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La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

A. Vulnérabilité globale

Pour évaluer les effets des actions de régulation des impacts et des risques en lien avec les activités pétrolières nous mobilisons trois concepts : la vulnérabilité globale et les capacités politiques des communautés d’une part, les conditions de gouvernabilité de l’autre.

Wilches-Chaux (1993) définit la vulnérabilité globale comme l’ensemble des caractéristiques qui empêchent une communauté de s’adapter aux changements de son environnement. Ainsi les changements violents, comme une catastrophe naturelle, agissent-ils comme un révélateur de vulnérabilités et/ou de capacités de cette communauté à faire face.

Il « découpe » la vulnérabilité globale en une dizaine d’items étroitement connectés les uns aux autres (écologique, sociale, politique, culturelle etc.), qu’il s’agit de considérer comme un système : toute action sur une vulnérabilité a nécessairement une incidence sur d’autres vulnérabilités. Parmi ces différents aspects de la vulnérabilité globale, la vulnérabilité politique représente un faible niveau d’autonomie d’une communauté dans la prise de décision : l’hypothèse induite est que plus elle a d’autonomie, moins elle est vulnérable et donc plus elle est capable d’affronter les menaces.

Elle se traduit par :

1- L’incapacité de la communauté à se « faire problème » pour le gouvernement ou la société, à faire en sorte que les problèmes qui la concernent dépassent les frontières locales pour être portés à l’attention des niveaux décisionnels compétents ;

2- L’incapacité de cette communauté à formuler par elle-même les solutions à son problème (connaissance et mise en œuvre des ressources locales pour résoudre le problème) et à limiter la demande de moyens extérieurs à ce qui lui fait réellement défaut.

Ainsi, nous considérons pour le cas équatorien que la capacité à générer des conflits, y compris radicaux, sont partie intégrante des processus de régulation des problématiques environnementales (Mermet, 1992 ; Becerra 1998). Le conflit, avant d’être un problème en soi, est avant tout le symptôme d’un problème plus englobant qu’il s’agit de résoudre pour solutionner le conflit. La vulnérabilité politique peut alors s’entendre, de ce point de vue, comme une incapacité à générer des conflits performatifs, qui permettent d’obtenir des réponses aux problèmes soulevés.

Nous concevons alors la vulnérabilité politique comme un aspect central de la vulnérabilité globale, en ce sens qu’elle déterminerait en grande partie la capacité à faire face aux changements. Metzger et D’Ercole (2011) écrivent :

« Les conséquences dévastatrices du séisme d’Haïti de 2010 ont fait la démonstration magistrale de ce qu’est la vulnérabilité, de l’importance de la vulnérabilité dans les risques, et de la dimension majeure de la pauvreté dans cette vulnérabilité. Aussi, les politiques de prévention fondées sur une conception étroite des risques principalement basée sur l’aléa ne peuvent avoir qu’une efficacité très limitée. La prévention des risques sismiques se situe largement hors du champ du risque sismique, elle se situe dans le domaine de la réduction des vulnérabilités avec le développement social et économique, la démocratie et la justice, les politiques du logement et d’aménagement du territoire, les politiques de santé et d’équipements... »

L’approche des risques par la vulnérabilité propose un décentrement de l’aléa qui permet d’ouvrir le champ d’analyse de deux manières. D’une part, il ouvre également à un décentrement de la seule capacité d’action de l’Etat, à même ou non d’émettre les normes pour limiter l’aléa et/ou en protéger les enjeux, pour ouvrir la question d’une capacité des populations à protéger leur vie, leurs biens, leurs ressources, également conçue comme « résilience », laissant entendre qu’une population absolument résiliente serait celle qui n’aurait, à l’extrême limite, pas du tout besoin de l’Etat pour se protéger de l’aléa. D’autre part, il ouvre sur analyse systémique de la capacité à nuire de l’aléa : le contexte humain dans lequel il survient détermine les dommages potentiels, en lien notamment avec les conditions de vie des populations. C’est dans ce cadre que nous pensons le couple vulnérabilité/capacité politique, comme la question de savoir comment une population, dont les conditions de vie peuvent constituer l’enjeu exposé à l’aléa pétrolier, se positionne face à cet aléa, et comment elle interpelle ou non les autres acteurs impliqués dans sa gestion, mais également comment les autres aléas auxquels elle est exposée viennent influer sur les manières dont elle se représente les risques en lien avec les activités pétrolières.

Du point de vue de la vulnérabilité politique des communautés amazoniennes, la compensation de la pollution par la distribution d’emplois contribue à modifier le rapport des populations aux épisodes ponctuels de pollution environnementale, en les transformant en opportunités économiques, allant jusqu’à les rendre désirables.

« Un fermier de Chiritza (Pacayacu) nous a raconté que durant une fuite, alors qu’il tentait de bloquer le pétrole pour éviter que l’aire polluée ne s’étende, il s’est fait insulter par un voisin qui l’accusait de ne pas vouloir laisser les autres profiter de la fuite. » (PRAS, 2016).

La compensation des fuites par l’attribution d’emplois de nettoyage favorise ainsi une représentation paradoxale de la pollution environnementale, qui va dans le sens d’un traitement localisé de l’épisode de pollution directement avec l’entreprise, et qui nourrit une représentation bénéfique des épisodes de pollution qui peut, comme dans le cas cité, pousser les affectés à souhaiter plus de pollution, dans la mesure où plus de pollution signifie plus de contreparties économiques. L’adoption d’une norme locale, la négociation de la distribution d’emplois de remédiation avec les propriétaires des fermes affectées, a pour effet de limiter l’horizon des revendications : demander plus que des emplois, c’est risquer de ne rien obtenir du tout.

La compensation est alors une opportunité de convertir un dommage en contrepartie économique à court terme, à défaut d’obtenir des mesures plus efficaces mises en œuvre par l’Etat, mais qui nécessiteraient un investissement conséquent en termes d’organisation sociale, pour un résultat aussi lointain qu’incertain. Mais cette opportunité ne peut être saisie que si les communautés victimes sont en capacité de le faire.

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