• Aucun résultat trouvé

Pour Vygotsky, l’apprentissage de L1 et L2 appartiennent au même processus de développement verbal. Il insiste cependant sur les différences fondamentales qui existent entre l’assimilation d’une langue étrangère à l’école et celle de la langue maternelle.

« L’enfant n’assimile à l’école une langue étrangère tout autrement qu’il n’apprend sa langue maternelle » (Vygotsky, 1985, p.288). Si les deux processus se distinguent par les conditions externes différentes (école vs apprentissage informel), ils se déroulent aussi « selon des voies différentes » (p.225), voire opposées qui ne peuvent de ce fait « aboutir à des résultats parfaitement identiques » (p.225). Le tableau 3.1. synthétise la pensée de Vygotsky sur le rapport entre les deux langues. Une première différence fondamentale consiste dans le fait que

« L’enfant assimile sa langue maternelle de manière inconsciente et non intentionnelle alors que l’apprentissage d’une langue étrangère commence par la prise de conscience et l’existence d’une intention » (Vygotsky, 1985, p.288). Alors que pour L1 la prise de conscience de la structure de la langue n’intervient qu’une fois la langue maîtrisée oralement, l’apprentissage de L2 suit le mouvement inverse. La pratique spontanée de la langue ne se fait qu’une fois que des connaissances sur la langue ont été mises en place de manière volontaire.

Ensuite, l’apprenant L2 maîtrise la langue écrite et a développé la capacité d’analyse des propriétés complexes du langage. Cette base lui permet d’aborder l’apprentissage d’une L2 par le biais de la lecture-écriture, de l’analyse grammaticale pour rendre ces connaissances opérationnelles par la suite dans un usage spontané de la langue. Cette différence influe aussi sur le rapport entre oral et écrit. Alors qu’en L1 les apprentissages partent de l’oral pour aborder ensuite l’écrit, ceux en L2 passent soit de l’écrit vers l’oral, soit se font simultanément.

Tableau 3.1. Les rapports entre L1 et L2 d’après Vygotsky (1985)

L1 L2

Développement Pratique spontanée et aisée → prise de conscience de la structure de la langue

Prise de conscience de la langue et sa maîtrise volontaire → pratique spontanée et aisée

Type d’apprentissage Intuitif (pour l’oral) Systématique

Intention/Conscience Non Oui

Début apprentissage Oral Etude de l’alphabet, lecture,

écriture, construction consciente de phrases, définition de la

signification d’un mot, étude de la grammaire

Mouvement De bas en haut : de l’apparition des propriétés élémentaires, inférieures du

Points faibles • L’enfant ne sait pas déterminer le genre, le cas, la forme grammaticale

Rapport oral-écrit oral → écrit écrit → oral ; ou simultanément

On voit à travers cette esquisse des différences en quoi consiste l’originalité du processus d’apprentissage de L2, à savoir la possibilité de s’appuyer sur ses connaissances en L1 (p.

226). L’apprentissage de L2 prend appui sur un certain niveau de développement de L1.

L’enfant dispose déjà en L1 d’un système de significations qu’il transfère en L2. Le développement d’une L2 sur la base de L1 correspond à une généralisation des phénomènes linguistiques et une prise de conscience des opérations verbales, à leur traduction sur le plan supérieur d’un langage devenu conscient et volontaire. L’analogie opérée par Vygotsky entre concepts quotidiens et concepts scientifiques d’une part et apprentissage L1 et L2 d’autre part vient renforcer l’idée de l’interdépendance de deux voies pourtant opposées. Comme pour l’élaboration des concepts scientifiques, une L2 se développe grâce à un apprentissage systématique, qui implique à la fois une prise de distance qu’un appui pris sur un système déjà

existant. Cette idée a été synthétisée dans le concept de la zone proximale de développement (ZDP).

Pour l’instant, nous avons abordé les conditions d’apprentissage de la langue en tant que moyens de communication orale. Afin de mieux comprendre ce que la théorie vygotskienne implique pour l’apprentissage de la lecture en L2 nous esquissons brièvement les idées du psychologue concernant l’entrée dans l’écrit d’un apprenant L1.

De la même manière que l’apprentissage d’une L2 ne reproduit pas celui de L1, dans la mesure où il s’agit d’une fonction verbale tout à fait particulière dans sa structure et son mode de fonctionnement (Vygotsky, 1985, p. 259), le développement du langage écrit ne reproduit pas celui de l’oral en L1. Se confronter à l’écriture est un acte volontaire qui exige un haut niveau d’abstraction sur deux plans. Celui de l’aspect sonore du langage et celui de l’interlocuteur. « Le langage écrit est (…) l’algèbre du langage » (p.260). Il est de ce fait

« plus conscient » que le langage oral (p.263).

Qu’est-ce que la pensée de Vygotsky implique pour l’apprentissage de la lecture L2 ? L’idée de base qui est celle d’une réorganisation de savoirs existants à un niveau supérieur de développement trouve d’abord son expression, au niveau de l’apprentissage de L2, dans le rapport entretenu entre les deux systèmes de langue L1 et L2. Nous en avons décrit les conséquences au niveau des voies de développement empruntées. Donnons l’exemple de l’apprentissage d’un mot étranger. Dès lors qu’un système de significations en L1 a déjà été formé, un rapport nouveau s’installe entre le mot et l’objet. « Le mot étranger que l’enfant assimile a, avec l’objet, un rapport non plus direct mais médiatisé par les mots de la langue maternelle » (p.292).104 L’existence de ce rapport médiatisé permet de distinguer à la fois les processus d’apprentissage entre L1 et L2, mais aussi ceux entre différentes L2 et d’affirmer la spécificité de chaque nouvel apprentissage.

Par ailleurs, dans la mesure où le lecteur en L2 maîtrise l’écrit, l’aspect volontaire et conscient porte à la fois sur la mobilisation des connaissances acquises en L1 et L2, que sur la mise en relation des deux systèmes de langue dans une situation nouvelle qu’est la lecture en L2.

104 Plus la maîtrise de L2 s’accroit, plus la signification du mot s’autonomise par rapport à sa forme (L1 ou L2) pour devenir consciente en tant que telle. Ce phénomène est décrit par Butzkamm (2005) comme

« Entsprachlichungsprozess ».

Celle-ci provoque une réorganisation de l’ensemble des savoirs complexes en une nouvelle configuration qui transforme ceux-ci à leur tour.

Outline

Documents relatifs