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des relations sociales ?6

31 août 2016 (Stockholm, Suède) Geste de protection du visage lors d’une conversation téléphonique, qui traduit la ma-nière dont cet usager constitue son propre cocon autour de lui. Depuis son avènement, le téléphone mobile rend possible le fait de s’extraire des espaces partagés tout en y res-tant. Protéger son visage du bruit ambiant est un trait courant des conversations dans les espaces de travail partagés, mais l’in-verse est aussi fréquent (masquer sa conver-sation privée).

11 février 2015 (San Francisco, USA) De la même manière, l’espace public offre de multiples opportunités de créer une bulle privative afin d’utiliser le téléphone. Il s’agit par exemple comme on le voit

ici de converser avec un interlocuteur dis-tant face à un mur, ou de se tourner contre la vitre d’un train ou d’un bus. Ces

cas dénotent une forme de personalisation etde privatisation de l’espace public particulièrement important dans les conver-sations téléphoniques.

17 février 2011 (Paris, France)

Pour cette utilisatrice, son smartphone « c’est mon compagnon », ce qui du coup, selon elle, a nécessité de lui donner un nom qu’elle a ensuite collé au dos du termi-nal avec une étiqueteuse. Il s’agit d’un cas parmi d’autres de personalisation de l’appareil, qui passe ici par le nom, mais qui peut aussi correspondre à l’usage

d’au-Fi gu re 75 Fi gu re 7 6 7

20 mars 2015 (Genève, Suisse)

En situation de mobilité piétonne, une va-riante du multitasking précédent peut consister à utiliser une perche à selfie. C’est ce que fait cette femme sur le pont de la Machine à Genève, ce qui lui permet d’avoir une conversation en visiophonie avec son interlocuteur avec l’app Facetime, tout en marchant. La main droite tient la perche et la gauche contribue à la discussion par divers gestes, permettant ici une forme de communication non-verbale.

17 juillet 2012

(Los Angeles, États-Unis) Un couple dans un café de Venice Beach. Le repas terminé, les deux personnes sont le nez dans leur smartphone, en pleine consul-tation de l’appareil. Chacun est dans sa bulle, mais côte à côte. À la fois ici et ailleurs, chaque individu échange au sein d’une com-munauté qui n’est pas forcément présente physiquement alentour. Ce comportement illustre parfaitement le fait d’être « seul ensemble » (« Alone together »), un phénomène décrit par la psychologue étasunienne Sherry Turkle (Turkle, 2011).

18 août 2015 (Biarritz, France) Variante de la situation précédente, ces deux adolescentes déambulent dans la rue, conversant de manière décousue l’une avec l’autre, tout en ayant chacune un écou-teur dans les oreilles ; lequel diffuse de la musique. Comme on le voit sur cette pho-tographie, les « bulles privées » autour des

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19 août 2015 (Biarritz, France)

Le smartphone, de par ses capacités à mon-trer des vidéos, des photographies ou toutes sortes de contenus audiovisuels, peut rapi-dement devenir un écran partagé, au même titre que le téléviseur. Autour du terminal se constitue donc une bulle privée contenant un petit groupe de personnes. Un processus par lequel les non-usagers deviennent usagers du dispositif, et qui montre comment, là encore, un cocon se constituant autour du smartphone n’est pas exclusivement réduit à une seule personne.

17 février 2011

(entre Genève et Zürich, Suisse)

dans un train, cet usager teste des lunettes de réalité virtuelle connectés à son smartphone. L’ensemble constitue une

véritable bulle qui l’empêche de prêter attention à son envi-ronnement direct. Fi gu re 81 Fi gu re 8 2

26 janvier 2015 (Lausanne, Suisse)

La consultation du smartphone, hors télécommunication orale peut aussi suivre une logique de cocon comme on peut le voir chez cette utilisatrice. Celle-ci m’a indiqué mettre ses écouteurs descendre son chapeau et focaliser son regard sur l’écran pour éviter que l’on vienne la déranger dans un train tardif dans la nuit, entre Lausanne et Genève. L’usage du smartphone fonctionne ici comme une sorte de barrière ou de bouclier pour éviter d’être importuné.

12 août 2015 (Genève, Suisse)

Une autre façon d’employer le smartphone pour personali-ser, et donc privatipersonali-ser, l’espace autour de soi consiste, à diffuser de la musique avec le terminal. Soit avec un système de son (dont la taille est parfois démesurée au regard de celle du smartphone comme on s’en rend compte ici), soit avec le simple haut-parleur de l’appareil. Si cette pratique est courante, par exemple dans les barbecues genevois, elle ne manque pas de susciter des tensions avec les voisins.

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Qu’il s’agisse de commander un taxi, de lire l’heure, de consulter ses courriels, de regarder la météo, de réserver un restaurant, de jouer à un jeu vidéo, de faire ses courses, de parcourir un livre, ou d’appeler quelqu’un, les postures des usagers de smartphone semblent rigoureusement similaires pour un observateur attentif. Pour un observateur, il n’est globalement pas possible de savoir laquelle de ces activités est en cours de réalisation. On peut juste constater que la per-sonne utilise son terminal avec plus ou moins d’intensité et avec des gestes d’amplitude variable. C’est d’ailleurs se dont on se rend compte sur les photographies ci-dessus, comme sur la grande majorité de photos prises durant mes observations de terrain et présentées dans cette thèse. Sur celles-ci, on constate que la forme de la silhouette est généralement celle d’un corps penché en avant, voir légèrement cyphosé174 ou avec la tête rentrée dans les épaules (Figure 85). Cette torsion minime du buste donne ainsi l’impression d’un repli sur soi et de la constitution d’une bulle autour de l’usager.

Parmi les points d’entrées proposés par Pierre Lemonnier pour aborder les techniques (Le-monnier, 1992), si la gestuelle est importante, la matérialité des objets considérés est également fondamentale. Or, comme on peut le voir sur ces photographies, tant les postures que l’usage d’accessoires permettent à l’usager de se constituer une espèce de cocon autour de lui. Il s’agit par exemple des contorsions dont je parlais plus haut, ou de se masquer le visage pour protéger sa conversation téléphonique, d’utiliser un kit main-libre (casque et microphone), de coincer son téléphone sous son couvre-chef (un casque de moto, un voile, ou un bonnet)... voire, et c’est plus exceptionnel, d’utiliser des lunettes de réalité virtuelle pour s’immerger dans un jeu vidéo.

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La cyphose est une courbe convexe décrite par la co-lonne vertébrale. Une mauvaise posture se traduit par des modifications de cette courbure. L’hypercyphose est une

Série de croquis de silhouettes d’usagers de smartphone témoignent du cocon autour de l’usager, extrait du projet Curious Rituals (Nova, 2012).

Cocon, bulle privative