• Aucun résultat trouvé

NOTICE

VI. RELATIONS A L’ESPACE VIETNAMIEN ET IMPLANTATION FRANCOPHONE

VI.2. LES ESPACES SOCIAUX ACTUELS A HUE

VI.2.1. Dichotomie urbaine

154

155

les nombreux cafés Internet148 qui sont apparus depuis l’ouverture économique du Vietnam, le tourisme et toutes les activités qui s’y rattachent comme l’hébergement, la restauration, l’organisation des parcours touristiques, la location de véhicules et une multitude de services comme le développement photographique, sans compter les universités et les organisations occidentales (pour la plupart), tous se situent de ce côté-ci de la ville. De fait, cette partie de Huê abrite l’essentiel des touristes qui y viennent et la population entre juin et septembre possède ainsi une forte proportion d’étrangers et d’expatriés.

VI.2.1.2. Rive gauche, artisanat et patrimoine

Il en va autrement de la partie ancienne de la ville, à quelques exceptions près. Hormis deux rues en enfilade à l’extérieur de la Citadelle, la rue Lê Duân et la rue Tran Hung Dao, et une rue commerçante dans la Citadelle, la rue Mai Thuc Loan, l’ensemble urbain de la rive gauche du fleuve regroupe les quartiers d’habitations vietnamiens, les marchés et les commerces vietnamiens ; vietnamiens au sens où ils sont très peu fréquentés par les touristes qui viennent à Huê, ou au moins ne le sont-ils que ponctuellement à titre d’excursion. Les bords de la rivière sont largement ornés de sampans qui abritent des familles entières de plusieurs générations et qui permettent le transport des marchandises alimentant ainsi les différents marchés dont le plus important : le marché Dong Ba. A l’exception des rues que nous avons citées et qui possèdent des restaurants et des commerces d’or, d’électronique, qui intéressent les touristes, cette partie de la ville ancienne n’est parcourue par les touristes et notamment les touristes francophones qu’en vue de visiter la Citadelle ou le Palais impérial en son centre. Cependant, la distinction géographique de la ville ne s’arrête pas au secteur privé de l’économie, les commerces et les restaurants, et à l’habitation puisqu’elle correspond également à la distribution spatiale de l’administration vietnamienne. Sur la rive gauche de la Rivière des Parfums, se situent les administrations qui se préoccupent essentiellement de la restauration, de la conservation ou de la promotion de l’aspect historique et confucéen de la ville de Huê.

C’est le cas de l’Ecole d’Architecture et d’Arts, du département de la construction ou de

148 « En juin [2002] le nombre d'abonnés au réseau mondial était de 175.000 au Vietnam. Mais près de 600.000 personnes y auraient accès, essentiellement par le biais des quelque 4.000 cybercafés du pays », AFP, Paris le 5 août 2002.

156

l’agriculture ou du musée impérial de Huê. Sur la rive droite sont implantées les administrations, les institutions qui ont en charge la gestion moderne de la ville ou plutôt la gestion de la modernité comme le Bureau des Affaires Etrangères, la Banque Nationale de Commerce, le siège administratif universitaire, le bureau des Relations Internationales, les Comités populaires de la province et de la ville, la gare, l’hôpital et l’essentiel des administrations, de télécommunications ou d’électricité. Cet état de fait se propage des structures urbaines à la population vietnamienne même. En effet, durant la journée, la population qui compose la partie occidentale de la ville est qualifiée de moderne, faisant référence à ses activités socioprofessionnelles tournées vers le tertiaire. C’est dans cette partie de la ville qu’exercent les cadres en entreprise, les employés de bureau, les universitaires (enseignants, personnels administratifs, étudiants et élèves), le personnel trilingue des restaurants touristiques et des agences de tourisme locales. En revanche, dans la partie de la ville qui se situe à la gauche du fleuve, nous rencontrons principalement les employés des commerces traditionnels tournés vers le public vietnamien, les artisans, les ouvriers, les sampaniers, les cyclo-pousse… Cette division de l’espace urbain a des résonances sociales physiques et politiques vivaces qui structurent l’espace mais aussi l’implantation physique des acteurs francophones.

157

Carte n° 03 : la ville de Huê :

Schéma n° 08 : dichotomie de l’espace physique de la ville de Huê :

Pont

- - - Dichotomie urbaine Quartier moderne Quartier traditionnel (x) Ville nouvelle

(y) Citadelle (z) Cité Impériale

Nord

(z)

Fleuve

(x) (y)

Nord

158 VI.2.2. Les espaces sociaux francophones

Cette distinction, cette dichotomie de l’espace urbain de Huê, n’épargne pas les activités francophones à Huê. La cartographie urbaine de ces organisations francophones montre que celles-ci, suivant leur nature, respectent pour leur lieu d’établissement, la dichotomisation de l’espace géographique et social de la ville de Huê. Chacune des aires géographiques a ses particularités, modernes ou traditionnelles. En outre, les organisations francophones qui s’inscrivent dans cet espace signifiant ont leurs particularités également, qu’elles s’occupent de conserver le patrimoine architectural ou qu’elles proposent des activités qui tendent vers la modernisation des structures (d’enseignement, de l’information, de la formation …). Il faut que la coïncidence entre les particularités se fasse car la disponibilité de locaux n’est pas aléatoire. Elle dépend de la manière dont est perçue l’action francophone par les autorités politiques qui doivent donner leur aval. Cet accord est en étroite relation avec la définition symbolique et historique des lieux. Ainsi, la disposition spatiale des lieux francophones à Huê fait partie d’un phénomène de structuration sociale et politique de l’espace de Huê.

VI.2.2.1. L’aire moderne francophone

L’espace triangulaire de la ville moderne accueille les organisations francophones qui participent à l’élaboration de la modernité vietnamienne à Huê. Cette aire est délimitée par trois pôles principaux formés par les groupements d’organisations francophones vietnamiennes et occidentales selon qu’elles partagent les mêmes missions. Un des trois pôles d’activités modernes est formé par le regroupement de l’antenne locale de l’Agence Universitaire Francophone, du centre Syfed-Refer et de l’université Générale (Daï Hoc Tong Hop) à l’extrémité est de la ville et du boulevard Nguyen Huê. Ce groupement d’associations francophones (p.165), formant le pôle francophone 2, ont en commun la formation scientifique moderne en français. Il représente une part de la modernité scientifique de la ville. L’agence francophone a en charge le recrutement et la formation des personnels et des enseignants vietnamiens francophones149 par le biais de ses

149 Contrat de prestation de main-d’œuvre entre l’Agence Universitaire Francophone et le Service de l’enseignement auprès du Corps diplomatique, Aupelf-Uref, Hanoi, octobre 1999.

159

conseillers pédagogiques et de l’organisation des examens. Ce système diplômant introduit dans l’espace scientifique de nouvelles références en matière de biologie, de chimie, de mathématiques et à terme, de nouvelles connaissances scientifiques. Comme corollaire documentaire à l’organisation de l’enseignement francophone, le Centre d’information et de documentation virtuelle francophone apporte un soutien en matériaux pédagogiques (accès aux bases de données francophones) et un support logistique (accès informatique) aux personnels et aux étudiants francophones. Finalement, l’université reçoit le soutien des deux précédentes organisations dans l’élaboration des filières francophones et apporte trois ressources indispensables pour leur fonctionnement : les enseignants, le public des étudiants et l’implantation physique. Si nous considérons les commerces qui profitent des demandes générées par la présence de l’Université et des étudiants en papeterie, services de reprographie, services divers et alimentation, ce pôle forme un système pratiquement autonome qui entretient peu de liens organiques avec les autres pôles francophones. Les financements, les critères de réussite, la production d’étudiants francophones et leur embauche ensuite comme enseignants ou personnel administratif francophone au sein de l’Agence définissent un système relativement150 clos et indépendant en termes financiers (l’Agence paye ses professeurs, subventionne les apprenants et rémunère son personnel ainsi que l’université pour la location des espaces) et en termes moraux (en instaurant son propre système, diplômant et rémunérateur, de définition de la compétence) dans l’espace urbain et social vietnamien de Huê. Un bémol cependant à cette autarcie; il existe un système d’enseignement en classes bilingues dans les établissements généraux d’enseignement vietnamiens, dirigé par l’antenne de l’agence universitaire, en partenariat avec l’Association belge pour l’Enseignement du Français à l’Etranger. Cette activité, dans le secteur de l’enseignement primaire et secondaire, ne fait pas encore l’objet d’un monopole à Huê comme celui que connaissent les Filières Universitaires. Plusieurs organisations et administrations (appartenant aux autres pôles francophones) partagent ce domaine de compétence. Des relations externes s’établissent pour négocier les prérogatives de chaque organisation francophone intervenant dans ces cycles primaires et secondaires (collèges et lycées) ou pour collaborer avec les administrations municipales et provinciales d’enseignement en charge de ce secteur (le cycle universitaire est dirigé au

150 Suivant les accords de coopération préalablement établis par la Convention entre l’Université de Huê et l’Agence Universitaire de la Francophonie, Aupelf-Uref, novembre 1999, Hanoi.

160

niveau national du système éducatif vietnamien151 et ne fait pas l’objet de négociations locales avec les autorités politiques provinciales ou municipales). Le premier pôle (pôle francophone 1 ou pôle francophone de coopération linguistique) est constitué par la réunion des organismes francophones chargés de la promotion linguistique (c’est-à-dire de l’organisation de manifestations liées à la langue française, qu’il s’agisse de philatélie francophone ou de séances de films…) et de la formation à la didactique francophone (les méthodes d’enseignement et d’apprentissage de la langue française). En étroite relation avec ses caractéristiques didactiques, l’implantation spatiale du premier pôle francophone s’effectue autour de l’Université Supérieure de Pédagogie (Daï Hoc Su Pham) de Huê, précisément sous la tutelle géographique et administrative de l’Ecole Normale Supérieure à l’est du boulevard Le Loi. Dans cet espace, trois partenaires cohabitent en partageant les domaines d’intervention. En partenariat direct avec l’Ecole Normale Supérieure de Huê, le Centre de français de Huê, c’est-à-dire l’antenne linguistique de l’Ambassade de France, se préoccupe de soutien pédagogique aux enseignants en entretenant un circuit de formation à distance entre l’Ecole Normale Supérieure et les universités françaises, en finançant des cours de français dits de spécialités pour les habitants de Huê dans deux centres de langue vietnamiens (NACENFOL et CENLET)152 et en encadrant logistiquement les classes bilingues francophones dans l’enseignement général vietnamien. Pourtant, en dépit de ses caractéristiques pédagogiques, diplômantes et rémunératrices, cette aire francophone ne connaît pas le phénomène d’autarcie décrit pour le premier ensemble. Au contraire, ce groupe-ci se distingue par la diversification de ses contacts dans l’espace géographique, francophone ou social vietnamien. Cette différence provient de ce que ce deuxième groupe francophone gère un ensemble hétérogène de missions. Celles-ci concernent plusieurs secteurs sociaux (un scolaire et universitaire, un diplomatique et administratif, dans le secteur médical et un dans l’animation culturelle) et plusieurs acteurs sociaux ou politiques nationaux ou occidentaux. Ainsi, sous l’impulsion d’une de ses composantes, ce premier pôle francophone possède une structure qui repose sur la mise en relation, l’organisation de la coopération entre la France et le Vietnam sous la vigilance politique de l’Ecole Normale Supérieure et du Service provincial de la Culture

151 La convention et le contrat référencés en notes de bas de pp.149 et 150, bien que concernant les partenariats francophones à Huê, sont discutés, édités et signés à Hanoi.

152 Cf. les modalités d’inscription, leur coût et la structuration des enseignements par niveau en annexe 5, p.375 et annexe 6, p.377.

161

et de l’Information. Il obéit à un schéma ouvert et dynamique combinant la recherche de partenariat, le rôle d’intermédiaire ponctuel à celui d’organisateur de programmes à long terme dans des environnements variés (scolaire, universitaire, médical, architectural, artistique, politique local et régional). Finalement, le troisième groupement à la fois moderne et francophone (3) se situe en opposition spatiale (extrémité ouest du boulevard Le Loi) aux deux premiers. Il forme avec eux un triangle francophone à travers la ville nouvelle. Il s’agit d’un espace d’expression de la modernité vietnamienne : l’Université Centrale de Huê (Daï Hoc Huê) et le Département des Relations Internationales qu’elle abrite. Cet espace n’est pas à proprement parler un lieu d’enseignement. C’est une aire administrative qui sert d’interface entre les partenaires occidentaux et les partenaires vietnamiens dans le domaine de la coopération universitaire, scientifique et technique. Le personnel qui travaille dans les locaux de l’Université Centrale est polyglotte. L’anglais, l’allemand, le français y sont représentés. Les employés, (dont la plupart sont allés en stage à l’étranger) ont en charge l’accueil, l’orientation et l’organisation de l’aide aux coopérants qui viennent travailler à Huê dans le milieu scientifique et universitaire. La partie ouest du boulevard Le Loi se caractérise également par une présence forte d’entités francophones vietnamiennes, avec notamment les classes bilingues du lycée Quôc Hoc (ancien lycée colonial français), le fonds francophone de la bibliothèque provinciale de Thua Thien Hué, le Cercle francophone et le service francophone du Bureau municipal des relations internationales. Les principaux partenaires occidentaux francophones, dans le développement de leurs activités, sont donc d’une façon ou d’une autre en relation avec ce dernier groupement. Celui-ci n’entretient pas de processus de formation et de rémunération comme les acteurs précédents, son rôle est politique et logistique.

VI.2.2.2. L’aire traditionnelle

Cette aire est située dans la partie ancienne de la ville de Huê (B) et regroupe les organisations vietnamiennes et francophones en charge du patrimoine. Trois groupements d’acteurs intervenant dans le patrimoine ou l’urbanisme composent cet espace social (patrimonial) et physique traditionnel francophone de Huê. La présence, au centre de cette aire, de la citadelle impériale crée sa définition historique et symbolique d’appartenance à la tradition vietnamienne confucéenne et chinoise. Ainsi, les organisations ou les

162

institutions présentes dans cet espace partagent ses caractéristiques en s’activant pour la préservation des espaces traditionnels et la définition patrimoniale de la ville. Les services de la ville détachés à l’administration de la Cité impériale, le Musée Impérial et l’école d’architecture forment un premier système local de conservation du patrimoine de la ville de Huê. Ce pôle francophone (pôle 4) institutionnel est responsable devant les autorités municipales et provinciales de la définition du modèle urbanistique officiel de la ville. Il veille à son application dans les différentes composantes francophones153 qui œuvrent pour la sauvegarde du patrimoine ou le développement urbain. Pour cela, il possède deux moyens : il contrôle en partie le pouvoir de mobilisation des moyens techniques d’aménagement du territoire grâce à ses composantes administratives154 vietnamiennes municipales et provinciales et il participe au Comité de pilotage du second pôle de conservation du patrimoine en charge de l’intervention francophone en matière d’architecture pour la ville de Huê. Ce pôle francophone, non plus politique mais technique et francophone, a été créé grâce à la coopération décentralisée entre la ville de Huê, l’école d’architecture de la communauté urbaine de Lille et la région Nord-Pas-de-Calais, sous l’impulsion de l’UNESCO. Traduisant ces volontés, la Maison du Patrimoine (5) a été bâtie entre 1998 et 1999. L’organisation francophone qu’elle abrite a pour mission de proposer, par l’intermédiaire de ses architectes occidentaux en poste à Huê, un état des lieux du bâti traditionnel vietnamien et d’accompagner les autorités provinciales et municipales dans leur volonté de restauration et de conservation du patrimoine urbain de la ville. Dans la réalisation de cette mission, son action est complétée par la délégation permanente du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais établie à Huê également en vue de la restauration du patrimoine (jardins traditionnels). Ce groupement francophone est autonome dans les limites scientifiques convenables fixées par les autorités vietnamiennes de tutelle. La rémunération des architectes francophones et du personnel ainsi que la logistique sont assurées par la Communauté urbaine de Lille via l’Ecole d’architecture alors que les problématiques de travail sont décidées collégialement par le Comité de pilotage vietnamien. Les résultats scientifiques de cette mission représentent des éléments dynamiques (p.305), porteurs de méthodes et d’informations technologiques innovantes,

153 A propos de l’orthodoxie du modèle urbain : Cf. Partie IX.1.1.1 : Le cadre autorisé, p.306.

154 Délégation de la Mairie, Direction de la conservation des monuments historiques, Bureau de la construction, Département d’architecture.

163

dans le système politique et technique de reproduction et de conservation du patrimoine de Huê. Une troisième entité francophone est en cours d’émergence dans cet ensemble spatial traditionnel : la « Boulangerie de Chi Lang ». Cette organisation francophone (pôle numéro 6) a pour fondement organisationnel le bénévolat et les relations interpersonnelles qui le génèrent. Elle participe à l’élaboration de l’aire (francophone) traditionnelle à Huê, la ville aux mille plats, en enrichissant son patrimoine culinaire. Cependant, sa situation est ambiguë. Cette association se situe dans l’aire traditionnelle que nous avons définie, pourtant elle combine des caractéristiques traditionnelles et d’autres plus modernes. D’une part, cette activité francophone participe à l’élaboration de l’art culinaire de Huê, art qui lui-même intervient dans la définition traditionnelle de la ville et d’autre part, ce service de formation aux métiers de la boulangerie et de la pâtisserie pour les orphelins de la ville renvoie à des propositions économiques libérales dans cet ensemble patrimonial. Ce centre de formation prépare à la vente et au commerce indépendant par le biais de ses relations de partenariat avec la Chambre de Commerce de Paris (pour l’organisation de stages et de la diplômation) et par l’établissement, à Huê, d’un magasin, succursale de la boulangerie dans la partie moderne de la ville, qui vend le produit de la formation des apprenants. « La Boulangerie de Chi Lang » s’inscrit ainsi dans un cadre spatial dual car son activité est de deux ordres. La boulangerie de « Chi Lang » bien que se situant dans le triangle B, appartient au sein de cette aire à un espace récent relativement à son environnement traditionnel vietnamien puisque c’est la partie de la ville dite « française », caractérisée par l’habitat de style français (villas à balustrades) et en partie profondément traditionnel car elle abrite une partie de l’artisanat local typiquement populaire vietnamien. La situation géographique des organisations francophones considérées à Huê dans le cadre de la définition de l’identité urbaine respecte les principes territoriaux et sociaux de dichotomisation de l’espace. De part et d’autre de la Rivière des Parfums, la distribution des organisations francophones se produit suivant la nature de leurs activités. Il s’agit d’une variable binaire qui oppose modernité exogène et tradition patrimoniale, dans la définition de l’identité urbaine comme sur le terrain. Ce système historique espace/identité induit autant qu’il est induit. En fixant l’implantation des organisations francophones dans l’espace géographique en fonction de la nature de leur activité, il la corrèle à l’espace symbolique historique. Une fois cette relation établie, elle justifie le mécanisme identitaire urbain de dichotomie de l’espace géographique et social de la ville de Huê. Ce mécanisme

164

produit alors sa propre justification, il s’autoproduit. Entre ces deux espaces apparaît un troisième espace urbain et symbolique, un espace intermédiaire formé par deux axes routiers est/ouest : un, au nord de la Rivière des Parfums (e)155, et un autre au sud (b)156. Cet axe est le support, au sud, des institutions et des organisations vietnamiennes (administrations territoriales vietnamiennes, hôpital central, bibliothèque provinciale francophone, départements universitaires, municipaux et provinciaux des relations internationales) et francophones (bibliothèque francophone, cercle francophone, bar francophone) qui ont, comme mission principale ou annexe, la charge d’établir une médiation entre les acteurs sociaux locaux. Cet espace (grisé sur le schéma page 165) est aussi le support, au nord, des commerces « interfaces » (magasins d’électronique, outillage, alimentation occidentale, marché), c’est-à-dire des activités commerciales qui touchent l’ensemble des habitants de Huê (notamment les Occidentaux) favorisant l’homogénéité sociale du lieu. Pour les organisations francophones, c’est un lieu d’information car les espaces institutionnels et administratifs qui s’y trouvent sont en relation avec l’ensemble des acteurs sociaux et véhiculent les nouvelles francophones.

Pour l’ensemble de la population, les espaces commerçants sont une interface avec l’ensemble de la communauté étrangère et inversement.

155 Cf. schéma p.165.

156 Idem.

165

Schéma n° 09 : distribution des espaces francophones à Huê :

(c) Fleuve

(B)

(A) Nord

2 1 4

5 6

7

(a) (b)

(d) (e)

3

Pôle francophone coopératif Pôle francophone autonome Pôle francophone semi coopératif

Interface urbaine

Nationale 1 vers Hô Chi Minh-Ville Nationale 1 vers Hanoi

Dichotomie urbaine (A) Espace social moderne (B) Espace social traditionnel

(a) Axe routier périphérique nord/sud (axe Hung Vuong) (b) Axe routier périphérique est/ouest (axe Le Loi) (c)

Axe routier interne nord/sud (axe Ly Tuong Kiet) (d)

Axe routier périphérique nord/sud (axe Nguyen Huê) Caractère moderne ou exogène

Caractère traditionnel et patrimonial

Pont

(e) Axe routier interne nord/sud (Huy Thu Quang-Kim Long)

166 VI.2.2.3. Le système de relations espace/identité

La place d’une organisation francophone dans ce système espace/identité urbaine peut nous renseigner sur la nature de ses activités. Cette relation espace/identité devient alors proprement heuristique. A ce propos, un dernier exemple concerne la mission de HUÊ 2000 (pôle francophone 7). La mission de HUÊ 2000, conduite conjointement par l’Ambassade de France au Vietnam et par la ville de Nantes, sous l’impulsion du Ministère français de la Culture, est une initiative qui a cherché dès 1999 à organiser un festival interculturel franco-vietnamien d’art à Huê en regroupant le fleuron de l’art huéen et celui de l’art français, essentiellement en matière de danse, de théâtre et de chant (p.320). La définition idéologique ou identitaire d’un tel festival est malaisée pour l’environnement politique local vietnamien. S’agit-il d’un festival chargé de présenter la modernité artistique francophone aux publics vietnamiens ou bien s’agit-il de valoriser auprès des publics occidentaux l’héritage impérial de la ville ? Se peut-il aussi qu’il s’agisse de provoquer le syncrétisme entre la modernité artistique francophone et le patrimoine artistique de la ville de Huê pour produire des formes artistiques inédites ? Dans ce cas, l’historique de l’implantation géographique peut servir d’indicateur de la construction identitaire de l’organisation. Pour son implantation à Huê, l’antenne de l’Ambassade HUÊ 2000 a eu recours dans un premier temps aux locaux du Centre français de Huê. A priori, cela n’a rien en soi de bien surprenant car celui-ci a en partie pour fonction d’assurer la représentation diplomatique de la France au centre du Vietnam et parce que les deux organisations, HUÊ 2000 et le Centre de français sont tous les deux sous l’égide de l’Ambassade. Cependant, cette réalité peut être envisagée également sous un autre éclairage, celui qui prendrait en compte les propriétés symboliques de l’espace physique de Huê. En effet, la période de gestation de HUÊ 2000 au sein de l’antenne de l’Ambassade de France peut être considérée comme une période d’observation de la part des partenaires aussi bien vietnamiens que francophones avant de décider d’un espace propice à l’activité pour l’implantation de cette organisation. Les intentions des deux groupes de partenaires ne sont pas établies lors de la constitution de projet de festival157. Il s’agit avant tout d’un projet émanant de l’Ambassade de France et plus particulièrement

157 « J’ai [responsable du projet] pris des contacts avec les partenaires locaux éventuels. En fait, il n’y avait aucune structure, la province n’était pas encore en phase et n’avait rien fait pour le Festival donc j’ai défriché le terrain, j’ai fait connaître les gens » (Antenne HUÊ 2000, Huê, 1999).

167

de l’Ambassadeur lui-même. Ce n’est pas une action de coopération multilatérale concertée (et il n’est pas évident que cela le devienne) mais plutôt, dans un premier temps, d’une mission exploratoire française qui va chercher à acquérir des soutiens locaux de la part de possibles partenaires vietnamiens pour se constituer définitivement. Rien n’est préétabli à l’implantation, ni les statuts, ni les objectifs, ni les contenus artistiques. Lorsque l’antenne de HUÊ 2000 se présente à Huê, il est impossible pour les autorités vietnamiennes de déterminer à quelle partie symbolique et physique de la ville l’action francophone qui leur est présentée appartient. Les acteurs occidentaux de cette mission ne décident pas définitivement et premièrement de leur implantation car ils ne perçoivent d’emblée que confusément la dichotomie urbaine, du moins sa force, sa vivacité. Quand les objectifs se précisent, une fois que les partenaires sont identifiés, le cadre spatial peut à son tour se préciser. Finalement, l’antenne de HUÊ 2000 va être installée au centre du triangle de modernité que nous avons défini. Si son implantation respecte le système de correspondance à Huê entre la nature des activités francophones et les propriétés sociales de l’espace physique, l’antenne de HUÊ 2000 aurait dû se situer dans la zone intermédiaire. Ce n’est pas le cas. Pourtant, ce facteur ne remet pas en cause les propriétés sociales de l’espace et ce sont les réalités du développement de la mission du festival que nous devons mettre sur la sellette face au questionnement sociologique. Pour ce festival international, qu’en est-il exactement de la volonté d’interculturalité et de mise en valeur du patrimoine de la ville ? En respectant, les propositions sur les propriétés sociales de l’espace, nous pouvons dire, à titre d’hypothèse, que la mise en valeur du patrimoine traditionnel urbain de Huê semble passer, aux yeux des autorités vietnamiennes, au second plan derrière la volonté francophone d’exposer son art en exportant un festival de danse moderne (celui de Nantes). Or, habiter dans la patrie traditionnelle, c’est prendre fait et cause pour la restauration du patrimoine de Huê et de sa mise en valeur directe (sous une forme sonnante et trébuchante). Alors que demeurer dans la partie moderne c’est conserver une distance culturelle et économique (c’est l’aire du libéralisme et du profit personnel) avec le mécanisme d’élaboration patrimoniale de Huê. Le système espace/identité urbaine conduit donc à la remise en cause des propriétés prétendues des organisations francophones. Sociologiquement cette dichotomisation de l’espace physique et social permet ainsi le dévoilement des stratégies des acteurs dans le milieu urbain de Huê.

Certains groupements francophones restent isolés au sommet du triangle francophone et

168

développent un fonctionnement autonome (1 et 7). D’autres aires francophones (2 et 3) s’établissent le long de l’interface choisissant un statut et un rôle plus coopératif. Enfin un dernier groupe (4, 5 et 6) se retranche dans l’aire nord de la ville produisant ce qui le constitue en restaurant le patrimoine architectural et impérial (au sens culturel) de la ville.

VI.2.2.4. Relations à l’espace national

Créée à l’initiative des souverains de l’Empire du sud pour se protéger de la volonté expansionniste du nord, c’est maintenant la partie nord de la ville qui assure à Huê la continuité de son caractère impérial. La ville de Huê n’est pas sans rappeler la notion de

« porte », particulière à l’histoire du Vietnam. La dichotomisation nord/sud de la ville, la ligne de partage physique qu’imprime la Rivière des Parfums entre ces deux espaces font de cet espace urbain une porte virtuelle entre les influences contradictoires nord/sud qui parcourent le Vietnam. La partie moderne de la ville est en relation avec le sud du pays et avec Saigon, alors que la partie nord via la route nationale une est en relation avec le nord du Vietnam. Au sud de la province de Thua Thien Huê, la région de Da-Nang (h)158 inaugure une bande côtière touristique et industrielle prospère, tandis qu’au nord le Quang Tri (i)159 est la région la plus pauvre et une des plus rurales du Vietnam. La ville de Huê se situe ainsi au niveau d’une double pliure du pays. Géographique, l’avancée jusqu’à la mer de la chaîne Bach Ma, rendue célèbre par le col des Nuages, coupe le pays transversalement. Ce cloisonnement intérieur a servi l’hétérogénéité culturelle du Vietnam, mais les réalités géologiques perdent de leur force au fur et à mesure du développement technologique. Le rôle sociologique de la ville s’est alors accru. L’espace urbain est un mécanisme d’intégration nationale des caractéristiques culturelles nord et sud du pays qui viennent s’y rencontrer pour s’y négocier.

158 Cf. schéma page suivante.

159 Idem.

169

Schéma n° 10 : dichotomie générale de l’espace national vietnamien :

La ville de Huê est baptisée par le sens commun et dans les guides touristiques : « capitale culturelle du pays » en opposition aux capitales politique du nord et économique de sud.

Cette appellation est abusive. D’une part, l’école confucéenne et l’école coloniale160 ou moderne n’a pas fourni à Huê plus d’intelligence qu’ailleurs dans le Vietnam. D’autre part, en dépit de la présence de la Citadelle et des tombeaux des rois, la région n’est pas plus marquée par les traces historiques que d’autres. Les sites touristiques d’influence impériale chinoise bordant les lacs de Hanoi161, ceux Cham de Da-Nang162 et ceux qui, subissant,

Nord

(g) (f)

(h) (i)

Flux culturel chinois et marxiste : Flux culturel occidental/asiatique et libéral : Reliefs montagneux :

Provenance du peuplement urbain :

170

l’influence khmère du sud, sont aussi réputés que le patrimoine urbain et impérial de Huê.

Cette caractéristique culturelle pourtant ne paraît pas excessive si on sait la préciser. Huê est le centre syncrétique culturel produit d’une part à cause de l’évolution bipolaire du Vietnam163 et d’autre part à cause de sa particularité urbaine locale socialement et spatialement dichotomique et syncrétique. Huê est la seule ville au centre du pays conçue comme une frontière adossée à la colline entre l’orthodoxie politique venue du nord et le libéralisme économique en provenance du sud. La ville est un lieu de franchissement dans le paysage social national et l’espace urbain accompagne progressivement le changement des influences culturelles.

160 Qu’il s’agisse des lettrés vietnamiens de la génération de 1907 ou de celle de 1925, la ville de Huê n’a pas fourni plus de quatre pour cent des lauréats aux examens mandarinaux (sous tutelle coloniale). « Huê, l’ancienne (et la toujours actuelle) capitale impériale des Nguyen, semble avoir perdu son rayonnement d’antan sur le plan politique et intellectuel », TRINH VAN THAO, Vietnam, du confucianisme au communisme, p.91.

161 « Il serait erroné de croire que les lacs sont seulement les gardiens d’une illusoire immuabilité traditionnelle…/…Ainsi, par exemple…/…le réseau des grands hôtels qui s’implante sur le pourtour… », Hanoï. Le cycle des métamorphoses. Formes architecturales et urbaines, ss dir. CLEMENT, Pierre, LANCRET, Nathalie, pp.91et 92.

162 Da-nang et ses environs ont été, jusqu’en 1471, le Centre politique du Campa, la région possède de nombreux monuments élevés par le peuple Cham dont l’inventaire et l’historique (catalogue) ont été réalisés pour le Musée Cham de Da-nang sous la direction du professeur Ducrest et du professeur Vandermeersch. Le Musée de Sculpture Cam de Da Nang, ss. dir. DUCREST, Jean-Pierre, VANDERMEERSCH, Léon, Editions de l’Association Française des Amis de l’Orient, Paris, 1997.

163 « [Les] programmes d’aménagement du territoire soulignent bien le facteur dominant de l’organisation de l’espace vietnamien : la double métropolisation puisque les deux premiers achevés ou sur le point de l’être, concernent les espaces fortement polarisés autour des deux capitales [politique et économique]. Le troisième, traitant du Centre a été démarré bien plus tard, au début des années 1994 », TAILLARD Christian, Réformes économiques et aménagement du territoire du Vietnam in Vietnam : Sources et approches, ss dir. LE FAILLER Philippe, MANCINI, Jean-Marie, p.308.

171

VII. RELATIONS CULTURELLES ET POLITIQUES FRANCOPHONES DANS