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Plutôt que de retracer l’ensemble de l’évolution des méthodes d’enseignement en L2 à travers les siècles71 nous nous centrons sur celles dont on peut encore identifier les traces dans les pratiques actuelles des enseignants : la méthode grammaire-traduction et la méthode directe.

Le rappel des grands principes sous jacents à ces approches se fait sous l’angle du statut des textes et du rôle assigné à la langue maternelle (L1) de l’élève dans le processus de la compréhension écrite et sert de base pour le repérage des différentes strates qui se mélangent et se superposent dans les pratiques.72 Nous partons de la question centrale, déjà posée par Nutall (1982), de savoir si une méthode donnée préconise l’enseignement de la lecture ou celui de la langue à travers la lecture.73 Ce sont notamment les textes officiels, les procédures préconisées et l’usage des textes qui montrent, jusqu’au début des années 80, une forte tendance à l’utilisation de la lecture comme moyen pour enseigner la langue. L’approche de l’enseignement des stratégies de lecture qui fait son apparition dès la même période va permettre, du moins en théorie, de considérer la lecture comme objet d’enseignement à part entière74.

Méthodes anciennes : Méthode grammaire-traduction (MT) et méthode directe (MD) La méthode grammaire-traduction ou traditionnelle (MT) est basée sur l’enseignement des langues classiques, le latin et le grec et a été reprise pour l’enseignement des langues vivantes.

Le but principal, à l’origine, était de rendre l’apprenant capable de lire et traduire des ouvrages littéraires. La tâche de celui-ci était surtout de mémoriser des règles grammaticales et du vocabulaire dans le but d’améliorer ses capacités en lecture-traduction. L’accent était mis sur les habiletés de lecture et d’écriture. Les textes étaient traduits en L1, oralement mot

70 Voir chapitre 2

71 Voir à ce propos les excellentes présentations de Puren (1988) et Germain (1993).

72 Voir l’idée de la sédimentation des pratiques défendue dans l’ouvrage de Dolz & Schneuwly (à paraître).

73 « Giving a lesson based on a text is not the same thing as giving a reading lesson » (Nutall, 1982, p.12)

74 Barnford & Day (1998).

par mot, phrase par phrase. On privilégiait la compréhension au niveau de la phrase, le sens du texte comme un tout était négligé (Germain, 1993, p.101).

Le constat de l’inefficacité de cette approche pour pratiquer la langue aussi bien à l’écrit qu’à l’oral constitue le principal moteur des réformes proposées. Une des approches qui s’oppose radicalement à la MT est la méthode directe (MD) qui s’inscrit dans la lignée immédiate des approches dites naturelles, fondées sur l’observation de l’apprentissage de la langue maternelle par l’enfant. Ces méthodes ont surtout été utilisées en Allemagne et en France vers la fin du 19ème et le début du 20ème siècle (Germain, 1993, p. 127). La MD est orientée vers l’apprentissage de la langue pour communiquer. On apprend d’abord à comprendre et à s’exprimer oralement, ensuite seulement à lire et écrire. Cet apprentissage se fait directement en L2, c’est-à-dire sans recours à la langue maternelle. Cette approche entraîne la création de nouvelles techniques de présentation (leçon de choses, images, gestes, mimique, intonation, mouvements) faisant appel à l’intuition indirecte (Puren, 1988, p.144).) Même si, comme le dit un méthodologue du début du 20ème siècle, « c’est toujours le mot français qui monte aux lèvres des élèves et y éclate en quelque sorte malgré mes prohibitions » (Puren, 1988, p.145) ce qui importe ce n’est pas tant la forme sous laquelle apparaît le mot (L1 ou L2) mais « le chemin parcouru pour l’atteindre » (p.146). Ainsi, la parole intérieure, toute imprégnée d’éléments L2, se libère de plus en plus du langage maternel. L’élève apprend petit à petit à penser directement en L2. La lecture aussi,

s’affranchit résolument de la traduction. Ce n’est plus par l’intermédiaire de la langue maternelle que l’élève arrive à l’intelligence du texte, mais par l’élaboration de ce texte dans la langue enseignée. La traduction cesse d’être une fin en soi, pour n’être plus qu’un simple procédé de contrôle, qu’un moyen rapide de nous assurer qu’à la rigueur l’élève pouvait s’en passer. (Puren, 1988, p.138)

Ce qui change radicalement entre MT et MD, c’est le rapport entre L2 et L1 ou autrement dit, le statut de la traduction de l’une à l’autre. Celle-ci devient un moyen de contrôle pour s’assurer que le parcours de construction du sens suivi en L2 a abouti à une véritable compréhension. Ce qui compte désormais, même s’il s’agit parfois d’un détour, c’est la démarche75 de construction du sens de L2 à l’aide de L2. Langue à appendre et langue

75 Dans ce sens il s’agit d’une approche qui s’apparente à celle par stratégies.

d’enseignement coïncident. On fait le pari que ce procédé permette, par une quantité importante de input d’élargir les connaissances dans la langue.

Un autre changement concerne la manière d’approcher un texte. Celui-ci n’est plus lu mots par mot, phrase par phrase, mais l’entrée se fait d’une manière globale, la « lecture directe » :

L’idéal est d’amener l’élève à comprendre un texte en langue étrangère, directement, c’est-à-dire sans les secours de la langue maternelle. L’élève, formé par la méthode constructive, a besoin, pour découvrir le sens d’un texte, de le transposer en français. Lors même que le vocabulaire lui en est familier, l’ensemble lui reste obscur et ne s’éclaire que progressivement par une traduction minutieuse. La lecture directe le dispense de cette opération, en lui donnant la révélation immédiate du sens du passage. D’un seul coup d’œil, il embrasse la phrase lue, ou plutôt il cesse de la voir, pour l’entendre. Même si il ignore certains mots, il a, dès le premier instant, la perception plus ou moins claire du sens général et de l’ordonnancement de l’ensemble. Il est dans la situation de quelqu’un qui comprend une phrase prononcée en langue étrangère, sans être en état de la reconstituer dans le détail et sans avoir une notion nette des éléments qui la composent. Au travail analytique et lent de la lecture grammaticale, la lecture directe substitue ainsi une impression synthétique et instantanée. (Godart, 1903, p. 471, cité dans Puren, 1988, pp.

149-150; notre soulignement)

On trouve ici les prémisses du modèle de lecture descendant de Goodman (1967) qui a influencé et continue à déterminer les pratiques d’enseignement de la lecture en L2. On pourrait penser, en lisant l’extrait cité ci-dessus, à une rupture entre MT et MD dans le sens ou la dernière mettrait l’apprentissage de la lecture au centre du travail avec les textes. Mais il n’en est rien. Le texte continue à servir de point de départ à d’autres apprentissages que la lecture (Puren, 1988, p.170). La compréhension du texte n’est, d’après l’instruction de 1908 qu’un préalable, une étape nécessaire à l’assimilation d’éléments nouveaux contenus dans le texte (p.168). Si la lecture expliquée tend à s’imposer comme modèle unique de traitement pédagogique du texte (officialisée en 1950) c’est précisément parce qu’elle permet un enseignement simultané de l’enseignement linguistique, culturel et littéraire à travers une intégration didactique de l’ensemble des aspects de la langue76, dont celui de la compétence de réception écrite n’est qu’un aspect.

76 Enseignement phonétique à travers la lecture à haute voix, lexical (choix ou fabrication de textes en fonction du vocabulaire thématique de la leçon), compréhension orale (par une approche audio-orale des textes, production orale et écrite, littérature et civilisation (p.171).

En triturant les textes, (…) nous rappelons à nos élèves, non sans profit pour eux, les règles de grammaire ignorées ou oubliées et les particularités de la syntaxe ; nous continuons à préciser et à développer leur vocabulaire ; nous leur exposons toutes les ressources du langage comme moyen d’expression de la pensée ou du sentiment ; grâce à l’analyse détaillée des procédés de style nous leur montrons, par des exemples précis, la technique de l’art d’écrire et nous les préparons ainsi directement à la composition. (…).77 (Puren, 1988, p.172 ; notre soulignement)

Le schéma de classe utilisé dans le cadre de la MD, illustre bien, sur un plan pratique, la conception d’un travail intégratif sur les textes. La première phase de préparation

« mécanique » du texte consiste en une explication des mots inconnus, une lecture à haute voix par l’enseignant, suivie parfois d’une lecture à haute voix par les élèves. La deuxième, intitulée « interprétation du texte » suit un cheminement qui va d’une compréhension globale vers une compréhension plus détaillée que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les manuels78. En accord avec la vision d’une entrée descendante dans le texte, il s‘agit, dans un premier temps, d’en « dégager la signification d’ensemble » qui permet en même temps, d’orienter la lecture vers l’accès au « sens » profond du texte. Compréhension globale ici signifie à la fois vue d’ensemble et compréhension en profondeur, vision qui permet à son tour d’accéder à la « signification d’une phrase » (Puren, 1988, p.174). Une fois cette vue d’ensemble élaborée, les élèves passent à l’interprétation en détails par le biais d’une conversation sur le texte. La troisième phase porte sur la fixation du texte dans la mémoire pour répondre à l’évaluation en début de leçon suivante. Si nous exposons ce schéma, c’est parce que nous pensons comme Puren qu’ « un tel schéma a traversé la succession des méthodologies (…) et se retrouve encore de nos jours comme l’un des schémas de base du traitement pédagogique des textes en second cycle scolaire » (p.175)

L’approche d’enseignement par les stratégies de lectures

Barnford & Day (1998) situent la première apparition d’enseignement de la lecture par les stratégies en L2 dans les années 60. Dans le contexte des Etats-Unis, des rédacteurs de manuels d’apprentissage de L2 y introduisent les principes de l’entraînement de la lecture académique (« academic reading ») dispensé à des lecteurs universitaires de L1 (p.126).

L’approche se développe par la suite dans les années 80 et continue à se pratiquer pendant les

77 On peut trouver cette conception de texte prétexte p.ex. dans Neuner, Krüger & Grewer (1985): « Textsorten als Sprech- und Schreibanlass », qui a servi à Genève, dans les années 90, de base à la formation des enseignants du secondaire.

78 Notamment dans la méthode en vigueur lors de notre recherche, le manuel Sowieso.

années 90. Quels en sont les principes ? Quelles sont les raisons de son émergence ? La première se situe sur un plan théorique. Il s’agit d’une méthode compatible avec les modèles interactifs de la lecture. La position universaliste sous jacente à ces modèles79 se traduit ici par le pari d’un effet de l’enseignement de stratégies de lectures en termes d’efficacité permettant de comprendre tout genre de texte grâce au transfert de stratégies « universelles », applicables lors de la lecture dans n’importe quelle L2.80 La deuxième raison est d’ordre pratique.

L’approche par les stratégies fournit aux enseignants un véritable objet d’enseignement.

Rappelons-le, jusqu’à présent apprendre à lire se confondait avec l’apprentissage d’autres compétences langagières, la capacité en lecture étant supposée se développer d’elle-même grâce à l’entraînement et à l’augmentation des savoirs sur la langue. L’entrée par les stratégies offre une possibilité d’envisager l’enseignement de la lecture comme objet à part entière et pouvant être enseigné de manière autonome. L’approche engendre par ailleurs des manuels et ouvrages orientées vers la pratique (Aebersold et Field, 1997 ; Nutall, 1982 ; Westhoff, 1987, 1997).

L’objectif central d’un enseignement stratégique consiste à enseigner explicitement comment, quand et pourquoi une stratégie donnée peut être utilisée pour faciliter l’accès à l’apprentissage et à l’utilisation de la langue (Cohen, 1998, p.69). Stahl et Hayes (1997) se basent sur Garcia et Pearson (1991) pour distinguer 3 grandes approches (p.2) :

• l’enseignement directe (« direct instruction »)

• l’explication explicite (« explicite explanation »)

• la communauté d’apprentissage (« cognitive apprenticeship »)

La première, tributaire du behaviorisme (Stahl, 1997, p.8) part du principe que l’apprentissage de la lecture peut être décomposé en plusieurs savoirs faire (« subskills »), qui peuvent s’entraîner à l’aide d’exercices spécifiques. La juxtaposition de ces savoirs faire, lorsqu’ils sont enseignés explicitement, peuvent améliorer la capacité globale en lecture des élèves. Les critiques émises à l’encontre de cette approche portent sur la centration trop importante sur l’enseignant et sur un enseignement isolé des composantes en dehors d’un contexte porteur de sens. L’avantage de cette conception consiste à considérer que l’apprentissage de la lecture ne correspond pas à un processus naturel mais nécessite un enseignement systématique (p.3)

79 Voir chapitre 2

80 Nous revenons plus en détails sur les postulats à la base de l’approche stratégique dans le chapitre 4

La deuxième approche reprend des éléments de la première : des définitions explicites des stratégies utilisées, incluant des discussions sur leur utilité et des démarches d’illustrations par l’enseignant montrant la manière de les utiliser. Elle se distingue cependant par l’intégration de l’utilisation des stratégies dans la lecture de textes, par une dévolution progressive de la tâche et par une aide au transfert vers d’autres lectures (p.3). L’enseignement des stratégies se fait de manière successive, supposant que la coordination de celles-ci se fera lors de la lecture d’autres textes (p.10).

La troisième approche propose d’enseigner plusieurs stratégies de manière simultanée81 et considère que le sens d’un texte se construit dans l’interaction sociale. La lecture est vue comme une orchestration de processus complexes, modélisée par l’enseignant à partir de la lecture de textes authentiques. Le rôle de lecteur-expert est progressivement attribué aux élèves au sein de travaux de groupes.

Ce nouveau paradigme d’enseignement de la lecture par les stratégies82 est fortement lié à une structure didactique en trois phases que nous allons traiter dans les paragraphes suivants.

L’enseignement de la lecture s’inscrit par ailleurs dans un contexte d’apprentissage coopératif qui sera abordé dans la deuxième partie de ce sous-chapitre.

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