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La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

ENTREPRISE PAYS CREA

C. L’Equateur, un acteur marginal dans le système pétrolier mondial

2.2 La nationalisation, un instrument d’émancipation pour les pays exportateurs de pétrole ?

2.2.3 La nationalisation en Equateur : un projet bien lancé

Au début des années 1960, Texaco découvre un champ pétrolier en Amazonie colombienne, à proximité de la frontière avec l’Equateur. Faisant le constat qu’elle présente des propriétés géologiques similaires, Texaco développe rapidement un intérêt pour l’Amazonie équatorienne, et acquiert directement une partie de la concession de Minas y Petroleos del Ecuador de 6500 km2. Puis en 1964, l’Etat accorde au consortium Texaco-Gulf une concession de 14000 km2 pour une durée de 58 ans, mais sa superficie est réduite dès 1965 avec l’adoption d’un règlement limitant la superficie des concessions à 5000 km2 pour l’exploration et à 2500 km2 pour l’exploitation. Le consortium entreprend alors une large campagne d’exploration incluant une géologie de terrain et de grandes campagnes de registres sismiques (Baby et al., 2014).

35Entre 1948 y 1973, el consumo nacional aumentó de 6 a 17 millones de barriles por día, mientras que la

Des réserves commerciales de pétrole sont découvertes par le consortium Texaco-Gulf en Amazonie Equatorienne en 1967 et confirmées par la perforation du puits Lago Agrio 1, qui produit 2800 barils par jour. L’Amazonie équatorienne suscite alors l’intérêt de nombreuses compagnies pétrolières et l’Etat ouvre en 1968 des concessions d’exploration sur plus de 4 millions d’hectares. En quelques années, le consortium Texaco-Gulf découvre les grands champs de Shushufindi, Sacha et Auca-Cononaco. Il construit la raffinerie d’Esmeraldas située sur la côte pacifique et le système oléoduc transéquatorien (SOTE), pour la relier au centre opérationnel pétrolier d’Amazonie équatorienne, basé à Lago Agrio. A Esmeraldas, sur la côte pacifique, le pétrole est en partie exporté et en partie raffiné pour la consommation interne.

Dans le cadre de son contrat, le Consortium Texaco-Gulf s’engage à financer la construction d’une route reliant Quito (dans les Andes) à l’Amazonie, route terminée en 1971. Celle qui relie Sacha à Shushufindi (Nord de l’Amazonie) est achevée en 1973 et celle qui relie Coca au champ pétrolier Auca (Nord de l’Amazonie) avance régulièrement dans l’ancien territoire Huaorani du début des années 1970 au début des années 1980.

En quelques années, le nord du territoire amazonien, jusque-là largement isolé du reste du pays (Juteau-Martineau et al 2014 ; Bissardon et al 2013), est intégré au territoire national par un réseau de transports, tandis que les principaux champs pétroliers de brut léger, d’où sont chaque jour extraits autour de 200 000 barils de pétrole, deviennent l’espace le plus stratégique du pays.

Le niveau de production des champs pétroliers fait l’objet de relations de pouvoir entre gouvernements des pays importateurs, entreprises pétrolières et gouvernement des pays exportateurs de pétrole, qui ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts. L’opportunité de mettre des réserves en production correspond alors à des contextes bien particuliers : dans le cas équatorien, le consortium pétrolier fait preuve d’un niveau d’efficacité qui contraste avec les stratégies de « sabotage » de la production pétrolière mises en œuvre au Moyen- Orient jusque dans les années 1960 (Mitchell, 2011).

Figure 11 Production historique de pétrole en RAE par les principales entreprises pétrolières (1972-2012, source : PEC, 2012).

Le pétrole est nationalisé en 1971, soit un an avant que l’Equateur ne devienne exportateur net de pétrole grâce à la fin de la construction de l’oléoduc trans-équatorien (SOTE). La hausse des cours du pétrole en 1973 ouvre une ère de boom économique sans précédent dans le pays.

L’entreprise publique Corporation Etatique des Pétroles d’Equateur (CEPE), créée en 1972, prend progressivement le contrôle sur le consortium Texaco-Gulf, principal opérateur du pays, qui inclut les infrastructures de production, de transport et de raffinage, tandis que la réforme de la loi d’hydrocarbures permet une taxation importante des revenus pétroliers. L’Etat équatorien parvient ainsi à monter sa participation à la rente à des taux historiquement hauts (voir encadré 1):

« Le consortium mentionné, durant les 20 ans du contrat, laissa à l’Etat 23,5 milliards de dollars, pendant que Texaco reçut la somme de 1 643 458 (milliers de) dollars, ce qui signifie 93% pour l’un et 7% pour l’autre, selon les liquidations réalisées en 1994 par la banque centrale, le ministère des finances, le ministère d’énergie et des mines, Petroecuador et Texaco.” ». (Arauz, 2004 : 57) 36

La première nationalisation, une émancipation réelle par la prise de pouvoir de l’entreprise publique sur l’intégralité de la chaîne des activités pétrolières

CEPE acquiert 25% des parts du consortium Texaco Gulf en 1974, puis 37,5% additionnels en 1976 avec le départ de Gulf, et devient ainsi majoritaire dans le consortium CEPE-Texaco. Entre 1973 et 1990, les consortiums Texaco-Gulf, Texaco-Gulf-CEPE puis CEPE-Texaco produisent entre 150 et 230 000 barils par jour, dont plus de 80% sont issus de 4 champs : Shushufindi, Sacha, Auca-Cononaco et Lago Agrio. A partir de la nationalisation, l’entreprise publique prend progressivement le contrôle de l’intégralité de la chaîne des activités pétrolières depuis l’exploration jusqu’à la commercialisation, ce qui lui permet de s’émanciper de la dépendance technologique aux compagnies privées étrangères, et d’assurer un contrôle croissant sur le pétrole produit.

Dès la fin des années 1970, CEPE pilote une grande campagne d’exploration, qui lui permet de découvrir des gisements importants à l’est de Lago Agrio, et sur les deux rives du Rio Napo. A partir de 1982, CEPE procure des apports conséquents à la production nationale avec la mise en production des champs Libertador, Cuyabeno-Sansahuari et Bermejo, qui atteignent au total plus de 50 000 barils par jour en 1989, et monteront jusqu’à 90 000 dans le courant des années 1990.

36“El mencionado consorcio, en los 20 años del contrato, dejó al Estado 23.5 billones de dólares, mientras

Texaco recibió la suma de 1.643.458 dólares, lo cual significa el 93% para el uno y el 7% para la otra, según las liquidaciones oficiales realizadas en 1994 por el Banco Central del Ecuador, el Ministerio de Finanzas, el Ministerio de Energía y Minas, Petroecuador y Texaco.”

Malgré cela, la mise en production des gisements découverts au nord du Rio Napo et dans le parc national Yasuní fait l’objet d’une série d’appels d’offre destinée aux investissements privés.

Durant les années 1980, CEPE consolide son contrôle sur l’oléoduc transéquatorien puis récupère finalement la raffinerie d’Esmeraldas en 1988. Au tournant des années 1990, le bail du consortium CEPE-Texaco arrive à son terme. Pour préparer la récupération de l’intégralité des champs pétroliers du consortium, en 1989 CEPE devient Petroecuador et ses quatre filiales. Petroamazonas est créée comme filiale temporaire pour la reprise des champs opérés directement par Texaco jusqu’en 1992, Petroproduccion se charge de l’exploration et de la production dans les champs de CEPE, puis de l’intégralité des champs du consortium. Les champs réunis de CEPE et Texaco forment alors le « district amazonien ». Petroindustrial se charge de la transformation et Petrocomercial de la distribution de carburant. Au début des années 1990, Petroecuador est ainsi l’acteur central de l’exploitation pétrolière en Equateur : ses apports représentent 98% de la production nationale, et l’entreprise exerce un monopole sur le transport, le raffinage et la commercialisation.

Figure 12 Production des différents champs pétroliers développés par Texaco-Gulf, CEPE-Texaco, CEPE et Petroecuador, 1972-2012 (Source : PEC, 2012)

La première nationalisation du secteur pétrolier en Equateur est donc clairement une réussite : les objectifs de conquérir une souveraineté nationale sur l’exploitation pétrolière, au détriment des entreprises étrangères privées, sont largement atteints. A partir des années 1990, l’entreprise publique voit néanmoins sa souveraineté sur les opérations pétrolières entamer un long déclin.

Parallèlement au consortium formé avec Texaco, une seule entreprise privée, City Oriente, basée au Panama mais possédée par des investisseurs des Etats-Unis, exploite en Amazonie équatorienne de modestes champs pétroliers dans le cadre d’un contrat d’association avec l’Etat. Elle paye des royalties de 12,5% (contre 18,5% pour Texaco) et un impôt à la rente de 87,3%, comme Texaco. La majeure partie des maigres revenus générés revient là aussi à l’Etat.

« Nous avons obtenu ces résultats grâce à la politique pétrolière nationaliste du gouvernement de Guillermo Rodriguez Lara, à l’application de la résolution 90 de l’OPEP et à son soutien politique, que nous perdîmes lamentablement en 1993. » (Arauz, 2004: 58)37

L’Equateur devient en 1973, le plus petit membre de l’OPEP. Il profite alors du soutien de l’organisation en matière de négociation avec les entreprises privées, activité dans laquelle plusieurs des membres acquièrent une expérience importante à partir des années 1950 (Iran, Venezuela, pays du golfe arabique).

Entre 1973 et 1979, le pays connait des taux de croissance exceptionnels : 25% en 1973, puis 7% en moyenne durant les années suivantes (Acosta, 2002, Fontaine, 2005). Mais si le niveau de vie augmente de manière générale et donne lieu à l’émergence d’une classe moyenne aux effectifs limités, le pays ne parvient pas à s’industrialiser, notamment en raison d’un phénomène depuis théorisé comme le syndrome hollandais38 ; les investissements réalisés

37 Esos resultados logramos gracias a la política petrolera nacionalista del gobierno del general Guillermo

Rodríguez Lara, la aplicación de la Resolución No. 90 de la OPEP y a su respaldo político que, lamentablemente perdimos en 1993.”

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Le syndrome hollandais, ou maladie hollandaise, est identifié comme un effet adverse du poids prépondérant que le développement de secteurs extractifs voués à l’exportation peuvent prendre dans les systèmes économiques. Il est identifié lorsque dans les années 1960 les Pays-Bas développent le secteur gazier et que, parallèlement, on observe un étouffement des autres secteurs de l’économie, notamment les industries manufacturières, là où l’accès à cette nouvelle richesse laissait plutôt espérer des effets de levier. Le principal mécanisme qui permet d’expliquer ce paradoxe apparent correspond à l’appréciation de la devise nationale consécutive à une croissance rapide des exportations. Cette dernière a une incidence négative sur les autres secteurs économiques voués à l’exportation, en ce sens que leur compétitivité se trouve dégradée par l’augmentation du coût relatif de la devise nationale sur les marchés, que les acteurs extérieurs doivent se

grâce au pétrole sont progressivement abandonnés par la suite pour consolider le service de la dette. Durant les années 1970, si la rente pétrolière est en effet investie dans divers secteurs sociaux et économiques, selon notamment une stratégie de développement industriel par la substitution d’importations, les dépenses exceptionnelles sont systématiquement financées par la dette : le dictateur Lara (1972-1976) se vante alors ouvertement de n’avoir jamais prélevé d’impôts. Ainsi, l’Etat, malgré une croissance importante de ses revenus, a régulièrement recours à l’endettement, sur des marchés auxquels la possession de pétrole lui donne accès.

2.3 « La fête est finie ! » : la destruction progressive des acquis de la

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