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Dépôt Institutionnel de l’Université libre de Bruxelles / Université libre de Bruxelles Institutional Repository
Thèse de doctorat/ PhD Thesis Citation APA:
Vilain, M. (1979). Pour une université ouverte: contribution authentique à l'éducation permanente (Unpublished doctoral dissertation). Université libre de Bruxelles, Faculté des Sciences psychologiques et de l'éducation, Bruxelles.
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lu
UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
-/A
~ULTE DES SCIENCES PSTCHOLOGIQUES ET PEDAGOGiaUES
i
POUR UNE UNIVERSITE OUVERTE,CONTRIBUTION AUTHENTIQUE A L'EDUCATION PERMANENTE
(^)
Vol.I.
Michel VILAIN
Thèse présentée en vue
1050 BRUXELLES
UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
FACULTE DES SCIENCES PSYCHOLOGIQUES ET PEDAGOGIQUES
POUR UNE UNIVERSITE OUVERTE,CONTRIBUTION AUTHENTIQUE A L'EDUCATION PERMANENTE
Vol.l.
Michel VILAIN
Thèse présentée en vue de l’obtention du grade de Docteur en Sciences Pédagogiques
LIMINAIRE.
£.
. -Pages
6 .-
INTRODUCTION. 8.-
PREMIERE PARTIE : 15.-
EDUCATION PERMANENTE - REALISATIONS ACTUELLES ET PROJETS A L'ETRANGER ET EN BELGIQUE AU NIVEAU UNIVERSITAIRE.
O O O
CHAPITRE I. : POUR UNE STRATEGIE DE L'EDUCATION 16.- PERMANENTE.
A. Les concepts de stratégie, d'éducation perma- 16.- nente et les rôles de 1'université avant et
après la révolution industrielle.
B. Société et éducation. 31.-
C. Notre société et l'éducation. 34.-
1. Les aspects socio-économiques. 34.- 2. Les aspects politiques et sociaux. 54.- 3. Les aspects psychologiques et sociologiques. 64.-
D. Conclusions du chapitre I. 80.-
CHAPITRE II. : ANALYSE CRITIQUE DE REALISATIONS ACTUELLES 88.- A L'ETRANGER EN MATIERE D'EDUCATION PERMA
NENTE AU NIVEAU UNIVERSITAIRE.
A. L* "Open university" britannique. 88.- B. Le système américain des études coopératives. 118.-
C. Les études coopératives au Canada. 128.- D. Le système britannique des études supérieures 135.-
en "sandwich".
E. La situation de l'enseignement supérieur dans 141.- quelques pays socialistes.
F. Conclusions du chapitre II. 156.-
CHAPITRE III. ; ANALYSE CRITIQUE DE REALISATIONS ACTUELLES 163.- ET DE PROJETS EN BELGIQUE EN MATIERE
D'EDUCATION PERMANENTE AU NIVEAU UNIVERSI
TAIRE.
A. L'Institut supérieur de Culture ouvrière 163.- (I.S.C.O.).
B. La Faculté ouverte de Politique économique et 183.- sociale (F.O.P.E.S.).
C. La Fondation André RENARD (F.A.R.). 199.-
D. L'Institut universitaire de Formation permanente 206.- (I.N.U.F.O.P.).
E. La proposition de loi des Sénateurs 216.- R. VANDEKERCKHOVE et H. LEYNEN.
F. Le projet du Centre universitaire de Charleroi 220.- (C.U.N.I.C.).
G. La proposition de loi déposée par le Député 235.- HANSENNE portant création d'une université ouverte.
H. Le projet d'université ouverte élaboré par le 242.- Mouvement ouvrier chrétien (M.O.C.).
I. Rapport du groupe de travail promoteur de l'univer- 250.- sité ouverte.
J. Conclusions du chapitre III.
258.-
4.
DEUXIEME PARTIE :
L'INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FORMATION PERMANENTE 267.- (I.N.U.F.O.P.).
O
O O
CHAPITRE IV. ; LES ETUDIANTS DE L'INSTITUT UNIVERSITAIRE 268.- DE FORMATION PERMANENTE (I.N.U.F.O.P.).
INVESTIGATION PAR QUESTIONNAIRE.
A. Eléments fournis par l'I.N.U.F.O.P. en vue 269.- d*établir un profil des premiers étudiants ins
crits .
B. Investigation par questionnaire portant sur 277.- toute la population étudiante de l'I.N.U.F.O.P..
C. Conclusions du chapitre IV. 458.-
Pages
CHAPITRE V. ; L'INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FORMATION 466.- PERMANENTE (I.N.U.F.O.P.).
INVESTIGATIONS COMPLEMENTAIRES.
A. Interviews de groupes d'étudiants. 466.-
B. Organes de direction et de concertation à 523.- 1'I.N.U.F.O.P..
C. Avis de quelques enseignants de l'I.N.U.F.O.P.. 529.-
D. Conclusions du chapitre V. 536.-
O
O O
CONCLUSIONS DU TRAVAIL ;
LES CONDITIONS A RESPECTER POUR LA CREATION D'UNE 549.- UNIVERSITE OUVERTE, CONTRIBUTION AUTHENTIQUE A
L'EDUCATION PERMANENTE.
BIBLIOGRAPHIE.
ANNEXES.
TABLE DES MATIERES.
574.-
589.-
694.-
O
O O
LIMINAIRE
Nous exprimons également notre gratitude à tous ceux qui ont contribué à la réalisation des différentes phases de notre recherche-
Nous remercions tout spécialement le Professeur
J. LECLERCQ-PAULISSEN, dont les avis nous ont été particu
lièrement utiles lors de l'analyse de contenu.
Enfin, notre reconnaissance va aussi aux responsables et aux étudiants de 1'I.N.U.F.O.P.. Leur disponibilité ne s'est jamais démentie chaque fois que nous les avons solli
cités. Sans leur collaboration, nous n'aurions pu réaliser nos investigations "sur le terrain".
8.-
INTRODUCTION
JUSTIFICATION DU CHOIX DU SUJET ET APERÇU
SOMMAIRE DU TRAVAIL.
Depuis quelques années, l'idée de créer une université ouverte a fait son chemin dans notre pays. D'abord envisagé dans les milieux pédagogiques, le projet fut bientôt discuté
dans les aéropages politiques et syndicaux de diverses tendances.
La presse écrite et parlée ne tarda pas à rendre compte des dif
férentes prises de position en la matière. Celles-ci étaient nombreuses et souvent divergentes quant aux objectifs poursui
vis. Le danger était grand, et il l'est encore, de voir chaque tendance tirer "la couverture à soi", avec pour conséquence que des embryons de réalisation soient adoptés et jouissent d'une extension sans étude sérieuse préalable ou que, par lassitude, on finisse par introduire chez nous, sans la modifier, une expé
rience étrangère déjà célèbre, en l'occurrence 1' "Open Univer- sity" britannique. C'est en raison des prises de position multi
ples et souvent contradictoires que nous avons été amené à nous intéresser à ce sujet.
D'autre part, des motivations plus affectives ont certaine
ment joué ; nous avons nous-même effectué nos études de licencié en sciences pédagogiques en exerçant simultanément une activité professionnelle, celle de régent dans l'enseignement secondaire.
Il était donc normal que nous soyons sensibilisé à ce problème.
Plusieurs éléments nous paraissent inquiétants dans la manière dont le thème de l'université ouverte a été abordé jusqu'ici.
L'accent a toujours été mis, à juste titre, sur l'aspect démocratisation de l'université, l'université ouverte étant con
sidérée comme la panacée qui allait enfin amener une véritable
égalité des chances. Malheureusement, on oublie trop souvent que l'enseignement universitaire et supérieur se situe au som
met de la pyramide scolaire et qu'une mesure isolée à ce niveau, comme la création d'une université ouverte, risque de ne pas changer fondamentalement la situation. H. SIMONET l'a exprimé sans équivoque : "La réforme de l'université, quelle qu'en soit aujourd'hui l'impérieuse nécessité, restera inopérante, si elle demeure isolée dans l'ensemble de la pyramide scolaire" (1).
La déperdition des effectifs et les retards scolaires dus à des conditions de vie défavorables sur les plans socio
culturels et socio-économiques se manifestent dès le début de la scolarité primaire. C'est donc avant l'entrée dans le primaire et pendant tout le cursus scolaire (du primaire au supérieur en passant par le secondaire) qu'il convient d'adopter un ensemble de mesures coordonnées.
D'autre part, non seulement on a généralement tendance à ne considérer que le sommet de la pyramide mais, en outre, plusieurs articles, plusieurs projets, voire certaines réalisations donnent à penser que l'université ouverte serait essentiellement une uni
versité pour adultes se développant à côté des universités exis
tantes, qui resteraient destinées aux jeunes en cours de forma
tion. Comment, dans ces conditions, serait-il possible de vrai
ment démocratiser ? Le monde universitaire connaît des difficul
tés. Dans les milieux progressistes, on le taxe volontiers de con
servatisme. Quelle raison y aurait-il de se réformer dès lors qu'une université ouverte parallèle serait mise sur pied ? Celle- ci risquerait fort de devenir, qu'on le veuille ou non, une uni
versité-alibi permettant aux institutions traditionnelles d'ali
menter leur résistance au changement. Les jeunes gens provenant de milieux défavorisés seraient donc abandonnés à leur sort.
^ En ce qui concerne le marché de l'emploi et les débouchés, certains milieux patronaux, généralement conservateurs, pour-
I
raient donner la priorité aux candidats issus des universités(1) H. SIMONET, La gauche et la société industrielle, p. 156.
10.-
établies de longue date : l'université ouverte deviendrait alors, à tort sans aucun doi^e, le parent pauvre de l'enseignement supé- rieur'7~~ ^ ^
Enfin, qui nous dit que l'université ouverte parallèle pour adultes attirerait en suffisamment grand nombre, les candidats qui, pour des raisons sociales ou culturelles, n'ont pu poursui
vre leurs études ? Plusieurs recherches montrent (1) qu'un ni
veau déjà élevé de scolarité est nécessaire avant que se dévelop
pe le désir de poursuivre une formation permanente pour les adul
tes.
Nous ne pouvons que souscrire entièrement à l'opinion émise par C. DEJEAN ; "Le danger est grand que 1'approche du problème soit placée sous le signe d'une certaine 'fuite en avant'. Et hélàs, il faut bien reconnaître que les effets combinés de la dé
magogie, de l'absence de coordination interministérielle, de con
cepts directeurs et d'études portant sur les besoins et les moti
vations des publics potentiellement concernés, se font sentir pour l'instant dans notre pays" (2).
Quand on se trouve confronté à un problème d'éducation d'une telle ampleur, la précipitation doit être exclue. Toute étude con
cernant cette question doit être abordée d'un point de vue complémen
taire et prospectif, afin de mettre en évidence les divers facteurs en jeu et d'éviter une simplification abusive des choses. En fait, le problème à résoudre est triple.
1) L'université et l'enseignement supérieur ont aujourd'hui, parmi leurs rôles, celui de préparer les cadres supérieurs de notre société à accomplir valablement les tâches complexes indispen
sables au développement économique et social. La collectivité investit de gros moyens financiers dans ce but. Les gaspillages doivent absolument être évités. L'adéquation entre les forma
tions dispensées et la réalité doit être aussi étroite que pos
sible. Cela n'est certes pas facile étant donné l'évolution
(1) Infra, pp. 72-76.
(2) C. DEJEAN, Introduction à la problématique de l'université ouverte, p. 18.
sans cesse accélérée enregistrée dans les domaines scientifi
ques et techniques et les mutations qu'elle entraîne.
2) La démocratisation doit être assurée partout, même au niveau de l'enseignement universitaire et supérieur. L'enseignement de caste doit être aboli.
3) Les développements récents de l'analyse institutionnelle nous amènent à penser que les personnes en formation ne peuvent plus être considérées comme des objets, mais plutôt comme des sujets responsables de leur développement. Pour ce faire, il faut tenir compte de leurs besoins psychologiques, qu'ils soient intellectuels ou affectifs.
Si nous voulons vraiment changer l'université et l'ouvrir, nous devons résoudre simultanément les trois problèmes repris ci-dessus.
Nous désirons, par notre étude, dégager les conditions, pour que l'université ouverte constitue une contribution authentique à l'éducation permanente. /
/
Nous devons, au préalable, préciser les bases et les limi
tes de cette contribution.
1) Nous ne pouvons nous contenter d'une approche trop simple des problèmes, mais nous devons, au contraire, les situer dans le cadre d'une stratégie de l'éducation permanente. Trop souvent, la pratique éducationnelle se déroule selon le mode du travail parcellaire. Prisonniers d'un système, nous oeuvrons au jour le jour pour parcourir des cycles d'enseignement pensés et éla
borés en termes de matières. Un hiatus de plus en plus marqué finit par apparaître entre les diverses réalités de la société d'une part, et les pratiques scolaires d'autre part. Lorsque ce distanciement devient évident - et il ne le devient qu'au bout d'un cheminement plus ou moins long et chez certains es
prits perspicaces seulement - on a recours à des réformes, souvent élaborées à la hâte, avant d'avoir pu analyser objecti
12.-
vement les divers déterminants actuels et les perspectives d'avenir.
Analyse des déterminants présents dans la société selon la méthode de la complémentarité et prospective nous paraissent être les fondements d'une véritable stratégie éducationnelle.
Le premier chapitre de ce travail sera donc consacré à l'expli
cation d'une stratégie de l'éducation permanente.
Avant toute chose, nous devrons nous mettre d'accord sur
l'acception des divers signifiants utilisés. Il s'agit de par
ler un langage clair. La première partie du chapitre sera donc consacrée à la définition des concepts de stratégie, d'éduca
tion permanente et à l'examen des rôles de l'université avant et après la révolution industrielle.
Nous voulons qu'il y ait adéquation entre l'évolution de notre société et l'éducation. Mais, en fait, y-a-t-il correspondance entre les caractéristiques d'une société et le système d'édu
cation pratiqué dans la dite société ? Si les deux sont indé
pendants, il ne sert à rien que nous analysions notre société d'un point de vue complémentaire et prospectif pour en tirer des conséquences sur le plan pédagogique.
La deuxième partie du chapitre premier sera donc constituée d'un aperçu historique tendant à montrer que des changements dans la société entraînent également des modifications au ni
veau du système éducatif. Il y a donc bien liaison société- éducation.
Ce point ayant été établi, nous pourrons procéder à l'étude complémentaire et prospective de notre société. Dans cette troisième partie du chapitre, nous envisagerons successivement les aspects socio-économiques, les aspects politiques et so
ciaux ainsi que les aspects psychologiques et sociologiques.
Après l'examen de chacun de ces points de vue, nous mettrons en évidence les conséquences pédagogiques qu'ils entraînent.
Ces conséquences seront rassemblées dans un tableau de synthèse sous la forme d'une série de propositions concrètes, qui cons
tituent en fait les critères d'une véritable stratégie de l'édu cation permanente. Il s'agira du point d'aboutissement du pre
mier chapitre.
2) Il est évident que les expériences en cours et les projets déjà élaborés exercent ou exerceront une influence certaine
sur l'organisation d'une université ouverte. Il s'avère donc indispensable d'analyser ce qui se fait et ce qui se prépare officiellement. Nous procéderons donc à un inventaire suffisam ment vaste des projets et des réalisations en matière d'éduca
tion permanente au niveau universitaire. Au deuxième chapitre, nous examinerons les apports de 1'étranger et au troisième, ceux de la Belgique.
3) Avant de tirer des conclusions définitives, nous avons pensé qu'il s'avérait indispensable de demander leur avis, à des personnes déjà engagées dans un cycle de formation permanente, en l'occurrence les étudiants de l'Institut universitaire de Formation permanente (I.N.U.F.O.P.).
C'est ce que nous ferons aux quatrième et cinquième chapitres.
Grâce aux démarches reprises aux points 2) et 3), nous pour
rons tirer des leçons utiles en tenant compte des critères déga
gés au chapitre I.
La triple voie d'approche suivie nous permettra de tirer des conclusions, qui représentent en fait les conditions à respecter si l'on veut vraiment la création d'une université ouverte qui soit une contribution authentique à l'éducation permanente.
Le schéma de la page suivante traduit le cheminement métho
dologique que nous venons d'expliciter.
14
.-
Chemlnement méthodologique suivi au cours du travail.
EDUCATION PERMANENTE - REALISATIONS ACTUELLES ET PROJETS
A L'ETRANGER ET EN BELGIQUE AU NIVEAU UNIVERSITAIRE.
16.-
CHAPITRE I. : POUR UNE STRATEGIE DE L’EDUCATION
PERMANENTE
A. LES CONCEPTS DE STRATEGIE, D'EDUCATION PERMANENTE ET LES
ROLES DE L'UNIVERSITE AVANT ET APRES LA REVOLUTION
INDUSTRIELLE.
Afin d'éviter toute équivoque, il convient de définir claire
ment quelle acception nous donnons aux termes de stratégie et d'éducation permanente et de mettre en évidence les rôles de l'université avant et après la révolution industrielle.
1. Qu'entend-on par stratégie éducationnelle ? Sa justifica
tion.
Divers auteurs ont insisté sur la nécessité dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui d'élaborer une stratégie éduca
tionnelle.
E. FAURE est très explicite à ce sujet ; "Le fait est qu'à notre époque de mutations socio-économiques, scientifiques et technologiques, les sociétés ne peuvent plus se contenter, comme il est dans leur nature de s'y borner, de 'renouveler perpétuelle
ment les conditions de leur propre existence' (DURKHEIM); elles ont besoin d'une éducation qui, reflétant les transformations sociales et économiques, leur permette de s'adapter au change
ment et même qui y concoure" (1).
Citant deux spécialistes soviétiques, E. FAURE ajoute ;
"C'est pourquoi il est Impossible de considérer la prévision du
(1) E. FAURE, Apprendre à être, p. 34.
développement de l'éducation comme un problème séparé : il n'est qu'une part - aussi importante soit-elle - du problème de la prévision économique et sociale intéressant divers pays ou groupes de pays" (1).
Pour G. LEROY : "Une stratégie pédagogique est une organi
sation dynamique et globale de l'éducation, fondée sur des pers
pectives larges et à long terme. S'appuyant sur une synthèse des déterminants, relatifs au devenir de la personnalité et à l'évo
lution de la société, elle s'attache essentiellement à dessiner les grands axes de l'action pédagogique" (2).
Il est évident que, dans un monde en pleine mutation, il n'est plus concevable de réduire la pédagogie à un ensemble de
"recettes" immuables que les adultes destinent aux jeunes géné
rations. Chaque personne responsable d'actions de formation se doit de déterminer ses objectifs en tenant compte de facteurs multiples complémentaires.
Le schéma de la page suivante illustre les divers facteurs intervenant, selon nous, dans l'élaboration d'une stratégie édu- cationnelle.
(1) E. FAURE, op. cit., p. 34.
(2) G. LEROY, Stratégie et didactique de l'école rénovée, p. 1.
18.-
Stratégie éducationnelle.
Point de vue axiologique.
Point de départ de toute stratégie éducationnelle : déterminer les fins de l'éducation. ____— - — ---
Niveau de décision : il s'agit ici de la politique éducative générale, qui énumère les grandes options en rapport avec les besoins de la société, les valeurs qui y ont cours et 1'idéolo
gie adoptée.
L'axiologie nous indique LE TYPE D'HOMME SOUHAITE sous la forme de déclarations d'intentions.
'oint de vue des sciences humaines.
I déclarations d'intentions ne sont qu'un point départ. Elles doivent être précisées, adap-
!s aux "clients" que sont les personnes en Tnation. Les sciences humaines comme la psy- )logie, la pédagogie, la sociologie, la lin- -Stique et même des notions de physiologie en
>port avec le comportement nous donnent des lications sur L'HOMME TEL QU'IL EST.
Point de vue scientifique.
Il ne suffit pas d'avoir des renseignements sur la population â laquelle on est confronté. Les disci
plines à enseigner constituent le message â trans
mettre. Chaque discipline a une logique interne et des méthodes propres.
Le point de vue scientifique concerne l'analyse des DISCIPLINES (leurs CONTENUS, leurs METHODES) éclai
rée par la RECHERCHE PEDAGOGIQUE, les ESSAIS EXPE-
Niveau de décision : nous nous trouvons ici au niveau de la gestion éducative. Elle doit intégrer les apports résultant du point de vue des sciences humaines et du point de vue scientifique (connaissance du "client" et du message à transmettre). Cette intégration nous fournit le profil idéal des enseignés dont nous avons la charge.
Prise en considération du point de vue institutionnel.
Il s'agit de l'ensemble des contraintes résultant de l'action en institution, des conditions matérielles favorables ou défa
vorables, des résistances.
L'intégration de ce point de vue est indispensable pour en ar
river â l'étape suivante.
Opérationnalisation des objectifs.
Niveau de décision : l'action éducative proprement dite.
Les objectifs opérationnels résultent des étapes précédentes.
Ils comportent des situations précises d'apprentissage et des critères permettant de juger de la réussite ou de l'échec.
a. Le_point_de_vue_axiolo2igue.
C'est le point de vue à prendre en premier lieu en considé
ration. Il s'agit de déterminer les fins de l'éducation. Nous nous trouvons au niveau de la politique éducative. Le point de vue axiologique nous permet de déterminer le type d'homme sou
haité en fonction des besoins de la société, des valeurs qui y ont cours et de l'idéologie adoptée.
En ce qui nous concerne, nous pensons que l'éducation doit permettre à l'individu de développer harmonieusement ses poten
tialités. Cela implique que les structures éducatives doivent être au service de l'individu au lieu d'être conçues comme un instrument permettant à la classe dominante de maintenir ses privilèges par le biais d'une sélection fondée essentiellement sur l'origine socio-économique et socio-culturelle des éduqués.
Si les structures de la société et celles dé l'éducation en particulier sont susceptibles d'être amendées, l'action édu
cative pourra se limiter à susciter les changements indispensa
bles .
Par contre, si les structures sociales briment l'individu en raison de leur rigidité et de leur assujettissement aux désirs d'une oligarchie toute puissante, nous sommes d'avis que l'action éducative doit s'efforcer de provoquer la révolution dans la
société. Nous prenons donc position contre le conservatisme inté
gral et l'intégration habile au système politique et économique en place.
D'autre part, nous considérons le réformisme et la révolu
tion non comme des fins en soi, mais comme des moyens destinés à favoriser l'épanouissement individuel, le choix de ces moyens étant fonction des contingences temporelles et spatiales.
Dans notre stratégie de l'éducation permanente, nous exami
nerons si l'université actuelle est bien adaptée aux besoins socio-économiques de la société et dans quelle mesure elle répond
à une véritable démocratisation : il y aura donc, d'une part, des
20.-
aspects socio-économiques et, d'autre part, des aspects politiques et sociaux.
___ .-On ne-peut-en-rester"aux~dêclârations d'intentions exprimées lors de l'analyse du point de vue axiologique. On doit en arriver au niveau de la gestion éducative. Il s'avère indispensable d'éta
blir les profils des enseignés dont on a la charge. Cela ne peut se faire qu'en tenant compte de deux points de vue complémentaires.
1) Le point de vue des sciences humaines, dont la prise en considération permet une étude sérieuse de la population visée telle qu'elle est. Nous nous intéressons à des individus en forma
tion. Nous nous devons de tenir compte de leurs besoins psycholo
giques, qu'ils soient intellectuels ou affectifs. Les sciences humaines nous apportent des informations utiles sur les "clients"
que sont les enseignés. Dans le développement de notre stratégie de l'éducation permanente, il y aura donc également des aspects psychologiques et sociologiques.
2) Le point de vue scientifique : parallèlement à l'examen du point de vue des sciences humaines, il faut tenir compte du point de vue scientifique. Nous entendons par là l'analyse des diverses disciplines proposées aux personnes en formation. Chacune des matières enseignées a sa logique interne, ses exigences. Les méthodes qui conviennent à l'une ne sont pas nécessairement adap
tées à l'autre. Par exemple, la démarche historique ne se con
fond pas avec le cheminement logico-mathématique ou avec la mé
thode expérimentale du physicien. En ce domaine, la recherche pé
dagogique et les essais expérimentaux sont d'un précieux secours.
L'intégration des apports du point de vue des sciences humai
nes et du point de vue scientifique (connaissance du "client" et du message à transmettre) permet de dégager les profils des ensei
gnés dont nous avons la charge. Par exemple, si, dans le point de vue axiologique, on a conclu qu'il convenait de développer l'es
prit critique dans notre type de société, le point de vue des
sciences humaines peut nous aider à déterminer le genre de textes intéressant une population d'un âge donné et le point de vue
scientifique peut nous permettre d'opérer un tri parmi ces textes en fonction de leur degré de lisibilité.
Nous pourrons donc établir que les élèves de tel âge doivent pouvoir exercer leur esprit critique à partir des extraits litté
raires répertoriés. Il est évident que le point de vue scientifi
que ne pourra pas être abordé dans le cadre de ce travail, puis
qu'il est fonction de chaque discipline particulière. Il s'agit de recherches à mener en collaboration avec des "spécialistes".
c. Llopérationnalisation_des_objectifs.
C'est le niveau auquel toute stratégie éducationnelle doit aboutir : celui de l'action éducative proprement dite. Il faut en arriver à des objectifs opérationnels pour chaque discipline.
Pour ce faire, on doit prendre en considération l'aspect institu
tionnel, c'est-à-dire l'ensemble des contraintes résultant de l'action en institution, des conditions matérielles favorables ou défavorables, des résistances.
Lorsque cette prise en considération a été effectuée, on dé
termine les situations d'apprentissage possibles et les critères permettant de juger du degré de réussite.
Dans l'explicitation de notre stratégie, nous ne pourrons évidemment pas traiter cette dernière étape. L'aspect institution nel varie d'institution à institution. Il influence la détermina
tion des situations d'apprentissage et des critères de réussite, qui sont par ailleurs liés aux différentes disciplines.
Notre contribution en ce qui concerne l'élaboration d'une stratégie de l'éducation permanente reposera donc sur les aspects complémentaires suivants :
- les aspects socio-économiques;
- les aspects politiques et sociaux;
- les aspects psychologiques et sociologiques.
22.-
2. Qu'entend-on par éducation permanente ?
Tout le monde aujourd'hui s'accorde à reconnaître ou à proclamer que nous sommes entrés dans 1'ère de l'éducation
permanente. Cependant, les signifiés_ recouverts_ pa^r_cette ex-____ pression sont différents, voire contradictoires. Un inventaire
s'impose donc en ce qui concerne les diverses acceptions du terme.
Pour D. JEANMOTTE et S. FOLLET : "Sous ce concept, l'édu
cation permanente, on veut généralement désigner des systèmes de formation ou des institutions de formation destinés aux adultes et dont le fonctionnement s'inscrit en parallèle du système d'enseignement traditionnel soit pour le relayer, soit pour y suppléer lorsque celui-ci remplit mal le rôle que vou
drait lui voir remplir la demande sociale" (1).
Pour B. SCHWARTZ (2), l'éducation permanente ne se limite pas à l'éducation des adultes et celle-ci ne doit pas consister en une simple extrapolation, un service après-vente. L'éduca
tion des adultes doit être un système spécifique adapté aux besoins divers de cette population. D'autre part, ce système nouveau remet en même temps en question les autres systèmes éducatifs existants. "Parler de réforme du système scolaire n'a en fait déjà plus de sens; c'est une mutation profonde que
l'ensemble du système devra subir, et ceci à l'intérieur du cadre général d'une éducation permanente. La pédagogie et l'andragogie (ce terme, employé déjà dans certains pays, tra
duit le souci de chercher des méthodes de formation propres aux adultes) naissante ne peuvent plus se situer qu'à l'inté
rieur du cadre de l'éducation permanente" (3).
(1) D. JEANMOTTE et S. FOLLET, Les étudiants de l'I.S.C.O..
Elaboration d'une problématique des déterminants sociaux du retour à l'I.S.C.O., p. 58.
(2) B. SCHWARTZ, Réflexions sur le développement de l'éduca
tion permanente, pp. 3-11.
(3) B. SCHWARTZ, Op. Cit., pp. 1-2.
B. ROUX écrit ; "... l'adhésion intellectuelle à la notion d'éducation permanente est loin d'être acquise, quelle que soit l'expansion du thème dans les conférences, les colloques, les revues. Rares sont ceux qui y ont réfléchi et qui envisagent sérieusement de dépasser la situation actuelle qui consiste, encore une fois, à aider des individus paniqués à rester à niveau, à ne pas descendre..." (1).
Dans le même article, cet auteur considère que l'éducation permanente doit nécessairement passer par une restructuration générale de l'éducation. Il faut réaménager le début de l'édu
cation ainsi que les temps de travail professionnel au long de la vie adulte. L'emploi de la dénomination "les temps de travail professionnel" indique que l'auteur envisage la fin du découpage de la vie de l'individu en deux parties distinctes, à savoir : le temps de la formation durant la jeunesse d'une part, et celui de l'activité professionnelle durant la vie adulte, d'autre
part. La conception qu'il développe est celle d'une formation alternant, après l'acquisition d'une formation de base, les phases de travail professionnel et celles de formation.
E. FAÜRE s'exprime de la manière suivante : "Partout où il existe un système éducatif traditionnel, éprouvé de longue date, et dont on pensait qu'il suffisait de lui apporter de temps à autre quelques perfectionnements légers, quelques adaptations semi-automatiques, ce système suscite une avalanche de critiques et de suggestions qui vont souvent jusqu'à le remettre en cause dans son ensemble" (2).
Plus loin, l'auteur écrit : "Si les études ne peuvent plus constituer un 'tout' définitif qui se dispense et se reçoit avant l'entrée dans la vie adulte, quel que soit le niveau de ce stock intellectuel et l'âge de cette entrée, il faut alors reconsidérer les systèmes d'enseignement dans leur ensemble et leur conception même ...
(1) B. ROUX, Les conditions de l'éducation permanente, pp. 35-36.
(2) E. FAURE, Op. Cit., p. 23.
24.
Si apprendre est l'affaire de toute une vie, à la fois dans sa durée et dans sa diversité, ainsi que de toute une société, en ce qui concerne tant ses ressources éducatives que ses ressources sociales et économiques, alors il faut aller encore au-delà de la révision nécessaire des 'systèmes éducatifs' et penser au plan d'une cité éducative" (1).
Nous avons recherché plusieurs prises de position rela
tives à l'éducation permanente, afin de mettre en évidence les signifiés recouverts par ces termes utilisés de plus en plus fréquemment par des personnalités des milieux politiques et pédagogiques.
Deux conceptions opposées paraissent se dégager. Certains pensent encore aujourd'hui que l'éducation permanente se limite à une simple addition, aux structures éducatives existantes, de structures nouvelles destinées aux adultes, dans le but de leur donner une deuxième chance de promotion sociale ou de les aider à rester a niveau dans leurs activités. Cette conception a pour conséquence que l'on vise à établir un nouveau réseau sans tou
cher aux structures éducatives existantes. Celles-ci sont même renforcées puisque, de toute manière, leurs insuffisances graves en matière de préparation à la vie professionnelle, de démocra
tisation et d'épanouissement des individus pourraient, en théo
rie, être atténuées. L'éducation permanente serait donc synony
me d'éducation des adultes.
D'autres spécialistes sont d'un avis différent. Ils pen
sent que l'éducation permanente englobe tout le champ de l'édu
cation et que le principe de l'éducation envisagée comme une nouvelle dimension de toute la vie implique une révision fonda
mentale des structures de base.
Si les conceptions varient en ce qui concerne la structure à donner à l'éducation permanente, il en est de même dans le domaine des contenus. Deux conceptions s'affrontent, celle du monde patronal et des technocrates d'une part, et celle du monde
syndical et des progressistes, d'autre part. A ce sujet.
(1) E. FAURE, op. cit., p. 37.
M.H. JANNE écrit ; "D'un point de vue patronal, on a souvent tendance - invoquant le 'pragmatisme' - à considérer la for
mation permanente essentiellement comme un investissement.
Pour être financièrement rentable, la formation doit être uti
litaire et capable de parer au plus pressé. Opérationnelle, elle doit consister en l'amélioration technique des agents de l'entreprise. Il s'agit d'adapter 1'homme aux besoins de 1'éco nomie. A la limite, un grand nombre d'employeurs seraient
prêts à déclarer que tout ce qui n'est pas d'ordre technique et d'une application immédiate ressort d'une illusion humani
taire et ne saurait aboutir qu'à une perte de temps et d'ar
gent.
Inversément, du point de vue syndical, on met très forte
ment l'accent sur la formation générale, la promotion socio
culturelle de l'ensemble des travailleurs ...
Cette conception humaniste se trouve quelque peu idéali
sée. Ainsi, pour un spécialiste français bien connu, s'agit-il de 'rendre capable toute personne de devenir agent de change
ment, c'est-à-dire de mieux comprendre le monde technique, social et culturel qui l'entoure et d'agir sur les structures dans lesquelles elle vit et de les modifier; d'apporter à cha
cun une prise de conscience de son pouvoir en tant qu'être agissant; de faire des êtres autonomes dans le sens d'être capables de se situer et de comprendre leur environnement, de l'influencer et de comprendre le jeu relatif entre l'évolution de la société et la leur propre, d'êtres capables de riposter à l'évolution de la société' (1).
Au surplus, les points de vue sont d'autant plus diffici
lement conciliables que prolifèrent de part et d'autre, les procès d'intention ...
En résumé, aux yeux des uns, les arguments pragmatiques et technologiques dissimulent une volonté de préserver un pou-
(1) B. SCHWARTZ, Pour une éducation permanente, p. 66.
26.-
voir arbitraire, tandis qu'aux yeux des autres, les préoccu
pations humanistes et culturelles servent de prétexte et de paravent à des menées subversives" (1).
En fait, on peut distinguer trois aspects principaux dans le contenu de l'éducation permanente.
a) Un aspect culturel instrumental : il s'agit de fournir à l'individu des connaissances et des moyens orientés vers l'exercice d'une activité professionnelle déterminée.
b) Un aspect culturel partiel ; les arts et la culture ne sont en fait que l'expression de l'existence vue par un milieu particulier. Seuls les milieux privilégiés ont pu disposer jusqu'ici des moyens d'expression et des outils d'analyse leur permettant d'affirmer leur culture. Développer la cul
ture ne signifie donc pas étendre une culture partielle
privilégiée aux autres groupes sociaux, mais donner à toutes les catégories sociales, les moyens d'exprinjer leur propre vision du monde.
c) Un aspect culturel global : la culture consiste surtout en la compréhension du monde dans lequel on vit. Chacun doit pouvoir connaître les structures, les idéologies, les méca
nismes qui régissent la vie sociale. Seule cette compréhen
sion permet de se situer, de choisir en pleine clarté et de s'exprimer dans l'action. L'homme cultivé est un homme plus libre dans une société plus démocratique.
Les tenants de l'option technocratique limitent l'éduca
tion permanente à son aspect instrumental. L'option démocrati
que vise le développement des trois aspects. Le fossé qui sé
pare les deux conceptions est donc important. Les démocrates et les technocrates prônent la fin de la division de la vie en deux périodes distinctes, le temps de l'école et le temps du travail productif et l'instauration de l'éducation permanente.
(1) M.H. JANNE, La formation permanente. Réponse à la crise des relations industrielles, p. 25.
Les signifiants sont les mêmes des deux côtés mais les signi
fiés sont loin de concorder.
D'autre part, l'éducation permanente limitée à son aspect instrumental peut présenter des niveaux différents correspon
dant à des besoins divers.
On distingue ;
a) le recyclage : il s'agit de cours destinés à maintenir les qualifications professionnelles pour une même branche pro
fessionnelle et à un même niveau;
b) le perfectionnement ; le but est ici d'améliorer les quali
fications professionnelles, afin que l'intéressé puisse obtenir, à un niyeau plus élevé, mais dans la même branche, un emploi meilleur et exigeant davantage;
c) la réorientation : on vise à préparer l'intéressé à l'exer
cice d'un métier différent, mais en principe, de même niveau
Nous constatons donc que le concept d'éducation permanente s'avère difficile à cerner. Deux conceptions différentes s'af
frontent quant à ses structures et à son champ d'application.
En ce qui concerne les contenus, trois possibilités apparais
sent, certains se limitant à l'une d'entre elles, d'autres envi sageant de les satisfaire toutes. Enfin, l'éducation permanen
te centrée uniquement sur l'aspect instrumental doit pouvoir répondre à trois types de demande.
Etant donné notre prise de position idéologique déjà men
tionnée (1), à savoir la recherche de l'épanouissement maximum de chaque individu, nous sommes partisan d'une éducation per
manente envisagée comme une nouvelle dimension de toute la vie, ce qui implique une révision fondamentale des structures de base. Nous sommes aussi pour des contenus n'englobant pas seu
lement l'aspect instrumental, mais aussi les aspects culturels
(1) Supra, p.l9.
28.-
partiel et global.
Nous justifierons notre position lors de l'analyse com
plémentaire et prospective des rapports existants entre notre société et l'éducation (1).
3. Les rôles de l'université avant et après la révolu
tion industrielle.
Les universités européennes sont apparues au Moyen Age.
Il s'agissait en fait de grands établissements généraux d'en
seignement supérieur. La société de cette époque est dicho
tomique. On peut en répartir les habitants en deux groupes opposés, à savoir les dominants, détenteurs du pouvoir et les moins nombreux d'une part, la masse de la population ne pos
sédant aucun droit d'autre part.
Cette société traditionnelle repose sur une économie de subsistance. La population travaille un nombre maximum d'heu
res par jour pour survivre péniblement et les individus appar
tenant à la classe possédante bénéficient seuls de loisirs et de temps libre. L'éducation intellectuelle est donc réservée à la classe dominante de la société, les autres apprenant leur métier "sur le tas". Les privilégiés ne doivent pas travailler pour vivre. L'éducation n'a donc pas pour eux un rôle fonction
nel. Par conséquent, la formation dispensée dans les universi
tés sera formelle, voire formaliste. La scolastique règne en maître, les penseurs de cette époque s'évertuant à faire coïn
cider l'héritage du monde gréco-romain, les exigences, de la raison et les impératifs dogmatiques des livres saints. Pendant des siècles, une distinction nette existera entre la culture universitaire, ornement de la vie et l'apprentissage pour le métier. L'université vivra en marge de la société. Elle aura ses traditions et ses lois propres. Son particularisme ira jusqu'à l'extraterritorialité. Elle se consacrera à la conser-
(1) Infra, pp. 34-79.
vation de l'héritage culturel de l'antiquité, à son explica
tion théorique à la lumière de la foi et à l'enseignement d'un ensemble de vérités définitivement établies.
Ainsi que le note J. FOURASTIE ; "L'humanité, depuis des millénaires, n'a accepté que la sélection du sang et celle de
l'action. C'est dans l'entreprise, et non dans l'université, que se forme l'entrepreneur. Jusqu'à une date très récente, dans la plupart des pays, ni l'agriculture, ni le commerce, ni même l'industrie, ne comptaient sur l'université, pour for
mer leurs cadres" (1).
La révolution industrielle du XIXe siècle va changer les données du problème. Le développement de l'esprit expérimental va engendrer des progrès scientifiques considérables et leurs corollaires, les progrès techniques seront utilisés par le
grand capital pour développer l'industrie. Les techniques moder nés vont devenir si complexes et leur progrès si rapide que le
savoir-faire va exiger un savoir préalable. Les entreprises ne pourront plus produire sans la collaboration de techniciens et cadres hautement qualifiés et elles vont se tourner vers l'université pour les obtenir. A côté de ses fonctions de con
servation et de transmission des valeurs du passé, celle-ci va devenir également une école professionnelle, pourvoyeuse d'un personnel de haute qualification scientifique de plus en plus nombreux. Elle devra aussi s'occuper de la recherche indispen
sable dans une société dynamique. Pour répondre valablement à ce défi, l'université doit surmonter deux obstacles de taille : la massification de l'enseignement (due aux besoins croissants de l'économie et aux exigences de la démocratisation de l'ensei gnement supérieur) et la connaissance de l'emploi.
Jusqu'à présent, elle a essayé de remplir son nouveau rôle en posant le problème en termes d'assimilation exhaustive d'un ensemble de connaissances en accroissement constant. Pour ce
(1) J. FOURASTIE, Faillite de l'université, pp. 20-21.
30
faire, elle est restée prisonnière du temps, celui de la jeu
nesse, perçu comme devant préparer à la vie professionnelle (avec pour conséquence l'allongement de la durée des études) et de l'espace, celui des campus universitaires, de leurs laboratoires, de leurs auditoires.
Y a-t-il ou non faillite de l'université ? Notre analyse complémentaire et prospective ultérieure (1) envisagera cette question.
(1) Infra, pp. 34-79.
B. SOCIETE ET EDUCATION.
L'éducation est une des grandes fonctions de toute socié
té humaine. Il s'agit d'une fonction sociologique. Dans toutes les sociétés, les adultes élèvent leurs enfants au point de vue biologique, mais aussi les éduquent. Dans les sociétés dites primitives, la fonction éducative est diffuse. Elle est exercée par le groupe tout entier à chaque moment et d'une ma
nière spontanée et non délibérée. L'enfant n'est pas instruit à telle ou telle heure, mais il s'instruit et se prépare à des rôles adultes en observant, en étant témoin et en participant à la vie des adultes. On retrouve une bonne description de cette éducation diffuse dans l'ouvrage de R. GALL, "Histoire de l'éducation" : "... jamais l'éducation n'a été plus agis
sante qu'en ces sociétés primitives où l'enfant, sitôt qu'il le pouvait, était mêlé aux occupations de ses parents, des adultes de son clan ou de sa tribu. Suivant et imitant son père ou sa mère, selon qu'il était garçon ou fille, à la chasse, dans les occupations ménagères ou agricoles, associé de bonne heure à leurs travaux dès qu'il pouvait rendre service, il apprenait sans le savoir à vivre sa vie d'homme. Et la vie, l'action, étaient sa véritable école. Education toute spontanée, à peu près consciente, bornée à la pratique de la vie et qui, exploi
tant les tendances naturelles de l'être, se faisait déjà par les jeux de l'enfant où l'on voit celui-ci tant de fois imiter l'adulte, puis par sa coopération aux travaux et occupations de ses aînés. Ainsi, les jeunes Australiens apprenaient-ils à lan
cer le javelot, à manier la hache de pierre, le bouclier d'écor
ce, le filet, le bâton ou à grimper aux arbres. Et les filles polynésiennes suivent leur mère et, en les regardant ou en les aidant, apprennent d'elles à préparer les écorces et à faire des nattes" (1).
L'éducation diffuse suffit lorsque : - les techniques connues sont peu nombreuses;
- ces techniques sont simples (poterie, confection d'armes, chasse, pêche);
(1) R. GALL, Histoire de l'éducation, pp. 9-10.
32.-
- la division du travail est peu poussée.
L'éducation ne devient systématique, institutionnalisée que lorsque les conditions suivantes sont réunies.
- Il faut que la société ait atteint un certain degré de déve
loppement et de bien-être. La lutte pour la vie ne doit pas être trop dure, trop envahissante. Dans le cas contraire, l'individu ne dispose ni du temps, ni des moyens nécessaires ni même de la motivation pour s'organiser en vue de promou
voir le progrès en matière d'éducation. Seule compte la sur
vie.
- Les techniques doivent se développer et devenir plus nombreu ses et plus complexes. On assiste alors à une certaine divi
sion du travail, chacun ne pouvant tout faire. La fonction éducative se spécialise aussi et se concentre dans certaines mains.
Le type d'éducation apparaît donc lié au type de société.
Ce passage de l'éducation diffuse à l'éducation institution
nalisée s'opère progressivement. Education institutionnalisée ne signifie d'ailleurs pas éducation généralisée. La société dite primitive ne se transforme pas rapidement en société de surplus. Elle passe par le stade intermédiaire de la société traditionnelle dichotomique, qui repose sur une économie de subsistance. En d'autres termes, la population travaille un nombre important d'heures par jour et produit, tandis qu'une minorité, la classe possédante, détentrice du pouvoir, bénéfi
cie de loisirs. L'éducation est alors institutionnalisée, mais ses structures, ses contenus et ses méthodes répondent aux be
soins de la minorité privilégiée. Les structures sont cloison
nées et comportent des sections privilégiées prenant en charge les enfants des possédants pour leur donner une éducation les préparant à leur vie d'adulte. Eventuellement, on ouvre d'au
tres sections réservées aux enfants des classes défavorisées, à qui on donne une formation rudimentaire, juste nécessaire
pour répondre aux besoins de la vie économique. L'éducation traditionnelle est sélective et cette sélection sévère cor
respond le plus souvent aux classes sociales. Comme les rap
ports- entre les individus dans la société, les relations entre maîtres et élèves sont celles de dominants à dominés, c'est- à-dire que ces relations sont autocratiques. D'autre part, l'école constitue pratiquement l'unique source d'informa
tions, les moyens de diffusion étant rares et onéreux. Cette éducation traditionnelle a prévalu chez nous jusqu'en ce ving
tième siècle. Devant les changements importants survenus dans la société, développement scientifique et technique accéléré, économie en croissance, progrès social, accroissement des pou
voirs des media, des tentatives de réforme de l'enseignement voient le jour dans les différents pays industrialisés. Ces tentatives visent à mettre les structures, les programmes et les méthodes de l'éducation institutionnalisée en accord avec l'évolution rapide de la société. Jusqu'à présent, ces réfor
mes ne sont que partielles. Elles ne concernent généralement qu'un niveau, par exemple, le secondaire, et elles ne sont pas impératives, ce qui peut amener la coexistence de deux systè
mes différents, comme c'est le cas en Belgique avec l'enseigne
ment secondaire traditionnel et l'enseignement secondaire ré
nové .
La liaison entre l'évolution de la société et le système éducatif en vigueur dans cette société nous apparaît comme un fait indubitable. Lorsqu'on veut analyser un problème d'ordre éducatif, il importe donc de le mettre en relation avec les conditions de vie ayant cours dans la société qui l'a engendré.
Si nous voulons examiner les problèmes éducatifs d'aujourd'hui, en particulier ceux ayant trait à l'université, nous devons donc les envisager sous l'angle de la relation entre notre so
ciété et l'éducation.
34.-
C. NOTRE SOCIETE ET L'EDUCATION.
Nous envisagerons donc les rapports existant entre notre société et l'éducation en nous plaçant à un point de vue stra
tégique, c'est-à-dire que nous analyserons la situation actuel le suivant la méthode de la complémentarité et en lui donnant une dimension prospective.
Nous aborderons successivement les aspects suivants :
1. socio-économiques;
2. politiques et sociaux;
3. psychologiques et sociologiques.
1. Les aspects socio-économiques.
a. Desçription_et_analyse_de_la_situation.
1. La consommation détermine la structure de l'emploi.
C'est devenu un cliché de déclarer que nous vivons
aujourd'hui dans une société de consommation. Celle-ci déter
mine la structure de l'emploi, son volume, la naissance de spécialisations nouvelles, la disparition de professions hier florissantes. Toute analyse sérieuse de la situation socio
économique passe par une étude de la consommation.
Les données statistiques concernant l'évolution de la consommation dans les pays industrialisés comme la Belgique, les Pays-Bas, la France, l'Allemagne Fédérale, le Royaume- Uni et les Etats-Unis ne manquent pas. H. JANNE, notamment, donne l'évolution de 1955 à 1968 (1).
Ces chiffres montrent que l'accroissement de la consom
mation privée est un phénomène général dans les pays indus
trialisés. Même si la part relative de la consommation privée par rapport à l'ensemble du produit national brut a tendance
(1) H. JANNE, Le temps du changement, Op. cit., pp. 22, 34, 35
à diminuer légèrement, ce type de consommation reste l'élément prépondérant, comme le montre le tableau suivant (1).
utilisation du produit intérieur brut aux prix du marché (%) 1975
Pays
Consommation privée sur le territoire
économique
Consommation collective des administrations
publiques
Formation brute de capital
fixe
Eur. 9. 62,0 16,3 21,7
Belgique 60,5 16,8 22,3
Pays-Bas 57,8 18,0 21,2
France 62,3 14,5 23,4
R,F. d'Alle- 60,9 14,7 21,5
magne
Royaume-Uni 61,4 22,2 19,9
U.S.A. 64,3 19,4 16,2
La consommation déterminant la production et, par consé
quent, la structure et le volume de l'emploi, il s'avère in
téressant d'examiner comment se ventile la consommation pri
vée. Vu son poids et le caractère irrationnel que peuvent prendre ses orientations, c'est elle qui peut amener les plus grands bouleversements dans l'activité économique. Elle se prête en effet moins aisément que la consommation publique et les investissements, à des décisions mûrement réfléchies, fai
sant partie d'un plan coordonné.
(1) Office des Publications officielles des Communautés
européennes. Statistiques de base de la Communauté, p. 31.
36.
H. JANNE cite de nombreux chiffres qui nous donnent la composition de la consommation privée et son évolution dans plusieurs pays industrialisés, de 1955 à 1968 (1).
Des chiffres plus récents viennent confirmer son analyse.
(1) H. JANNE, Le temps du changement, op. cit., pp. 24-25.
Composition de la consommation des ménages (%)
Consommation de produits et services divers en pourcentage du total.
R.F.
Allemagne
France Italie Pays-Bas Belgique
a) Produits ali
mentaires.
1970 24,1 28,2 39,9 28,3 28,1
boissons, tabacs.
1974 22,0 25,9 37,3 26,5 25,3
b) Articles d'ha
billement et
1970 10,8 9,2 9,3 10,6 8,8
chaussures. 1974 10,3 8,2 9,1 9,7 8,9
c) Logement et charges de dis-
1970 10,9 10,6 9,8 8,5 10,4
tribution d'eau . 1974 11,0 10,6 10,5 9,7 9,3
d) Chauffage et 1970 3,6 3,2 3,1 3,9 5,3
éclairage. 1974 4,5 3,6 3,4 3,8 5,1
e) Meubles, arti
cles de ménage.
1970 12,6 8,4 5,7 12,7 11,8
dépenses d'en
tretien courant
1974 12,1 8,9 6,2 11,0 14,1
f) Services médi
caux et dépen-
1970 9,3 10,3 6,9 8,3 6,9
ses de santé. 1974 9,7 11,4 7,6 10,6 7,4
g) Transports et 1970 11,7 10,6 10,7 9,4 10,4 communications. 1974 11,3 10,8 10,9 9,9 10,9
h) Loisirs, spec
tacles, ensei-
1970 7,7 6,8 6,1 7,8 4,7
gnement et cul
ture.
1974 7,8 7,2 5,5 8,3 5,5
i) Autres biens 1970 9,4 12,8 8,6 10,7 13,7
et services. 1974 9,3 13,4 9,5 10,6 13,4
T. 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
(1) Office des Publications officielles des Communautés européennes.
Indicateurs sociaux pour la Communauté européenne, pp. 164-165.
38.-
II apparaît que le consommateur serait, en général, de moins en moins intéressé par les biens primaires et se tour
nerait plus volontiers vers les biens secondaires et tertiaires.
Cette tendance ne peut évidemment manquer d'avoir des réper
cussions importantes sur la structure et le volume de l'emploi.
Selon la plupart des estimations, la répartition typique de la population active dans les sociétés traditionnelles se présente de la manière suivante :
- primaire : 80 à 90 %;
- secondaire ; 5 à 15 %;
- tertiaire ; 5 à 15 %.
Le tableau de la page suivante (1) nous donne l'évolution dans neuf pays industrialisés, y compris la Belgique.
(1) J. FOURASTIE, Les 40.000 heures, p. 67.
Pays Année
Secteur primaire (agriculture, forêts, pêche)
Secteur secondaire (industrie,
mines, bâtiment)
Secteur tertiaire (service dont
commerce, transports et communications)
Allemagne Fédé- 1950 24,7 42,9 32,5
raie. 1955 18,6 46,7 34,7
1962 13,3 48,2 38,5
Belgique, 1955 8,9 45,5 45,6
1960 7,6 46,5 45,9
France, 1901 42 30 28
1954 26,7 36,8 36,5
1962 20,6 38,6 40,8
Italie, 1955 36,6 34,4 29,0
1962 27,9 40,6 31,5
Luxembourg, 1960 16,4 42,2 41,4
Pays-Bas, 1935 12,1 41,5 46,4
1960 10,8 42,3 46,9
Royaume-Uni, 1960 6 48 46
1962 4 48 48
Suède, 1960 13,7 45,3 41,0
1968 9,3 47,0 49,7
Etats-Unis, 1850 65 18 17
1900 30 25 39
1950 12,0 36 52
1960 7,6 35,2 57,1
40.-
Les chiffres les plus récents dont nous disposons sont les suivants (1).
Pays Agriculture Industrie Services Total
EUR. 9. 8,7 41,7 49,7 100
R.F. d'Allemagne. 7,3 46,0 46,7 lOO
Belgique. 3,6 40,0 56,5 100
France. 11,3 38,6 50,0 lOO
Italie. 15,8 44,1 40,1 lOO
Luxembourg, 6,2 47,2 46,6 lOO
Pays-Bas. 6,6 34,8 .58,6 loo
Royaume-Uni. 2,7 40,9 56,4 100
Suède. 7,6 36,5 57,1 lOO
Etats-Unis. 4,0 29,0 67,0 lOO
L'effondrement du secteur primaire est évident.
Le glissement s'est opéré vers les secteurs secondaire et tertiaire.
On remarquera qu'aux Etats-Unis, pays qui nous précède généra
lement dans l'évolution économique, un certain "tassement" du sec
teur secondaire se manifeste dès 1960. Ce "tassement" s'est accen
tué depuis et il est également apparu dans les autres pays indus
trialisés, à l'exception de l'Italie et du Luxembourg, dont le dé
marrage industriel a sans doute été plus tardif.
Comment peut-on expliquer cette évolution ?
Pendant des siècles, l'humanité a connu peu de progrès techni
que. Il y a peu de temps encore, dans certains pays d'Europe, cha-
(1) Office des Publications officielles des Communautés européennes.
Statistiques de base de la Communauté, op. cit., p. 19.
cun savait tout faire. L'homme était à la fois laboureur, maçon, charpentier, peintre. C'est le progrès technique, corollaire du progrès scientifique, qui anime la période dans laquelle nous nous trouvons. Ce progrès technique peut être mesuré par la pro
ductivité du travail. La mesure du progrès technique par la pro
ductivité ou rendement du travail humain s'attache à mesurer la quantité de produit obtenue dans une unité fixe (l'heure) de tra
vail humain, quelles que soient les autres conditions de la pro
duction.
Depuis 150 ans, une grande évolution s'est manifestée.
Ainsi, J. FOÜRASTIE constate (1) que, pour moissonner un are de blé, il fallait ;
- en 1800, une heure avec une faucille;
- en 1850, deux minutes avec une faucheuse-lieuse;
- en 1920, quarante secondes avec une faucheuse-lieuse à traction mécanique;
- en 1945, trente-cinq secondes avec une moissonneuse-batteuse, qui supprime du même coup les opérations de battage.
Le progrès technique agit non seulement sur les rendements du travail humain, mais aussi sur les rendements en nature. Le rendement à l'hectare des terres a été considérablement amélioré.
"En mettant de l'engrais, en labourant plus profondément, en sélectionnant les semences, on accroît le rendement des sols.
En 1810, une terre française rapportait 8 à 9 quintaux de blé à l'hectare. Maintenant, la même terre rapporte facilement 35 à 45 quintaux. Dès maintenant, des 'expériences de laboratoires' ont obtenu des rendements de l'ordre de 100 quintaux à l'hectare;
l'emploi de la radio-activité, de certaines hormones, rendra peut être ces rendements usuels. Quoi qu'il en soit, et sans parler de ces anticipations monstrueuses, on a déjà incontestablement enre
gistré un progrès du rendement à l'hectare atteignant l'ordre de grandeur de 1 à 5" (2) .
(1) J. FOÜRASTIE, Le grand espoir du XXe siècle, op. cit., p. 17.
(2) Ibidem, p. 34.
42.-
En fait, le progrès technique est considéré comme moyen dans le secteur primaire (activités agricoles et activités connexes). Il est considérable dans le secteur secondaire (in
dustrie) et plus faible dans le tertiaire (les services). Pour se convaincre de la réalité de la division de l'activité éco
nomique en secteurs à progrès technique d'intensité variable, il suffit de songer au rendement des ouvriers dans des entre
prises telles que les chaînes de construction de voitures auto
mobiles et au rendement des professeurs, des coiffeurs, des préposés aux bureaux de poste, etc.
Grâce au progrès technique, on produit plus de biens de consommation en une heure de travail.
On produit notamment plus de biens alimentaires. Pendant un certain temps, le marché peut absorber cet accroissement.
Cependant, la progression démographique est relativement faible dans les pays industrialisés.
A partir d'un certain moment, l'homme est saturé de biens alimentaires. Le progrès technique a fait baisser les prix des produits primaires, mais la saturation se produit inévitablement.
Que se passe-t-il alors ? Une partie des individus vivant du pri
maire doit émigrer vers un autre secteur de la vie économique, le secondaire, par exemple. Il s'agit du phénomène bien connu de « l'exode rural, qui continue d'ailleurs encore aujourd'hui. Le pri
maire se vide donc progressivement de sa population active en rai
son du progrès technique de plus en plus poussé.
Dans le secteur secondaire, le progrès technique est considé
rable. Au fur et à mesure que les prix secondaires baissent et que la faim des biens primaires a été assouvie, l'homme demande de plus en plus de biens secondaires. La consommation est énorme. Le secteur secondaire s'enfle de plus en plus avec l'apport des gens venus du primaire. La productivité s'accroît rapidement, mais la consommation est telle que les produits s'écoulent très vite.
Pourtant, un moment arrive où la saturation de biens secondaires survient elle aussi. Le phénomène qui s'est produit pour le pri-
maire se répète alors pour le secondaire. Cela a d'abord été visible aux Etats-Unis et ensuite dans certains pays d'Europe, comme l'ont montré deux tableaux (1). Les gens étant saturés du secondaire demandent de plus en plus de tertiaire. Un nombre de plus en plus grand de personnes vivant de ce secondaire pas
sent alors dans le secteur tertiaire de l'activité économique, c'est-à-dire là où la demande est très forte. Or, dans ce ter
tiaire, il y a moins de progrès technique, donc moins d'accrois
sement de la productivité. Cela explique le gonflement specta
culaire de ce secteur.
Les déplacements en main d'oeuvre n'ont pas seulement lieu d'un secteur à l'autre. Le phénomène apparaît aussi à l'intérieur d'une même subdivision ; "... le transfert du primaire au ter
tiaire s'accompagne de profonds mouvements à l'intérieur du se
condaire et du tertiaire et d'une prodigieuse élévation des qua
lifications professionnelles. Par exemple, malgré la vitesse exceptionnelle avec laquelle croît notre production industrielle
(doublement en 10 ans), les effectifs employés dans les mines de charbon se réduisent, mais ceux des industries mécaniques et électriques croissent encore rapidement; dans le tertiaire, les effectifs des services domestiques stagnent faute de candidats, mais ceux de l'enseignement connaissent une expansion intense" (2).
2. L'évolution prévisible de la structure de l'emploi.
L'évolution décrite ci-dessus va-t-elle se maintenir ? Quelles sont les prévisions en la matière ? Divers auteurs pensent que la mouvance enregistrée aujourd'hui risque de se poursuivre.
Ainsi, J. FOURASTIE nous donne les prévisions suivantes, pour l'ensemble des activités (3).
(1) Supra, pp. 39-40.
(2) J. FOURASTIE, Les 40.000 heures, op. cit., p. 65.
(3) Ibidem, p. 70.
44.
Evolution de la population active française de 1962 à 1985 (effectifs en milliers).
Secteurs 1985 variation de
1962 à 1985
Agriculture. 2.370,0 - 1.397,9
Industrie. 9.671,5 + 1.398,0
Tertiaire. 9.889,0 + 3.070,0
Les changements intervenus jusqu'ici vont sans doute se maintenir dans le même sens, à savoir glissement spectaculaire du primaire vers le secondaire et le tertiaire et mutations importantes à l'intérieur d'un même secteur, notamment, le se
condaire, c'est-à-dire là où le progrès technique est le plus grand.
Que va-t-on obtenir à long terme ? Citons ici H. JANNE (1) :
"A long terme, l'évolution semble s'orienter vers une situation inverse de celle de l'Ancien Régime et devoir, le nouveau stade une fois atteint, rester stable à son tour, non bien sûr en ce qui concerne le contenu des trois secteurs, mais en ce qui con
cerne la répartition de la population entre ceux-ci :
: 3 à 5 %;
: 10à20%;
: 75 à 87 %.
2.000, on n'en sera pas encore là".
Cette évolution exerce évidemment une grande influence sur 1 hiérarchie des qualifications. H. JANNE, citant T. HUSEN, considè re les quatre niveaux suivants (2) :
(1) H. JANNE, Le temps du changement, op. cit., p. 48.
(2) Ibidem, p. 49.
- primaire - secondaire - tertiaire
Mais en l'an