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NOTICE

V. HANOI 1997 : LE SOMMET FRANCOPHONE

V.1. LA CONSTRUCTION POLITIQUE PAR LES SOMMETS

V.1.2. Une adhésion ambiguë

La réponse à cette question se trouve essentiellement dans l’histoire moderne du Vietnam et dans l’ambiguïté de son adhésion à l’ensemble francophone en 1970. Quand le Vietnam adhère à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique en 1970, le pays se trouve dans une situation particulière. Après les accords de Genève du 21 juillet 1954 qui concluent la guerre d’indépendance contre la France, le pays est divisé en deux parties. Au nord, la victoire du parti communiste sous la conduite d’Hô Chi Minh s’établit au-delà du dix-septième parallèle dans la province du Quang Tri, à quelques kilomètres au nord de Huê.

Au sud avec le soutien des Etats-Unis, le gouvernement de Ngo Dinh Diem est en place.

Cette division du pays durera jusqu’à la réunification officielle du 2 juillet 1976. Ainsi en 1970, lors de l’adhésion du Vietnam à l’ensemble francophone ce n’est pas un Vietnam unifié et souverain qui décide de son engagement avec l’Agence de Coopération Culturelle et Technique. Au contraire, c’est un Vietnam divisé dans lequel seul le Vietnam du Sud fait ce choix. Choix ambigu d’ailleurs car, nous l’avons montré à propos des résultats de l’école coloniale et en exposant la faible pénétration du français en Indochine à la fin de la guerre d’indépendance, le nombre de francophones au Vietnam n’est pas en mesure de susciter une telle adhésion. D’autant que la langue anglaise a été introduite avec la présence américaine sur le sol vietnamien. Dans ces conditions, il faut réfléchir sur des raisons plus politiques que linguistiques pour expliquer la présence du Vietnam du Sud parmi les pays fondateurs de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique en 1970. A l’image de l’Afrique indépendante, le rôle de la francophonie apparaît plus comme un

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outil de légitimation politique que comme un recours au développement linguistique du français. En effet, le Vietnam de 1970 se trouve dans une position politique doublement problématique. D’une part, le Président Nguyen Van Thieu, au pouvoir lors de la signature de l’adhésion à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique, est arrivé à la tête du pays en 1965 à la suite d’un coup d’Etat conduit avec Nguyen Cao Ky. Il manque de légitimité sur la scène internationale d’autant plus que depuis l’éviction de Diem par un putsch militaire le premier novembre 1963, le pays a connu un autre coup d’Etat avec celui de Nguyen Khanh. Il faut pour Thieu trouver rapidement une assise internationale.

L’appartenance à l’ensemble francophone peut être interprétée en ce sens. D’autre part, les Etats-Unis semblent être en voie de repli sur le territoire vietnamien. En juin 1969, le début du retrait des forces terrestres américaines a commencé et un transfert réel de souveraineté militaire et politique est en cours. Dans ce contexte précaire, face à la menace d’isolement politique sur la scène internationale, en dépit d’une francophonie faible supplantée par le quôc-ngu et l’anglais, la volonté francophone du Vietnam peut être perçue comme relativement conjoncturelle et opportuniste. Cet aspect quelque peu factice de la francophonie vietnamienne ne paraît pas échapper aux dirigeants des pays francophones. La place du Vietnam dans l’ensemble francophone n’est pas une place de choix et le Vietnam est renvoyé au rang peu enviable constitué par le groupe des pays francophones qui ont des liens lâches avec la France119. Avec la victoire du VietMinh sur l’armée du Sud, le Vietnam va être réunifié en 1976. Le gagnant du nord impose son régime sur l’ensemble du pays. Dès lors, les accords signés par le Vietnam du Sud sont caducs. La francophonie au Vietnam va alors connaître un repli intense. Le quôc-ngu et l’apprentissage du russe vont devenir des priorités pour cette nation nouvellement constituée. Le quôc-ngu avait auparavant connu un essor considérable dans la partie nord du Vietnam occupée par les communistes. La campagne d’alphabétisation lancée par Hô Chi Minh a connu un grand succès120 en combinant réforme de l’enseignement et alphabétisation massive. « La réforme généralisait l’emploi du quôc-ngu à tous les stades de l’éducation et associait l’école à l’idée de travail productif »121. Lorsque le pays est réunifié, l’enseignement du quôc-ngu se trouve mêlé de près à la rééducation

119 TETU, Michel, La francophonie, p.47.

120 Entre 1946 et 1956, quatre-vingt-dix pour cent de la population sera alphabétisé en quôc-ngu.

121 DANIEL, Valérie, La francophonie au Vietnam, p.6.

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idéologique lancée par le gouvernement vietnamien en direction du sud dissident122. Dès lors, l’apprentissage du français et de l’anglais est interdit dans les établissements scolaires comme dans la société civile. En revanche, le russe va connaître une propagation importante qui est la conséquence de la coopération économique, technique et culturelle qui s’établit entre le Vietnam et l’URSS. Dans ces circonstances politiques, la francophonie au Vietnam va connaître une traversée du désert qui durera plus de vingt ans123.

122 LE THANH KHOI, L’enseignement au Vietnam depuis 1975, p.72.

123 « L'apprentissage du russe offrait aux jeunes Vietnamiens la clé des études en Union soviétique et le français n'a retrouvé une certaine faveur qu'après l'effondrement de l'URSS en 1991 », Second souffle modeste pour l'usage du français au Vietnam (Dossier éclairage), AFP, Paris, le 15 novembre 2002.

122 V.2. LE TOURNANT DE HANOI 97

A partir de la réunification du Vietnam, même si la France conserve avec le pays des relations diplomatiques, elles ont trait à des problèmes politiques internationaux. La France a eu une place importante dans les négociations tenues à Paris en 1973, pourparlers qui ont débouché sur la signature des accords de paix entre le Vietnam et les Etats-Unis.

Cependant ces relations minimales entre l’ex-colonie et l’ex-colonisateur n’ont rien de véritablement francophones. Plusieurs tentatives vont être effectuées de part et d’autre pour rétablir le dialogue de la collaboration culturelle et linguistique. Pourtant, les événements militaires qui secouent le Vietnam jusqu’à la fin des années quatre-vingt vont rendre précaire le dialogue à propos de l’apprentissage du français et de la collaboration culturelle entre les deux pays. A titre d’exemple, nous pouvons citer la tentative infructueuse qui a lieu en 1975 pour l’élaboration de manuels pédagogiques.

V.2.1. Le retour d’un fils prodigue : un renouement tout d’abord