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Dans les approches cognitivistes, lire une phrase est conçu comme un acte d’identification mots par mots par le lecteur. Il s’agit pour lui de comprendre qu’il faut tenir compte du rôle syntaxique des différents mots dans la phrase. Il découvre également que la compréhension d’une phrase dépend de la prise en compte des indicateurs tels que la ponctuation, les marques du pluriel, les prépositions, conjonctions, les substituts du nom, les marqueurs du temps (Observatoire national de la lecture, 1998, p. 21). Le lexique mental fournit à son tour des informations morphosyntaxiques qui permettent, combinés à des savoirs grammaticaux une analyse syntaxique de la phrase (Schramm, 2001, p.95).

Un des débats centraux en linguistique L1 est celui de la primauté de la structure ou du sens dans la lecture d’une phrase. Ou autrement dit : existe-t-il une approche purement syntaxique, autonome et si oui, précède-t-elle ou suit-elle celle d’une approche sémantique de la phrase ? Différents modèles existent qui se basent soit sur la primauté de la syntaxe (Frazier, 1987), de la sémantique (Hermann, 2005) ou qui présupposent une interaction entre des savoirs syntaxiques et sémantiques.43 On peut également distinguer des modèles qui décrivent soit une simultanéité des processus sémantiques et syntaxiques soit qui postulent une présence autonome de la syntaxe, suivie d’une intervention de la sémantique dans un deuxième temps.

Cette question est intéressante pour nous dans la mesure où ces modèles peuvent nous fournir des explications concernant la mobilisation de stratégies de lecture orientées vers des aspects grammaticaux et/ou sémantiques par des lecteurs L2.

Les défenseurs de la primauté de la grammaire considèrent que le processus de compréhension d’une phrase se déroule de la manière suivante :

• une analyse complète basée sur des règles syntaxiques qui permet la réception de la forme normale des mots

• la transformation de ces formes normales en formes concrètes à l’aide de règles morphologiques

43 Pour une description plus détaillée voir Harley (2001) p.245 suiv

• l’interprétation de ces formes lexicales à l’aide d’une analyse lexicale, sémantique afin de leur assigner une signification qui permet l’accès au sens de la phrase entière (Hermann, 2005, p.269).

Dans ce modèle, l’analyse grammaticale précède et conditionne la construction du sens.

L’auteur remet en cause cette manière de procéder. Il avance l’idée suivante. S’il est vrai que des processus syntaxiques partiels se mettent en place lors de la rencontre avec une phrase, ceux-ci sont immédiatement interrompus lorsque le récepteur reconnaît le sens de la phrase par d’autres biais (p.270). Une analyse grammaticale plus poussée se fait que dans les cas où ces autres moyens sont insuffisants et mènent à l’échec. L’auteur distingue deux niveaux de l’analyse de la phrase. Regardons ce qui se passe au premier niveau :

Im Alltagsdiskurs springt der Hörer (...) von einer Verständnisinsel zur nächsten. Diese Verständnisinseln sind die lexikalischen Morpheme des Sprachinputs. Das rezeptive „Insel-Hopping“ von einem lexikalischen Morphem zum nächsten wird durch die Reihenfolge der aufeinander folgenden Wahrnehmungen der im Satz vorkommenden lexikalischen Morpheme gesteuert. Der Hörer erwartet für diese Reihenfolge erlernte Standardmuster der Wort- bzw. Morphemfolge. (p.270 ; notre soulignement)

Dans l’exemple Otto verkaufte Ana dann noch einen Fisch le récepteur se base d’abord sur le premier îlot de compréhension Otto pour sauter ensuite au verbe et au complément de verbe.

Les autres morphèmes ne sont pas traités, ils apparaissent en arrière-plan. Même lorsque la phrase est intégrée dans un contexte et contient de ce fait des pronominalisations (Er verkaufte ihr dann noch einen Fisch) la stratégie du saut d’un îlot à l’autre continue à fonctionner (p.272). Le fait que l’énoncé est au passé ne doit pas être explicité p.ex. à travers une analyse de la morphologie verbale. L’auteur conclut :

Nach dem Inselhopping weiss der Hörer ohne jede vollständige Satzanalyse, was der Sprecher meint. Um welches Standardmuster der Wortfolge es sich jeweils handelt, erkennt der Hörer mit Hilfe seines Wissens über geregelte Aufeinanderfolgen von Satzarten im Diskurs. (p.272; notre soulignement)

L’analyse de cet exemple montre que si les îlots sémantiques suffisent dans certains cas pour comprendre le sens global de la phrase, des savoirs grammaticaux sont néanmoins mobilisés.

Le récepteur en L1 connaît les principales formes de base des phrases (SVO, phrases interrogatives avec ou sans mots interrogatifs) ainsi que la probabilité de leur apparition dans le contexte d’un discours. C’est la combinaison de ce savoir qui lui permet par ailleurs de faire un choix efficace des îlots à investir. Cette manière de procéder lui fait aussi gagner un

temps considérable par rapport à celui qui analyserait minutieusement la phrase, telle que le postulent les défenseurs du modèle « grammar first » :

Wettlaufmetapher: Der „Insel-Hopper“ ist fast immer früher am Ziel des Verstehens als der systematische syntaktische Zergliederer (p.273 ; notre soulignement).

Certaines phrases cependant présentent une complexité syntaxique et/ou sémantique telle qu’elles ne peuvent pas être comprises à l’aide du seul « Insel Hopping » d’un morphème lexical à l’autre. Lorsque le récepteur reconnaît des problèmes de réception « schaltet er sein Rezeptionssystem sozusagen auf eine höhere Arbeitsstufe » (p.274). C’est à ce moment qu’intervient le deuxième niveau d’analyse de la phrase. Lorsqu’un récepteur n’aboutit pas à la compréhension à travers la technique du « Insel hopping », il essaie toute une série d’autres opérations dont font également partie la répétition (relecture) et l’abandon. « Die Arbeit der Satzrezeption auf der 2. Stufe entspricht der Arbeit mit einem Werkzeugmix (...) (p.277).

L’auteur décrit ces opérations comme „Mischstrategie“:

Man richtet sich nach erlernten Regeln, man erwirbt morphologische Zusammenhänge im Sinne des Auswendiglernens, man benutzt Analogien zu erlernten morphologischen Mustern, man verwendet seine kaum explizierbare sprachliche Intuition (wie klingt das jeweilige Wort?) (Hermann, 2005, p.102).

(…) Man nutzt Sprache mit einem „Werkzeugmix“, also regelgeleitet und auf andere Weise. (p.100)

A la lumière de la théorie que nous venons d’esquisser on peut poser un certain nombre de questions concernant la manière dont des lecteurs en L2 abordent des phrases. Est-ce que certaines structures de phrases sont plus difficiles à comprendre que d’autres ? Lesquelles ? Pourquoi ? A quelle moment un lecteur utilise-t-il des informations non structurelles (sémantiques et basées sur la fréquence) et quand procède-t-il à l’analyse plus approfondie de la phrase ? Des réponses ont été données par des courants psycholinguistiques pour ce qui concerne le niveau du lecteur, par la linguistique constrastive pour ce qui a trait aux différences de systèmes entre langues.44 Dans la perspective qui est la nôtre ces questions nous intéressent surtout dans la mesure où elles permettent de rendre compte de la situation particulière dans laquelle se trouve un lecteur L2.

44 Dans le domaine de la lecture, Fabrizius-Hansen (2002) pose le problème du transfert de stratégies de lecture (d’ordre grammatical) de L1 à la lecture L2, transfert pas toujours efficace en raison des différences structurelles entre les deux langues. Il se produit ce qu’elle définit comme interférence réceptive (« rezeptive Interferenz »).

(p.10)

Ce qui différencie un lecteur en situation de lecture en L1 et L2 c’est le degré de savoir grammatical, lexical, les conditions de mobilisation de ces savoirs et la compréhension du contexte de la phrase. Ce qui permet à un lecteur L1, dans le cadre de phrases relativement simples, de recourir à une combinaison de morphèmes (Inselhopping) afin de comprendre rapidement et avec succès une phrase donnée, sans passer par une analyse complète de la phrase, ce sont des savoirs sur la structure des phrases les plus courantes, le contexte discursif et sans doute aussi son savoir lexical. Le récepteur L2 n’est pas dans la même situation de départ. Il doit faire face à des lacunes d’une part dans les savoirs linguistiques mais aussi dans la façon de les mobiliser. Ceci peut avoir plusieurs conséquences. D’abord, le choix des mots ou morphèmes que constituent les îlots de compréhension, risque de se faire en fonction des connaissances lexicales, c’est-à-dire que le lecteur va choisir des mots qu’il connaît comme point de départ. Ensuite, et même s’il n’y a pas d’obstacles au niveau de la compréhension des morphèmes, un savoir lacunaire quant à la structure de phrase ou une absence de mobilisation de ce savoir entraîne une non reconnaissance de la relation syntaxique qu’entretiennent les mots entre eux. Ce qui empêche aussi de choisir ceux qui sont véritablement porteurs des informations principales. Le lecteur L2, surtout lorsqu’il maîtrise peu la langue, dépend davantage qu’un lecteur en L1 de l’utilisation de tous les savoirs disponibles, qualifiés par Hermann de « Werzeugmix » lors de ses tentatives de construire une compréhension cohérente du texte.

L’évocation des théories sur le niveau de traitement de la phrase nous permet de disposer de quelques éléments liés aux rôles que peuvent jouer respectivement la grammaire et la sémantique dans le processus de lecture de phrases. La mise en évidence des conditions différentes entre lecture L1 et L2 permet d’émettre des hypothèses quant aux conséquences que celles-ci pourraient avoir à la fois sur le choix de stratégies sémantiques vs grammaticales et sur les obstacles qu’entraîne l’appui exclusif sur des unités lexicales.

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