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LES SOCIETES VIETNAMIENNES ET LES PREMIERES CONTRAINTES

NOTICE

VI. RELATIONS A L’ESPACE VIETNAMIEN ET IMPLANTATION FRANCOPHONE

VI.1. LES SOCIETES VIETNAMIENNES ET LES PREMIERES CONTRAINTES

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VI. RELATIONS A L’ESPACE VIETNAMIEN ET IMPLANTATION

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montagneux intérieur139 du Vietnam crée, historiquement, des isolats de populations regroupées entre les cols. Cet isolement provoqué par la longitudinalité de l’espace géographique vietnamien a déterminé et détermine en partie l’évolution culturelle du Vietnam. Les influences culturelles chinoises viennent traditionnellement du nord pendant que l’influence culturelle de l’Inde, filtrée par la Thaïlande, est entrée au Vietnam, ou plus exactement dans l’espace géographique qui aboutira au dix-septième siècle à former le Vietnam actuel, par le sud et le delta du fleuve Mékong. Cependant, ni l’une ni l’autre de ces influences n’a pu dominer de façon homogène la société vietnamienne à cause d’un cloisonnement interne et de la disparité ethnique des franges territoriales latérales, et le syncrétisme variable peut apparaître alors comme une réponse culturelle à des déterminismes d’ordre spatial. Mais si la structuration de l’espace géographique participe à la création des espaces sociaux, l’inverse est aussi observable. Le cloisonnement réel, effectif, physique du Vietnam est sans cesse rendu plus déterminant, plus indubitable par l’action humaine, allant jusqu’à créer ses propres frontières physiques internes et politiques aussi palpables et matérielles que celles imposées par la nature. Ce cloisonnement est contrebalancé par deux espaces ouverts, deux espaces antagonistes géographiquement et culturellement de par les influences extranationales dont ils permettent la pénétration au Vietnam. Ces deux espaces, le delta du fleuve rouge et la frontière avec la Chine et ses ports littoraux et les plaines du delta du Mékong au Sud du pays vont profondément déterminer la culture et l’histoire du Vietnam. Profondément parce que les influences culturelles dont ils permettent l’entrée sont expansifs. L’un pénétrant du nord au sud est marqué par la culture chinoise, il véhicule les principes politiques impériaux ou communistes. L’autre venant du sud allant vers le nord est porteur de l’influence des pays hindouisés et anglophones de l’Asie capitaliste (cf. schématisation page suivante).

139 VU TU LAP, Vietnam. Données géographiques, 242 p. (pp.24 à 46 pour les particularités du relief).

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Carte n° 02 : cloisonnements et ouvertures physiques au Vietnam :

La ville de Huê nous apparaît comme un centre syncrétique entre ces influences culturelles principales avec sa partie proprement nordiste et sa partie urbaine proprement sudiste, combinant traditions historiques et politiques et modernité asiatique et relations internationales (cf. le schéma dichotomique de la ville p.165). Les organisations francophones locales vont jouer un rôle dans la confirmation de cette double identité urbaine. En respectant l’idéologie quasi géomantique de constitution spatiale et sociale de la ville, les organismes francophones vont pouvoir exister. D’une part, elle vont pouvoir s’implanter (dans cette implantation, la prise en compte de la situation spatiale nationale et locale de Huê va apparaître comme un facteur important de l’intégration urbaine francophone). D’autre part, elles pourront participer à l’élaboration de l’identité urbaine car la propriété urbanistique de Huê est de métamorphoser, ou de tendre à métamorphoser les interventions étrangères en mécanismes producteurs d’identité urbaine politiquement définie. Il s’agit d’un mécanisme de syncrétisme culturel urbain. C’est le cas avec

Huê Nord

Huê

Flux culturel chinois, marxiste

Flux culturel occidental/asiatique, libéral Reliefs montagneux

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l’enseignement scientifique, mais c’est aussi le cas avec l’architecture et la restauration du patrimoine, avec la gastronomie et les arts du cirque qui, francophones, finiront par servir la cause identitaire, patrimoniale, intellectuelle et internationale de Huê. Parfois cette métamorphose échoue et l’implantation francophone périclite.

VI.1.1. La construction des espaces sociaux nationaux

L’expansion du Daï Viêt à partir du neuvième siècle et la métamorphose des espaces sociaux conduisent à redéfinir la structuration de l’espace géographique de la péninsule.

Loin de se calquer sur l’espace géographique mais dépendant de celui-ci, l’expansion viêt se fait de « porte en porte » du nord vers le sud. Les portes sont primairement formées par les cols montagneux, excroissances est-ouest de la chaîne montagneuse annamitique nord-sud. Chaque porte prise à l’Empire Cham permet de contrôler les versants contigus, et la dimension stratégique de ces espaces est évidente. Cependant, le déterminisme géographique ou géostratégique a ses limites en tant que facteur explicatif de cet attachement aux contrôles des portes qui commencera par celui de la Porte d’Annam (Hoanh Son) en 1021 pour se poursuivre par la prise du Col Lao Bao, puis du Col des Nuages. En effet, la notion de porte va progressivement s’abstraire de son substrat territorial pour s’autonomiser vis-à-vis de la géographie et l’espace social, va se mettre à produire de l’espace physique, différent et différentier volontairement des espaces naturels existants. Ainsi, les enjeux militaires géographiques vont laisser la place à de nouveaux enjeux, qui tendent toujours vers le contrôle de l’espace, mais social cette fois parce qu’il est devenu producteur d’identité. Durant la formation de l’empire Viêt et principalement entre 1306 et 1771, la dimension physique du Vietnam laisse place à une dimension symbolique. Les lieux conquis, métamorphosés par les soldats-laboureurs, ne sont plus seulement déterminants physiquement mais aussi symboliquement puisqu’il s’agit de soustraire à l’adversaire des lieux mythiques constitutifs de leur identité, des lieux qui marquent par exemple l’influence indoue ou musulmane. Forêts sacrées supportant les divinités ou les génies tutélaires du territoire, temples et sanctuaires naturellement propices au culte ; les lieux conquis le sont par nécessité d’expansion démographique et pour des raisons symboliques. Ces symboles attachés au territoire vont redéfinir sa morphologie et supplanter les déterminismes locaux en s’aidant de la technologie parfois, de la

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d’œuvre rurale systématiquement. La situation spatiale trouve des correspondances importantes dans les représentations vietnamiennes traditionnelles de l’espace social et mythologique. La géographie des lieux et l’élaboration sociale de l’espace symbolique sont liées de façon interdépendante, la première justifiant la seconde et cette dernière modifiant physiquement la première. L’exemple de la ville de Huê et de la province de Thua Thien Hué est à cet égard significatif. Depuis sa création, l’ancienne capitale de l’Empire vietnamien met en lumière les relations bidirectionnelles qui existent entre la réalité géographique de l’espace et sa définition symbolique et sociale. Un lieu mythique de la ville de Huê, la Pagode de la Dame Céleste, permet, en détaillant le mythe historique qui préside à sa construction, de mieux comprendre les relations qui existent entre espace physique et espace social. Le récit fondateur de la pagode et de la ville (ils sont intimement liés) est rapporté en 1905 par Léopold Cadière140. Cependant nous détaillerons les écrits plus tardifs de l’Administrateur des Services Civils A. Bonhomme en 1915, sur l’Histoire de la fondation du Vietnam141, dans laquelle le récit de la création de la pagode lie les propriétés physiques et magiques du lieu. « En l’an 1601, qui est la première année de Lê-Khinh-Tôn, est donc en même temps la 44ième année de Thai-To »142. L’héritier de la dynastie de Nguyen, Nguyen-Hoang, seigneur du Sud, à la mort de son père et par peur d’être trahi par les anciens conseillers de son père qu’il soupçonne d’être en relation avec l’empire ennemi du Nord, quitte son royaume, accompagné de sa sœur, avec comme objectif secret de trouver un espace propice à la formation d’une ville ou du moins d’un palais fortifié qui le mettrait à l’abri des dangers qui le menace. « Un jour, le seigneur,

…/…, fit une excursion pour admirer les beaux sites…/… au cours de son excursion, il fut frappé par la situation d’une colline sise dans le village de Hà-Khê …/… et qui, s’élevant seule dans la plaine, présentait l’aspect d’un dragon tournant la tête pour regarder la montagne principale dont cette colline est une ramification ». Le prince aperçoit alors une tranchée qui coupe la base du monticule, il interroge les habitants et

« on lui répondit en ces termes…/…Sous la dynastie des Ly, le général chinois Cao

140 CADIERE, Léopold, Sur quelques monuments élevés par les seigneurs de Cochinchine in Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, vol V, 1905, p 4.

141 BONHOMME, A, Bulletin des Amis de Vieux Huê, 1915, vol 2, p 175.

142 BONHOMME, A, idem, p.175.

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Dien143 avait visité toutes les montagnes et tous les cours d’eau du pays. Lorsqu’il rencontrait un endroit quelconque réputé pour avoir un pouvoir surnaturel, il faisait aussitôt creuser une tranchée afin de détruire ce pouvoir dans l’intention de s’emparer des territoires du Sud. S’étant aperçu que cette colline était fréquentée par une déesse, il se mit à creuser la partie arrière… »144. Le soir suivant cette nouvelle, le jeune prince Nguyen-Hoang voit une vieille femme apparaître lui recommandant de combler la veine du dragon, de remblayer ce fossé. Le lieu retrouve alors son caractère magique propice à l’élaboration de Huê. Ces renseignements issus des annales impériales des Nguyen avant Gia Long appuient clairement nos propos sur les relations étroites qui existent à Huê entre espace géographique et espace symbolique et social ; social parce que l’élaboration de la pagode de la Dame Céleste, qui marque le lieu de rencontre entre le prince Nguyen-Hoang et la déesse marque aussi une relation étroite entre pouvoir politique, pouvoir du territoire et sacré. La veine du dragon (colline des tombeaux des rois), la pagode et le palais impérial forment un arc de cercle avec lequel les développements futurs et modernes de la ville sont forcés de collaborer.

VI.1.2. Les règles de construction de la citadelle

Ainsi, dès sa fondation, la ville de Huê va obéir à des règles géomantiques et urbanistiques précises qui lient de façon rigoureuse la structuration de l’espace physique et les représentations symboliques et culturelles. Avec les premières constructions royales entreprises à Thien Mu en 1601 par le prince Nguyen-Hoang, puis à Kim Long en 1636 par le seigneur Nguyen Phuc jusqu’en 1082, date à laquelle la citadelle trouva sa place définitive sous le règne de Nguyen Anh, toutes ces constructions sont régies par des principes sacrés, taoïstes, d’influence chinoise, qui prônent l’élaboration de l’espace du nouvel empire dans le respect des règles de la géomancie. Paysage et pouvoir sont intimement liés, ce dernier trouvant la légitimation de son caractère sacré dans l’organisation tellurique des lieux. Quant au paysage (espace géographique) il est en permanence modifié pour servir le pouvoir royal. Le Quy Don, géomancien de la cour à

143 Cao Dien est un célèbre général chinois réputé être un grand géomancien ; il fut gouverneur de l’Annam sous le règne de l’Empereur de Chine Y-Tôn (860 à 874 après J.C.).

144 Extraits des Annales Impériales des Nguyen in Bulletin des Amis du Vieux Huê, idem, 1915.

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Huê, a posé le principe sacré et fondateur du lieu145. Cet architecte royal considère dans ses plans architecturaux de Huê que l’organisation naturelle et l’organisation spatiale de la société doivent obéir à une configuration divine. La Citadelle doit « S’asseoir et regarder en direction du Sud-Est, s’appuyer sur la colonne vertébrale de la Terre, devant les monts qui s’alignent et s’agenouillent, un grand fleuve à l’avant, l’endroit est vaste comme la main, le centre est haut, le dragon se replie et le tigre s’assoit, une belle position voulue par le ciel, ce site mérite d’être la capitale des rois »146. Le site justifie sa vocation impériale en se basant sur l’espace physique lui-même métamorphosé pour jouer ce rôle. La cité impériale se retrouve : « Sur un axe d’équilibre entre les souffles Yin du tigre blanc et Yang du dragon d’azur…/… L’entrée principale de la Cité impériale, Ngo Mon, est protégée par un écran naturel, la colline Nui Ngu Binh… »147. De 1601 à 1786, la ville de Huê se construit sur la rive gauche de la Rivière des Parfums, combinant les propriétés mystiques du terrain et la réalité politique de l’édification de l’Empire viêt, autour de Huê et autour de la famille impériale des Nguyen. Les enjeux politiques, économiques aboutissent à une transformation progressive des espaces naturels. Si l’architectonique de la ville est essentiellement due à l’implantation de la famille royale des Nguyen (principaux fondateurs), la ville va connaître du dix-huitième au vingtième siècle de profondes transformations qui vont lui donner un nouveau visage. En effet, la présence coloniale française va profondément modifier la physionomie de la ville, non pas en réformant les principes organisationnels de l’espace physique et social existant mais en étendant au-delà des frontières traditionnelles (la Rivière des Parfums) le sud de la ville.

Ces espaces urbains se chargent de nouveaux symboles non familiers, occidentaux et modernes qui perdurent.

145 Cf. les schémas de l’organisation géomantique des lieux, annexe 4, p.371.

146 Huê, Thanh Pho Di San The Gioi, Ville de Huê, Lille Métropole et UNESCO, Thua Thien Hué, avril 2000, p.7.

147 Huê, Thanh Pho Di San The Gioi, idem, p.8.

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