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La mise sur agenda politique du problème pétrolier, fruit de la convergence d’éléments contextuels favorables

La régulation, fruit des rapports de force entre les acteurs et les enjeux qu’ils portent

BUDGET ANNUEL

C. L’importance du contexte, ou la non neutralité de la formulation du problème

1.3.2. La mise sur agenda politique du problème pétrolier, fruit de la convergence d’éléments contextuels favorables

Jusque dans les années 1990, l’exploitation pétrolière est un sujet « intouchable » du fait de son importance économique stratégique pour l’Etat, et d’autant plus qu’elle prend place dans la lointaine région amazonienne que peu d’équatoriens connaissent et qui est considérée comme une « colonie interne » (Jarrin et al., 2016), située en « périphérie de la périphérie » (Acosta, 2009).

Alors que pendant 20 ans, les entreprises publiques et privées y développent des pratiques d’exploitation particulièrement dommageables (Kimerling, 1991), avec le soutien de l’armée en cas de conflit (Little et al., 1992), les plaintes individuelles (pour pertes d’animaux, de terres cultivables) et les rares mobilisations sociales (en cas de fuite importante) peinent à faire évoluer la situation. Pour l’Etat et les entreprises pétrolières, la prise en charge des impacts environnementaux de l’exploitation pétrolière est une opération coûteuse et sans bénéfice concret. Pourquoi alors mettent-ils en place un certain nombre d’instruments de régulations de l’exploitation pétrolière ? En Amazonie équatorienne, les populations souffrent historiquement d’un déficit d’attention de l’Etat, principalement en raison de leur faible nombre et de leur éloignement des centres de décision (à Quito principalement). Elles ne sont pas visibles pour les autorités en place. Le changement de comportement de ces acteurs n’intervient alors pas à un moment anodin, mais dans le cadre de circonstances particulières qui les y contraignent et, à partir de 1987, cette situation change.

D’une part, le 5 mars 1987, l’activité du volcan Reventador provoque deux séismes de magnitudes respectives de 6,1 et 6,9 sur l’échelle de Richter qui, principalement par les glissements de terrain provoqués, entraînent un millier de morts, la rupture de l’oléoduc principal et l’isolement de la région nord-amazonienne pendant plusieurs jours, alors même qu’elle est en pleine situation de crise. Une fois le contact rétabli, l’aide humanitaire afflue et contribue au développement de relations entre ONG et leaders locaux (provision de nourriture, convention entre la mission Carmélite et Medicus Mundi pour l’installation de médecins stagiaires dans la région) et à la médiatisation du territoire.

Parallèlement, la production pétrolière est interrompue pendant 5 mois, entraînant une baisse importante des revenus pétroliers. Dans le cadre de l’OPEP, l’Equateur parvient néanmoins à honorer certaines des livraisons prévues grâce au soutien du Venezuela et du Nigéria (Arauz, 2009).

« Depuis 1949, les séismes ont été relativement nombreux mais n'ont pas eu l'ampleur des gros séismes des siècles antérieurs. Une exception, cependant, avec celui de 1987 qui a principalement concerné les provinces orientales, en particulier entre Baeza et Lago Agrio. Ici les victimes (de 1 000 à 5 000 morts selon les estimations) ne sont pas directement liées au séisme, mais aux glissements de terrains et aux coulées de boues que celui-ci a engendrées. Les dégâts occasionnés à l'oléoduc transéquatorien ont par ailleurs sérieusement affecté l'économie du pays en grande partie tributaire des exportations de pétrole (un milliard de dollars de dégâts pour l'essentiel lié aux pertes directes et surtout indirectes enregistrées dans le secteur pétrolier) » (D’Ercole, 1996)

D’autre part, deux missionnaires Capucins sont tués par un groupe indigène, installé sur un territoire où des entreprises pétrolières sont en train d’entrer, alors qu’ils tentaient d’établir un contact avec eux. Cet événement, qui survient le 21 juillet 1987, quelques mois seulement après le séisme, vient renforcer la visibilité du territoire, dans la mesure où il implique des indigènes « non contactés » manifestant une résistance à l’entrée d’étrangers sur leur territoire (Cabodevilla, 2003). Le territoire pétrolier amazonien sort alors de l’invisibilité de deux manières : son isolement met en exergue un statut de colonie interne, intégrée théoriquement au territoire, mais laissée à l’abandon d’un point de vue social ; la situation des peuples non contactés fait ressortir le non respect délibéré des droits humains quand il s’agit d’étendre la frontière pétrolière, dans un contexte où l’OIT (Organisation Internationale du Travail) travaille sur la réforme de la convention sur les droits indigènes (Accord 169 et publié en 1989), et où des organisations écologistes commencent à s’intéresser à la problématique pétrolière. Accion ecologica, la plus engagée, est créée en 1987 et centre rapidement ses activités sur la dénonciation de l’exploitation pétrolière dans les aires protégées, dont celle de Yasuni où se déroule l’événement.

La médiatisation parallèle de ces deux causes conduit à la mise à l’Agenda de la vulnérabilité des populations du territoire amazonien, et plus particulièrement des impacts des activités pétrolières dont se saisissent différents acteurs.

Des problèmes en concurrence pour entrer dans l’agenda politique

« La surabondance des problèmes construits comme publics par des acteurs mobilisés » fait que leur mise sur agenda politique ne va pas de soi (Hassenteufel, 2010, p.51). Au contraire, les « problèmes doivent lutter pour occuper un espace dans les arènes publiques » (Hilgartner et Bosk 1988, p.70, cités par Hassenteufel). Les autorités publiques opèrent ainsi un processus de sélection des problèmes à traiter. Hassenteufel identifie trois dynamiques « facilitant » la prise en charge d’un problème par les autorités publiques :

- La mobilisation se construit souvent en conflit avec les autorités publiques et dans une recherche de soutien de l’opinion publique visant à attirer l’attention des médias ainsi que dans une recherche de relais pour porter le problème dans les arènes publiques (lobbying) ;

- La médiatisation : les médias opèrent une sélection en fonction de l’actualité disponible, mais aussi en fonction des contenus transmis (par exemple, Greenpeace produit des documents prêts à être diffusés, ce qui facilite le travail du journaliste et instaure une relation gagnant-gagnant). Ils jouent plutôt le rôle de relais que d’initiateurs, mais peuvent diffuser un évènement marquant qui devient symbole d’une lutte.

- La politisation : « La mise sur agenda dépend aussi des bénéfices politiques (électoraux, symboliques, stratégiques) attendus. Un enjeu de politique publique est politisé et mis en avant par un (ou plusieurs) acteur(s) politique(s) afin de renforcer sa (ou leur) position dans la compétition politique. Si cette modalité de mise sur agenda est la plus nette en période de campagne électorale, elle ne s’y limite pas. » (Hassenteufel, 2010).

Dans tous les cas, « la mise sur agenda se produit dans un contexte spécifique » (Hassenteufel, 2010), qui a été auparavant analysé par Kingdon (1984) à travers trois types de flux:

- Le flux des problèmes : « Pour J. Kingdon, trois mécanismes principaux conduisent à fixer l’attention des autorités publiques : des indicateurs (c’est-à-dire des mesures, statistiques notamment), des événements marquants et des effets de rétroaction d’une politique (c’est-à-dire des informations, dans le cadre d’une évaluation en particulier, faisant état d’échecs d’une politique publique) » (Hassenteufel, 2010, p.52)

- Le flux des politiques publiques : « Il correspond à l’ensemble des solutions d’action publique disponibles et qui sont susceptibles d’être adoptées. Cette prise en compte dépend de critères tels que leur faisabilité technique, leur compatibilité avec les valeurs dominantes et leur capacité d’anticipation des contraintes à venir. » (Hassenteufel, 2010, p.52)

- Le flux de la politique : « Il est composé de quatre éléments principaux : l’opinion publique, les forces politiques organisées (les partis politiques en particulier), le pouvoir exécutif et la négociation collective. » (Hassenteufel, 2010, p.53)

La conjonction de ces trois flux constitue une « fenêtre d’opportunité politique », autrement dit un contexte favorable à la mise sur agenda d’un problème collectif particulier :

« Ainsi ce sont moins les propriétés intrinsèques d’un problème (sa gravité, le nombre de personnes concernées, son urgence…) que sa mise en visibilité par différents acteurs (à travers des mouvements sociaux, des médias, des experts…), les

ressources de ceux qui le portent et le relaient, les réponses disponibles en termes d’action publique et son adéquation avec des valeurs dominantes dans une société

donnée et à un moment donné qui expliquent sa mise sur agenda par des autorités publiques. » (Hassenteufel, 2010, p.53).

La mise sur Agenda d’un problème public dépend ainsi de deux facteurs principaux : l’émergence d’un contexte favorable et la capacité des porteurs d’une cause publique à la façonner de manière à inciter les décideurs à la prendre en compte. Ainsi, la manière de présenter un problème a une forte incidence sur sa place dans le flux des problèmes.

Dans le cas de l’Amazonie équatorienne, la diffusion par Kimerling (1991) d’une quantification de la contamination environnementale en nombre de barils déversés dans l’environnement, ou de mètres cube de gaz brûlés dans l’atmosphère, est déterminante pour attirer l’attention de l’opinion publique nationale et internationale, mais également pour orienter les modalités de prise en charge du problème par l’exécutif. Notamment, elle permet la comparaison de la pollution en Amazonie équatorienne avec celle engendrée par la marée noire qui fait suite naufrage de l’Exxon Valdez en 1989 : d’après les estimations de Kimerling, elle serait deux fois plus importante, en volume de pétrole déversé sur vingt ans, ce qui inspire probablement le titre d’un premier ouvrage collectif équatorien publié sur le sujet : « Marée noire en Amazonie » (Varea et Ortiz, 1995).

Ce travail d’objectivation permet ainsi de sensibiliser aux formes concrètes que prend le problème. Ainsi, l’objectivation des sources de contamination présentes dans l’environnement, appelées « passifs socio-environnementaux » (piscines de stockage des résidus d’exploitation, fosses d’enfouissement de déchets, fuites non nettoyées), permet d’entrevoir une solution au problème qui passerait par des opérations de nettoyage. La mise sur agenda d’un problème public dépend alors (1) de l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité, de la capacité des acteurs qui le portent (2) à générer une mobilisation à même de rallier l’opinion publique, d’attirer l’attention des médias et de politiser le problème et (3) à formuler le problème de manière à faciliter sa prise en compte par les décideurs.

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