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De l’OPEP aux nationalisations, une inversion du rapport de force en faveur des pays exportateurs de pétrole ?

La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

ENTREPRISE PAYS CREA

C. L’Equateur, un acteur marginal dans le système pétrolier mondial

2.2 La nationalisation, un instrument d’émancipation pour les pays exportateurs de pétrole ?

2.2.2 De l’OPEP aux nationalisations, une inversion du rapport de force en faveur des pays exportateurs de pétrole ?

Jusqu’aux années 1970, les grandes puissances occidentales parviennent à éviter la reproduction du précédent mexicain, qui nationalise l’exploitation pétrolière dès 1938, en acceptant des conditions de partage de la rente pétrolière moins défavorables aux gouvernements locaux. Le coup d’Etat contre Mossadegh (Iran, 1953) sert d’avertissement aux gouvernements trop gourmands : le seul aspect négociable concernant l’exploitation pétrolière est la part des bénéfices qui leur revient, dans la limite de 50%. Les majors gardent la main sur les décisions concernant la production, ce qui leur permet de conserver le contrôle de la majorité des concessions et d’éviter une surproduction qui entraînerait un effondrement des cours. A la fin des années 1960 cette « règle » est remise en question jusqu’à disparaître au profit d’une production pétrolière qui prend la forme tantôt d’associations entre entreprises nationales et majors, tantôt d’une exploitation directe par les entreprises nationales, qui deviennent alors les acteurs centraux de l’exploitation pétrolière.

L’OPEP est créée en 1960 à l’initiative des ministres du pétrole vénézuélien et saoudien dans l’objectif de renverser le cartel des majors.

« Si l’OPEP était censée permettre aux gouvernements d’agir comme un cartel, selon l’expression du ministre vénézuélien du pétrole, Alfonso Perez, sa politique ne changea pas fondamentalement le mode de régulation du marché pétrolier, du moins durant les premières années. Jusqu’en 1970, elle a seulement mené à une harmonisation partielle des fiscalités pétrolières, en augmentant les impôts à la rente à 55% et à obtenir que les rentes ne soient plus considérées comme des avances.” » (Fontaine, 2005:57)33

Durant les 10 premières années de son existence, l’OPEP se contente d’uniformiser les participations à la rente, et d’inciter à la création d’entreprises nationales, mais celles-ci restent trop faibles pour prendre le contrôle de la production.

D’autre part, la Lybie parvient à faire jouer la concurrence entre entreprises pétrolières, et ainsi à équilibrer le rapport de force avec les entreprises pétrolières exploitant sur leur territoire. Pour éviter les situations de monopole ou d’oligopole que connaissent les pays du golfe, et ainsi réduire les capacités des majors à freiner la mise en production des champs pétroliers, « le ministre du pétrole libyen, Fouad Khabazi, choisit de mettre aux enchères un ensemble extrêmement morcelé de concessions pétrolières » (Auzanneau, 2015 : 336). En ouvrant la porte aux compagnies pétrolières dites « indépendantes »34, il parvient à les mettre en concurrence avec les majors pour accélérer le lancement de la production libyenne. Ces compagnies indépendantes augmentent rapidement la production et vendent leur pétrole à des prix inférieurs à ceux du cartel des majors, qui résistent grâce au contrôle de la grande majorité du marché pétrolier international.

En 1969, le colonel Khadafi prend de court la CIA, alors en train d’organiser un coup d’Etat contre le roi Idris : sa prise de pouvoir est facilitée par des gardes qui rendent directement les armes, prenant les hommes de Khadafi pour des agents de la CIA. Trois mois plus tard, il annonce qu’il souhaite augmenter de 40 cents par baril, le prix du pétrole libyen produit.

33“Si la OPEP había de permitir a los gobiernos actuar como un cartel, según la expresión del ministro

venezolano de minas e hidrocarburos, Alfonso Pérez, su política no cambió fundamentalmente el modo de regulación del mercado pe- trolero, al menos en los primeros años. Hasta 1970, solo llevó a una harmonización parcial de las fiscalías petroleras, al subir los impuestos a la renta en un 55% y al obtener que las rentas ya no sean consideradas como avances “

34 Les compagnies pétrolières « indépendantes » sont les sociétés américaines « autres que les majors », par définition indépendantes du cartel international. Jusqu’aux années 1960, leurs activités se concentrent sur le sol américain. Or, l’épuisement progressif des réserves américaines et l’augmentation des coûts de production les incite à sortir du périmètre américain pour concurrencer les « 7 sœurs » (Bauchard, 1970).

Les majors résistent, mais plusieurs compagnies indépendantes, à commencer par OXY, particulièrement dépendante de sa production libyenne, acceptent une hausse de 30 cents sous la menace de voir leur production réduite de moitié, avant que les majors ne cèdent à leur tour (Auzanneau, 2015 : 337-8). Rapidement, plusieurs pays réclament une augmentation des prix jusqu’à ce qu’en décembre 1970, l’OPEP adopte une résolution commune à cet effet et pose un premier acte fort, 10 ans après sa création.

L’année 1970 marque un double tournant dans l’histoire de l’exploitation pétrolière : d’un côté, la résolution historique de l’OPEP ouvre la voie à une vague de nationalisations dans les pays exportateurs de pétroles, de l’autre, comme annoncé 15 ans plus tôt par Hubbert, les Etats-Unis atteignent leur pic de production de pétrole conventionnel tandis que la demande de pétrole rattrape l’offre.

S’ouvre alors une période où le pétrole s’apprécie sur les marchés et vient freiner la dynamique de croissance économique alors exceptionnelle dans les pays développés. Elle dure un peu plus de 10 ans et donne lieu à d’importantes rentrées de devises dans les pays exportateurs : en 1973, le baril passe brutalement de 3 à 12 $, se stabilise à ce niveau puis passe de 15 à plus de 34 $ en 1979. Le premier choc pétrolier est probablement plus la conséquence logique du pic pétrolier américain que l’effet d’une prise de pouvoir de l’OPEP sur les marchés (Auzanneau, 2015). Les pays de l’OPEP en profitent néanmoins pour quadrupler les tarifs du pétrole. Le second choc pétrolier résulte d’une montée de panique parmi les consommateurs suite à la révolution islamique en Iran (Auzanneau, 2015). Les cours du pétrole se maintiennent à des niveaux élevés proches de 30$ jusqu’en 1984-1985, quand l’Arabie saoudite décide subitement d’augmenter sa production.

Durant cette période de boom, la demande de pétrole, qui augmente de manière exponentielle depuis le milieu des années 1940, se contracte et les pays importateurs de pétrole investissent dans des sources d’énergies alternatives (réactivation du charbon, développement du nucléaire, valorisation du gaz naturel, jusque-là souvent mis à la torche), dont le développement doit permettre de réduire la dépendance au pétrole (voir figures ci-dessous).

Figure 9 Production mondiale de pétrole 1900-2006 (Source : jancovinci.com)

Au début des années 1970, les pays de l’OPEP mettent une pression croissante sur les pays importateurs et leurs compagnies pétrolières, et parviennent à « l’accord pétrolier de Téhéran » de relèvement des cours de 30 cents par baril signé par toutes les grandes compagnies pétrolières. Cet acquis, bien que de portée très limitée (le baril passe de 1,8 à 2,2 $), marque un tournant dans le rapport de force Devaux-Charbonnel, 1971).

Alors que l’Algérie fait jouer la concurrence entre les compagnies françaises et américaines dès les années 1960 (tandis que l’Elysée tente tout pour conserver un accès au pétrole malgré l’accès du pays à l’indépendance), dix jours après l’accord de Téhéran, le gouvernement algérien nationalise l’intégralité des infrastructures de la Compagnie Française des Pétroles (ancêtre de Total). Le Venezuela prend le contrôle de l’exploitation pétrolière en 1972. Quelques mois plus tard, c’est le tour de l’Irak qui, profitant du soutien soviétique et jouant sur la division entre les actionnaires de l’IPC, nationalise le consortium mais maintient la participation de la CFP, dès l’origine en faveur d’une augmentation de la production du consortium, à hauteur d’un quart de la production (Auzanneau, 2015).

Parallèlement, après 20 ans de relative stabilité, le Shah d’Iran renoue avec les ambitions nationalistes des années 1950 et parvient en 1973 à ce que l’Etat prenne le contrôle des activités pétrolières, tout en maintenant certains contrats avec les entreprises étrangères. En 1979, il est renversé lors de la révolution islamique.

Les Etats-Unis, espérant probablement trouver un interlocuteur moins nationaliste, ne le soutiennent pas face aux révoltes et laissent l’Ayatollah Khomeiny prendre le pouvoir et établir une république islamique. Mais Khomeiny annule tous les accords pétroliers internationaux de l’Iran. Les relations se tendent jusqu’à engendrer la guerre Iran-Irak au début des années 1980, puis l’embargo sur le pétrole iranien.

Heureusement pour eux, les Etats-Unis disposent d’un atout de poids : une « relation spéciale » développée avec l’Arabie saoudite depuis la rencontre entre Al Saoud et Roosevelt, sur le chemin du retour après la conférence de Yalta. Cet enchaînement d’évènements n’a rien d’anodin : il préfigure l’évolution des préoccupations géopolitiques stratégiques des Etats- Unis, dans la hiérarchie desquelles le pétrole Saoudien occupe une place de plus en plus centrale.

Ce dernier leur permet de s’affirmer comme principale puissance mondiale malgré une dépendance croissante au pétrole étranger comme le commente Fontaine : « Entre 1948 et 1973, la consommation nationale augmenta de 6 à 17 millions de barils par jour, pendant que la production passait de 5,9 à 10,8 millions de barils par jour » (Fontaine, 2005: 56)35

. C’est dans ces conditions historiques favorables que l’Equateur devient en 1972 exportateur net de pétrole, entrant dans l’OPEP en 1973.

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