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Qu’est-ce qu’une stratégie et plus particulièrement une stratégie de lecture ? Il existe presque autant de définitions que de chercheurs. Comme le soulignent Rampillon et Zimmermann (1997): « das Strategienkonzept [ist] kein einheitliches wissenschaftliches Konstrukt (...) sondern [entstammt] verschiedenen theoretischen und auch alltagstheoretischen Orientierungen » (p.95). L’utilisation du concept pour désigner aussi bien des activités mentales qu’externes (p.97) contribue également au flou autour de cette notion. Riley (1985, cité dans Rui, 2000, p.90) de son côté constate: « le terme de stratégie est devenu un des mots-clefs des sciences sociales des années 80, en particulier parce qu’il fournit un pont épistémologique entre intention [volonté consciente – ajouté par Rui] et action ».

L’analyse de quelques définitions types108 fait ressortir un certain nombre de caractéristiques récurrentes. Une stratégie, dans une perspective cognitiviste est nécessairement consciente et orientée vers un but qui consiste à résoudre un problème donné. On peut constater une analogie frappante entre des définitions de stratégies plus générales et celles de stratégies de lecture en particulier.

Eine Strategie ist ein Mittel, um ein Ziel zu erreichen, und somit Teil von zielorientiertem, bewusstem und intentionalem Handeln. Strategien beziehen sich auf die Fähigkeit, entsprechend der Zielsetzung Handlungspläne zu entwerfen und einzelne Handlungen in eine Sequenz zu bringen. (Ehlers, 1998, p. 78)

Language learning strategies are the conscious thoughts and behaviours used by learners with the explicit goal of improving their knowledge and understanding of a target language (Cohen, 1998, p. 86).

Une stratégie de lecture est un moyen ou une combinaison de moyens que le lecteur met en œuvre consciemment pour comprendre un texte (Giasson, 2000b, ¶2).

La première définition évoque le terme général, la seconde la stratégie d’apprentissage et la dernière la stratégie de lecture. Or, les caractéristiques mentionnées sont identiques. Rien ne

108 Pour une synthèse voir Gross (2000).

permet de différencier les trois niveaux, ni de spécifier ce qu’est une stratégie dans le contexte précis de la lecture. Pouvant s’appliquer à n’importe quel domaine, le concept est difficilement opérationnalisable dans un contexte d’apprentissage précis avec un objet spécifique. A ce stade de généralisation, le concept fonctionne davantage comme une métaphore que comme un moyen enseignable et observable.

Le premier élément au cœur de l’ensemble des définitions, à savoir l’idée qu’une stratégie est toujours et nécessairement consciente et qu’elle ne s’emploie qu’en cas de problème de compréhension mérite d’être discuté. Certains auteurs opposent le processus de lecture interne qui se déroule de manière automatisée et la stratégie de lecture se situant à un niveau plus élevé de la conscience et correspondant à des instances qui supervisent les opérations et procédures (Lisiecka-Czop, 2004, p.190). Schreiter (2001) souligne également: « Der Leseprozess wird vom Leser kontrollierend begleitet und bei Störungen in seinem Verlauf unter Einsatz von Strategiewissen korrigiert » (p.90). C’est le caractère conscient qui permet par ailleurs au lecteur de verbaliser la stratégie et de rendre ainsi le processus visible. Les stratégies se trouvent, d’après Cohen (1998, p.11) soit au centre de l’attention du lecteur (focal attention) soit en marge de celle-ci (peripheral attention). Du moment que le lecteur est incapable d’identifier la stratégie utilisée, il ne s’agit plus d’une stratégie mais d’un processus.

Dans la même perspective, Ellis (1994) souligne que lorsque les stratégies sont automatisées elles ne sont plus accessibles à la description à travers des verbalisations de la part des lecteurs et perdent par conséquence leur signification en tant que stratégies (p.11).

Mais, cette dichotomie entre caractère conscient vs inconscient ou automatisé vs non automatisé ne fait pas l’objet d’un consensus dans la littérature (p.ex. Cohen, 1998; Ehlers, 1998). Plutôt que de maintenir l’opposition, il semble dès lors plus intéressant de considérer que l’application de stratégies se situe, du point de vue du degré de conscience, sur un continuum (Macaro, 2001, p.24). Ce qui permet, avec Ehlers (1998), de distinguer les stratégies utilisées dans la résolution de problèmes de compréhension de celles qui sont employées pendant le processus de lecture, se déroulant sans obstacles reconnus par le lecteur en tant que tels (p.151). Considérer que les stratégies font partie intégrante du processus de lecture permet de les étudier dans une perspective d’outils potentiellement disponibles au lecteur à n’importe quel moment du processus, indépendamment du fait qu’il reconnaisse ou non avoir un problème de compréhension.

Pour l’étude de la lecture L2 par des adolescents le problème se pose encore différemment.

On peut supposer que les moments de processus automatisé de la lecture109, dans le cadre d’une tâche donnée, soient plutôt rares. Les élèves mobiliseront par conséquent l’ensemble des ressources qu’ils ont à disposition pour comprendre les passages d’un texte nécessaires à l’accomplissement d’une tâche. De ce fait, les stratégies sont omniprésentes et balisent les trajectoires de lecture, rendues visibles par le biais de la mise en oeuvre de ces moyens tout au long de la lecture. Par contre, comme le montre Wolff (1997), malgré la présence d’un savoir sur les stratégies et la capacité d’en expliquer l’usage dans certains contextes d’apprentissage,110 les élèves n’explicitent pas toujours leur démarches au cours de leur lecture, les plus jeunes et les plus faibles ayant par ailleurs le plus de difficultés à décrire leur propre processus de compréhension (p. 285). On ne peut, dans ce cas, pas dire que la stratégie n’est pas consciente, mais plutôt qu’elle n’est pas verbalisée au cours de la lecture.

Le deuxième problème posé par les définitions présentées plus haut est lié à la notion de résolution de problème. Le fait de considérer la compréhension d’un texte comme un problème à résoudre enlève toute spécificité à la fois à l’acte de lecture et au texte à lire. Le postulat sous-jacent consiste à dire que les obstacles que l’on peut rencontrer à la lecture d’une nouvelle littéraire ou d’un article de journal seraient identiques. Il s’ensuit que les stratégies, apprises dans un contexte donné, peuvent sans autre être transférées d’un genre de texte à l’autre, mais aussi d’une langue à l’autre, d’une situation d’apprentissage à une autre.

On retrouve ici la position du modèle basé sur l’hypothèse de l’interdépendance linguistique (HIL) décrite au chapitre 2.

Nous pensons au contraire, qu’il est indispensable de faire évoluer le concept, d’une notion qui décrit le processus tel qu’il se déroule dans la tête d’un lecteur universel vers une prise en compte de la situation de lecture. Ceci implique que le degré de conscience mais aussi le type de stratégies et la manière de les mettre en oeuvre dépendent du contexte de leur utilisation.

Quelques auteurs tentent d’intégrer cette dimension mais de manière très générale :

Lesestrategien sollen als Prozesse definiert werden, die von Lernenden in Abhängigkeit von dem jeweiligen situativen Kontext zur Konstruktion einer Textbedeutung eingesetzt werden (Gross, 2000, p.67/68; notre soulignement).

109 Ehlers (1998) parle de « ungestörter Fluss des Lesens » (p.151). Pour le lecteur L2 la lecture est loin d’être un long fleuve tranquille.

110 Les anglosaxons parlent de « language awareness ».

Rui (2004) met également l’accent sur l’aspect de la situation de lecture, en affirmant que les stratégies de lecture correspondent à l’interaction entre la variable but, texte et situation (p.177). D’autres auteurs mettent en évidence le lien entre projet de lecture et styles de lecture (Heinemann & Viehweger, 1991 ;111 Westhoff, 1997, p.92) ou entre styles de lecture et genre de textes. Ehlers (1998) insiste également sur la nécessité de tenir compte du contexte dans l’usage des stratégies (« Kontextabhängigkeit des Strategiegebrauchs », p.140). Une stratégie dite de bon lecteur, comme celle de la prédiction, ne peut pas être qualifiée d’efficace pour n’importe quel lecteur ou texte à n’importe quel moment du parcours de lecture. L’auteure évoque aussi le lien entre comportement stratégique de lecteurs, genres de textes112 et tâches précises (p.147).

Mais affirmer une interdépendance entre processus et stratégies de lecture d’une part et facteurs contextuels de l’autre devrait s’accompagner d’une description plus spécifique de ce contexte et de la manière dont il modifie ces processus. Il s’agit notamment de montrer comment le fait de lire en L2 influence le choix et la mise en oeuvre des stratégies.

Revendiquer la prise en compte du contexte entraîne aussi une remise en question de l’universalité des stratégies et de leur transférabilité d’une situation de lecture L1 à celle de L2, d’une langue ou d’un genre de texte à l’autre et l’affirmation de l’existence de stratégies spécifiques à ces paramètrès contextuels.

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