncières.

Il existe quelques travaux empiriques sur le lien entre le zonage et les plus-values foncières. En Europe, ce sont sans conteste les Britanniques qui ont développé les études les plus poussées (M. White et P. Allmendiger, 2003). Le questionnement général de ces travaux porte sur les conséquences du relâchement des contraintes de l’aménagement. Le bilan bibliographique sur les études britanniques ayant abordé les interrelations entre le zonage et le fonctionnement des marchés fonciers renvoie très clairement au débat entre les expansionnistes et les parcimonieux. Par « expansionnistes », nous entendons les acteurs qui tirent profit des nouvelles urbanisations, à l’image du secteur de la construction. Les « parcimonieux » sont, par contre, les acteurs dont le rôle est de veiller à la sauvegarde de l’environnement naturel et construit, à l’image des associations environnementales et des administrations en charge de l’aménagement du territoire.

L’analyse développée par J. Ruegg (2000, p. 168 et suivantes) sur le thème de l’effet du zonage sur les valeurs foncières démontre que ces catégories d’acteurs ont bénéficié de relais au sein du monde scientifique. Lors de la décennie quatre-vingt, c’est la controverse entre A.W. Evans et W.S. Grigson qui a alimenté le débat (S. Monk et al., 1996, p. 498). Chez Grigson (1986), l’on trouve une vision « aménagiste », qui considère que la demande est le principal facteur explicatif des niveaux de prix. Selon Grigson, les restrictions liées au zonage n’affectent pas fortement les niveaux de prix. Par contre, Evans (1987) aboutit à la conclusion inverse. Selon cet auteur, si les contraintes urbanistiques sont trop fortes, elles empêchent l’adaptation de l’offre à la demande, ce qui conduit à une baisse de la production et, in fine, à une hausse des enchères.

Plus récemment, lors de la décennie nonante, le débat a ensuite été alimenté par les travaux de G. Bramley et de S. Monk. Lorsque l’on replace ces études dans leur contexte idéologique, c’est-à-dire « l’après-Tatcher », on se rend compte que pour les équipes rassemblées autour de ces deux auteurs, il s’agit de prendre position par rapport à la dérégulation et à l’efficacité de politiques consistant à largement ouvrir l’offre juridique potentielle (J. Ruegg, 2000, p. 170). En termes méthodologiques, ces études britanniques,

dont la plus poussée correspond au travail de l’équipe du Professeur Bramley, ont consisté dans la construction de modélisations statistiques et économétriques. Les données traitées portaient sur la configuration des zones urbanisables, sur les niveaux de prix pratiqués, sur l’activité du secteur de la construction, sur les évolutions démographiques et sur la conjoncture économique. L’objectif central était de mesurer le niveau de réponse (l’élasticité) de la filière construction à la déréglementation urbanistique. Remarquons qu’en dépit du caractère très poussé sur le plan économétrique, les analyses développées par l’équipe du Professeur Bramley n’intègrent pas la thématique de la structure spatiale des marchés et le problème de l’échelle la plus pertinente pour appréhender les mécanismes d’échanges. Pour des raisons pratiques, les données y sont systématiquement produites et analysées à l’échelle des districts plutôt qu’à l’échelle des régions fonctionnelles ou des bassins d’emploi (G. Bramley et al., 1995, p. 106).

Une conclusion commune aux deux études de Monk et de Bramley porte sur la relation entre l’aménagement et les densités bâties. Globalement, les districts ayant les dispositions réglementaires les plus restrictives ont aussi les densités les plus élevées pour les nouveaux quartiers. Cette conclusion, qui concorde avec nos observations sur le desserrement1,

confirme qu’une planification rigoureuse renforce les densités bâties. Par contre, en termes de prix, les résultats divergent. Selon Monk, c’est le zonage trop restrictif qui explique pourquoi les prix du sol sont particulièrement élevés pour les terrains situés à la périphérie des agglomérations. De plus, selon Monk, les restrictions urbanistiques conduisent à intensifier l'augmentation des prix en période de forte conjoncture économique. Par contre, selon Bramley, une augmentation des surfaces urbanisables n’entraîne qu’une faible diminution du prix et, surtout, l’effet est de durée limitée. Par exemple, une augmentation de 75 % des capacités des plans d’urbanisme n’entraînerait qu’une diminution du prix de 7,5 %. « En concluant à l’effet négatif du zonage sur les prix, Monk plaide pour la dérégulation. En suggérant l’inefficacité des politiques d’offre foncière, Bramley défend l’aménagement et le zonage en relevant, par ailleurs, qu’ils fournissent aussi d’autres avantages en termes de planification des équipements, par exemple. Quant à l’objectif initial de réduire le coût des logements, Bramley adopte plutôt une ligne similaire à celle de Comby et de Renard (1996). Il prône une implication plus grande des pouvoirs publics dans la production et la maîtrise de l’offre foncière » (J. Ruegg, 2000, pp. 170-171).

2.1.3 Les trois composantes étudiées et la problématique de la structure spatiale des marchés fonciers

Comme nous venons de le préciser, nous nous appuierons sur l’indicateur du ratio de disponibilité foncière pour appréhender la composante de l’offre. Pour la composante de la demande, ce sont notamment les données fiscales sur le revenu des populations que nous avons intégrées. Concernant les composantes de l’offre et de la demande, notre démarche de recherche a notamment consisté en une interrogation sur le niveau spatial pour lequel il est le plus pertinent de produire les variables indépendantes. Une réponse simple à cette interrogation consiste à considérer que les données sont à produire à l’échelle d’observation de la variable dépendante, c’est-à-dire, pour l’analyse qui nous occupe, à l’échelle communale. Pour autant, rien n’indique a priori que le niveau spatial de la commune soit le plus pertinent s’il s’agit d’expliquer le fonctionnement des marchés fonciers. Concomitamment, rien n’indique que le niveau communal corresponde au niveau le plus approprié pour rendre compte de l’influence sur le prix d’indicateurs comme la disponibilité en terrains urbanisables vierges ou comme le revenu moyen.

Notre interrogation sur le niveau de production des données est intimement liée à la problématique de la substituabilité. Observons à ce propos que rendre compte de la disponibilité foncière en considérant le niveau communal n’est pas nécessairement opportun

lorsque, comme c’est sans conteste le cas pour de nombreux ménages, le territoire au sein duquel le lot constructible est prospecté dépasse largement l’extension d’une unique commune. Concernant notre analyse exploratoire sur le niveau spatial pertinent afin de produire les variables indépendantes, nous avons choisi de comparer les deux niveaux de la commune et du bassin d’emploi1. L’idée de tester l’assimilation du bassin foncier au bassin

d’emploi se justifie par le fait que les ménages à la recherche d’un lot constructible sont souvent spatialement contraints par les lieux devant être quotidiennement rejoints dans le cadre de leurs activités professionnelles.

Pour la composante de la demande, nous avons simultanément considéré la demande interne à la zone d’étude et la demande externe à la zone d’étude. C’est en fait pour quantifier le pouvoir d’achat de la demande interne que nous avons utilisé les statistiques fiscales sur les revenus des populations. Concernant la prise en compte de la demande externe, nous avons élaboré différentes variables afin de modéliser les interactions entre les deux zones d’étude et les territoires voisins susceptibles d’influencer le fonctionnement des marchés fonciers. Bruxelles a été considéré comme un de ces territoires externes, pour la Flandre comme pour la Wallonie. Il ressort également des traitements que les Pays-Bas exercent une influence sur le marché foncier flamand, à l’instar de l’Allemagne et du Grand- Duché de Luxembourg sur le marché foncier wallon. Les influences conjointes de la Flandre sur la Wallonie et de la Wallonie sur la Flandre ont également été mesurées. Comme nous le détaillerons, ces traitements montrent que le transfert de candidats-bâtisseurs entre le Nord et le Sud du pays s’accompagne d’une baisse des prix en Flandre et d’une hausse des prix en Wallonie.

En plus des composantes traditionnelles de l’offre et de la demande, nos modélisations ont aussi intégré une troisième composante explicative, celle de la disponibilité en information. Cette troisième composante nous permet d’étudier la manière dont la diffusion de l’information contribue à spatialement structurer les mécanismes d’échanges. C’est dans cette perspective que nous avons appliqué la technique économétrique du modèle spatialement autorégressif. Rappelons que par modèle autorégressif, nous entendons une régression qui inclut une variable explicative spatialement autorégressive, c’est-à-dire une variable qui, en chaque unité d’observation (ici chaque commune), dépend des valeurs prises ailleurs par la variable dépendante.

Techniquement, les variables autorégressives ont été calculées via le produit matriciel du vecteur de la variable dépendante par une matrice rendant compte des interactions spatiales entre les communes constituant le territoire d’études. Différentes formes d’interactions spatiales ont été testées lors de nos travaux. Nous reviendrons plus en détail sur cette thématique ultérieurement. Au stade actuel, relevons déjà que la contiguïté correspond à une des formes d’interactions spatiales prises en compte. En chaque commune, la variable autorégressive établie sur base du critère de la contiguïté correspond simplement à la moyenne de la variable dépendante pour les communes avec lesquelles elle partage une frontière.

La figure V.1 synthétise les questionnements associés à notre démarche méthodologique. Par la modélisation du prix des terres, un premier objectif est de comparer la manière dont les deux composantes de l’offre et de la demande influencent les mécanismes d’échange. En plus de tenir compte des deux composantes de l’offre et de la demande, notre approche vise également à apprécier la manière dont la troisième composante de la disponibilité en information intervient dans la fixation des prix. Comme nous venons de le préciser, ce type d’analyse nécessite des régressions de structure spatialement autorégressive. En plus d’identifier et de quantifier les facteurs qui dictent les niveaux de prix, notre démarche vise également à analyser les deux facteurs qui concourent à la structure des mécanismes d’échanges et à l’intégration spatiale des marchés, c’est-à-dire la disponibilité en information

1 Rappelons que la délimitation des bassins d’emploi et une brève présentation de la méthode afférente ont été

Outline

Documents relatifs