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Droits indigènes et risques pour les peuples non contactés : l’exploitation pétrolière comme une forme de domination parmi d’autres

La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

B. Droits indigènes et risques pour les peuples non contactés : l’exploitation pétrolière comme une forme de domination parmi d’autres

La mise à l’agenda des droits indigènes comme problème public est une dynamique historique qui trouve ses fondements dans plusieurs siècles de domination et de discrimination, de colonisation, de génocides, d’esclavage, de déplacements forcés. Cette domination ne naît pas avec l’exploitation pétrolière, qui n’est qu’une des nombreuses forme qu’elle prend. Les populations indigènes formulent ainsi des revendications en termes de droits face aux sociétés non indigènes qui cherchent à les dominer, dont les entreprises pétrolières sont une représentation parmi d’autres.

La médiatisation des impacts et des risques en lien avec l’exploitation pétrolière se concentre sur les préjudices subis par les populations indigènes « natives » selon deux angles principaux : les droits sur les territoires qu’elles occupent et le droit spécifique des populations non contactées à être préservées de la civilisation dominante. Dans les luttes pour dénoncer les impacts et les risques en lien avec l’exploitation pétrolière, les indigènes occupent le devant de la scène, la rhétorique identitaire bénéficiant d’un impact médiatique important, tandis que les populations métis, pourtant tout aussi exposées, se retrouvent souvent occultées.

Nous développons à la suite le cadre conceptuel qui sous-tend la prise en compte des populations indigènes, en ce qu’elle constitue un élément important dans l’avancée des normes concernant l’exploitation pétrolière. La question des préjudices subis historiquement par les peuples autochtones du monde entier suscite l’intérêt de l’OIT dès les années 1920. Il se concrétise d’abord en 1957 par l’adoption de la convention 107 qui propose un cadre normatif, concernant les formes de travail des populations « aborigènes », leurs droits, fonciers, à la santé et à l’éducation, sur la base du constat que ces populations souffrent, historiquement, d’un déficit systématique d’accès aux droits humains. Elle est révisée en 1989 par la convention 169, qui étend notamment les considérations au plan politique, en formulant le droit à être consultés et à prendre part aux décisions les concernant (Art. 6), le droit à l’autodétermination en termes de développement (Art. 7), et souligne l’importance de protéger leurs coutumes et leurs droits coutumiers, dont leurs formes particulières de justice (Art. 8 et 9).

En ce sens, l’accord 169 de l’OIT est porteur d’une vision de discrimination positive par l’octroi de droits spécifiques à une population sur un critère ethnique, dans l’objectif de compenser des préjudices historiques basés sur la discrimination.

Elle souligne également « l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires (…) qu’ils occupent ou utilisent d’une autre manière et en particulier des aspects collectifs de cette relation. » (Art. 13.1). Ainsi, leurs droits de propriété doivent être reconnus et adaptés aux usages particuliers qu’ils ont de ces territoires (Art. 14) et l’accès aux ressources naturelles qu’ils contiennent doit leur être garanti (Art. 15.1).

Cela implique notamment qu’ils « ne doivent pas être déplacés des territoires qu’ils occupent » (Art. 16.1) sauf « à titre exceptionnel », « avec leur consentement, donné librement et en toute connaissance de cause » (Art. 16.2) et à la condition de compenser ce déplacement par l’octroi de nouvelles terres et d’indemnisations adéquates (Art. 16.4 et Art. 16.5). Enfin, cette convention propose un cadre normatif pour les activités extractives sur les territoires indigènes (Art. 15.2), qui leur procure, dans le cas qui nous intéresse, un registre de revendication légitimé par une organisation internationale :

« Dans les cas où l'Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol (N.D.L.R : comme c’est le cas en Equateur) ou des droits à d'autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d'entreprendre ou d'autoriser tout programme de prospection ou d'exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c'est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu'ils pourraient subir en raison de telles activités. » (Art. 15.2).

Cette convention est ratifiée par une vingtaine de pays, dont une majorité sud-américaine, l’Equateur ne les rejoignant qu’en 1998 à l’occasion de la réforme constitutionnelle.

Parallèlement, en Equateur, durant les années 1980 et 1990, les différentes nationalités indigènes s’organisent depuis les bases jusqu’à l’échelon national pour faire reconnaître une série de droits par les gouvernements qui se succèdent, alors même que plusieurs organisations amazoniennes résistent à l’entrée d’entreprises pétrolières sur leurs territoires (OPIP dans le bloc 10, Shuar dans le bloc 24, Sarayaku dans le bloc 23).

En 1998, le parti politique indigène Pachakutik parvient à faire élire 6 représentants à l’assemblée constituante, à faire intégrer dans la constitution équatorienne les principes généraux de la convention sous la figure de droits des nationalités, suivant par là la tendance indigéniste de plusieurs constitutions sud-américaines (Couffignal, 2013). Toutefois, la portée normative de la convention 169 de l’OIT y est partiellement tronquée, notamment en termes de droit à l’autodétermination et du fait de l’adoption d’une obligation de consultation, mais selon des modalités non contraignantes. Ces limites sont reconduites lors de la réforme constitutionnelle de 2008.

La « question indigène » est également mise à l’agenda sous la forme de risques pour les peuples dits « non contactés », qui ont résisté aux incitations des missions chrétiennes à se regrouper pour être acculturés en fuyant tout contact et en s’enfonçant dans la forêt. En ce sens, ils sont considérés comme vulnérables à tout contact avec la civilisation, qui viendrait profondément perturber leur mode de vie. Bien que « non contactés », ils sont identifiés comme Tagaeri et Taromenane, groupes proches des Huaorani, et leur population est estimée à environ 200 individus au total. Leur cas est médiatisé à partir de 1987, suite à la mort d’Alejandro Labaka et d’Inès Arango, missionnaires capucins qui tentaient d’entrer en contact avec un groupe Tagaeri.

En 1999, plus de 750 000 hectares du parc national Yasuní sont déclarés zone intangible Tagaeri-Taromenane (ZITT), face à la pression exercée par les colons et les entreprises pétrolières, sur un territoire qu’ils occupent de manière semi-nomade.

Puis en 2006, une décision de la CIDH impose à l’Equateur la mise en œuvre d’un plan de mesures de protection spécifiques, d’abord porté par le MAE puis par le ministère de la justice à partir de 2010, consistant en un suivi de leurs déplacements et un contrôle des incursions d’acteurs extérieurs dans la ZITT (trafiquants de bois notamment).

La question du statut des peuples non contactés est constamment réactivée, d’une part par de régulières tueries occasionnées par des contacts avec les trafiquants de bois, les Huaorani et certains colons, d’autre part avec le lancement de l’exploitation pétrolière dans le bloc « Armadillo », puis dans les blocs pétroliers 31 (à partir de 2010) et 43 (à partir de 2013), situés hors de la zone intangible mais où des indices de présence de ces peuples sont relevés.

C. Les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières portés en cause

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