• Aucun résultat trouvé

Les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières portés en cause publique : un jeu de dupe instrumentalisé par l’exécutif

La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

C. Les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières portés en cause publique : un jeu de dupe instrumentalisé par l’exécutif

Les impacts environnementaux de la pollution générée par les activités pétrolières en RAE émergent sur un territoire spécifique : les champs les plus anciens de RAE, ouverts durant les années 1970 et 1980, d’abord par la consortium Texaco-Gulf puis par l’entreprise publique CEPE, associée au consortium à partir de 1973. Ils sont portés dans trois arènes : politique, médiatique et juridique. A partir de 1992, le bail prend fin. Un an avant la fin du bail, la parution de Crudo Amazonico (Kimerling, 1991) propose une quantification des rejets directs dans l’environnement et des fuites de l’oléoduc principal largement reprise par la suite dans la littérature mais également par les opposants à l’exploitation pétrolière.

La restitution des champs pétroliers et des infrastructures d’exploitation à Petroecuador, qui remplace CEPE comme entreprise publique, donne lieu à un audit environnemental, qui débouche sur l’identification de « passifs environnementaux » en lien avec les activités du consortium : 430 fosses de stockage de résidus d’exploitation, et 150 fuites non remédiées. En 1994, un « mémorandum d’accord » est signé avec le gouvernement équatorien, qui définit les conditions que l’entreprise doit respecter pour remettre définitivement les sites qu’elle exploitait à l’entreprise nationale. Entre 1995 et 1998, Texaco met ainsi en œuvre un plan de remédiation qui inclut 162 des 430 fosses de stockage de résidus d’exploitation identifiées et 67 fuites non remédiées, en proportion de sa participation de 37,5% au consortium d’exploitation formé avec les entreprises publiques CEPE puis PEC.

Elle contribue au développement de la technologie de réinjection des eaux de formation (eaux salées extraites en même temps que le pétrole car contenues dans les mêmes réservoirs, chargées en métaux lourds et produits chimiques), jusque-là déversées directement dans l’environnement. Texaco négocie également des conventions de compensation avec les gouvernements locaux des principaux centres urbains du territoire où elle exploitait : Lago Agrio, Puerto Francisco de Orellana (environ 1,5 million de $ chacun), Sachas et Shushufindi (environ un million de $ chacun) ainsi qu’avec la province de Sucumbíos (environ 500 000 $). Elle parvient également à un accord avec trois organisations indigènes : la FCUNAE (Fédération de Communes Union de Natifs de l’Amazonie Equatorienne) et la FOISE (Fédération d’Organisation Indigènes de Sucumbios) se partagent 1 million de $ tandis que l’OPIP (organisation des peuples indigènes de Pastaza) obtient un petit avion.

Forte de ce programme, dont l’investissement total s’élève à 40 millions de $, Texaco signe en 1998 avec ces organisations des « accords de libération » de toute responsabilité en lien avec les impacts environnementaux de ses activités en Equateur. De son côté, l’Etat équatorien reconnaît alors sa coresponsabilité à hauteur de 62,5% des passifs environnementaux identifiés, et son entière responsabilité pour les impacts postérieurs à la sortie de Texaco.

Parallèlement, les impacts sanitaires et environnementaux des activités de Texaco sont portés sur la scène internationale sous la forme d’une action de classe, largement médiatisée grâce au soutien financier de riches avocats américains et des réseaux d’ONG environnementalistes et de défense des droits de l’homme. Elle est déposée en 1993 au tribunal de New York au nom de 76 plaignants indigènes natifs, colons indigènes et colons métis « en représentation de plus de 30000 victimes » des activités de Texaco pour préjudice sanitaires et environnemental. Les plaignants réclament alors la réparation des source de pollution encore présentes dans le district amazonien (que l’Etat équatorien tarde à remédier), ainsi qu’une indemnisation des préjudices.

Au niveau local, la plainte est diffusée par le Front de Défense de l’Amazonie (FDA) auprès des potentiels victimes, créé en 1994, puis par l’Union de Défense des Affectés Par Texaco (UDAPT), créée en 2000. Ces deux organisations avancent le chiffre de 30 000 victimes devant les médias, mais cela reste une figure symbolique, le cas ne regroupant concrètement que 76 plaignants. Moins symbolique est le fait que c’est le FDA qui doit toucher le montant de l’éventuelle indemnisation, et est chargé de le gérer ensuite. En 1999, soit un an après la signature des accords de libération, le cas est renvoyé devant la justice équatorienne et le procès se déroule en 2003 devant la cour de Lago Agrio, au cœur du territoire pétrolier de RAE. Entre temps, Texaco est rachetée par Chevron en 2001.

En mars 2007, soit quelques mois après son élection, le gouvernement de Rafael Correa apporte son soutien aux victimes10, s’inscrivant en rupture avec la position de neutralité adoptée par les gouvernements précédents, mais il ne déclare pas pour autant illégaux les accords de libération signés par ses prédécesseurs.

10 http://www.ecuadorinmediato.com/index.php?module=Noticias&func=news_user_view&id=50999, consulté le 6/10/2017.

Son gouvernement finance une large campagne médiatique, « la main sale de Chevron », avec l’intention de diaboliser l’entreprise multinationale en utilisant opportunément le soutien de célébrités du monde entier, invitées à venir constater les impacts environnementaux et sanitaires de ses activités dans le cadre de « toxiturs »11. En 2012, après presque vingt ans d’expertises, de contre expertises et de polémiques, le verdict tombe sous la forme d’une amende de 9,5 milliards de $ pour préjudices environnementaux, assortie de l’obligation de présenter des excuses officielles aux affectés sous 15 jours, sous peine d’en voir doubler le montant. A ce jour, alors même que le verdict est confirmé en 2013 et en 2014, les victimes n’ont pas reçu le premier dollar.

La double dynamique autour des impacts des activités de Texaco a néanmoins trois effets principaux. En premier lieu, la mobilisation sur le long terme des victimes conduit à une prise de conscience des impacts des activités pétrolières, cultivée à un point tel qu’elle devient une part intégrante de leur identité : tout en adaptant leur mode de vie aux aléas (désormais perçus) pour s’en protéger, les populations se donnent souvent à voir comme opprimées, victimes passives de la domination exercée par l’entreprise multinationale, qualifiée de « criminelle ».

Ensuite, la libération de Texaco de toute responsabilité environnementale par les principales autorités nationales et territoriales de l’époque entame sérieusement leur légitimité, aux yeux des populations, en tant que potentiels régulateurs des impacts des activités pétrolières. Enfin, la diabolisation de l’entreprise multinationale a pour effet de masquer la responsabilité d’un Etat régulateur démissionnaire et d’entreprises publiques qui utilisent jusque récemment des méthodes d’exploitation comparables à Texaco, y compris sur des sites développés directement par CEPE, comme c’est le cas dans la paroisse de Pacayacu.

11

Visites de sensibilisation organisées sur les sites pollués par Texaco-CEPE. Parmi eux, le puits « Aguarico 4 », situé au nord de Shushufindi, fait figure de patrimoine culturel de la pollution engendrée par Texaco : ce serait le seul site resté inchangé depuis le départ de Texaco. Dans les faits, l’entreprise Chevron Texaco explique que les piscines remplies de pétrole, point phare de la visite, n’étaient pas contenues dans le plan de remédiation qui a permis d’arriver aux accords de libération.

D. La dénonciation de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées : un révélateur de la

Outline

Documents relatifs