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La première partie du chapitre 3 a mis en évidence la possibilité voire la nécessité d’enseigner la lecture-compréhension. L’approche par les stratégies qui sera développée dans le chapitre 4 permet plus particulièrement d’intervenir sur l’activité de compréhension et d’améliorer les performances en lecture. Nous avons montré que l’enseignement de la lecture en L2 focalise avant tout sur des stratégies descendantes, avec lesquelles les lecteurs se sont déjà familiarisés lors de l’apprentissage de la lecture en L1. La transposition de ces stratégies de L1 à L2 laisse entendre que les deux processus de lecture sont considérés comme plus ou moins identiques, conception déjà visible dans les modèles de lecture en L2, discutés dans le chapitre 2.

Qu’en est-il des processus d’apprentissage de la lecture en L2 ? Comment celui-ci est-il modélisé ? De quels moyens dispose-t-on aujourd’hui pour théoriser cet apprentissage ? Il n’existe à notre connaissance pas de modèle d’apprentissage de la lecture en L2 pour essentiellement deux raisons. Premièrement, l’état actuel de la recherche en lecture L1, est axé, en ce qui concerne l’apprentissage, sur l’entrée dans l’écrit des lecteurs débutants et ne fournit pas ou peu d’informations sur la manière dont la lecture s’acquiert après cette première phase. Deuxièmement, une conception de la lecture L2 comme variante de la lecture L1, dont la qualité s’améliorerait en fonction de l’accroissement des capacités linguistiques, met l’accent sur le développement de la langue, faisant ainsi barrage à la possibilité de transformer la lecture L2 en objet d’enseignement-apprentissage à part entière.

Notre ambition n’est pas de créer un modèle d’apprentissage de la lecture L2. L’objectif de cette partie du chapitre est, plus modestement, de pointer les lacunes en montrant, à travers une brève évocation des modèles d’apprentissage de la lecture en L1 actuellement en vigueur, pour quelles raisons ceux-ci ne sont pas transposables à la situation de lecture L2. Nous nous basons ensuite sur le concept d’interlangue développé dans le cadre de l’acquisition de la langue L2 et sur la théorie de Vygotsky sur l’apprentissage d’une L2, pour mettre l’accent sur les conditions particulières de son apprentissage. On peut, en extrapolant à partir d’une réflexion sur les différences d’acquisition de la langue L1 et L2, faire l’hypothèse d’une transformation du processus d’apprentissage de la lecture L2 par rapport à celui en L1.

La situation en L1

Les théories d’apprentissage de la lecture en L1 concernent avant tout l’entrée dans l’écrit de lecteurs débutants. Les recherches portent sur des thèmes tels que le décodage, la reconnaissance des mots, les facteurs qui facilitent ou au contraire font obstacle à la compréhension, la régulation métacognitive pendant la lecture, le rôle de l’oral et de la conscience phonologique dans l’apprentissage de l’écrit (Fayol, 1995). Un exemple de modèle d’acquisition de la lecture dans ce domaine est celui de Frith (1985, cité dans Fayol, 1995, p.

370) qui décrit l’évolution à travers quatre stades, logographique, analogique, alphabétique, orthographique.

La lecture-compréhension est, quant à elle, davantage pensée à travers des modèles de fonctionnement de la lecture et pas en termes de progression des apprentissages à l’intérieur de ce domaine précis. La description du processus reste largement inspirée par le modèle interactionniste comme en témoigne cette citation du rapport ONL (2000) :

Comprendre un discours ou un texte, c’est construire une représentation mentale de la situation écrite. Cette représentation est élaborée à partir d’informations explicites de nature lexicale (les mots), organisées en phrases selon les règles propres à une langue donnée (syntaxe). Ces phrases sont elles-mêmes agencées séquentiellement en des textes (ou structures rhétoriques : les genres et types textuels) moins contraignants. Les mots et leurs agencements (propositions, phrases) induisent l’évocation des concepts et des relations qu’ils entretiennent. Les traitements mis en oeuvre pour comprendre un texte concernent à la fois des éléments linguistiques et les concepts et relations que ceux-ci évoquent. Ils exigent que le lecteur dispose de connaissances linguistiques et conceptuelles et qu’il puisse mobiliser les unes et les autres sans être débordé par la tâche. (p.112)

La manière de définir les niveaux d’exigences à la fin de chaque ordre d’enseignement révèle d’autre part une conception linéaire des apprentissages impliqués dans l’acquisition de la lecture. Voici un résumé des niveaux à atteindre, à la fin de l’école primaire (8-11 ans), définis par l’évaluation nationale, et concernant le travail sur la compréhension des textes, une fois le code écrit maîtrisé :

saisir l’information explicite de l’écrit (de quoi on parle, le thème et ce que l’on en dit, le propos (p.25) ; savoir prélever des informations ponctuelles (date, lieu, personnages)

préparer l’accès à une compréhension fine, à l’ « approfondissemnt de la découverte du sens », à travers la compréhension logique (saisie des relations qui structurent un texte)97

découvrir l’implicite : dégager du contexte le sens d’un mot inconnu, mettre en relation deux informations pour en construire une troisième, dégager le présupposé d’un énoncé (début des compétences remarquables)

aborder la diversité des formes de lecture à travers des types de textes différents98 (ONL, 2000, p.27).

Même si la liste hiérarchisée99 en termes d’objectifs d’apprentissage à atteindre présuppose, de manière sous-jacente, une progression concernant les textes choisis par l’enseignant et les activités menées à partir de textes, on ne peut pas parler de modélisation des apprentissages à l’intérieur de chacun de ces niveaux : de quelle manière par exemple l’élève acquiert-il la capacité à saisir des éléments implicites d’un texte ? Quelle relation entretiennent les apprentissages de la compréhension explicite et implicite ? S’agit-il d’étapes dans l’évolution, où se mettent-elles en place de manière simultanée ?

Des réponses à ces questions aideraient sans doute à avancer dans la recherche dans le domaine de l’apprentissage de la lecture en L2. Le lecteur L2 sait déjà lire, dans le double sens décoder et comprendre des textes. Pour lui, l’apprentissage de la lecture L2 ne se situe plus au niveau de l’entrée dans l’écrit (lecture de mots, phrases) mais d’emblée au niveau du texte dans son ensemble. Les théories d’apprentissage de la lecture en L1 ne sont par

97 But du collège : maîtrise de la compréhension logique; « reconstituer l’organisation de l’explicite, c’est-à-dire reconnaître les règles principales du discours écrit : accords, types de phrases, formes verbales, effets de la polysémie (p.26).

98 Pour les textes littéraires, le rapport fait clairement la différence entre le primaire et le secondaire. Au primaire, le texte littéraire entre dans « les pratiques courantes de l’école : partage de points de vue, essais d’intertextualité, (…) relations avec des activités rédactionnelles » (p. 86). Ces activités préparent « les activités littéraires ultérieures. Celles que prendront en charge les collèges et lycées » (p.85).

99 Sauf le dernier point qui concerne une sensibilisation à la diversité des textes.

conséquent pas transposables à L2 et l’inexistence d’un modèle d’apprentissage au-delà de l’entrée dans l’écrit pour L1 ne permet pas de penser l’apprentissage de la lecture L2.100 Mais, une deuxième raison fait obstacle à l’élaboration d’un modèle permettant de conceptualiser l’apprentissage de la lecture L2. La situation dans ce domaine peut être décrite de la manière suivante: « Lesen ist einerseits ein Mittel zum Erwerb von Sprachkenntnissen, andererseits ist Spracherwerb die wichtigste Vorbedingung zum Lesen in der Fremdsprache"

(Lutjeharms, 2001). D’une part, la lecture est envisagée sous l’angle d’un moyen d’apprentissage de la langue, une position largement répandue dans plusieurs approches méthodologiques de l’enseignement de L2. D’autre part, les connaissances linguistiques, acquises à travers l’apprentissage de la langue représentent une condition nécessaire pour développer ses compétences en lecture. Ce postulat a été largement défendu par les tenants du modèle du seuil linguistique101 selon lesquels une amélioration des capacités linguistiques d’une langue mènerait automatiquement à une amélioration de la compétence en lecture.

Cette juxtaposition de langue L2 et lecture L1 au sein des modèles de lecture L2, a pour conséquence que la recherche sur l’apprentissage s’est davantage orientée vers l’aspect linguistique, le versant peu maîtrisé par le lecteur. La progression en L2 pensée en termes de stades d’acquisition de la langue, souvent considéré comme parallèles à L1, est plus particulièrement théorisée au niveau de la production (p.ex. les stades de développement de l’acquisition de la grammaire)102. Le concept d’interlangue permet, dans ce contexte, de mieux comprendre la manière dont se mettent en place les apprentissages d’une L2, toujours nécessairement dépendante des connaissances en L1.

100 Nous remercions Thérèse Thévenaz pour la discussion éclairante à ce sujet.

101 Voir chapitre 2

102 Voir à ce propos, la recherche très complète de Diehl (1999), menée dans le contexte de l’enseignement de l’allemand à Genève.

Un concept issu des théories d’apprentissage de la langue L2 : l’interlangue

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