• Aucun résultat trouvé

La dénonciation de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées : un révélateur de la hiérarchie entre enjeux économiques et environnementau

La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

D. La dénonciation de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées : un révélateur de la hiérarchie entre enjeux économiques et environnementau

Au milieu des années 1980, le gouvernement équatorien lance la licitation de blocs pétroliers dans deux aires protégées d’Amazonie équatorienne, Yasuni et Cuyabeno, alors même que la loi de protection des forêts y interdit le développement d’activités polluantes. A partir de la fin des années 1980, plusieurs ONG environnementales se saisissent de la problématique, dont les deux principales sont la fundacion natura, qui développe une approche institutionnaliste, de coopération avec les institutions de l’Etat pour la prise en charge du problème, et accion ecologica, qui développe une stratégie d’activisme et de dénonciation publique des dysfonctionnements de la gestion environnementale publique et privée.

A partir de 1989, plusieurs organisations activistes, alliées dans le CORDAVI (corporation pour la défense de la vie), organisent la dénonciation des problèmes en lien avec l’exploitation pétrolière dans les aires protégées. Elles lancent une campagne de médiatisation qui se concentre sur le bloc 16, attribué à l’entreprise Amoco et organisent différentes actions choc comme l’occupation des bureaux de l’entreprise aux Etats-Unis. Au début des années 1990, dans le contexte du sommet de la Terre, ces actions bénéficient d’une visibilité importante qui contraint l’entreprise et l’Etat à prendre des mesures pour garantir la possibilité d’exploiter du pétrole dans une aire protégée tout en contrôlant les impacts environnementaux. A cet effet, l’entreprise rédige la première étude d’impact environnementale et développe une stratégie de relations communautaires destinée à intégrer les groupes indigènes présents à sa gestion, et parvient à obtenir le soutien de deux ONG environnementales états-uniennes. Décidé à empêcher le développement du bloc 16, le CORDAVI dépose une plainte devant le tribunal des garanties constitutionnelles pour confirmer la nature illégale de telles opérations mais, après avoir émis un verdict favorable aux plaignants, le tribunal se dédit sous la pression des entreprises pétrolières (Fontaine, 2005). Cette décision entérine alors la hiérarchie des enjeux entre exploitation pétrolière et préservation des zones de biodiversité.

Néanmoins, les actions de dénonciations et la pression exercée sur les gouvernements par les ONG environnementales débouchent sur une institutionnalisation de la gouvernance environnementale, d’abord dans le cadre d’une coordination des organisations pour la défense de la nature et de l’environnement (CEDENMA) à laquelle participent les deux courants d’ONG environnementalistes (institutionnaliste et activiste).

A vocation consultative, le CEDENMA parvient à faire accepter la nécessité de créer un ministère de l’environnement indépendant (la gestion des aires protégées dépend alors du ministère de l’agriculture), qui est effective en 1996. Ce ministère obtient la compétence de gestion des aires protégées (fusion avec l’INEFAN, Institut National des Forêts et des Aires Naturelles, en 1999), mais pas le contrôle environnemental des activités pétrolières, qui demeure une compétence du ministère du pétrole et des mines jusqu’en 2009 aux mains de la DINAPA (Direction Nationale de Protection Environnementale).

La problématique de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées se recompose dans le courant des années 1990 autour de la problématique des peuples non contactés, dont la survie se trouve directement menacée par l’entrée d’entreprises pétrolières. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 1998, qui reconnaît une série de droits indigènes, cette question ne peut plus rester ignorée, d’autant qu’elle mobilise des acteurs à l’échelle locale (en RAE, plusieurs organisations se saisissent de cette problématique et disposent de financements suite à la mort des deux missionnaires), nationale (les ONG environnementales voient dans la question des peuples non contactés une opportunité de réactiver la cause des aires protégées) et internationale (le réseau des ONG environnementales est fortement structuré à l’échelle mondiale). Ainsi en 1999, une aire protégée 2.0 est créée, de laquelle toute exploitation pétrolière est proscrite : la Zone Intangible Tagaeri-Taromenane (ZITT, du nom des deux peuples non contactés qui y vivent), superposée à la partie sud de l’aire protégée de Yasuni encore non affectée par l’exploitation pétrolière.

Dans les faits, aucune mesure spécifique de protection des peuples non contactés n’est prise, jusqu’à ce qu’une décision de la CIDH de 2006 ne contraigne l’Etat à adopter un plan de mesures de précautions, visant à opérer un suivi des signes de présence des peuples non contactés afin d’éviter les contacts avec des pétroliers, d’autres populations ou encore des trafiquants de bois.

Enfin, à partir de 2007, Rafael Correa, fraîchement élu, se saisit d’une proposition issue de la société civile qui propose de laisser sous terre le pétrole du bloc ITT (du nom des trois champs Ishpingo-Tiputini-Tambococha, situés à l’extrême est du parc Yasuni, anciennement connu comme bloc 32) en échange d’une contribution de la communauté internationale à hauteur de 50% des bénéfices attendus, au non de la compensation d’émissions non émises et de la préservation d’un hotspot de biodiversité.

L’initiative, baptisée Yasuni ITT, trouve son origine dans les revendications formulées par les ONG environnementales d’un moratoire sur l’exploitation pétrolière dans les aires protégées. Durant 6 ans, le soutien de l’exécutif à cette initiative joue le rôle de « caution verte » de la politique publique pétrolière, jusqu’à ce qu’elle soit finalement abandonnée en 2013, faute de contributions suffisantes.

Une nouvelle fois, l’impératif d’extraction du pétrole prend le pas sur l’impératif de protection des enjeux environnementaux. Ironie du sort, le temps de mettre les champs ITT en production, les cours du pétrole s’effondrent jusqu’à descendre sous les 30 $. Or il s’agit de pétrole lourd dont l’extraction implique des coûts de production élevés, au delà des 30$ / baril : l’Equateur commence par exploiter ce pétrole à perte jusqu’à ce que les cours n’entament un lent redressement jusqu’aujourd’hui.

Outline

Documents relatifs