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La politique pétrolière sous Rafael Correa : de l’effervescence nationaliste à la banqueroute

L’arrivée de Rafael Correa au pouvoir en Equateur, fin 2006, correspond à l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité politique pour les causes en lien avec les activités pétrolières.

D’une part, le mécontentement social et politique, qui monte depuis le début des années 1990, trouve une prise avec la remontée des cours du pétrole qui s’amorce entre 2000 et 2005. Jusque là en effet, les différents gouvernements se trouvent fortement contestés en tant que porteurs contraints des réformes imposées par les institutions étrangères, déjà évoquées, qui se traduisent par une privatisation des gains (intérêts de la dette prélevés sur le pétrole équatorien) et une socialisation des pertes (réduction des services sociaux de l’Etat, dévaluations). L’Etat n’ayant plus d’argent à investir, la contestation ne reçoit pas de réponses concrètes au delà du champ législatif (RAOHE 1995, constitution 1998, LGA 1999), et les destitutions de présidents se succèdent. Mais lorsque les cours du pétrole marquent une remontée sensible, à partir de 2003, la priorité donnée au remboursement de la dette devient de moins en moins justifiable par les politiques, et de moins en moins acceptable par la population. Le registre anti-impérialiste développé par Rafael Correa en tant que ministre de l’économie en 2005 puis comme candidat aux élections présidentielles de 2006, se révèle alors être un choix électoral gagnant : une coalition de plusieurs dizaines de mouvement sociaux et politiques se forme autour de lui (le Movimiento Pais, qui devient par la suite le parti présidentiel Alianza Pais), du projet de réforme radicale (« révolution ») des institutions de type bolivarien qu’il propose et de la promesse de convoquer une assemblée constituante. Après être passé de justesse au second tour, il remporte les élections avec 57% des voix face au magnat de la banane Alvaro Noboa, puis organise le referendum pour la convocation d’une assemblée constituante. Ce dernier se tient en avril 2007 et débouche sur une approbation de plus de 80% des votants.

D’autre part, la principale figure idéologique d’Alianza Pais, Alberto Acosta - économiste à la FLACSO (Faculté Latino-Américaine de Sciences Sociales) fortement sensibilisé aux problématiques environnementales et de droits indigènes, et premier ministre du pétrole et des mines sous Rafael Correa - se positionne à la tête des candidats d’Alianza Pais lors de l’élection de l’assemblée constituante. Le parti remporte 70% des sièges et Alberto Acosta devient le président de l’assemblée, qui se rassemble à Montecristi fin novembre 2007.

Alberto Acosta, proche des secteurs indigènes et écologistes, se positionne en faveur d’une révolution citoyenne basée sur une alternative au paradigme néo-libéral du développement, qui exclue largement les considérations socio-culturelles et environnementales. Un nouveau paradigme intégrant ces éléments est alors développé, le Buen Vivir, en tant que principe d’expansion des droits humains vers plus de participation politique et de reconnaissance de la nature comme sujet de droit. Mais Alberto Acosta, qui souhaite prolonger les débats au delà du délai prévu, finit par démissionner de la présidence face au désaccord d’une majorité du parti. Il adopte par la suite une posture critique vis-à-vis de l’exécutif, accusé de s’ingérer dans le processus de rédaction de la constitution pour mettre de côté les objectifs de participation politique et de changement de paradigme socio-environnemental42. Toujours est- il que les principales revendications de changement concernant les activités pétrolières, issues de la société civile nord-amazonienne mais également nationale, se retrouvent intégrées au débat public et à la constitution : l’amélioration des pratiques d’exploitation, l’obligation de réparation sociale et environnementale des impacts des activités pétrolières et plus largement l’octroi de droits à la nature, le renforcement de la reconnaissance de droits ancestraux indigènes sur des territoires et en termes d’autodétermination, le regain de souveraineté sur la rente pétrolière et sa redistribution dans le développement du pays.

L’élection de Rafael Correa survient dans un contexte politique particulier à l’échelle latino- américaine où, au tournant du XXIème siècle, des dirigeants de gauche parviennent au pouvoir dans plusieurs pays et affichent une volonté commune de proposer un modèle de socialisme renouvelé, un « socialisme du XXIème siècle », à commencer par Hugo Chavez au Venezuela, avec qui Rafael Correa développe une alliance stratégique. Cette idée émerge dans un contexte où de nombreux pays latino-américains traversent de longues et profondes crises économiques et politiques, dont la longévité est largement attribuée aux velléités impérialistes issues des Etats-Unis (Couffignal, 2013). Ceux qui sont conçus comme leurs principaux agents (la banque mondiale, le FMI et certaines multinationales) font alors face à une défiance croissante de l’opinion publique, le cas équatorien ne faisant pas exception. Durant les dix années qu’il passe au pouvoir, Rafael Correa exploite à fond cette opportunité, ne manquant jamais une occasion d’exprimer son opposition radicale à ceux qu’il surnomme les « pelucones » (gros bonnets).

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Après son accession au pouvoir, il parvient ainsi à se positionner comme un des principaux représentants d’une nouvelle gauche latino-américaine aux côtés des Hugo Chavez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) ou encore Luis Ignacio Lula (Brésil), marquée par une forte personnification de l’exercice du pouvoir.

L’émergence de cette dynamique soulève également des enjeux à l’échelle internationale, sinon mondiale. D’un côté, l’émancipation de plusieurs pays situés dans leur aire d’influence naturelle ne manque pas d’inquiéter les Etats-Unis, accusés d’avoir soutenu la tentative avortée de coup d’Etat contre Hugo Chavez en 2002 puis, de manière moins convaincante, les évènements de septembre 2010 en Equateur. De l’autre, ces nouveaux dirigeants bénéficient de la sympathie de certains secteurs de gauche, particulièrement en France, déçus du tournant social-démocrate opéré par les partis socialistes dans la plupart des démocraties occidentales. Ainsi, Pierre Carles produit un documentaire à la gloire de Rafael Correa (« les ânes ont soif », 2014) tandis que Jean-Luc Mélenchon, dans une volonté de marquer sa position à gauche, s’affirme solidaire de Rafael Correa et Hugo Chavez, et plus récemment de Nicolas Maduro. L’émergence de nouveaux gouvernements de gauche représente l’opportunité tant attendue de prouver qu’il est possible de lutter contre la « fin de l’histoire » : leur réussite permettrait éventuellement d’en finir avec les arguments qui voudraient que, d’une part, l’échec de l’URSS et ses dérives totalitaires prouvent l’impossibilité pratique du socialisme et, d’autre part, la chute du mur de Berlin marque la « fin de l’histoire », la victoire définitive de la démocratie libérale sur les autres idéologies politiques. Le site alterinfo résume ainsi le programme idéologique de ce mouvement : « un nouveau paradigme, celui d’un libéralisme affranchi du capitalisme faisant cause commune avec un socialisme affranchi de l’étatisme »43

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En Equateur comme au Venezuela, l’opportunité politique se trouve renforcée par des cours du pétrole à la hausse, qui procurent aux gouvernements les moyens économiques de leurs ambitions : le pétrole doit alors leur permettre de mettre en œuvre ce nouveau socialisme.

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En Equateur, il repose sur deux piliers fondamentaux : (1) la reconquête de sa souveraineté par l’Etat grâce à l’émancipation des forces impérialistes et (2) l’instauration d’un régime de « Buen Vivir » (Bien Vivre), qui valorise les différentes cultures composant la nation, reconnait les multiples conceptions du développement humain et intègre la nature comme sujet de droit.

La question de la souveraineté nationale s’articule autour de trois thèmes : l’accès non conditionné au crédit et la limitation de l’endettement, la réforme des modalités de partage de la rente pétrolière (alors largement défavorables à l’Etat) et le développement d’institutions à même de mettre en œuvre efficacement les politiques publiques. De son côté, le régime du Buen Vivir se divise en plusieurs aspects, dont nous abordons trois des principaux : l’expansion de l’Etat de droit et la définition de ce régime par l’assemblée constituante, la planification participative du développement national et sa mise en œuvre, et les défis en lien avec le respect des « droits de la nature ».

Dans cette section, nous montrons comment, de la formulation d’objectifs relativement consensuels à leur mise en œuvre, la décennie durant laquelle Rafael Correa exerce le pouvoir (ou « el correato » comme la dénomment aujourd’hui certains journalistes) est marquée par une trajectoire déviant toujours plus de la ligne qu’elle s’est donnée : la grande réforme débouche, en dernier recours, sur un renouvellement des erreurs du passé où la capacité de l’Etat à agir reste dépendante de paramètres hors de son contrôle, dont le principal est l’évolution des cours du pétrole. En outre, si l’environnement prend une place croissante dans les débats et dans l’action publique et privée, l’évolution des instruments et des pratiques des acteurs pétroliers vient renouveler le paradigme capitaliste d’internalisation des externalités sociales et environnementales, bien plus qu’elle ne conduit vers un changement de paradigme des relations humains/nature. En témoigne l’échec de l’initiative Yasuni ITT, qui émerge entre 2007 et 2013 comme le symbole d’une volonté de mettre en application le principe de précaution.

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