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Parmi les militaires internés dont les troubles mentaux sont identifiés et pris en charge alors qu’ils se trouvent loin du front, il faut aussi prendre en compte le cas des prisonniers. Dans leur grande majorité, ces hommes ont été capturés pendant les combats et on peut supposer que certains d’entre eux étaient déjà malades, leur état pouvant expliquer qu’ils

soient tombés aux mains de l’ennemi65

. C’est ce qui est arrivé au soldat Benjamin R., affecté

au 262e régiment d’infanterie et prisonnier à compter du 14 mai 1917. Comme il n’a pas

opposé de résistance à l’ennemi, les circonstances de sa capture sont jugées suspectes. Il est

déclaré déserteur et condamné à mort par contumace par le conseil de guerre de la 81e

division d’infanterie. À son retour en France en février 1919, il est écroué à la prison militaire de Nantes puis condamné à la peine de mort par jugement contradictoire du conseil de guerre

de la 11e région de corps d’armée. Mais à peine la sentence est-elle prononcée qu’on

s’aperçoit que Benjamin R. souffre de troubles mentaux. Le 18 juin 1921, la Cour de cassation annule sa condamnation : il se trouve alors à l’asile de Grimaudière (Vendée) où il

est interné en raison d’un délire de persécution66

.

Pour des raisons inconnues, Benjamin R. n’a pas fait partie des militaires dont les troubles mentaux ont été repérés dans les camps de prisonniers et qui, pour cette raison, ont été reconduits en France. Entre le début et la fin de la guerre, 486 soldats français rapatriés

d’Allemagne et de Suisse sont internés à l’asile de Bron qui a été désigné pour les recevoir67

. Mais ce chiffre ne correspond pas au nombre total des hommes qui ont bénéficié des accords entre les belligérants du fait d’une maladie mentale. En effet, ceux qui ne nécessitent pas un placement à l’asile sont pris en charge au sein des différentes formations du centre de

psychiatrie de la 14e région militaire. Parmi les militaires rapatriés, la part des hommes qui

doivent être internés est inconnue, sauf pour le mois de juillet 1917. Sur 100 prisonniers

64

SHD, conseil de guerre de Lyon, dossier de non-lieu du soldat Léon N., 10 J 1551. 65

Voir Jean LÉPINE, Troubles mentaux de guerre, op. cit.,p. 146.

66

Bulletin de la Cour de cassation, t. 126, n° 6, juin 1921, p. 445-446. Le dossier de Benjamin R. n’a pas été retrouvé parmi les archives de l’asile de la Grimaudière conservées aux AD de la Vendée. 67

Les dossiers des malades portent la mention « rapatrié d’Allemagne », y compris lorsque ces derniers ont d’abord été internés en Suisse. Il n’est donc pas possible de distinguer les deux cas de figure. Sur le choix de l’asile de Bron pour accueillir les rapatriés dont l’état nécessite un internement, voir Chapitre 1, I, 2, c.

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« aliénés » rapatriés, seuls 40 sont internés, la proportion variant sans aucun doute selon les mois. Par ailleurs, les officiers placés à la maison de santé de Champvert ne peuvent pas être comptabilisés, faute d’accès aux archives. On retrouve l’un d’entre eux à la Maison nationale de Charenton : rapatrié en septembre 1915, le lieutenant Auguste E. a quitté Champvert pour

le Val-de-Grâce, avant d’être interné dans le service du docteur Roger Mignot68.

L’échelonnement dans le temps des entrées de prisonniers à l’asile de Bron est révélateur (annexe 5). Les premiers sont internés au mois de juillet 1915. Par la suite, des rapatriés sont envoyés à l’asile par petits groupes qui ne dépassent jamais la dizaine. Ce n’est qu’en juillet 1916, suite à l’entrée en vigueur d’une nouvelle liste de maladies donnant droit

au rapatriement, qu’on observe l’arrivée massive d’une cinquantaine de prisonniers69

. À partir de cette date, les échanges s’intensifient entre les belligérants et les aliénés sont plus nombreux dans les convois. Onze prisonniers rapatriés sont en moyenne internés tous les mois de l’année 1917, puis vingt en 1918. Ces résultats démontrent l’effet des mesures mises en œuvre sous l’égide de la Croix-Rouge internationale et laissent supposer que le repérage des prisonniers atteints de troubles mentaux s’est progressivement amélioré. Cette tâche difficile incombe, à compter de mars 1916, aux commissions médicales itinérantes chargées de visiter

les camps et devant lesquelles les prisonniers malades doivent se présenter70. Les médecins

qui les composent disposaient-ils de compétences approfondies en psychiatrie ? On peut en

douter71. Quand bien même, la présence de spécialistes ne suffit pas car il faut encore que les

prisonniers qui souffrent de troubles mentaux se rendent à la visite. Or ces hommes, en particulier en cas de dépression, peuvent ne pas se considérer comme malades ou bien avoir honte. Si être prisonnier est parfois perçu comme un déshonneur, le rapatriement pour maladie

mentale constitue un stigmate supplémentaire72. Enfin, les cas les plus graves échappent de

68

AD du Val-de-Marne, fonds de l’hôpital Esquirol, dossier du lieutenant Auguste E., 4 X 992. 69

Voir Chapitre 1, I, 2, c. 70

Il ne leur est cependant pas toujours possible de le faire, par manque d’information ou parce qu’ils ont été envoyés au travail lors du passage de la commission. Sur ce point, voir Marianne WALLE, « Les prisonniers de guerre français internés en Suisse (1916-1919) », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 152, 2014, p. 57-72.

71

Il en va de même pour ceux qui soignent les prisonniers internés en Suisse. Dans son rapport pour l’année 1917, le médecin major Édouard Favre, chef du service historique de l’internement des prisonniers de guerre en Suisse, indique qu’il a été nécessaire d’attirer l’attention des médecins sur le risque de confondre indiscipline et maladie mentale. Il leur a été demandé de bien observer les prisonniers internés dont le comportement semble anormal, en particulier ceux qui reçoivent des punitions. Voir Major Édouard Favre, L’internement en Suisse des prisonniers de guerre malades ou blessés,1917,second rapport, Berne, Bureau du Service de l’Internement, 1918, p. 150.

72

C’est sans doute une des raisons pour lesquelles les sanitaires rapatriés évoquent très rarement dans leurs rapports de captivité les troubles psychologiques provoqués par la captivité, préférant mettre en avant la résistance des hommes et leur force de caractère.

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fait aux visites organisées dans les camps puisque les malades sont évacués vers des hôpitaux civils, le plus souvent des asiles. L’officier Louis Y. a suivi ce parcours. Fait prisonnier en décembre 1914, il présente des symptômes d’aliénation mentale alors qu’il se trouve au camp de Gütersloh en Westphalie et est placé dans un hôpital civil à Münster. Après avoir été rapatrié en mai 1915, il explique qu’il a rencontré cinq prisonniers français souffrant de

« troubles cérébraux » dans cet établissement73. Des cas similaires sont également signalés à

des associations qui informent à leur tour le comité international de la Croix-Rouge. Le

Vêtement du prisonnier74 joue ce rôle d’intermédiaire en juin 1917 lorsqu’on l’avertit qu’une

vingtaine de prisonniers français atteints de maladies mentales se trouvent à l’hôpital du camp de Stendal, en Saxe. Malgré tous ces efforts, certains soldats sont oubliés, comme Jules T.* : capturé en janvier 1916 à l’Hartmannswillerkopf, éperon rocheux dominant la plaine d’Alsace dont les belligérants se disputent âprement le contrôle, il est porté disparu. Ce n’est qu’en mai 1919 que des médecins de la Mission militaire française à Berlin le retrouvent à l’asile à

Bunzlau en Silésie. Son rapatriement en France est immédiatement organisé75. Atteint de

démence précoce, il est interné à l’asile de Maréville (Meurthe-et-Moselle). En novembre 1923, pour le rapprocher de sa famille qui vit dans la Drôme, il est finalement transféré à

l’asile Saint-Robert76

.

Si les registres d’entrée de l’asile de Bron permettent de connaître le nombre de prisonniers rapatriés et internés, les sources qui fournissent des renseignements sur leurs parcours individuels sont rares. Leurs dossiers, peu voire pas annotés, n’offrent que de rares indications sur les circonstances de leur capture et leur vie dans les camps. Cet état de fait n’est pas étonnant pour l’asile de Bron, où l’utilisation du dossier médical est en général très limitée, mais il semble plus net encore pour les rapatriés. Il révèle pour partie le manque d’informations à la disposition de l’administration comme des médecins. Ces derniers ignorent souvent tout de ce qui est arrivé aux rapatriés pendant leur captivité. Ceux qui

73

ASSM, centre de documentation du Val-de-Grâce, rapport de captivité de l’officier Louis Y., carton 633, dossier 27.

74

Le Vêtement du prisonnier est une œuvre rattachée à la Croix-Rouge française dont le but est de vêtir les prisonniers français et belges en Allemagne, qu’ils soient militaires ou civils.

75

AD du Bas-Rhin, compte rendu hebdomadaire du 13-20 mai 1919 du service de santé de la Mission militaire française de Berlin, 121 AL 361. La Mission militaire française à Berlin est chargée de rapatrier les prisonniers français qui se trouvent encore en Allemagne après l’armistice. Elle comporte un Service de santé qui recherche plus spécifiquement les blessés et les malades. Voir Bruno CABANES, La victoire endeuillée, op. cit., p. 377-394.

76

AD du Bas-Rhin, compte rendu hebdomadaire du 13-20 mai 1919 du Service de santé de la Mission militaire française de Berlin, 121 AL 361. Je remercie la famille de Jules T. pour les renseignements qu’elle a bien voulu me communiquer à son sujet.

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arrivent d’Allemagne ont subi une visite médicale de contrôle à Constance, destinée à s’assurer que leur cas relève bien du rapatriement mais la fiche de renseignements établie à cette occasion se borne le plus souvent à les déclarer atteints d’une pathologie mentale (Geisteskranken). Quant aux prisonniers qui ont été internés dans des asiles en Allemagne ou

en Suisse77, ils semblent être rapatriés sans les fiches d’observations établies dans ces

établissements, à moins qu’elles aient été perdues ou qu’il n’ait pas été jugé utile de les transmettre aux médecins. Ainsi, Paul S. a sur lui une feuille d’observations rédigée en allemand lorsqu’il entre à l’asile de Bron le 13 janvier 1917. Mais, faute de lire la langue de l’ennemi, le secrétariat n’estime pas nécessaire de la communiquer au docteur Jean Lépine.

Ce n’est que plusieurs mois plus tard que ce dernier apprend l’existence du document78

. Au-delà des difficultés pratiques à obtenir des renseignements, force est de constater

que le cas des rapatriés ne suscite pas un intérêt particulier chez les psychiatres79. Jean Lépine

évoque peu les prisonniers dans l’ouvrage qu’il publie en 191780

. Chef du centre de

psychiatrie de la 14e région militaire, il est pourtant le psychiatre le mieux placé pour conduire

des recherches sur les troubles mentaux développés en captivité. Même les médecins qui ont eux-mêmes fait l’expérience de la captivité semblent peu s’y intéresser après leur rapatriement. C’est le cas de Joseph Charpentier, médecin-directeur de l’asile de Saint-Alban (Lozère). Fait prisonnier dès septembre 1914, alors qu’il était affecté dans un hôpital de Maubeuge, il avoue pourtant que six mois de captivité l’ont conduit aux frontières de la folie.

77

À l’asile de Cery (Lausanne) par exemple, le directeur indique dans son rapport pour l’année 1916 : « nous avons eu passablement d’admissions d’internés prisonniers ». Voir Rapport annuel du directeur de l’asile de Cery, Lausanne, Imprimerie Giesser et Held, 1916. Je remercie Gilles Jeanmonod de m’avoir communiqué ce document.

78

AD du Rhône, archives du Centre hospitalier Le Vinatier, dossier administratif de Paul S., H-Dépôt Vinatier Q 804. Le problème ne semble pas limité au cas des rapatriés. Dans une lettre adressée au directeur de l’asile le 2 mars 1917, Jean Lépine affirme qu’il a du faire preuve d’une grande insistance pour obtenir auprès du secrétariat 109 dossiers qui ne lui avaient pas été communiqués. AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, H-Dépôt Vinatier L 60.

79

Quant aux rapports de captivité établis par tous les médecins rapatriés, afin de renseigner le Service de santé militaire sur les problèmes sanitaires et les conditions de détention dans les camps, ils n’évoquent presque jamais de cas de troubles mentaux parmi les prisonniers. Il est vrai que ces derniers étaient sans doute peu nombreux en comparaison avec d’autres pathologies. D’autre part, on a vu que les cas les plus graves étaient transférés dans des asiles et non dans les hôpitaux des camps. ASSM, centre de documentation du Val-de-Grâce, cartons 633 à 641.

80

Le livre a été numérisé et mis en ligne par la bibliothèque médicale Cushing-Whitney de l’université de Yale. Il est donc possible d’effectuer une recherche dans le texte : le mot « prisonnier » n’apparaît que 5 fois (pages 20, 39, 60, 102 et 169).

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Ironie du sort, il a été enfermé dans le camp de Gütersloh, qui se trouve être installé dans les

bâtiments d’un asile d’aliénés81

:

« Comme on nous promettait notre évacuation en France et que nous restions toujours là, j’ai connu toutes les affres du persécuté systématisé à qui on promet toujours sa sortie sans jamais la lui donner. N’ai-je pas eu même des hallucinations, tout au moins des illusions ? Il me semblait apercevoir derrière le grillage tel ou tel de mes malades de Prémontré, déguisé en sentinelle allemande et ricanant en bénissant la

justice immanente. »82

En comparaison avec le silence des médecins français, la production des psychiatres allemands sur le sujet paraît importante. Toutefois, comme l’a montré Paul Lerner, les prisonniers intéressent les médecins parce que leur cas sert à démontrer que les névroses et l’hystérie surviennent chez des individus prédisposés qui veulent échapper à leur devoir ou obtenir une pension. En effet, les soldats seraient peu nombreux à présenter ces pathologies en captivité puisque, protégés du danger, ils n’éprouvent pas la nécessité de développer ce type

de troubles83. En France, il faut attendre décembre 1919 pour qu’un jeune interne en

psychiatrie, Maurice Boivin, soulève devant la Société clinique de médecine mentale la

question de la dépression chez les prisonniers de guerre84. Il a lui-même été interné dans les

camps de Darmstadt et de Königsbruck et raconte que certains des hommes qu’il a côtoyés développaient des « troubles mentaux de nature nettement mélancolique […] sous l’influence des souffrances physiques et morales endurées » en particulier la faim, les punitions et la mise

à l’isolement85

. Sa communication ne donne cependant lieu à aucune discussion.

Les témoignages des malades ne suffisent pas à compenser le silence des médecins. L’ennui, l’inquiétude pour les siens, les privations, le sentiment d’avoir failli à son devoir, la mauvaise alimentation, les châtiments physiques, le travail forcé sont autant d’épreuves que doivent endurer les prisonniers mais dont ils parlent peu une fois internés. Beaucoup sont

81

La construction de l’asile de Gütersloh, situé en Rhénanie du Nord-Westphalie, vient tout juste de s’achever lorsque la guerre éclate. Pendant le conflit, il sert de camp pour des officiers prisonniers. Il reçoit ses premiers malades en 1919 et devient célèbre dans l’entre-deux-guerres grâce aux travaux de son médecin directeur, Hermann Simon, qui y expérimente la thérapie par le travail.

82

René Charpentier vient d’être nommé médecin-directeur de l’asile de Saint-Alban (Lozère) lorsque la guerre éclate. Il était auparavant médecin-adjoint de l’asile de Prémontré (Aisne). Voir « Les médecins aliénistes et la guerre », Annales médico-psychologiques, n° 6, 1914, p. 650-651.

83

Voir Paul LERNER, Hysterical men, op. cit., p. 68-69. 84

La Société clinique de médecine mentale a été fondée en 1908 sous l’égide de Valentin Magnan par les médecins des asiles de la Seine. Elle a pour but la mise en commun d’études cliniques. Lors des séances mensuelles qui se tiennent au service de l’Admission à Sainte-Anne, ses membres présentent des malades dont le cas est ensuite discuté.

85

Maurice BOIVIN, « Note sur le développement de la mélancolie chez les prisonniers de guerre », Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale, n° 9, 1919, p. 337-340.

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incapables de fournir des explications et leur parole est rarement retranscrite. Une fois transférés dans des établissements où les médecins sont un peu moins débordés et quand leur état s’améliore, leur histoire finit parfois par être mieux connue. C’est ainsi que le parcours du lieutenant Auguste E. est finalement retracé après son entrée à la Maison nationale de Charenton. Sa captivité commence le 26 août 1914 au fort d’Ingolstadt, camp de représailles

pour officiers86. Dix mois plus tard, persuadé qu’on l’accuse « de ne pas avoir fait son

devoir », il tente de se suicider. On le conduit alors dans un lazaret, où il affirme avoir été torturé avec des pilules électriques « dans le but de le faire parler de la France ». Quelques semaines plus tard, il est placé dans une maison de santé à Munich où, selon lui, les mêmes scènes se reproduisent : on cherche à lui arrêter le cœur, à lui faire une hernie, à lui couper le sang, parce qu’il refuse de fournir « des renseignements sur la France ». Son état de santé ne

s’améliorant pas, il est rapatrié au bout d’un mois87. En s’appuyant sur les témoignages de

gradés, Annette Becker et Bruno Cabanes ont insisté sur le sentiment de frustration et d’impuissance éprouvé par les prisonniers qui ne peuvent prendre part à la défense de leur

pays88. Auguste E., capturé dès le début de la guerre, n’a pas participé au conflit en tant que

combattant : a-t-il trouvé dans son délire le moyen de surmonter cette situation ? Celui-ci lui aurait permis de supporter son sort, mais aussi de faire face aux suspicions qui pèsent sur les prisonniers. Rappelons qu’à leur retour, ces hommes sont soumis à une enquête afin d’établir s’ils n’ont pas déserté ou capitulé. Aucune décoration ne peut leur être remise avant la fin des

hostilités89. Jean Lépine constate d’ailleurs chez les officiers rapatriés la prépondérance des

idées d’indignité et la peur d’avoir à démontrer qu’ils ne se sont pas rendus à l’ennemi90

. Les préoccupations des hommes du rang étaient-elles différentes ? Les sources sont trop lacunaires pour permettre de l’affirmer. Est-ce par exemple pour laver son honneur que le soldat Francisque Z. tente à plusieurs reprises de s’évader ou bien pour échapper à l’ennui,

aux privations et aux souffrances de la vie de prisonnier ? Mobilisé au 52e régiment

d’infanterie, il a lui aussi été capturé dès le début du conflit, le 3 septembre 1914, durant l’attaque du village de Saint-Rémy dans les Vosges. De toute sa compagnie, il n’est revenu

qu’un caporal et onze soldats91. Son fils a conservé le petit carnet qu’il tenait pendant sa

86

Charles de Gaulle y a été interné d’octobre 1916 à juillet 1917. Voir Jean LACOUTURE, De Gaulle, t. 1, Paris, Seuil, 1984.

87

AD du Val-de-Marne, fonds de l’hôpital Esquirol, dossier du lieutenant Auguste E., 4 X 992. 88

Annette BECKER, « Des vies déconstruites. Prisonniers, civils et militaires », 14-18 : Aujourd’hui, Today, Heute, n° 4, 2001, p. 78-87 ; Bruno CABANES, La victoire endeuillée, op. cit., p. 360-361. 89

Sur ce point, voir Bruno CABANES, La victoire endeuillée, op. cit., p. 361-362. 90

Jean LÉPINE, Troubles mentaux de guerre,op. cit., p. 39. 91

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captivité. Il y dessine, note scrupuleusement la date à laquelle il reçoit des colis, détaille leur contenu et relève quelques mots d’allemand qu’il veut retenir. Ce jeune cultivateur originaire d’un petit village de l’Isère, qui n’a pas été longtemps à l’école, trouve ainsi un moyen de s’occuper et de conserver une certaine maîtrise du temps. D’abord interné à Ulm, il est

transféré dans les camps de Müsingen, de Gmünd puis d’Eglosheim92

. En 1918, il tente de s’évader. Son épouse explique au médecin de l’asile Saint-Robert :

« […] il s’évada et fut repris, et dut subir la peine du cachot privation de nourriture ; puis la mine pendant 6 mois, où ces malheureux devaient sous la menace