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LA FRANCOPHONIE EN ASIE Monographie de l espace social francophone de Huê ( )

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Texte intégral

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Université de LILLE III Faculté des Lettres

Thèse de Doctorat en Sociologie

LA FRANCOPHONIE EN ASIE

Monographie de l’espace social francophone de Huê (1999-2001)

Par François TORREL

Présentée et soutenue publiquement 27 octobre 2004

Directeur de Recherche

Monsieur le Professeur Huu Khoa LE Université de LILLE III

Membres du Jury :

Monsieur Jacques BAROU, Professeur à l’Université de GRENOBLE II, Rapporteur Monsieur Jacques BOULOGNE, Professeur à l’Université de LILLE III

Monsieur Huu Khoa LE, Professeur à l’Université de LILLE III

Monsieur Richard POTTIER, Professeur à l’Université de PARIS V, Rapporteur

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A mes parents pour leur soutien permanent A Jeanne pour ses lectures attentives

A la mémoire de Jérôme VERNIER

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Je remercie le Professeur Huu Khoa LE, mon Directeur de Recherche, pour sa patience, sa disponibilité et ses conseils.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 : SYSTEME FRANCOPHONE DE RELATIONS HISTORIQUES

I. HISTOIRE OCCIDENTALE ET LANGUE FRANÇAISE

I.1. Le développement européen

I.2. L’Amérique du Nord et le Québec francophone

II. EXORDE INTERNATIONAL DE LA FRANCOPHONIE

II.1. L’Afrique francophone moderne

II.2. Le Vietnam et le français langue coloniale condamnée

III. INSTITUTIONNALISATION FRANCOPHONE

III.1. Présence francophone et initiatives civiles III.2. Un mot d’ordre : les réseaux

CHAPITRE 2 : DEVELOPPEMENTS FRANCOPHONES VERS L’ASIE

IV. ENVIRONNEMENT ASIATIQUE FRANCOPHONE

IV.1. Situation linguistique régionale

IV.2. Contexte national francophone vietnamien

V. HANOI 1997 : LE SOMMET FRANCOPHONE

V.1. La construction politique par les Sommets V.2. Le Tournant de Hanoi 97

V.3. Huê et les Assises francophones universitaires

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CHAPITRE 3 : SYSTEMES DE RELATIONS FRANCOPHONES AU CENTRE DU VIETNAM

VI. RELATIONS A L’ESPACE VIETNAMIEN ET IMPLANTATION FRANCOPHONE

VI.1. Les sociétés vietnamiennes et les premières contraintes VI.2. Les espaces sociaux actuels à Huê

VII. RELATIONS CULTURELLES ET POLITIQUES FRANCOPHONES DANS LA PROVINCE DE THUA THIEN HUE

VII.1. Espace et publics francophones

VII.2. Du partenariat aux reseaux interpersonnels VII.3. Stratégies documentaires de soutien et d’ouverture VII.4. Système de relations politiques : Censure et subversion

VIII. RELATIONS DE COMMUNICATION SCIENTIFIQUE FRANCOPHONE A HUE

VIII.1. Sciences francophones et ethnicisation de l’espace social VIII.2. La Coopération Médicale francophone à Huê

IX. RELATIONS FRANCOPHONES AU PATRIMOINE ET A L’ART IMPERIAUX DE HUE

IX.1. La coopération francophone et Le patrimoine respecté IX.2. L’art et la manière : relation artistique francophone

CONCLUSION ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES ILLUSTRATIONS TABLES DES MATIERES

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INTRODUCTION

Retour vers l’Asie du Sud-Est

Le système politique et économique du Vietnam va connaître des bouleversements plus ou moins importants de 1986 à 1998. Un changement minime semble-t-il, en ce qui concerne la politique de démocratisation du pays qui ne connaît qu’une très lente évolution1 mais plus considérable dans le domaine économique avec dans ce cas des évolutions rapides, comme les indices de croissance en témoignent2. Cette évolution du socialisme vers l’utilisation modérée du libéralisme économique était devenue indispensable. En terme budgétaire, l’Etat vietnamien est déficitaire. De 1976 à 1986, ce sont les crédits extérieurs, principalement soviétiques, qui financent le pays au point que son endettement en 1986 de huit milliards de dollars équivaut à la moitié du produit intérieur brut. En terme alimentaire, plus de soixante-dix pour cent de la population vit de l’agriculture avec moins d’un dixième d’hectare par habitant3. Le Vietnam manque chaque année de vivres alors qu’une croissance forte (deux et demi pour cent) est

1 L’évolution démocratique semble s’être affirmée en 1998 et 1999 avec la libération et l’amnistie des prisonniers politiques au Vietnam. Cependant plusieurs décrets antérieurs qui limitent la liberté d’expression et les droits des citoyens restent en vigueur. « Il s’agit principalement de la détention administrative arbitraire autorisée par le décret 31/CP de 1997 continuant à être utilisée pour les assignations à résidence surveillée…/… Aussi inquiétant est le décret 89/ND-CP, il permet à la police et à l’armée de mettre les suspects en détention préventive sans communiquer aucune information sur la nature des crimes ni sur la durée de la détention. De même , si la liberté religieuse a fait un pas en avant avec le décret sur la religion numéro 26/1999/ND-CP reconnaissant celle-ci, elle doit avoir pour cadre les structures autorisées par le premier ministre, c’est-à-dire les églises d’Etat ». Ainsi, le rapporteur spécial des Nations-Unies, M. Abdelfattah, Amor, dans son rapport rendu public en mars 1999 a-t-il souligné la nécessité pour le Vietnam de procéder à de nouvelles réformes pour garantir une réelle liberté religieuse. Le multipartisme quant à lui ne peut être évoqué car il tombe sous le coup du droit pénal dans le cadre de l’article 205a interdisant « l’abus des droits démocratiques ». Cf. Rapport annuel sur le Vietnam, in http://www.danchu.net/ENGLISH/Archive& Articles ENGLISH/HR/Watch Report 1999.htm, Human Rights Watch, 1999.

2 Dès 1990, le produit intérieur brut du Vietnam augmente de six pour cent par an, le taux annuel de croissance de l’agriculture avoisine les cinq pour cent avec des pics à dix pour cent et ceux de l’industrie et de l’artisanat progressent en moyenne de quinze pour cent par an.

3 In GAUDARD, Catherine, La sécurité alimentaire sacrifiée au commerce international, Le Monde Diplomatique, juillet 1996, page 26.

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enregistrée pour la population dont les problèmes économiques sont amplifiés par les faiblesses des structures étatiques en matière sociale. Ainsi, un tiers des jeunes de moins de quatorze ans seulement est scolarisé et dans des conditions précaires. Ces situations sont aggravées par le chômage qui touche sept millions de personnes, soit plus de trente pour cent de la population active4. Ces données socioéconomiques du Vietnam moderne sanctionnent un siècle de conflits coloniaux, internationaux et locaux. Elles condamnent la politique stalinienne radicale (décidée par le Parti Communiste Vietnamien en 1977) de socialisation5 et de militarisation de l’économie et de la société et les tentatives de

« social modernisme » qui l’ont précédée. La situation politique, économique et sociale du Vietnam est aussi le résultat des échecs des politiques des intervenants successifs dans la péninsule. C’est l’échec, historique, de l’idée et du fait colonial. C’est l’échec de la politique américaine en Asie qui, en partie pour se laver de l’affront connu en Corée face au Kominterm, cherche avec le Vietnam à affirmer son rôle en Asie du Sud-Est en opposition au communiste international. C’est aussi l’échec de la reconstruction nationale au Vietnam dont la classe dirigeante oscille depuis 1975 entre radicalisme, relâchement et réforme monétaire catastrophique. Dans ce contexte, la période 1985- 1986 combine dramatiquement pour l’économie libéralisme et autoritarisme lorsque le Parti Communiste Vietnamien impose une réforme monétaire visant à réduire l’inflation et le déficit budgétaire. Les résultats sont désastreux pour les entreprises nationalisées et l’inflation atteint pour l’année 1986 le taux record de sept cent pour cent. Dans ces conditions, le Vietnam va devenir plus sensible aux injonctions du Fonds Monétaire International, et le sixième congrès du parti communiste de décembre 1986 annonce une nouvelle période de libéralisme économique, c’est le doi moi6, le renouveau. Entre 1986 et 1993, la libéralisation intérieure et économique progresse, les plans contraignants de production sont abolis, les postes de douanes intérieures disparaissent (sauf dans les zones sensibles) facilitant les relations interrégionales déjà fortement handicapées par le

4 In HEMERY Daniel, NGUYEN Duc Nhuan, Crises du communisme et du développement. L’Indochine en état de fragile espérance, Le Monde Diplomatique, page 12.

5 CHAU, Lê, Le Vietnam socialiste : une économie de transition, pp.159 à 335.

6 Le doi moi (le renouveau) n’est pas une perestroïka à la vietnamienne, il s’agit d’un mouvement de politique réaliste au sein du Parti communiste Vietnamien. Le pluralisme politique n’est pas un élément de ce renouveau économique. Il s’agit essentiellement d’un rétablissement des relations internationales du Vietnam et d’un ajustement économique aux réalités d’un marché asiatique en développement, « d’une révolution mentale libérant les dirigeants vietnamiens du communisme de guerre » SCALABRINO, Camille, Nouveaux espoirs de paix en Indochine, Le Monde Diplomatique, septembre 1990, pp. 20 à 21.

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cloisonnement montagneux du pays. Les mesures de libéralisme s’accompagnent également de la réduction des tensions avec les pays limitrophes et en conflit, comme le Cambodge, qui respecte un projet de plus grande intégration économique au niveau de la péninsule7. Pourtant, le doi moi conserve un aspect essentiellement économique ayant trait au commerce international du pays8 et l’évolution démocratique du pays n’est pas à l’ordre du jour des congrès successifs du Parti Communiste Vietnamien, le P.C.V.

Cependant, pour l’opinion internationale, c’est suffisant pour signifier la réouverture de la péninsule, réouverture attendue par de nombreux pays, en Asie du Sud-Est, en Amérique du Nord et en Europe car la mondialisation économique et scientifique voit l’apparition de plusieurs ensembles économiques concurrents en Asie du Sud-Est. Parmi ces ensembles, l’Association Economique des Pays du Sud-Est Asiatique (ASEAN) créée en 1967 regroupe les nouvelles puissances économiques d’Asie orientées vers le marché Pacifique au sein desquelles le Vietnam, par sa position stratégique en Mer de Chine (face à la Chine et aux Etats-Unis), est amené à jouer un rôle important. Les Etats- Unis, présents également, sont attachés à l’élaboration d’un marché asiatique libre.

Celui-ci permet au pays de développer ses échanges économiques entre la Côte Pacifique, qui a accueilli et voit se développer une diaspora vietnamienne commerçante qui conserve des relations économiques étroites et le plus souvent familiales avec le pays d’origine9, et les pays à forte croissance d’Asie du Sud-Est. Pour le Japon, premier bailleur de fonds en Asie du Sud, le Vietnam et à plus large titre, le marché d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Laos, Cambodge) ouvrent une voie commerciale vers le pays le plus au sud de l’aire pacifique, l’Australie, et représentent une alternative aux marchés nord-

7 En dix ans, ces efforts vont conduire au rapprochement économique, industriel et commercial au Vietnam et au Laos pour la mise en place de mesures frontalières de développement. « Vietnamiens et laos ont convenu d’élargir les relations commerciales et d’investissement en particulier à proximité de leurs frontières communes…/…La session à mi-parcours de la Commission intergouvernementale vietnamo-lao s’est ouverte hier à Hanoi. Les deux parties sont tombées d’accord de constater qu’il faut accélérer le rythme d’exécution des projets…/…Les deux parties ont jugé nécessaire l’élaboration de la stratégie de coopération de la période 2001-2010 », MY BINH, Vietnam et Laos élargissent leurs relations, Le courrier du Vietnam, numéro 2008, page 3.

8 « La nouvelle politique financière est appliquée avec pour objectif d’accélérer l’intégration internationale et d’attirer les investissements étrangers …/… Le Vietnam complète la liste des produits importés bénéficiant de la réduction ou de l’exemption des taxes douanières. », Le Vietnam envisage un terrain égal à tous les investisseurs, Le courrier du Vietnam, numéro 1947, page 9.

9 La France accueille également une diaspora vietnamienne qui conserve des liens étroits avec le pays et la culture d’origine. Ces relations fondent en partie la coopération francophone. Lire également : LE, Huu Khoa, L’immigration du Sud-Est asiatique en France (Le point sur,), ADRI, Paris, 1997

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américain et européen dans lesquels le Japon connaît des difficultés concurrentielles10. Enfin, l’Europe et principalement la France, qui a toujours compris le rôle géographique du Vietnam pour le développement de son influence dans l’aire de l’Asie Pacifique, sont également présentes car si les Etats-Unis, le Japon ou les pays regroupés par l’Association Economique des Pays du Sud-Est Asiatique possèdent des interfaces géographiques naturelles directes en direction de l’Asie du Sud-Est, ce n’est pas le cas de la France et de l’Europe. Leur participation à cet ensemble économique en construction est subordonnée à leur implantation physique dans les lieux. C’est dans cet état d’esprit et péjorativement que le Vietnam est appelé « le marchepied vers la Chine ».

Ce marché asiatique et le possible marché chinois ne sont pas accessibles pour les pays francophones via l’Inde ou la Thaïlande anglophones, ils le sont difficilement par l’Asie centrale ou par Vladivostok, la Russie faisant écran. Les seuls pays, au sein de cet ensemble asiatique, qui historiquement justifient des liens avec la France sont ceux de la péninsule indochinoise et principalement le Vietnam. Ce qui est marquant, avec la réouverture du Vietnam, ce n’est pas l’intéressement des partenaires internationaux, mais plutôt la façon dont cet événement est fêté c’est-à-dire sur quels registres politiques les relations se rétablissent. Pour les Etats-Unis, les mesures d’assouplissement politique qui débutent dans les années quatre-vingt-dix au Vietnam, même si elles sont suscitées par la crise financière de 1986, témoignent de la volonté d’ouverture de Hanoi. Les décisions prises entre 1986 et aujourd’hui par les gouvernements vietnamiens favorisent les exportations extra régionales, rétablissent des relations financières internationales fondées sur les réseaux diasporiques11 et tentent de respecter les propositions d’ajustement structurel proposées par le Fonds Monétaire International pour l’Asie du Sud-Est, à savoir l’assainissement des budgets nationaux, la relance de la consommation par des mesures incitatives et la réduction des dépenses publiques. Ainsi, avec l’apaisement des tensions militaires dans la péninsule, le gouvernement des Etats-Unis décide la levée de l’embargo sur le Vietnam. Dès lors, de 1994 à aujourd’hui, la

10 « Confrontées à des difficultés telles que les frictions commerciales et la hausse du yen et, de surcroît, à ce handicap qu'était le plus haut niveau mondial des salaires, les industries japonaises risquaient bien d'être perdantes dans le champ clos de l'intense concurrence internationale. C'est le marché asiatique qui leur permit un retournement structurel…/…Ce fait devrait à lui seul suffire à montrer combien le sort du Japon dépend de la bonne santé à venir de l'Asie », RIM, revue du Sakura Institute of Research, Tokyo, vol. IV, in Decornoy Jacques, Le Japon et l'avenir de la zone Asie Pacifique, Le Monde Diplomatique, janvier 1993, p.20.

11 Un réseau qui procure au Vietnam 300 millions de dollars en 1990 et 3,6 milliards de dollars en 2000.

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libéralisation économique du Vietnam a été croissante pour aboutir à l’ouverture en août 2000 de la première bourse de commerce du Vietnam à Hô Chi Minh-Ville en passant au préalable par la création d’une législation sur l’investissement et les capitaux étrangers favorable à l’entrée de capitaux extérieurs et au rapatriement des bénéfices12. Cette amélioration des conditions économiques a donc abouti progressivement à un rapprochement politique entre les USA et le Vietnam qui trouve, pour l’instant, son apogée en novembre 2000 avec la visite du Président américain Clinton au Vietnam. Au demeurant, l’acte fondateur de 1994 (la levée de l’embargo), qui marque la reconnaissance de la réouverture économique du Vietnam, est un acte économique de la part des USA avec le rétablissement des relations commerciales et la non application de l’accord Jackson-Vanik13 pour le Vietnam. L’Association Economique des Pays du Sud- Est Asiatique va également répondre, un an après les Etats-Unis à la réouverture du Vietnam, par une décision de politique économique pour fêter un événement avant tout économique dans le marché asiatique14. Dès 1994, le Vietnam est invité à rejoindre le cercle des pays à forte croissance qui composent, avec l’Australie notamment, le cercle des pays unis d’Asie du Sud-Est. Cette adhésion est d’autant moins problématique que l’Association des Pays du Sud-Est Asiatique refuse toute ingérence dans la politique intérieure de ses membres. La souveraineté nationale est une caractéristique constitutive de cette entente économique. Ainsi, pour les Etats-Unis, le Japon et les pays de l’alliance économique d’Asie du Sud-Est, la réouverture économique du Vietnam est marquée par la mise en place de mesures du même ordre, en cela rien d’étonnant. Pourtant tous les

12 La loi sur l’investissement étranger au Vietnam votée par l’Assemblée nationale de la République du Vietnam lors de la 10e cession de la IXe législature en novembre 1996 prévoit selon l’article 22 que : « les investisseurs étrangers au Vietnam peuvent transférer à l’étranger : 1) leur part de bénéfice provenant de leurs activités ; 2) les paiements effectués en contrepartie de transfert de technologie ou de service ; 3) le principal et les intérêts des emprunts souscrits au cours de l’activité ; 4) leur capital investi ; 5) les autres sommes ou actifs acquis légitimement ». Cette loi promulguée pour inciter les partenaires étrangers à investir s’adresse également au monde francophone mais un problème d’ordre économique demeure. Il s’agit de la non convertibilité de la dông, qui, combinée à l’obligation pénale d’effectuer les paiements en dông, pose le problème du rapatriement des bénéfices qui ne peut se résoudre qu’au travers d’accords à l’amiable.

13 « L’amendement Jackson-Vanik interdit les relations économiques totales avec un Etat communiste, à moins que celui-ci n’autorise la libre émigration », Le Vietnam applaudit les décisions du président des Etats-Unis, Le courrier du Vietnam, numéro 1945, page 3.

14 Le règlement des différents politiques et commerciaux entre les Etats-Unis et le Vietnam a été un événement régional majeur pour le développement de l’Association Economique des Pays du Sud-Est Asiatique en direction de la péninsule lao-vietnamo-cambodgienne car l’isolement économique du Vietnam et sa fermeture politique intégrale grevait le développement du marché commun d’Asie du Sud- Est. Cf. L’ASEAN au complet retrouve son dynamisme, Le courrier du Vietnam, numéro 1984, page 3.

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candidats à la réconciliation avec le Vietnam n’agissent pas de la sorte. C’est le cas de la France et des pays francophones qui décident d’inaugurer le « renouveau » de l’économie vietnamienne par un événement majeur, ils sont dans la même logique que les pays que nous avons cités, mais, et cela est remarquable, en mettant en avant non pas directement des arguments économiques, mais culturels et historiques. En 1997, une manifestation internationale mobilise les principales villes du Vietnam, les salles de réunions de l’Ambassade de France, les universités, les cercles francophones… C’est le Sommet des Chefs d’Etats et des Gouvernements francophones qui se réunissent à Hanoi et les Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui s’établissent à Huê.

Ce n’est pas une réconciliation économique qu’inaugure officiellement la France au Vietnam, via la francophonie, mais une réconciliation linguistique comme mécanisme précurseur de la coopération économique. Mécanisme précurseur parce qu’en l’an deux mille un, lorsque les Filières Universitaires15 bilingues francophones annoncent leur fermeture partielle et progressive au Vietnam, que la coopération décentralisée est discutée et notamment les délégations permanentes, alors que le contenu des enseignements et des fonds documentaires sont menacés chaque année par la censure politique vietnamienne ou les inondations, de nouvelles perspectives sont mises en avant, économiques, celles que l’Agence Internationale de la Francophonie a baptisées en novembre 2000 la « francophonie économique »16. Ce sont ces variations à Huê, siège au centre du Vietnam des principales universités modernes, que nous avons reconstruites ou observées sur une période de six ans (le temps de la recherche de 1997 à 2002) dont il nous faut rendre compte, mais aussi des activités francophones qui sont extérieures ou qui divergent de cet ensemble institutionnalisé. Néanmoins, nous pouvons dire à présent que la France propose au Vietnam une coopération culturelle et technique avec, au centre de celle-ci, l’Ambassade de France et l’Agence Universitaire qui coordonnent localement en grande partie avec les missions de coopération décentralisée françaises, belges ou canadiennes, les activités francophones via le Bureau Régional d’Asie du Sud-

15 Nous écrirons Filière pour une filière francophone universitaire intergouvernementale et filière (sans majuscule) pour désigner une filière universitaire classique.

16 « L’Agence de la francophonie veut promouvoir la francophonie économique », Agence de la Francophonie, Libreville, Gabon, le 14 novembre 2000, AFP, Paris. « Le Vietnam, représenté pour la première fois à un sommet de la francophonie à l'étranger par son président de la République, réaffirme son attachement à la communauté francophone, en particulier à ses aspects économiques, même si l'usage de la langue française reste marginal dans le pays », Le Vietnam attaché à la francophonie malgré la marginalisation du français (Dossier – Papier d’angle), AFP, Paris, le 15 octobre 2002.

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Est (BASE) et les bureaux de coopération linguistique de l’Ambassade de France au Vietnam. Au centre de cette coopération culturelle et technique, il y a l’apprentissage de la langue française, condition minimum mais indispensable, pour avoir accès aux trésors économiques et culturels de l’ensemble francophone. Mais c’est aussi sur un registre plus politique que la francophonie institutionnelle se présente au Vietnam quand le président de l’Agence Universitaire déclare un an après le sommet francophone de Hanoi que le français, « langue des Lumières qui sert le développement intellectuel, politique et moral des pays qui l’adoptent en donnant accès à la modernité se veut être un antidote puissant contre l'uniformisation …/… que comporte la mondialisation »17. Le choix de la francophonie comme relation avec le Vietnam peut apparaître d’emblée comme un choix délicat et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’ensemble francophone n’est pas un ensemble homogène et les pays qui le composent poursuivent des stratégies différentes qui correspondent à des enjeux différents et qui trouvent comme outil à leur disposition la langue française et son élaboration idéologique en communauté. L’histoire de l’ensemble francophone institutionnalisé que nous allons présenter rend compte de cette diversité idéologique. Ensuite, l’introduction du français, en concurrence avec des langues indigènes et d’autres langues internationales, demeure discutable en raison de nombreux aspects sociologiques et l’exemple de la francophonie africaine, quoique différent de la francophonie au Vietnam, est instructif à cet égard. Les déstructurations politiques et linguistiques sont exclues des discours francophones. Ce n’est qu’en nous tournant, comme nous allons le faire, vers la recherche sociologique et linguistique en Afrique noire francophone que nous pouvons apprécier l’envers de la médaille francophone. Cet envers du décor, décrit par la sociologie à propos de l’Afrique, nous conduit à être suspicieux et à chercher les effets pervers de la francophonie (effets pervers entendus comme effets inattendus, comme revers de la médaille). Finalement, au sein des pays francophones, le Vietnam occupe une place particulière, par son histoire propre, celle de son école traditionnelle et de son système politique et par les modalités de son adhésion réelle tardive18 à la Francophonie

17 BODSON, Arthur, UREF Actualités, Le bulletin de l’Agence universitaire de la francophonie, numéro 39. 18 L’adhésion du Vietnam à l’ensemble francophone institutionnalisé est ambiguë, que l’on se fie soit à sa date d’entrée, il est alors là un des premiers pays à y participer, soit à son adhésion réelle et effective, il est alors l’un des derniers participants (p.117).

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Institutionnelle. Il possède également une place particulière au sein de l’entente francophone en raison du faible nombre de locuteurs francophones que compte le pays, ce qui témoigne de la faiblesse de la francophonie endémique et historique produite par la colonisation.

L’objet francophone de l’enquête

Il est indispensable de reconstruire l’environnement historique et international de la francophonie pour une enquête sur son déploiement moderne au Vietnam, afin d’en isoler des caractéristiques historiquement définies, physiques et idéologiques principales.

Les dimensions hétérogènes, politiques, coercitives de la francophonie sont réelles en dépit des constructions idéologiques dont elle s’entoure. Sa dimension modernisatrice a été patente jusqu’à la moitié du vingtième siècle. Les arguments sur la capacité modernisatrice de l’adhésion francophone fortement mis en avant dans le discours francophone institutionnel ont perdu de leur réalité au profit de la réalité sociopolitique ou économique, face aux exigences et aux contraintes politiques et techniques locales.

La définition même de la francophonie, c’est-à-dire, la recherche de la définition francophone, n’est pas arrêtée pour la sociologie et les préalables historiques à la situation locale francophone que nous nous proposons d’étudier dans le chapitre 1 montreront l’impossibilité de déterminer totalement le phénomène francophone, soit en termes politiques, soit en terme de degré de possession de la langue ou de participation économique mais également en termes de limites (de temps, d’espace, de structure). Il nous est impossible de définir la francophonie en terme idéologique, car la diversité même (comme nous le verrons avec l’histoire de la langue française puis de la francophonie) de la situation francophone des principaux acteurs, fondateurs ou bailleurs de fonds ne partageant pas la même histoire ni les mêmes pratiques de la francophonie ne permet pas de déterminer un mobile, un motif commun d’appartenance justifiant de la cohésion de l’ensemble. L’utilisation, légitime pour une communauté linguistique, du facteur linguistique (la pratique, la possession et l’utilisation de la langue française connaissent des degrés multiples) est également proscrit. Les compétences au sein de l’ensemble francophone s’échelonnent de la francophonie complète à l’apprentissage de la langue, du français comme langue nationale à celui qui ne s’exprime qu’à travers les

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volontés individuelles locales sporadiques. Si nous choisissons un dénominateur commun d’ordre économique, la définition francophone n’en demeure pas moins impossible, les disparités sont impressionnantes entre les pays francophones du nord et ceux de sud. Disparité vis-à-vis des produits nationaux bruts mais aussi disparité quant à la participation financière de chacun à l’élaboration et au fonctionnement de l’ensemble francophone. Les pays du nord alimentent pour plus des trois-quarts le budget de la francophonie institutionnelle sans même comptabiliser les initiatives des associations civiles en direction des pays du sud. Finalement l’histoire des pays francophones (proposée de façon brève et critique dans le premier chapitre) ainsi que la géographie de l’ensemble francophone ne sont d’aucun secours pour définir ce qu’est la francophonie, du moins ce qui apparente les différents participants. Pour l’histoire, (l’histoire des adhésions, limites temporelles de l’ensemble francophone), elle n’est pas un repère fiable. La francophonie n’est pas attachée à une période précise. Colonies anciennes apparues au quinzième siècle et colonies modernes de la fin du dix-neuvième siècle cohabitent au sein de l’ensemble avec des pays francophones qui n’ont jamais connu la présence française. Certains parmi eux sont des adhérents récents, d’autres appartiennent au groupe des pays membres fondateurs de la francophonie institutionnelle. Pour la géographie, celle de l’ensemble francophone n’est d’aucune utilité en vue d’une définition en terme spatial, l’unité de lieu n’existe pas du fait de l’éparpillement des pays francophones autour du monde et ne peut servir de repère pour définir l’ensemble. Cette nature ambiguë de l’objet francophone tient à la tentative de compréhension en terme de communauté linguistique. Cette définition fourre-tout permet de combiner idéologiquement toutes les différences nationales en identité commune internationale.

Dès lors, notre seul repère incontestable c’est l’élargissement permanent en réseaux.

Nous approfondirons l’élargissement structurel suivant deux aspects, l’absorption permanente d’organisations francophones internationales au sein du même ensemble (cf.

l’« Institutionnalisation francophone », p.61) et la divulgation médiatique globalisée de cet ensemble (cf. « TV5 Asie : la concurrence sur l’environnement », p. 86). Quand à la réflexion sur les systèmes de relations, nous la conduirons suivant deux aspects : un premier aspect visible dans la production des résultats d’enquête aussi bien au niveau international que local avec la reconstitution schématique des relations entre les pays, les organisations ou les acteurs. L’enquête va produire ainsi des schémas globaux et locaux

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inédits et suivant un deuxième aspect sous-jacent que nous résumons maintenant et qui considère la capacité heuristique et explicative du concept sociologique et ethnologique de systèmes de relations, préalablement, afin de rendre ce concept opératoire pour l’enquête. Le concept d’espace social et celui de système de relations se jouxteront conceptuellement dans notre raisonnement au long de la recherche. C’est qu’ils sont, pour nous, deux synonymes. La définition d’un système de relations ne pose pas en soi un problème insurmontable. Cependant, il n’en va pas de même pour la notion d’espace social. Remplacer l’un par l’autre, sans fournir d’abord une définition (circonstanciée à la recherche) de l’espace social, aboutirait à le remplacer par la notion de système de relations pour faire l’économie de sa définition. Il ne peut en être ainsi, pour deux raisons : d’une part en éludant, on ne résout pas et d’autre part parce que la définition de la notion d’espace social peut devenir heuristique dans l’enquête. L’espace social quand il devient un concept précis devient un concept opératoire. Pourtant, le concept d’espace social combine défavorablement pour son devenir opérationnel dans l’enquête deux notions contradictoires : l’espace et le social. L’espace s’appréhende comme donnée physique, comme espace géographique support de l’activité humaine, tandis que le social, cette production de l’activité humaine, est une denrée avant tout symbolique, une construction systémique du chercheur. Comment doit être pensée cette relation entre espace et social, cette fusion sémantique ? Comme étant dialectique ? L’espace prend-il le pas conceptuellement sur le social ? Il devient alors un déterminisme externe et transcendant. Ou bien le social triomphe-t-il de sa dimension physique, s’en affranchit-il, la rend-il virtuelle au point d’en faire un espace symbolique tissé par les relations sociales entre les acteurs, entre les objets ? Comme étant dialogique ? Espace et société entrent alors en interaction. L’un proposant des contraintes et l’autre devant les surmonter en modifiant le premier. Finalement ne faut-il pas nous libérer de la notion d’espace pour ne conserver que la dimension sociologique du concept ? L’espace social devient alors la culture, la culture francophone insaisissable. Deux identités pour une notion qui s’offre à notre compréhension, porteuses d’ambiguïtés. Ambiguïtés autour de la notion d’espace social, ambiguïtés ou plutôt amalgame théorique et conceptuel car l’espace social est à la fois la transcription du social, inscription entière de celui-ci dans le matériel ; il est aussi relations, dynamiques négociées et invisibles appartenant au symbolique et au contrat. Nous repensons au travail de George Condominas sur l’espace

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social en Asie du Sud-Est. Il nous apparaît clairement que la prise en compte dans le raisonnement du chercheur d’un espace symbolique comme produit et producteur de la société, s’il demeure incontournable, va souvent de pair avec la production par le chercheur d’une restriction sémantique. Celle-ci vient du fait que traditionnellement la sociologie ou l’ethnologie, tour à tour, rapprochent à se méprendre la notion d’espace social de celle de culture. La culture, indéfinissable par elle-même devient avec l’espace social une réalité physique. L’espace social, son élaboration conceptuelle, devient une nouvelle tentative de définir la culture qui nous échappe. Le rapprochement entre les deux concepts est total chez Herskovits qui définit comme écrit Condominas19 : « la culture comme la partie de l’environnement faite par l’homme », et la culture devient écologie et cette transposition s’effectue à travers un moyen physique et intellectuel, l’anthropisation. Cinq ans plus tard, Claude Lévi-Strauss20 remplacera le concept de culture par celui de structure sociale en montrant que la structure sociale d’un groupe (sous-entendu produit de sa culture) entretient des relations avec la configuration spatiale de celui-ci. Les espaces se superposent, l’espace social structuré par les règles de parenté se traduit physiquement dans l’espace parcouru et physique. Il s’agit « de l’inscription au sol et dans le paysage de l’organisation sociale »21. L’auteur de

« L’espace social à propos de l’Asie de Sud-Est » regrette cette connexion quasi- exclusive et appauvrissante entre espace physique et culture parce qu’il ne s’agit que d’une des relations nombreuses et variables dans le temps et suivant les groupes sociaux qui caractérisent l’espace social. L’espace social est un système de relation à…, nous propose Condominas. Il est système et non pas la manifestation ou la transcription de la culture dans l’espace physique : « L’espace social est l’espace déterminé par l’ensemble des systèmes de relations, caractéristiques du groupe considéré »22. Cette définition n’exclut pas les relations aux territoires et leurs conséquences physiques mais elle inclut d’autres aspects relationnels qui caractérisent la vie en société comme les échanges matériels, la communication, le rapport au temps, à l’autorité. Cette définition de l’espace social a la propriété de ne pas déterminer les champs d’investigation quand il s’agit de s’interroger sur l’espace social francophone. L’espace social en tant que

19 CONDOMINAS, Georges, L’espace social à propos de l’Asie du Sud-Est, p.17

20 LEVI STRAUSS, Claude, Anthropologie structurale, pp.300 à 350.

21 CONDOMINAS, Georges, op.cit., p.13.

22 Idem., p.14.

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système de ou des relations et non pas comme phénomène de retranscription, offre la possibilité au chercheur de s’interroger légitimement, en même temps, sur plusieurs objets. Il permet un questionnement sur ce qui fait relation, c’est-à-dire les partenaires, les acteurs francophones, leurs institutions françaises ou vietnamiennes, sur la nature des relations, c’est-à-dire par exemple dans l’enquête : interculturelles coopérantes, hostiles d’ignorance… mais aussi sur leur organisation en systèmes c’est-à-dire en espaces sociaux francophones dynamiques. Dans le cas présent avec Condominas, nous nous rapprochons de Mauss et de la compréhension en terme de globalité de la réalité sociale.

L’espace social ne peut être considéré comme le phénomène démographique et spatial qu’il a été, mais doit être considéré comme un système global dont on ne peut affecter une relation sans que tout l’ensemble du système en soit affecté, mais encore que ce système entre en relation avec la totalité de la société. S’il est transcription de la société ce n’est pas uniquement dans l’espace, c’est aussi dans le temps et dans les symboles.

L’espace social est le social c’est-à-dire ce qui lie ou rassemble les phénomènes sociaux les uns aux autres. Cette définition, nous la craignons autant que nous la souhaitions pour son aspect total et global. Nous la craignons parce qu’elle rend impossible la description de l’espace social francophone de Huê sans connaître l’espace social de la ville en tant qu’entité urbaine historiquement constituée, c’est-à-dire sans connaître les relations de la société locale avec son environnement national et international. Les colonisations et guerres faisant, nous pouvons dire pour nous effrayer davantage, que l’espace social vietnamien est, pour une grande part, le résultat de ses relations avec le reste du monde. C’est à ce niveau que la définition de l’espace social nous intéresse. Elle rejoint les dimensions extra nationales et historiques de la nation vietnamienne, de la ville de Huê et de la francophonie. Ces trois dimensions, de par l’évolution historique du pays, sont étroitement liées dans le temps mais aussi actuellement et localement. Nous disons ceci à titre d’hypothèse avec comme enjeu, à Huê, de décrire ce système des relations entre la société vietnamienne et la présence francophone. L’histoire du Vietnam dans son ensemble, l’histoire de Huê, ses mythes, ses déterminismes historiquement et socialement constitués et les organisations francophones entrent en relation localement.

Ces relations s’établissent pour répondre à des enjeux locaux, régionaux, nationaux et internationaux, dépassant tour à tour chacune de ces différentes échelles de description et d’analyse, développant un système d’implication qui joint Huê et son sort francophone

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au reste du Vietnam et du monde francophone, cela en conservant une autonomie politique et sociologique proprement localisée. La francophonie au Vietnam ne peut échapper à cet état de fait du phénomène francophone et à la définition globalisatrice en terme d’interdépendante de l’espace social. La francophonie au Vietnam c’est à la fois la francophonie commune à l’ensemble des pays francophones (essentiellement véhiculée par voie administrative, comme une francophonie minimum en personnel francophone et en informations en langue française commune à l’ensemble des membres) et à la fois la francophonie particulière du Vietnam (celle que nous allons observer). Notre travail est double et notre corpus d’emblée dichotomique. Il s’agit pour nous d’observer le développement des organismes francophones (dont ceux du Vietnam) qui, centralisés, véhiculent en partie les aspects communs de la francophonie internationale, et d’observer en outre la francophonie vietnamienne moderne; une francophonie non exogène, pratiquement anhistorique vis-à-vis du colonialisme23 et de son apport francophone et qui cherche de nouvelles raisons, de nouveaux motifs économiques, techniques ou idéologiques de se développer. Il y a effet d’échelle entre les niveaux historiques théoriques et entre les niveaux géographiques d’observation de l’enquête parce qu’il a croisement des objets de recherche entre le niveau francophone international dans sa dimension géographique mondiale historiquement constituée dans le temps et les aspects locaux propres à Huê, résultats d’un processus historique urbain.

C’est ce que nous avons voulu suggérer en amorçant notre analyse par la reconstruction de l’histoire et des enjeux francophones. Il y a effet d’échelle, dans l’analyse comme dans la réalité francophone car la francophonie s’est largement structurée en réseaux interdépendants collatéralement, par la division des missions, mais aussi verticalement, de par sa centralisation et la réunification d’un nombre toujours plus important d’organismes internationaux. Décisions, fonds, responsabilités, informations, développement général et développement local sont les problématiques qui parcourent le plus souvent de haut en bas, un ensemble francophone ou plus exactement quelques

23 En revanche, la période « vietnamienne » connue par la France reste vivace car la « France possède presque l’exclusivité de la mémoire écrite, imprimée et visuelle de trois quarts de siècle d’histoire vietnamienne…/…Par conséquent, tous ceux, qui à un titre ou à un autre, celui de curieux, d’analystes ou de décideurs, sont concernés par le Vietnam, subissent l’attraction de ce pôle documentaire que l’Etat, les groupes économiques et financiers, les Eglises, les mouvements sociaux et les individus ont édifié », Guide de recherches sur le Vietnam. Bibliographies, archives et bibliothèques de France, ss dir. BOUDAREL, Georges, BROCHEUX, Pierre, HEMERY, Daniel, p.5.

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ensembles francophones : intergouvernemental, gouvernemental et né à la suite de la coopération décentralisée entre régions francophones24. Il est certain que ces ensembles francophones ne sont pas eux-mêmes homogènes et monolithiques. Du Sommet des Chefs d’Etats par exemple aux applications effectives sur le terrain il y a long à voir et dans cette distance, dans cette ombre, se cache la variabilité imprévisible, locale et humaine de la francophonie. C’est tout l’exemple que nous voulons donner avec TV5 Asie et ce sont ces mêmes exemples que nous recherchons à Huê. Cet ensemble francophone globalement extérieur au Vietnam rencontre l’espace social vietnamien et c’est dans cet espace social vietnamien qu’il doit s’établir s’il veut se pérenniser. Ainsi, objet et échelle se croisent, l’ensemble francophone international et local devient objet d’enquête au même titre que l’espace social et politique vietnamien comme variation de la francophonie. Tous deux ont des implications internationales et locales, tous deux possèdent leurs déterminismes et leurs dynamismes. Les francophones vietnamiens se sont ainsi placés au centre d’un débat interculturel et interrégional. Les exemples d’émergence d’un Centre Vietnam en relation avec Da-Nang, cette stratégie de dé- bipolarisation du Vietnam ou le rôle en Asie pour Huê ville des parfums, attendu comme centre touristique sont des preuves de la complexité des facteurs économiques et politiques qui interviennent dans les choix francophones. Cette complexité renvoie bien souvent l’émotion littéraire ou la modernisation des consciences au second plan. Il s’agit de rendre compte des relations qu’entretiennent les francophones vietnamiens avec leur environnement social, culturel, historique et politique à Huê. Relations complexes qui proviennent en partie des enjeux interrégionaux et des relations politiques, intellectuelles, interpersonnelles, historiques ou conjoncturelles, localement propres à Huê. La francophonie à Huê est d’autant plus spécifiquement circonstanciée que la définition historique, urbaine, idéologique et économique de la ville est un processus virulent, en élaboration depuis l’ouverture partielle du Vietnam aux personnes étrangères et aux capitaux étrangers. Bien que la ville porte l’empreinte de la présence coloniale française, la francophonie moderne n’y va pas de soi. Au niveau des structures physiques, les établissement scolaires, les fonds documentaires, la disponibilité

24 L’article 131 de la loi d’orientation n°92-123 relative à l’administration de la République permet aux

« collectivités territoriales et leurs groupements [de] conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans la limite de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France », Bulletin Officiel, Paris, le 8 février 1992. Cf. annexe 1 p.360.

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d’ouvrages, de manuels scolaires restent précaires et au niveau scientifique, en raison des problèmes pédagogiques que connaît le système d’enseignement vietnamien (manque d’enseignants, problèmes de compétence) les résultats sont discutables (cf. la

« Remise en cause de la compétence » p.260). La francophonie à Huê dépend également des aléas idéologiques, politiques du pays car la ville est le théâtre d’un affrontement révélateur des oppositions doctrinales, des antagonismes que connaît le Vietnam et de leurs conséquences physiques et intellectuelles in situ. Ainsi, notre objet est plus complexe qu’il n’apparaît et la « francophonie à Huê » résume malaisément ce dont il s’agit. Il est question en réalité d’une analyse qui prend en compte les partenaires pour les réunir dans un système de relations complexes dans lequel ce qui est objet est à la fois les partenaires, leurs relations et la nature de ces relations. Il s’agit de comprendre les relations qui unissent jusqu’au Vietnam l’ensemble francophone, déterminer quels en sont les représentants, quelles sont les relations qui les lient collatéralement sur le terrain, dans les antennes locales mais aussi verticalement avec le reste de leur hiérarchie. C’est en tenant compte des relations que les acteurs francophones entretiennent avec leurs espaces administratifs respectifs que nous comprendrons préalablement leur marge de manœuvre. Enfin, c’est en tenant compte des déterminismes qui pèsent sur l’action francophone et sur l’action sociale, intellectuelle et technique au Vietnam qu’il est possible d’envisager la description des relations qui unissent les partenaires francophones dans un espace social francophone commun, celui de Huê; non qu’il s’agisse de clore un triptyque dont les volets seraient chacun un tableau propre. Il faut comprendre cette présentation comme un même et unique tableau composé de plusieurs scènes qui se jouent dans des espaces géographiques et sociaux différents. Alors, y a-t-il exagération, éparpillement de notre objet de recherche ? Cela pourrait être le cas s’il n’y avait le terrain, le facteur unifiant entre les dimensions prétendues : internationalisme et localisme, déterminismes historiques nationaux et dynamisme des acteurs. Dans un même espace, des acteurs, des espaces sociaux, des systèmes de relations viennent se rencontrer. Ils dépassent le cadre de la ville et celui de la francophonie ; les isoler de leurs racines structurelles et idéologiques est impossible d’autant que les revendications d’appartenance à des ensembles plus larges que le cadre local sont régulièrement émises par les acteurs de la francophonie à Huê qu’ils soient vietnamiens ou occidentaux, qu’il faille défendre ou justifier, interdire ou autoriser. C’est

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parce que différentes dimensions géographiques, hiérarchiques, politiques et historiques sont impliquées en permanence par les acteurs de l’enquête qu’il a fallu respecter l’amplitude sociale de l’objet de recherche francophone au Vietnam.

Structuration de la recherche

Pour répondre à cette amplitude nous proposons trois thématiques principales structurées en trois chapitres : l’histoire de la langue française puis de la francophonie (Chapitre 1), son développement vers l’Asie du Sud-Est (Chapitre 2) et les relations culturelles et politiques francophones à Thua Thien Huê (Chapitre 3). La reconstitution du système francophone de relations historiques (Chapitre 1 : Système francophone de relations historiques) sert à identifier les fondements historiques et structurels de la francophonie moderne telle qu’elle se déploie actuellement au Vietnam. Cette reconstitution se divise en deux parties correspondant à deux regroupements géographiques de pays impliqués dans la construction francophone : les pays occidentaux (I.Histoire occidentale et langue française) et les pays du Sud (II.Exorde international de la francophonie). Ces aires sont elles-mêmes subdivisées par groupes de pays. Pour l’Occident, l’Europe (I.1.Le développement européen) et le Canada (I.2.L’Amérique du Nord et le Québec francophone) sont retenus et pour les pays du Sud (II.Exorde international de la francophonie), il s’agit de l’Afrique (II.1.L’Afrique francophone moderne) noire francophone et du Vietnam (II.2.Le Vietnam et le français langue coloniale condamnée), ceci afin de cerner les particularités de cet ensemble hétérogène, pour identifier les acteurs réunis en réseaux (III.Institutionnalisation francophone). Ces reconstructions francophones historiques du contexte de l’enquête se doublent en préalable au travail de terrain d’une réflexion sur l’environnement linguistique et l’impact de l’enseignement du français en Asie (Chapitre 2 : Développements francophones vers l’Asie) suivant deux axes : l’un quantitatif concerne la situation générale et concurrentielle du français en Asie (IV.Environnement asiatique francophone) de façon régionale (IV.1.Situation linguistique régionale) et d’une façon localisée (IV.2.Contexte national francophone ) et l’autre aspect, qualitatif dans ce dernier cas, concerne la définition politique de la francophonie institutionnelle en Asie du Sud-Est et sa planification. Cette définition et cette planification francophones ont lieu lors du Sommet des Chefs d’Etats et de

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Gouvernements francophones en 1997 à Hanoi et Huê scellant le pacte francophone (V.Hanoi 1997 : Le Sommet Francophone). Ces reconstructions effectuées, nous bénéficions de la définition historique des acteurs, des missions et des structures francophones pour tourner notre regard d’enquêteur vers le terrain local, la ville de Huê et la Province de Thua Thien Hué afin d’ici observer in vivo les acteurs identifiés et les relations qu’ils tissent entre eux ou avec l’espace social vietnamien (Chapitre 3 : Systèmes de relations francophones au centre du Vietnam). Cependant, il s’agit de comprendre les propriétés actives et déterminantes de l’espace social civil, politique et géographique local vietnamien et son intégration dans un ensemble national dynamique (VI.Relations à l’espace vietnamien et implantation francophone) pour prétendre comprendre l’implantation et les enjeux des organisations francophones. Ainsi, l’espace social vietnamien est appréhendé dans sa dimension historique traditionnelle (VI.1.Les sociétés vietnamiennes et les premières contraintes) et suivant ses mécanismes dichotomiques modernes (VI.2.Les espaces sociaux actuels à Huê). Ceci effectué, il est finalement possible de considérer trois groupes d’acteurs réunis suivant trois groupes de relations qu’ils entretiennent avec l’espace social francophone vietnamien. Le premier système de relations étudié est d’ordre culturel et politique (VII.Relations culturelles et politiques francophones dans la province de Thua Thien Hué) parce qu’il regroupe des partenariats culturels variés de la vie francophone intellectuelle locale en leur proposant des ressources et des missions francophones variées comme l’accès documentaire, les formations pédagogiques, l’organisation de manifestations francophones et les règlements politiques des crises, parce qu’il se combine avec la censure et l’orthodoxie politique vietnamienne locale dans sa mission d’importation des produits culturels francophones. Le deuxième système de relations que nous avons observé à Huê révèle des relations d’enseignement scientifique (VIII.Relations de communication scientifique francophone à Huê) universitaire et de formation médicale francophones suivant deux exemples de coopération, l’un concernant les Filières universitaires francophones (VIII.1.Sciences francophones et ethnicisation de l’espace social) et l’autre, le programme de « Français Médical » (VIII.2.La Coopération Médicale francophone à Huê). Ils apparaîtront très contrastés quant à leur schéma de coopération et à la production de la compétence scientifique. Le troisième groupe de relations observable à Huê concernera les relations de coopérations scientifiques et/ou artistiques qui se

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développent dans le cadre de la restauration du patrimoine ou du Festival interculturel franco-vietnamien de Huê 2000 (IX.Relations francophones au patrimoine et à l’art impériaux de Huê). Dans le premier cas les relations qui s’établissent proposent un modèle d’entente technique qui repose sur le respect des principes fonctionnels de l’urbanisme de Huê (IX.1.1.Problématiques architecturales francophones et modèle de coopération) pour aboutir à la création d’une typologie descriptive de l’ensemble urbain traditionnel, typologie préalablement indispensable à l’aménagement urbain à venir qui veut concilier conservation du patrimoine, tourisme, accroissement et modernisation de la population. Le second cas de relations artistiques (IX.2.L’art et la manière : relation artistique francophone), à la différence de l’exemple précédent, devra être envisagé suivant ses dysfonctionnements révélateurs de comportements interculturels excluant.

Ainsi, avec ce troisième et dernier système de relations nous pouvons clore le chapitre proprement dédié à l’enquête de terrain préparée par la reconstruction historique de la francophonie et son évaluation quantitative dans l’ensemble asiatique. Contextes historiques, réalité quantitative régionale et observations de terrain de la réalité francophone vietnamienne permettent de rendre compte des trois dimensions de la francophonie actuelle : sa dimension historique et politique qui cherche à se constituer depuis 1970, sa dimension linguistique en termes quantitatif et qualitatif de possession de la langue française et sa dimension appliquée, localisée, c’est-à-dire sa réalisation in fine dans la réalité sociale dynamique francophone de Huê. Ainsi, les trois problématiques principales qui structurent la recherche ne sont pas hermétiques les unes par rapport aux autres. Elles sont en étroite relation car l’enquête propose comme outil de compréhension de la réalité francophone asiatique une structuration de la réflexion en terme d’échelle d’observation qui dirige les préoccupations du chercheur du global vers le local et du local vers le global. Ces allers et retours de la pensée ont plusieurs vocations.

D’une part, il s’agit de comprendre historiquement et dans son déploiement international les caractéristiques politiques et sociologiques de l’ensemble francophone qui actuellement se tourne vers l’Asie. Cette volonté de description au niveau global intervient dans la compréhension locale du développement des organisations francophones, dans les stratégies générales que poursuivent les acteurs francophones suivant leur appartenance structurelle. Il en va de même pour l’histoire du Vietnam. Sa perception au niveau global, notamment dans sa dimension géodynamique, va permettre une compréhension locale des

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enjeux et des espaces sociaux au sein desquels les organisations francophones et les acteurs francophones vont venir tisser leurs relations. L’environnement global est donc considéré comme un déterminant de la situation francophone. Cependant, il s’agit pour nous d’allers et retours, ainsi la monographie de l’espace social francophone vietnamien de Huê va modifier la compréhension que nous avons du développement francophone occidental et vietnamien. Les recherches documentaires sur le terrain auprès de l’antenne de coopération linguistique et éducative de l’Ambassade de France à Huê, dans les archives des Filières Universitaires francophones, dans les départements vietnamiens d’enseignement du français ou auprès du bureau municipal des relations internationales, les documents de travail ou les livrets pédagogiques recueillis dans les missions de conservation du patrimoine et du paysage urbain ou de l’enseignement précoce, et détaillés dans leur usage avec les formateurs francophones, les interviews conduites sur plusieurs années avec les enseignants, responsables locaux francophones occidentaux et vietnamiens universitaires, municipaux et régionaux, les interviews réalisées avec les « apprenant le français » confirmés ou débutants, les discussions collectives menées au sein des associations, les observations participantes des situations d’enseignement en Ecole Normale Supérieure, en classe bilingue comme enseignant ou comme lecteur, vont nous permettre la description détaillée de la francophonie. Ces matériaux vont rendre possible la description et la compréhension détaillée et précise du fonctionnement de la francophonie localement, la manière dont elle se réalise finalement, c’est-à-dire ce qu’elle est, en dépit des constructions politiques, symboliques ou administratives qui apparaissent au niveau global de son analyse. La démarche du chercheur est une démarche qui tend à vérifier et à corriger. A vérifier, d’une part, les propositions théoriques, les déterminismes structurels et les constructions politiques qui sont faites au niveau global du développement francophone, les vérifier dans l’accomplissement localisé de la francophonie et à les corriger d’autre part, c’est-à-dire les confronter aux résultats d’enquêtes produits par la monographie de l’espace social francophone de Huê.

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C H A P I T R E 1 : S Y S T E M E F R A N C O P H O N E D E R E L A T I O N S H I S T O R I Q U E S

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I. HISTOIRE OCCIDENTALE ET LANGUE FRANÇAISE

I.1. LE DEVELOPPEMENT EUROPEEN

La présentation simple des enjeux francophones des pays concernés par la francophonie, la France en premier lieu mais aussi la Belgique, le Sénégal et l’Afrique francophone, le Vietnam et le Canada (Québec) permet de rendre compte de l’institutionnalisation croissance de la francophonie et de l’augmentation de ses enjeux en même temps que du nombre de ses membres. En tête de ce mouvement, nous trouvons l’expansion de la présence française dans le monde et une langue support de son administration. Pourtant, il faudra différencier la tendance à l’expansion, volonté nationale coloniale au dix-septième siècle, de la francophonie institutionnelle du vingtième siècle qui apparaît comme une volonté intergouvernementale et internationale d’alliance librement consentie.

I.1.1. Des serments de Strasbourg aux colonies

La langue française reçoit une première reconnaissance politique en huit cent quarante- deux lorsque que les descendants de Charlemagne et de Louis le Pieu prononcent les Serments de Strasbourg et amorcent ainsi la domination de la langue nationale sur les langues régionales. Alors que ces différents patois régionaux ne sont soutenus par aucune politique centralisée, étatique et volontariste, la langue française s’affiche dès ses débuts comme un phénomène politique étroitement lié à une volonté unificatrice du pouvoir (royal). Avec l’avènement d’un monde républicain imprégné d’égalitarisme, la standardisation linguistique et la contractualisation de la société permettent de rompre avec les prérogatives ethniques ou claniques. Cette domination s’effectue en allant contre les langues régionales, et aussi contre le latin. Ainsi, du seizième siècle par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose le français dans les actes de justice de la royauté française, à la création de l’Académie française par Richelieu au dix-septième siècle, synonyme de normalisation, d’institutionnalisation et de centralisation de la langue française et jusqu’aux décisions révolutionnaires qui imposent le français pour tout acte public, la langue française entre dans un système institutionnalisé, normalisé et unificateur. L’école

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obligatoire de Jules Ferry amplifie cette action de cohésion nationale que provoque l’utilisation du français. Les Français s’unissent autour d’un ciment linguistique qui, jusqu’à la loi Bas Auriol et la loi Toubon, ne déroge pas de sa mission de cohésion et de protection de l’identité nationale25. Cette mission dévolue à la langue française va dépasser à la fin du dix-neuvième siècle le cadre de l’unité nationale. En rapport avec les possessions coloniales, la volonté politique d’expansion de la langue française et des institutions qui l’accompagnent en la soutenant, va devenir patente. La création, en 1884, de l’Alliance Française26 est significative de cette dynamique d’expansion. L’exportation des structures linguistiques, mais aussi politiques, économiques et philosophiques aura donc profité de l’expansion du territoire français rendue possible par la possession de colonies où l’école coloniale va afficher, ainsi, ses objectifs.

I.1.2. Le français et l’administration

Il est difficile de soutenir que l’action coloniale française en matière d’enseignement dans les colonies est directement guidée par des objectifs humanistes. De fait, la formation de cadres indigènes pour le fonctionnement de l’administration française, (quand la colonie n’apparaît pas comme une colonie de peuplement) ou la volonté de réduire les modes traditionnels d’organisations et d’attributions des qualifications (quand ceux-ci menacent la domination impériale puis républicaine) sont des mobiles appropriés pour définir l’action scolaire dans les colonies françaises. Ces actions, sans représenter une volonté directe d’expansion de la langue, participent à la divulgation hors de France et hors d’Europe du modèle linguistique français attaché de près à l’administration. La langue représente radicalement la structuration de l’Etat, du politique et de la société civile. Ce n’est pas la langue de Molière qui se divulgue mais un français minimum utile à la compréhension des ordres militaires tout au mieux, suffisant pour accomplir des tâches subalternes dans l’administration coloniale. Nous pouvons objecter à nos réflexions que la présence coloniale française à travers le monde a suscité également l’apparition d’élites

25 Le débat sur le statut des langues régionales n’est pas clos en France et le 16 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que « la charte européenne des langues régionales comportait des clauses contraires à la constitution française » du point de vue de la reconnaissance et du maintien des langues régionales, in Bulletin Officiel, 17 juin 1999.

26 « Maintenir et étendre l’influence de la France par la propagation de sa langue, tel fut le mot d’ordre retenu par les créateurs de l’Alliance Française » in BARRAT, Jacques, Géopolitique de la francophonie, pp.19 à 21.

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indigènes propres à chaque pays colonisé. On pourra objecter aussi que le système colonial français a rencontré, notamment en Afrique, des systèmes sociaux où l’école ne représente pas le moyen de transmission et de sanction du savoir. Il est alors possible de dire que la Mère patrie a partiellement réussi sa mission civilisatrice, quand bien même elle se serait fixée ce but, mais que les conditions sociales préexistantes à sa domination n’ont pas permis une alphabétisation plus globale des populations indigènes. Ces réflexions, si elles étaient poursuivies, conduiraient sans doute à conclure au rôle bénéfique de la colonisation sur l’épanouissement intellectuel des populations soumises et à conclure aussi que les faibles résultats de l’école coloniale ne sont dus qu’à un manque de moyens et à un manque de temps. Il n’en faut pas moins pour soutenir a priori une vision quelque peu irréaliste de la francophonie actuelle qui peut apparaître comme la prolongation de l’aspect bénéfique de la colonisation, à savoir l’apport intellectuel en langue française qui l’accompagne. Nous aurons la possibilité de rendre discutable cette mission civilisatrice (même involontaire) et par là même de remettre en cause l’aspect bénéfique pour les groupes indigènes de la révolution culturelle et intellectuelle apportée par la langue française, d’un point de vue historique avec l’exemple franco-colonial africain ou vietnamien et actuellement avec le cas francophone du centre du Vietnam. Il est possible aussi d’ores et déjà de répondre à l’objection qui fait de l’apparition d’élites francophones dans les colonies la preuve de la volonté française de civiliser ou plus simplement d’offrir des outils nouveaux de compréhension du monde moderne, c’est-à- dire, occidental. Les élites doivent-elles être comprises comme le résultat direct de la colonisation, c’est-à-dire le résultat direct des politiques publiques scolaires menées entre 1881 et 1956 ? Ne faut-il pas au contraire considérer, grâce à l’exemple indochinois et l’émigration des jeunes Vietnamiens vers les universités françaises métropolitaines ou japonaises et ce dès 1920, qu’il s’agit d’une réappropriation de la langue française qui s’est en partie vécue chez les élites indigènes devenues frontistes et révolutionnaires? La langue française peut-elle être autre chose qu’un don humaniste, n’est-elle pas plutôt un atout récupéré ? Cette appropriation se fait par nécessité pour préserver une domination intellectuelle mise à mal par la colonisation, une réappropriation volontaire comme en témoigne l’immigration vietnamienne intellectuelle après le nouveau règlement général de l’instruction publique, pour pallier les déficiences et les exclusions provoquées, entre autres, par le système de l’école à deux vitesses, indigène et française. Avant de nous

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préoccuper des résultats de l’action linguistique coloniale passée et présente, il s’agit de poursuivre notre parcours historique de l’épanouissement primitif de la langue française fondé sur des procédés de distinction sociale et des luttes politiques. La Belgique et le Canada offrent des exemples historiques intéressants à ce propos.

I.1.3. L’exemple belge

L’essor de la langue française s’est produit également par une autre voie que la divulgation rendue obligatoire par l’administration coloniale française, de façon externe à la France.

En effet, trois pays européens (la Belgique, le Luxembourg et la Suisse) vont y trouver de nombreux atouts pour réaliser leur union nationale ou la domination socio-économique et politique d’un groupe social sur un autre. C’est le cas de la Belgique où dès la naissance de l’Etat, la langue française se superpose à une structuration de la société. A l’indépendance du royaume en 1830 jusqu’au début du vingtième siècle, la Belgique connaît deux groupes sociaux principaux les Wallons et les Flamands qui composent sa population. En Wallonie, la population est francophone. Sous influence directe et frontalière de la France, les Wallons adoptent le parlé français. Au nord, la population flamande fortement et historiquement influencée par les Pays-Bas et par l’Allemagne opte pour des pratiques linguistiques différentes, néerlandaises ou allemandes. Ces pratiques linguistiques distinctes et antagonistes vont se confondre avec la structuration socio-économique du pays. La Belgique wallonne profite, avec le début du siècle, de la révolution industrielle.

Cette région devient prospère en raison du développement du secteur minier et du secteur primaire alors que la région flamande va connaître progressivement une récession provoquée par la chute des systèmes agricoles familiaux traditionnels en Europe. Les pratiques linguistiques vont devenir des pratiques de distinction sociale. Le français est synonyme de réussite et de domination d’un groupe social sur un autre fondées essentiellement sur des facteurs économiques. Son utilisation va vouloir s’imposer à l’ensemble du territoire et de la population en provoquant des usages linguistiques antagonistes ou mixtes. Cette hégémonie de la langue française va progressivement être remise en question suivant que les conditions socio-économiques qui la soutenaient vont se modifier. Les mouvements de contestation en Flandre vont trouver leur apogée en 1921 avec l’obtention du bilinguisme attaché à la notion de territorialité. Il s’agit de

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