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La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

B. Les capacités politiques

Nous concevons la notion de capacité politique comme (1) l’organisation d’un groupe social pour la défense d’intérêts communs face à d’autres acteurs et (2) la mobilisation de moyens pertinents pour le succès de l’entreprise. Le premier aspect correspond à ce que nommons, d’après Lahire (2002), des dispositions sociales, culturelles, politiques à l’organisation. Nous transposons à cet effet le concept développé en lien avec des individus dans le champ social. Il s’agit globalement des caractéristiques d’un groupe social qui le poussent à développer ou non « un penchant, une propension, une inclination » à l’identification d’intérêts communs, et à la priorisation de ce qui unit plutôt que de ce qui divise. Ainsi, une cohésion sociale ou culturelle préalable, ou l’existence d’institutions robustes contribuent à l’émergence de dynamiques organisationnelles. Ces conditions configurent un potentiel à se saisir des fenêtres d’opportunités quand elles se présentent.

Le second aspect correspond à la traduction sociale du concept de capabilités développé par Sen (1990, 1999, 2005), lui aussi en référence aux individus. La capabilité fait référence à la possibilité effective pour un individu, dans le cas présent pour un groupe social, de choisir diverses combinaisons de mode de fonctionnement. Ce concept questionne ainsi l’accès à la liberté de choisir entre différents horizons possibles et différentes manières d’y arriver.

A la lumière des travaux précédemment cités, nous définissons les « capacités politiques » dans le cadre de ce travail de thèse comme étant les capacités des acteurs sociaux et politiques à déterminer leurs aspirations de manière autonome et à se donner les moyens de les atteindre. Néanmoins, il ne s’agit pas de présupposer une liberté totale, a priori, des acteurs, dont ils se saisiraient ou non en fonction de caractéristiques intrinsèques. Au contraire, nous partons de l’hypothèse selon laquelle les structures sociales et politiques les contraignent ou les disposent plus ou moins, ouvrant ou au contraire bornant le champ des possibles qu’ils se trouvent à même de considérer.

Ce champ des possible peut se trouver élargi dans le cas où les systèmes d’acteurs plus englobants, comme par exemple l’Etat, sont à même d’étendre leur capacité d’action. Un aspect déterminant des capacités politiques correspond alors à la capacité à formuler des demandes de manière à ce qu’elles soient prises en compte par l’Etat et/ou les entreprises pétrolières, en cohérence avec les intérêts collectifs identifiés. Ces capacités concernent les différents aspects du cycle de vie des politiques publiques. Variées, elles peuvent être déclinées comme suit :

- Capacités à identifier et à définir collectivement les problèmes du territoire en arbitrant entre les différents intérêts en jeu ; Capacité de veille, de vigilance ;

- Capacité à prendre en charge une partie des problèmes, et à demander de l’aide pour ceux qui ne peuvent être résolus de manière autonome ;

- Capacités à formuler ces problèmes de manière à interpeler l’opinion publique, les médias, les pouvoirs publics, les entreprises ; Capacité d’alerte, d’organisation sociale ;

- Capacités à saisir les fenêtres d’opportunité de mise à l’agenda des problèmes ; Opportunisme ;

- Capacités à participer à la formulation de solutions aux problèmes publics mis à l’agenda ;

- Capacités à prendre part à la mise en œuvre des solutions et à contrôler qu’elles correspondent aux objectifs définis ;

- Capacités à évaluer les actions entreprises et à en tirer des leçons.

Les différents exemples sont présentés, sans vocation à l’exhaustivité, dans l’objectif de comprendre la chaîne causale qui permet, ou non, aux communautés d’agir sur leur vulnérabilité globale. Nous faisons l’hypothèse qu’ensemble, elles permettent de garantir une action collective en cohérence avec l’intérêt commun. Les capacités qui font défaut dans une communauté donnée peuvent être compensées par une capacité à obtenir du soutien de la part d’autres acteurs (sans se faire déposséder de la cause). En revanche, l’absence d’une ou plusieurs de ces capacités est conçue comme une vulnérabilité face à un problème : plus un groupe est vulnérable politiquement, moins il sera à même de résoudre les problèmes collectifs qu’il rencontre.

Cette vulnérabilité peut prendre différentes formes : ignorance du problème engendrant une exposition inconsciente aux impacts de l’exploitation pétrolière (Becerra 2016), manque d’information sur les impacts et les normes existantes, incapacité à utiliser les normes existantes pour asseoir la légitimité d’une demande, etc.

Les capacités politiques permettent de résoudre collectivement des problèmes, de manière autonome ou en faisant appel au soutien d’autres acteurs : la première capacité politique d’un acteur consiste donc à pouvoir reconnaître sa propre vulnérabilité et à envisager des stratégies pour la réduire et/ou la convertir en opportunité. Dans la même ligne que Riaux et al. (2009), nous ne cherchons pas tant à évaluer la vulnérabilité des populations, la concevant alors comme un phénomène objectivable, qu’à comprendre comment elle est « déployée et mobilisée par les acteurs » dans les espaces où celle-ci se trouve mise à l’Agenda. Nous considérons ainsi que l’une des capacités peut aller sans l’autre, mais que l’interruption de la chaîne de capacités ouvre des opportunités pour d’autres acteurs, dont le soutien devient nécessaire, de détourner l’effort organisationnel de la communauté à leur profit.

Dans le cas où l’intérêt de ces acteurs converge avec celui de la communauté, le recours par alliance à des capacités externes ne remet pas en question l’objectif des actions menées, mais peut entraîner une relation de dépendance de la communauté à ses soutiens.

Précisons également qu’une capacité n’est pas un acquis absolu, fonctionnant de la même manière en toutes circonstances : en fonction de l’évolution des compétences et des caractéristiques des membres, mais également du contexte spécifique rencontré, la communauté peut se saisir d’une opportunité et passer à côté d’une autre, elle peut être à même d’évaluer certaines actions et pas d’autres.

Nous centrons alors l’analyse sur deux critères qui nous semblent fondamentaux : (1) la capacité à générer des alliances stratégiques avec d’autres acteurs (pour combler les éventuels déficits de compétence) et les relations de pouvoir avec eux (dépendance uni- ou bilatérale, exclusivité ou existence de soutiens alternatifs, etc.), et (2) le rôle des leaders sociaux dans les processus organisationnels, ainsi que leur disposition à défendre l’intérêt commun ou au contraire à profiter de leur pouvoir pour détourner les dynamiques collectives à leur profit.

De manière corollaire, nous envisageons l’évaluation des solutions apportées (normes, action publique, médiation de conflits) aux problèmes collectifs mis à l’agenda par les acteurs décisionnaires en fonction des effets qu’elles ont sur les dispositions, les capacités et les vulnérabilités des acteurs impliqués dans le système de régulation : dans quelle mesure les actions menées entre l’émergence et la résolution d’un problème témoignent-elles de vulnérabilités et de capacités des acteurs ?

Enfin, chaque problème particulier n’est pas traité séparément du contexte dans lequel il émerge : au contraire, il est conçu comme un élément au sein d’un système complexe de problèmes (ou « flux des problèmes »), dont la dynamique de résolution donne à voir une diversité de capacités et de vulnérabilités des acteurs. Ainsi, la résolution ou non d’un problème particulier a également des effets, positifs et/ou négatifs, sur le cycle de vie d’autres problèmes.

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