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Malgré une grande variété de types de textes employés dans les recherches mentionnées jusqu’à présent, cette variable n’est, de la même manière que le choix de la langue L2, généralement pas considérée comme significative lors du repérage de stratégies de lecture.

Des considérations portant sur l’adéquation du texte par rapport au niveau et aux intérêts des lecteurs l’emportent largement sur la définition de critères quant au genre retenu. Certains chercheurs utilisent cependant la variable du genre de textes pour expliquer la fréquence ou le choix de certaines stratégies.

Berkemeyer (1995) notamment constate que si la fréquence d’utilisation de stratégies métacognitives reste constante, indépendamment du niveau linguistique et du type de texte lu, la lecture de textes littéraires incite à des inférences textuelles et des interprétations, alors que les lecteurs d’un niveau débutant et intermédiaire focalisent sur des détails insignifiants lors de la lecture de textes informatifs. Ce résultat indique, à un niveau très général et en tenant aussi compte du niveau linguistique des lecteurs, la possibilité d’une influence du genre sur le choix de stratégies de lecture. L’étude montre aussi que, même lorsque les lecteurs reconnaissent le genre, ils ne se servent pas de ce savoir comme stratégie de compréhension pendant leur lecture. Pour les textes informatifs par exemple, la lecture se fait à un niveau local. On peut alors penser que les difficultés ne sont pas seulement liées à un manque de capacités linguistiques, créant un seuil qui bloquerait la mobilisation de savoirs sur le fonctionnement du genre, mais que la prise en compte de la situation communicative du genre ne parvient pas à créer un projet de lecture suffisamment claire pour fonctionner comme guide dans la sélection des informations pertinentes du texte. L’étude de Berkemeyer laisse à penser que cette coordination entre la stratégie « genre » et passages du texte lus se fait plus facilement pour la lecture littéraire, à travers l’interprétation. On peut alors faire l’hypothèse que selon le genre, le transfert d’une stratégie L1 telle que les savoirs sur le genre soit plus ou moins efficace.

Lopez & Séré (1996) ont également mené une étude qui tient compte de la variable type de texte, mais sous l’angle de la théorie des schémas mentaux. Les auteurs postulent le transfert de ceux-ci de L1 en L2 et leur adaptation en fonction de la réalité socio-culturelle de L2. Ils montrent, à travers la lecture de trois genres par des hispanophones apprenant le français en L2, l’importance du type de texte pour « choisir » les mots importants, mettre en place des hypothèses de construction du sens afin de pouvoir créer une logique d’ensemble. La reconnaissance du type de texte est préalable à la recherche de mots-clés qui sont choisis en fonction des hypothèses élaborées. Les genres retenus sont le fait divers, la recette de cuisine

et la carte orange.140 Les résultats qui nous intéressent ici concernent les stratégies les plus efficaces selon le type de texte. Alors que l’inférence remplit un rôle central pour la narration, la recette mobilise surtout des connaissances du monde. La carte orange, n’offre aucune clé d’entrée dans le texte, dans la mesure où un lecteur hispanophone ne peut en identifier le genre étant donné qu’il en ignore la fonction.

Une autre observation porte sur la différence entre les deux groupes de sujets, débutants complets et débutants avec des notions de base linguistiques. Grâce à l’entrée par le genre, les premiers arrivent à accéder au sens global en combinant le type de texte et des internationalismes qui leur permettent de construire un « script » servant de base à l’interprétation. Le transfert de la stratégie « type de texte » semble possible même avec des sujets sans aucune connaissance linguistique, sauf dans les cas où l’identification du genre ne peut pas se faire. Mais, si celle-ci fonctionne comme projet de lecture dans le sens où elle permet d’émettre des hypothèses qui a leur tour orientent la lecture vers le repérage de mots-clés, on peut se poser la question de savoir comment un mot inconnu peut être reconnu comme mots-clés importants pour la compréhension. L’article pointe ce problème en distinguant entre mots « importants » pour les sujets parce qu’ils arrivent à les identifier et mots-clés pertinents pour la compréhension d’un passage du texte.

Et finalement, les auteurs montrent que pour la narration, où la reconnaissance du genre semble être la plus efficace, les lecteurs privilégient l’émission d’hypothèses, non vérifiées, à partir d’un repérage d’indices dans le texte permettant la recherche d’informations nécessaires à la compréhension (p. 447).

L’intérêt de ces deux études réside pour nous dans le fait d’intégrer la notion de type et genre de texte en lien avec l’utilisation de stratégies de lecture. C’est ce qui les distingue de la majorité de recherches qui partent du présupposé de l’universalité des stratégies quel que soit le genre de texte lu. Mais, l’accent est surtout mis sur la reconnaissance du genre en tant que stratégie d’entrée dans le texte, qui se combine à d’autres stratégies telles que l’hypothèse s’élaborant à partir des attentes crées par la situation de communication liée au genre, et qui influence à son tour le repérage d’indices textuels permettant de construire ainsi une logique du texte dans sa globalité. La problématique du genre en tant que contexte spécifique qui

140 Il s’agit d’un abonnement mensuel permettant de circuler dans les transports parisiens (métro, RER), contenant quelques informations sur le titulaire de la carte et des conditions d’utilisation.

influe sur le choix des types de stratégies de lecture ainsi que leur enchaînement reste par contre en marge des préoccupations des chercheurs.

Le travail de Rui (1997; 2004) constitue une exception. Elle analyse ce qu’elle appelle les stratégies « privilégiées » de lecteurs français L1 et L2 en contrastant deux genres de textes, la nouvelle littéraire et le fait divers. L’objectif de sa recherche est de montrer d’une part le clivage L1/L2 en ce qui concerne la mise en oeuvre de stratégies de lecture et d’autre part l’influence du genre discursif des textes lus sur ces mêmes stratégies (p.8). Mettant l’accent sur la variable textuelle, et considérant la lecture comme une forme de communication (2004), elle cherche à montrer de quelle manière les types de stratégies dégagées de son corpus contribuent à la construction de la relation lecteur-émetteur. Sept stratégies centrales sont mises en oeuvre aussi bien par des lecteurs L1 que L2 :

• la recherche de cohérence textuelle qui assure l’interprétabilité

• la recherche de phénomènes textuels (extra) ordinaires, sortant de la « routine » du texte lié au sentiment d’étrangeté

• la recherche de lecture sensible : les lecteurs utilisent des sensations ou émotions pour construire le sens (Zavialoff, 1990)

• la recherche d’éléments sécurisants face à la tâche : les lecteurs recherchent des éléments textuels sur lesquels s’appuyer pour se rassurer face au sentiment de difficulté de la tâche de lecture-compréhension

• la recherche d’une charge cognitive moindre

• la recherche de complétude informative

• la recherche de motivation de lecture

• la recherche de lecture distanciée par rapport au vouloir dire du scripteur.

L’hétérogénéité de cette liste, utilisant à la fois des niveaux psychologiques et linguistiques a été soulignée par l’auteure elle-même. Cette catégorisation de stratégies nous semble néanmoins intéressante, dans la mesure où elle focalise sur des stratégies textuelles et permet de dépasser la dichotomie entre bons et mauvais lecteurs, associés aux stratégies descendantes et ascendantes dans le modèle cognitiviste. Les résultats obtenus en croisant les variables L1 ou L2 et les genres de texte répondent à la question de la différence entre L1 et L2 en fonction

du genre lu. L’auteur constate que le clivage quant à la diversité de stratégies utilisées entre lecteur L1 et L2 est plus prononcé pour le texte journalistique que pour le texte littéraire. Elle explique ce phénomène par un formatage plus important dû à l’enseignement littéraire. Le genre plus ouvert du fait divers, favoriserait une plus grande diversification. Un deuxième résultat porte sur l’influence du genre sur les stratégies privilégiées de lecture mises en oeuvre. Si celui-ci joue un rôle pour les deux groupes de lecteurs L1 et L2, ils utilisent à la fois des stratégies transversales, communes aux deux textes et des stratégies spécifiques à chacun des textes. Les premières sont identiques en L1 et L2. Les deux stratégies transversales les plus fréquemment utilisées sont la recherche de cohérence textuelle et la lecture sensible. Les stratégies spécifiques liées au genre présentent également une forte ressemblance entre les lecteurs L1 et L2. Le texte littéraire incite à la recherche d’éléments textuels sécurisants et de phènomènes textuels (extra) ordinaires, le texte journalistique celle d’une motivation de lecture. Le genre représente une variable plus forte que la situation de lecture L1 ou L2. La seule différence concerne une flexibilité141 stratégique L2 moins importante qu’en L1 pour les deux genres de textes.

La force de l’étude consiste en sa prise en compte du genre comme variable déterminant le choix de stratégies de lecture. Les types de stratégies très générales mis en évidence et la focalisation sur la variable du genre occultent cependant la différence entre lecture L1 et L2.

Dire que les deux utilisent les mêmes stratégies n’éclaire pas le processus de lecture et le rôle que jouent ces stratégies dans la construction du sens. On peut en effet penser que la stratégie la plus puissante, celle de la recherche d’une cohérence textuelle s’actualise différemment dans les deux situations de lecture. On peut également faire l’hypothèse que la stratégie de recherche d’éléments textuels ne remplit, en L2, pas seulement la fonction psychologique de sécurisation face à la tâche, mais que ces indices forment la base qui met en route le processus de compréhension à partir de passages du texte facilement accessibles. Pour rendre plus finement compte des cheminements différents dans le texte, il s’agit, comme le souligne d’ailleurs l’auteure elle-même (Rui, 2000) d’étudier les « réseaux stratégiques » (p.102), à savoir la combinaison de stratégies en cours de lecture. De notre point de vue, il s’agit en plus

141 La flexibilité est mesurée en termes de nombre de variété de stratégies mises en oeuvre.

de tenir compte de la dimension d’apprentissage inhérente à la lecture en L2 et par conséquent d’intégrer l’observation du processus dans un contexte didactique.

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