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I. HISTOIRE OCCIDENTALE ET LANGUE FRANÇAISE

I.2. L’AMERIQUE DU NORD ET LE QUEBEC FRANCOPHONE

I.2.3. Les aspects démographiques

L’analyse de la démographie du pays permet de préciser les dimensions stratégiques de la francophonie au Canada et les rapports qu’elle entretient avec les enjeux locaux. Comme en Belgique, l’aspect démographique n’est pas absent de cette réalité francophone. Le Québec est la plus grande des régions canadiennes. Les francophones qui s’y trouvent, représentent près du quart de la population totale du Canada et près de la totalité des

28 « Les politiques du gouvernement fédéral [sont] qualifiées de centralisatrices par le Québec » in BARRAT, op.cit., p.75.

29 « Pour le gouvernement français, les décideurs canadiens sont des anglophones uniquement…/…En 1988, la France fit campagne pour vendre des sous-marins nucléaires au gouvernement d’Ottawa…/…Le gouvernement français engagea des vendeurs britanniques qui firent toutes les présentations commerciales et techniques (en anglais uniquement) » in DURAND, Charles, La langue française : atout ou obstacle ? Réalisme économique, communication et francophonie au XXIe siècle, p.115.

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habitants de la province. Ainsi, l’explication qui ferait de la francophonie uniquement une revendication culturelle des minorités est à moduler, et la volonté de faire reculer une domination socio-économique semble plus valable depuis la moitié du vingtième siècle30. Six millions trois cent mille personnes francophones habitent au Canada. Elles représentent vingt-trois pour cent de la population totale s’élevant à vingt-huit millions neuf cent mille personnes au premier janvier 1994. D’autre part, le Québec est la plus grande province du Canada avec un million et demi de kilomètres carrés. Dans ce vaste ensemble, quatre vingt-cinq pour cent de la population est francophone. Cette province ne possède pas l’exclusivité du parler français. En effet, sept et demi pour cent de francophones résident dans la province de l’Ontario et plus de trois et demi pour cent au Nouveau-Brunswick, le reste des francophones se distribuant dans le reste du territoire canadien. En ce qui concerne la province Est, le français y est la langue maternelle de quatre-vingt deux pour cent de la population du Québec, tandis que l’anglais ne représente que près de dix pour cent de cette même population. Par ailleurs, comme en Belgique, la natalité dans ce groupe francophone est en baisse depuis la fin de l’explosion démographique d’après-guerre. Elle se trouve actuellement inférieure à la natalité des provinces anglophones. Pour pallier cette déficience, le gouvernement provincial du Québec a recours, depuis l’accord Canada-Québec en 1991, à l’immigration pour maintenir son poids démographique. Le recours à l’immigration s’élève à trente ou quarante mille personnes par an (avec seulement cinq à dix pour cent de francophones).

Cette technique de maintien de la masse humaine se produit au détriment de la domination linguistique du français. En effet, les nouveaux immigrants choisissent de préférence la langue anglaise qui garantit une intégration à l’ensemble du Canada. Ils n’entrent pas dans le jeu du choix linguistique et préfèrent, à la distinction sociale, des stratégies d’intégration économique. Politiquement, les représentants francophones sont dans une situation instable au sein de la province québécoise. Par exemple, le référendum de 1995 sur la souveraineté politique du Québec a échoué pour les francophones indépendantistes. Il s’agit là d’une défaite ambiguë puisqu’il a suffi de quarante mille voix pour faire perdurer

30 Le statut de minorité stigmatisée socialement, de nègres blancs, a cessé avec la fin de la seconde guerre mondiale pour se métamorphoser en une stigmatisation économique sous-jacente. « Les francophones du Québec devinrent rapidement des citoyens de deuxième classe sous domination anglaise. A partir de 1763 et jusqu’en 1950, les cadres de la province furent presque exclusivement formés d’anglophones. Au début des années soixante, les patrons, les banquiers étaient presque tous anglophones » in DURAND, Charles, op.cit., p.103.

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le rattachisme politique. Cette situation instable exprime à la fois des forces vives pour l’indépendance mais aussi des forces qui veillent à l’union canadienne. Effectivement, le référendum de 1995 de la province québécoise a pour résultat cinquante et un pour cent de NON et quarante-neuf pour cent de OUI en faveur d’une autonomie politique et économique, tournée vers le monde francophone. Ce résultat, pour les groupes de pression en présence, n’est pas suffisamment significatif pour achever la querelle politique (cette situation conduira, dès 1997, le gouvernement de Québec à exiger, sans succès, la conduite d’un nouveau référendum). Les élections législatives de 1994 exprimaient, dans un sens plus favorable aux francophones, l’instabilité de la reconnaissance politique que réclame le Québec, au nom de sa particularité linguistique, au sein du continent nord-américain. En effet, si le parti québécois qui se présente comme l’héritier des acteurs francophones qui ont participé à la création du Canada a obtenu la majorité, celle-ci demeure relative avec quarante-quatre pour cent des voix. Ainsi, la volonté d’autonomie politique n’est pas obtenue clairement et ne permet pas de justifier la volonté de non reconnaissance de la Constitution canadienne depuis 1982. Cette instabilité rend les relations entre la province francophone et les provinces anglophones problématiques du point de vue politique et semble menacer la cohésion nationale. L’instabilité qui peut paraître propre au Québec s’inscrit dans une situation instable plus généralisée qui concerne l’ensemble des provinces, dans lesquelles les changements d’opinions politiques rendent la situation difficilement compréhensible. Les élections fédérales de 1997 ont montré que la souveraineté du gouvernement d’Ottawa est également remise en question par les provinces économiquement prospères de l’ouest, alors qu’aux mêmes élections, le Québec affichait une majorité favorable au maintien de la souveraineté d’Ottawa, afin semble-t-il, de profiter en partie de l’aide économique indispensable pour une région qui cherche de nouveaux débouchés. Entre francophonie et souveraineté, le Québec affiche sa volonté d’utiliser toutes les armes politiques et culturelles, pour assurer sa survie socio-économique.

Ces exemples européens et nord-américains montrent, nous l’avons dit précédemment, que l’ensemble francophone n’est pas homogène et que les enjeux parmi les participants sont

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différents. Le maintien de la domination linguistique et des prérogatives sociales, pour l’exemple belge, a comme pendant la recherche d’alternatives économiques et d’autonomisation de la vie politique fédérale pour l’exemple québécois. Cependant, cette différenciation des situations francophones accroît encore l’hétérogénéité de l’ensemble si nous considérons également la présence de la langue française en Afrique. Ce nouvel exemple se distingue tout d’abord historiquement des exemples précédents car la langue française y est née trois siècles après son apparition au Québec d’une part et d’autre part, car c’est en Afrique qu’émerge la francophonie en tant que communauté politique linguistique. La francophonie québécoise et la francophonie belge n’ont rien d’internationales ni d’expansives, bien qu’il s’agisse des pays les plus anciennement francophones. Ils incarnent (avant l’innovation africaine) la francité ou le développement primitif minimum de la langue française. Les vocations internationales et d’internationalisation qui apparaissent dans la francophonie moderne post-coloniale actuelle sont soutenues par une idéologie internationale communautariste qui vient d’Afrique et c’est plus tard que des pays, les plus anciennement francophones (la France également), s’y joindront, important leurs propres tendances. Dans un ensemble francophone pauvre économiquement cherchant le développement international par les réseaux pédagogiques, les pays occidentaux vont apporter avec leurs capitaux leurs problèmes politiques et structurels. Ainsi, la volonté de compenser des situations de langue minoritaire au sein même des participants occidentaux francophones aboutira à Huê à un modèle franco-québécois d’organisation francophone (modèle universitaire francophone institutionnel) ethnicisant (p.248) qui cherche l’implantation en favorisant le développement du réseau francophone plus que la compétence linguistique (p.260) par l’autonomisation et l’opacité fonctionnelle, traduisant à la fois la complexité politique constitutive des partenaires francophones au Vietnam et la complexité locale proprement vietnamienne. L’enseignement précoce bilingue mené par les coopérants belges à Huê (ils appartiennent à l’Action Linguistique Belge travaillant ponctuellement avec l’Agence Universitaire Francophone) se distingue de cette situation fonctionnelle par une prise en compte des aspects préexistants du système d’enseignement (cf. « Assurer la pérennité par l’enseignement précoce », p.274). C’est sur lui que l’accent est mis dès 2002 après la fermeture des filières universitaires francophones intergouvernementales à Huê couronnant l’échec de la méthode d’ethnicisation (p.257) du développement francophone

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intergouvernemental. Ainsi l’enquête de la francophonie à Huê gagne en efficacité quand elle est préalablement recontextualisée historiquement et politiquement. Dans cette reconstruction de la francophonie nous avons envisagé les pays occidentaux mais deux travaux nous attendent. Il s’agit d’une part de nous préoccuper de la francophonie telle qu’elle s’est constituée pour les pays du Sud, c’est-à-dire les pays africains anciennes colonies françaises et pour le Vietnam. Les deux cas sont très différents tant sur l’aspect colonial que sur la situation du français à la sortie des guerres de libération nationale qu’ils ont tous connu. Il s’agit d’autre part de proposer un bilan, non pas qualitatif, mais d’impact quantitatif de l’enseignement français colonial. Ainsi en amont de l’enquête de terrain à Huê, la situation francophone est d’emblée reliée à son contexte historique linguistique, historique politique et dynamique moderne et international.

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