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En ce qui concerne les moyens thérapeutiques, la Grande Guerre n’est pas un moment d’innovation dans les asiles d’aliénés. Les médecins appliquent aux militaires les méthodes éprouvées sur les malades civils bien que l’encombrement mette à mal certains principes fondamentaux, notamment la séparation des aliénés en fonction de leur comportement. La distribution des malades dans l’espace est en effet censée obéir à des critères fondés sur une série d’oppositions : paisibles et agités, curables et incurables, propres et malpropres doivent en théorie occuper des unités distinctes. Or, face à l’afflux des militaires, il devient impossible de respecter strictement cette organisation. Les répercussions sur les malades sont indéniables et plusieurs s’en plaignent ouvertement. Le soldat Gaston C. confie dans une lettre à un ami combien cette promiscuité lui est pénible et précise : « je ne puis trouver le sommeil normalement et mon dortoir étant occupé par un nombre assez bruyants mes nuits sont plutôt

une corvée qu’un repos […] »220

. Les familles de certains militaires s’émeuvent de les voir placés au contact de malades plus gravement atteints qu’eux. C’est le cas de l’oncle du soldat François R., venu rendre visite à son neveu interné à la veille de Noël. Le 29 décembre 1916, il écrit au professeur Jean Lépine :

« Dimanche, j’ai été peiné de le trouver dans une salle d’agités ou entre autres il y en avait deux avec la camisole de force qui hurlaient continuellement mon pauvre neveu qui est tout à fait calme est très affecté d’être dans le milieu démoralisant ou il

n’est pas possible de dormir une minute. »221

La charge de travail des médecins est écrasante. À la Maison nationale de Charenton, le docteur Roger Mignot doit soigner 700 malades dont 150 militaires, avec la seule aide de

deux internes, et ce jusqu’à l’arrivée du docteur Constance Pascal en décembre 1916222. Jean

219

AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, lettre du directeur au préfet du Rhône, 30 septembre 1916, H-Dépôt Vinatier K 113.

220

AD du Val-de-Marne, fonds de l’hôpital Esquirol, dossier du soldat Gaston C., 4 X 989. 221

AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, dossier administratif de François R., H-Dépôt Vinatier Q 601.

222

AD du Val-de-Marne, fonds de l’hôpital Esquirol, lettre du docteur Roger Mignot au docteur Raoul Benon, 21 mars 1916, 4 X 756.

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Lépine, chef du centre de psychiatrie de la 14e région militaire, n’est présent à l’asile de Bron

que deux matinées par semaine223. Il lui est impossible de visiter à chaque malade tous les

jours et bien difficile de recourir au « traitement moral » théorisé par Jean-Philippe Pinel. Toujours considéré comme « un des agents les plus importants de la cure en psychiatrie » en 1914, celui-ci repose en principe sur des entretiens réguliers, réalisés en tête-à-tête avec le patient, au cours desquels le psychiatre use de son autorité pour convaincre le malade qu’il

peut et doit guérir224. Les dossiers n’en conservent aucune trace, ou presque, soulignant l’écart

entre les discours et les pratiques. Un médecin comme Gustave Roussy présente certes l’isolement du malade et les « conversations persuasives » comme les éléments clés de la

thérapeutique dans un centre de neuropsychiatrie de l’arrière225. Néanmoins, ces méthodes

sont très difficiles à mettre en œuvre dans les asiles d’aliénés, faute de temps et de personnel. À la Maison nationale de Charenton, la seule description détaillée du malade est rédigée au moment de l’internement. Même lorsqu’un militaire reste plusieurs mois voire des années dans l’établissement, son dossier ne comporte presque jamais d’annotation ultérieure, sauf en cas d’évènement majeur. C’est également le cas pour les feuillets d’observations médicales de l’asile de Bron et de l’asile Saint-Robert. Les dossiers traduisent donc la déficience du suivi médical dans les établissements les plus encombrés, même s’il faut se souvenir que la constitution d’un dossier réunissant toutes les observations relatives à un malade relève d’une

culture médicale encore en germe dans la première moitié du XXe siècle. Ainsi, l’absence

d’observations écrites ne signifie pas que les malades ne voient plus de psychiatres, mais qu’ils le voient moins souvent, rapidement, et que seules les informations primordiales sont consignées.

Pour soigner les militaires internés, les psychiatres disposent de peu de substances

chimiques226. Au tournant du siècle, les premières tentatives pour recourir à des « médications

perturbatrices », prémices des traitements de choc dont l’usage se développe dans les asiles d’aliénés après la guerre, sont effectuées. L’injection sous-cutanée de nucléinate de soude par exemple doit entraîner une réaction leucocytaire, c’est-à-dire forcer une réaction des défenses

223

AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, délibérations de la commission de surveillance, séance du 7 février 1918, H-Dépôt Vinatier L 9.

224

Gustave ROUSSY, Jean LHERMITTE, Les psychonévroses de guerre, Paris, Masson, 1917, p. 163-165. Gustave Roussy dirige le centre de neurologie de la 7e région militaire tandis que Jean Lhermitte est médecin-chef du centre de neurologie de la 8e région militaire. Le premier a inspiré à Céline le personnage du professeur Bestombes dans Voyage au bout de la nuit.

225 Ibid. 226

Jean-Noël MISSA, Naissance de la psychiatrie biologique. Histoire des traitements des maladies mentales au XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2006.

173

immunitaires de l’organisme. Sans que les médecins puissent préciser comment, la fièvre artificiellement provoquée a un effet bénéfique sur l’état mental des malades. Le professeur Jean Lépine, qui fait figure de précurseur, teste cette méthode et publie ses résultats en 1910. Mais si ces techniques suscitent beaucoup d’espoirs, apparaissant « comme la ressource

suprême de cette thérapeutique décevante qu’est celle de l’aliénation mentale »227

, leurs résultats sont très variables. En effet, lorsqu’une amélioration se produit, elle ne perdure parfois que quelques heures après l’injection. De plus, ce traitement est délicat à mettre en œuvre car il n’est pas sans risque pour le patient et nécessite un personnel qui fait défaut en

temps de guerre228. Ainsi, les dossiers ne mentionnent pas l’emploi de ces injections pendant

le conflit. La pharmacopée utilisée se compose de quelques calmants (bromure de potassium par exemple) et de toniques (caféine, phosphate de soude) prescrits selon les circonstances. Des remèdes combinant plusieurs de ces substances sont administrés à certains malades. Le soldat Antoine L., entré à l’asile de Bron le 17 décembre 1917, reçoit durant son séjour une potion à base d’eau, de caféine, de sirop d’écorces d’oranges amères, de liqueur ammoniacale anisée, à prendre par cuillère à soupe toutes les quatre à cinq heures, ainsi que des

applications de chloroforme mélangé à un baume229. Les vertus de ces traitements restent

incertaines. Ils servent à masquer les symptômes de la maladie plutôt qu’à la traiter. Au sujet du chlorhydrate d’hyoscine, un composé utilisé dans les cas d’agitation extrême, le docteur Jules Seglas précise par exemple : « le médicament ne paraît exercer aucune action curative ni

même substitutive […] Mais on peut affirmer aussi qu’il ne produit aucun effet nuisible »230

. Utilisée par les psychiatres pour soigner les militaires en Grande-Bretagne et en

Allemagne231, l’hypnose ne suscite pas le même engouement en France où elle reste associée

à la pratique controversée de Jean-Martin Charcot. Elle ne semble jamais avoir été employée

dans les asiles232. En janvier 1918, le docteur Roger Mignot écrit certes au directeur des

laboratoires lyonnais Ciba au sujet d’un hypnotique, le Dial, qu’il a testé sur des malades mélancoliques. Celui-ci semble particulièrement en vogue : on en fait la publicité dans les

227

Jean LÉPINE, Le nucléinate de soude et la leucothérapie en thérapeutique mentale, Paris, Masson, 1910, p. 5.

228

Il faut pouvoir maîtriser l’élévation de la température corporelle, la hausse de la pression artérielle et l’accélération du rythme cardiaque. En 1910, Jean Lépine signale que 3 malades sont décédés sur les 71 qu’il a traités par injection de nucléinate de soude, trois sont décédés.

229

AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, dossier du soldat Antoine L., H-Dépôt Vinatier Q 796.

230

Pierre MARIE (dir.), La pratique neurologique, Paris, Masson, 1911, p. 1358. 231

Pour le cas britannique, voir Peter LEESE, Shell Shock, op. cit., p. 69-85. Pour le cas allemand, voir Paul LERNER, Hysterical Men, op. cit., p. 89-123.

232

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revues spécialisées et Ciba distribue gratuitement des échantillons aux médecins233. Mais le

Dial n’est pas utilisé lors de séances d’hypnose. Administré aux malades agités ou

insomniaques, il est employé comme sédatif234.

Désignés dans les feuilles de traitement comme des « médicaments externes », l’hydrothérapie et la balnéothérapie constituent bien souvent, en complément des substances chimiques, les principaux ressorts de la thérapeutique psychiatrique. C’est pourquoi Jean Lépine demande, en janvier 1917, au directeur de l’asile de Bron de renforcer le service de

bains235. Ceux-ci sont recommandés pour leurs vertus sédatives et apaisantes, tandis que la

douche froide est utilisée en cas d’apathie et de torpeur. Le soldat Gaston C. évoque ce traitement dans une lettre adressée à l’un des ses amis le 28 août 1917 : « j’ai été pris d’un

profond mal de tête qui m’a valu deux heures de bain tiède […] », raconte-t-il236. Enfin, les

psychiatres prescrivent à leurs malades des aliments censés favoriser la guérison, en particulier la viande, les œufs et le lait. Cette pratique très ancienne prend une importance toute particulière dans le cas des soldats. En effet, les médecins n’ignorent pas que l’alimentation reçue sur le front est de piètre qualité et estiment qu’elle peut être à l’origine d’intoxications gastro-intestinales susceptibles de favoriser le développement des troubles

mentaux237. Il est donc impératif d’assainir l’organisme des soldats. Dans cette optique, la

consommation de lait prend pendant la guerre une importance première. Succédant parfois à l’ingestion de purgatifs voire à des lavages d’estomac, la diète lactée doit permettre d’éliminer les toxines accumulées.

Dans le panorama des moyens thérapeutiques que les dossiers des malades internés permettent de dresser, l’électrothérapie est totalement absente. Pourtant, cette méthode est souvent présentée comme l’élément le plus important du traitement psychiatrique mis en œuvre pendant la guerre, sans doute en raison de l’attention toute particulière portée par l’historiographie au procès du zouave Deschamps. De nombreux historiens se sont penchés

233

Voir notamment LESIEUR, PERET, « L’insomnie nerveuse, dite essentielle, et son traitement médicamenteux. Le dial (diallylmalonylurée) », Paris médical, n° 24, 1917, p. 216.

234

Aucun des dossiers conservés ne fait mention du recours à l’hypnose. 235

AD du Rhône, fonds du Centre hospitalier Le Vinatier, lettre de Jean Lépine au directeur de l’asile de Bron, 16 janvier 1917, H-Dépôt Vinatier L 60.

236

AD du Val-de-Marne, fonds de l’hôpital Esquirol, dossier du soldat Gaston C., 4 X 992. 237

Voir par exemple Paul CHAVIGNY, « Troubles psychiques par intoxication gastro-intestinale. Leur importance en psychiatrie de guerre », Annales médico-psychologiques, n° 10, 1918, p. 192-196.

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sur cette affaire survenue en août 1916238. Blessé en septembre 1914 d’une balle reçue dans

les reins, le zouave Baptiste Deschamps reste comme plié en deux, penché vers l’avant et incapable de se redresser. Il est évacué à Tours au mois de mai 1916 et intègre le centre

neurologique de la 9e région militaire dirigé par le médecin-major Clovis Vincent. Celui-ci

utilise le traitement électrique, couramment employé pour traiter les contractures, les raideurs et les atrophies musculaires, dans le but de confondre les simulateurs et de convaincre les hystériques de leur erreur. À l’aide de tampons, il applique à plusieurs reprises sur les parties paralysées du corps un courant galvanique d’une intensité progressive pouvant atteindre jusqu’à 35 milliampères. La douleur ressentie par le soldat doit démontrer l’absence de

lésions organiques239. Pour se soustraire à ce traitement, baptisé « torpillage » par les soldats,

Baptiste Deschamps frappe Clovis Vincent qui porte plainte. Grâce au soutien de la presse et, à travers elle, de l’opinion publique, Deschamps, qui encourait la peine de mort, est condamné à six mois de prison avec sursis.

L’indignation suscitée par le recours à un traitement douloureux et cruel a souvent conduit les historiens à négliger de replacer l’électrothérapie médicale dans un contexte plus large, par crainte, peut-être, que cette démarche indispensable à l’analyse historique soit perçue comme une forme de cautionnement. Anne Rasmussen a pourtant démontré qu’il était non seulement possible mais aussi nécessaire de tenir compte « des pratiques médicales communes d’une époque et de ses représentations culturelles […] » pour comprendre l’usage

médical de l’électrothérapie240

. Celle-ci ne se cantonne pas au traitement des symptômes psychiques et n’apparaît pas soudainement pendant la guerre. Ainsi, le professeur Marcel Lermoyez, membre de l’Académie de médecine et chef du service d’oto-rhino-laryngologie

de l’hôpital Saint-Antoine publie en 1913 un manuel intitulé Notions pratiques d’électricité à

l’usage des médecins241

. En neurologie, le traitement par électrisation est progressivement

devenu, depuis la fin du XIXe siècle, un outil central pour l’examen des malades, sous

238

Voir notamment Marc ROUDEBUSH, « Un patient se défend », 14-18 : Aujourd'hui, Today, Heute, n° 3, 2000, p. 56-67 ; Sophie DELAPORTE, Les médecins pendant la Grande Guerre, op. cit., p. 162-186 ; Jean-Yves LE NAOUR, Les soldats de la honte, op. cit., p. 143-181 ; Laurent TATU, Julien BOGOUSSLAVSKY, La folie au front, op. cit., p. 94-99.

239

Voir Clovis VINCENT, « Le traitement des phénomènes hystériques par la “rééducation intensive” », Archives d’électricité médicale, n° 26, 1916, p. 405-416. Adeptes de cette méthode, les docteurs Gustave Roussy et Jean Lhermitte préconisent d’appliquer au besoin le courant électrique « en des endroits particulièrement sensibles de la surface cutanée ». Gustave ROUSSY, Jean LHERMITTE, Les psychonévroses de guerre, op. cit., p. 154.

240

Anne RASMUSSEN, « L’électrothérapie en guerre : pratiques et débats en France (1914-1920) », Annales historiques de l’électricité, n° 8, 2011, p. 73-91.

241

Marcel LERMOYEZ, Notions pratiques d’électricité à l’usage des médecins avec renseignements spéciaux pour les oto-rhino-laryngologistes, Paris, Masson, 1913.

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l’influence de Charcot qui en fait usage à la Salpêtrière. Après sa mort, cette pratique est favorisée par le succès des théories de son élève, Joseph Babinski, et sa méthode du « traitement brusqué ». Celle-ci consiste à utiliser l’électrothérapie pour prouver aux patients qu’ils peuvent guérir puisqu’ils ne sont pas réellement malades mais seulement convaincus de l’être. Elle vient renforcer la parole du médecin qui, dans le cadre du traitement moral, doit persuader le patient qu’il n’a rien. Néanmoins, son usage reste marginal dans le traitement des

maladies mentales, comme le souligne Emmanuel Régis* en 1914 dans son Précis de

psychiatrie242. Ainsi, on conclut un peu vite que l’électricité médicale est largement utilisée par les psychiatres. C’est pourtant loin d’être le cas avant le succès rencontré par l’électrochoc, qui n’est expérimenté dans les hôpitaux psychiatriques français qu’à partir des

années 1940243. Pendant la Grande Guerre, le recours à l’électrothérapie est fermement

condamné par le professeur Jean Lépine qui, dans son ouvrage de 1917, compare le procédé à l’utilisation du « fer rouge » et affirme : « ces méthodes sont toujours inutiles, leur emploi,

dangereux s’il s’agit de vrais aliénés, est inexcusable »244

. Des voix discordantes se font donc entendre, même si les condamnations restent rares et timides dans un contexte où l’objectif

principal est de récupérer le maximum de malades245.

Le fait que l’usage de l’électrothérapie ne soit pas attesté dans les asiles d’aliénés ne signifie pas l’absence d’autres formes de traitements coercitifs. Le recours aux moyens de

contention, de plus en plus critiqué depuis le début du XXe siècle246, perdure en l’absence

d’alternative thérapeutique. La camisole de force, qui permet de maîtriser les malades agités, reste employée dans les hôpitaux psychiatriques jusque dans les années 1950. Pendant la guerre, son utilisation est attestée dans plusieurs lettres. À la Maison nationale de Charenton,

242

Emmanuel RÉGIS, Précis de psychiatrie, op. cit., p. 990. 243

Sur cette question voir Isabelle von BUELTZINGSLOEWEN, « Un fol espoir thérapeutique ? L’utilisation de l’électrochoc dans les hôpitaux psychiatriques français (1941-1945) », Annales historiques de l’électricité, n° 8, 2011, p. 93-104.

244

Jean LÉPINE, Troubles mentaux de guerre, op. cit., p. 136. 245

Il n’est donc pas tout à fait exact d’écrire que les psychiatres français n’ont jamais « remis en cause la brutalité de leurs supposés traitements ». Voir Didier FASSIN, Richard RECHTMAN, L’empire du traumatisme, op. cit., p. 93.

246

En France, au début du XXe siècle, la diffusion du mouvement de libéralisation du traitement des malades mentaux (dont le mot d’ordre est le non restraint) a fait émerger un courant favorable à la suppression des moyens de contention. Valentin Magnan, qui compte parmi ses chefs de file, s’oppose à l’emploi de la camisole de force. Voir Valentin MAGNAN, « Thérapeutique générale des maladies mentales », in Albert ROBIN (dir.), Traité de thérapeutique pratique, t. 4, Paris, Vigot, 1913, p. 587-629). En 1871, un de ses élèves a d’ailleurs soutenu une thèse sur le sujet : Eugène ROUHIER, De la camisole ou gilet de force, thèse soutenue devant la faculté de médecine de Paris, 1871. Sur les origines du non restraint, voir Aude FAUVEL, Bastilles modernes et témoins aliénés, t. 1, op. cit., p. 172-173.

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plusieurs dossiers indiquent notamment qu’on recourt aux moyens de contention lors du transfert des malades. Le lieutenant Louis Z. arrive à l’asile « ficelé ». Assis sur son lit, il tire

sur ses attaches lors de la première visite du médecin247. Le même sort est réservé à tous les

militaires agités. Même le lieutenant-colonel Léon D. est camisolé, ce qu’il estime tout à fait

choquant étant donné son grade248. Un tel traitement n’est pas sans danger. Dans une lettre

adressée à sa femme, le soldat Joseph E. indique avoir porté la camisole pendant son séjour à l’hôpital militaire Villemanzy, juste avant d’être transféré à l’asile de Bron, et affirme que celle-ci lui a provoqué un phlegmon. Le frottement du tissu serré sur la peau provoque en

effet ce type de blessure249. Dans le cas de l’adjudant-chef Georges E., les conséquences sont

tragiques : arrivé à la Maison nationale de Charenton « ligoté avec des liens attachés aux poignets et aux chevilles », il présente plusieurs plaies qui s’infectent et provoquent

finalement une septicémie. Il meurt six jours après son internement250.

Alors que les moyens thérapeutiques mis en œuvre dans les asiles sont limités, les pénuries auxquelles sont confrontés tous les asiles français compliquent encore la situation. Le pharmacien-en-chef de l’asile Sainte-Anne se plaint régulièrement des difficultés d’approvisionnement qu’il rencontre. En 1918, les réserves de chloral, un sédatif d’utilisation

courante, sont épuisées et il est impossible de s’en procurer durant plusieurs mois251

. Les aliments sont quant à eux de plus en plus chers et le recours à l’hydrothérapie est remis en cause par le manque de charbon.