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II. EXORDE INTERNATIONAL DE LA FRANCOPHONIE

II.1. L’AFRIQUE FRANCOPHONE MODERNE

II.1.2. Le français relatif

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radicalement différente au Vietnam où le quôc-ngu permet l’unité linguistique non problématique (sauf pour les ethnies montagnardes) de l’ensemble du pays.

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pas et le système d’intercommunication se fait essentiellement en langues indigènes35. Au dix-neuvième siècle, l’intercompréhension existante, en Afrique, ne convient pas à la France36. L’imposition du français se fait alors par la domination politique et militaire et pour répondre aux besoins administratifs et militaires. Bien qu'il s’agisse d’un enseignement très pauvre, il va se révéler important dans la divulgation du français. Les troupes coloniales, quand elles sont démobilisées, favorisent sa dissémination et c’est parmi les officiers indigènes que vont être recrutés les premiers enseignants pour les écoles coloniales. Cependant, l’objectif des Directions Générales de l’Union française est de procurer des débouchés économiques et politiques à la France et non de susciter en Afrique une réelle pénétration du français scolaire : « Quand nous nous sommes lancés [dans la politique coloniale] nous attendions trois choses : un débouché pour nos industries, un certain nombre de places pour nos jeunes et enfin du prestige pour notre nation »37. La création d’écoles publiques n’apparaît pas comme un corollaire logique de la colonisation qui agit selon les trois objectifs proposés par le directeur général Chaillet.

L’enseignement aux indigènes relève plutôt de pratiques privées et l’intervention de l’Etat va se limiter à former des agents subalternes pour les besoins de l’administration. Le gouverneur de l’Afrique Equatoriale Française dira en 1928 que « les buts de l’enseignement en Afrique Equatoriale Française [sont de] former des collaborateurs indigènes …/…dans l’œuvre de colonisation, dont la direction seule incombe aux Européens ». Logiquement, ce sont les écoles professionnelles qui se développent en premier. A Libreville dès 1902, à Dakar en 1903 puis à Stanleyville en 1907, on apprend le travail du bois, du fer, de la pierre et les rudiments de l’agriculture occidentale. Quand l’enseignement organisé et supérieur apparaît dans le paysage scolaire, pauvre, de l’Afrique coloniale entre 1912 et 1925, il s’agit d’un système sélectif à deux vitesses. Le système d’enseignement primaire se divise en deux structures38 : d'une part, le système d'enseignement franco-français, qui est le même que l'enseignement de métropole et n'est accessible qu'aux colons, aux enfants du personnel de l'administration coloniale par exemple. D'autre part, il existe l'école franco indigène. Elle-même se divise en niveaux sur l'exemple de l'école française. Le premier niveau, le primaire de premier degré se compose

35 MANESSY, op.cit., pp.51 à 62.

36 La Belgique s’est accommodée des langues indigènes au point d’en faire le vecteur de l’école indigène.

37 CHAILLET, directeur général de l’Union Française, 1906.

38 C’est le cas également pour le système d’enseignement colonial au Vietnam (cf. p 52.)

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des écoles villageoises qui procèdent à un dégrossissement. Ce sont des écoles de masse où l’enseignement du français se fait avec une langue pauvre qui n’hésite pas à emprunter des formes grammaticales et des registres de vocabulaire aux langues indigènes. Elles sont sous la responsabilité de maîtres indigènes. Il existe également les écoles régionales, où vont les meilleurs élèves. Le second niveau, le système primaire supérieur et professionnel accueille les meilleurs élèves du primaire inférieur pour être formés aux métiers d’interprètes, d’instituteurs ou vers des orientations professionnelles. Peu d’enfants indigènes ont accès à l’enseignement. Bien moins encore atteignent le primaire supérieur.

Pourtant lui seul dispense un français normalisé qui permet d’accéder à l'enseignement supérieur ou plus simplement de prétendre participer réellement à un système administratif importé de France. Près de dix ans après la réforme française de l’instruction publique coloniale (1918-1919) l’impact et la sélection de l’école coloniale en Afrique Occidentale Française font que moins d’un demi pour cent de la population africaine en âge d’être scolarisée le sera, comme pour l’année 1926-1927 par exemple39. Ce faible impact traduit à la fois la précarité du système d’enseignement colonial et son extrême sélectivité. La langue française, quand elle est imposée à la population comme langue officielle, comme langue de l’enseignement, s’impose également comme un instrument d’accès à l’administration et à la modernité. Dans le même temps, elle exclut de ces bouleversements plus de quatre-vingt dix-neuf pour cent de la population scolaire indigène et la grande majorité des élèves ne dépasse pas le primaire inférieur. Ils retournent d’où ils viennent pour reprendre leurs activités et leur place traditionnelle au sein des sociétés rurales africaines. Leur possession de la langue française et son impact intellectuel sont discutables. Les élèves qui atteignent l’enseignement supérieur seront au service de l’administration coloniale. Les objectifs qu’elle assigne à l’école sont clairs. Quatre-vingts

39Tableau n° 1 : résumé pour l’Afrique Occidentale Française de l’impact et de la sélection de l’école coloniale :

Sélection Impact Ecoles

1926 -1927 Initialement 30 000 indigènes scolarisés sur 13 000 000

Soit 0,23% de la population indigène

Ecole villageoise (Prim. Inf. 1er niveau) Pour 78 écoles

régionales 4700 indigènes scolarisés Soit 15,6% de la

population scolaire initiale Ecole régionale (Prim.

Inf. 2e niveau) Pour 8 écoles

primaires supérieures 570 indigènes scolarisés Soit 1,9% de la population

scolaire initiale Ecoles primaires sup.

et professionnelles sortants 100 indigènes Soit 0,33% de la

population scolaire initiale Source : MANESSY, op. cit.

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pour cent des élèves sont gardés dans un état d’ignorance pour être maintenus dans leurs travaux traditionnels. Dix pour cent deviennent des collaborateurs inférieurs des colonies.

Six à sept pour cent travaillent directement dans l’administration coloniale et trois à quatre pour cent dans les métiers scientifiques. Ils formeront à l’indépendance le corps administratif des nouvelles élites politiques qui réclament et élaborent la francophonie institutionnelle depuis les années soixante. L’implantation du français se révèle alors variable dans les colonies. À l’exception des élites régionales rurales et plus généralement urbaines, l’ensemble de la population demeure analphabète en langue française. Quand le français est parlé, il subit de nombreuses transformations. Aujourd’hui encore, il est possible de dénombrer deux catégories de français parlé, l’un caractérisé par la confusion des codes linguistiques entre la langue maternelle, la langue véhiculaire et le français, l’autre se distinguant par l’emploi indistinct de registres sociolinguistiques différents. Dans ce dernier cas, le français parlé porte l’empreinte des substrats linguistiques auxquels il se superpose. Il s’accompagne d’un mélange des registres lexicaux, grammaticaux et d’une interpénétration entre la syntaxe des langues indigènes et celle de la langue française40. II.1.2.2. Le français comme moteur d’exclusion

Le français dans les colonies est devenu la langue de l’administration, de la politique et du droit. C’est la langue qui donne accès pour tout homme à la pleine possession de ses droits civiques. Or, cette capacité linguistique échappe complètement à plus de quatre-vingts pour cent de la population indigène. Depuis les Indépendances, ce phénomène d’exclusion politique, par le biais linguistique, demeure pour la majeure partie des populations41. Dans ces conditions, la notion de révolution culturelle et scolaire francophone coloniale et moderne peut paraître discutable, pas tant par son existence que par son ampleur. S’il y a eu, par l’introduction du français et de l’école dans les colonies, une véritable rupture avec les modes de transmission du savoir, de la compétence et par-delà des rôles et des statuts sociaux, il n’en demeure pas moins que cette rupture prive l’ensemble de la population de ses capacités sociales d’agir politiquement. Cette capacité civique devient le privilège d’un

40 MANESSY, op.cit., p.31.

41 Au Sénégal, leader de la francophonie africaine, cette sélectivité de l’école en langue française semble perdurer. En 1995, un tiers de la population est alphabétisé ; ainsi, soixante-dix pour cent de la population est toujours victime de l'exclusion, cf. Statistical Yearbook, Lanham, éd. Unesco et Berman Press, 1995.

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ensemble restreint d’individus formés par l’administration coloniale qui seront à la tête des nations nouvellement constituées après 1960. Ce que le discours42 des institutions francophones ne présente pas, c'est la langue envisagée comme un outil de domination plus que comme un outil rationalisant soutenu par des principes démocratiques et égalitaires. L’enseignement du français en Afrique noire et en Indochine est révélateur des dimensions coercitives et excluantes qui ont caractérisé la présence francophone durant le vingtième siècle et l’exemple indochinois que nous proposons maintenant approfondit ces propriétés historiques de la francophonie en les différenciant du cas africain.

42 « Dans le discours classique de la francophonie, développé par les pères fondateurs, Senghor, Bourguiba, la langue française, langue de la clarté et de la raison, mais aussi des droits universels de l’homme, est le ciment qui unifie dans des rapports d’homogénéité tous les peuples francophones » MAJUMDAR, Margaret A., Francophonie : hégémonie, culture et discours, in Regards sur la francophonie, ss dir. GONTARD, Marc, BRAY, Maryse, p.59.

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