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3 La volonté du politique et les enjeux institutionnels face au développement durable

De nombreux auteurs mettent en lumière les pressions législatives et institutionnelles auxquelles (DiMaggio et Powell, 1983) doivent faire face les organisations qu’elles soient publiques ou privées. Cette pression est de plus en plus importante pour essayer d’améliorer la transparence des organisations. Les collectivités territoriales, et notamment les métropoles suivent les règlementations de l’Etat, notamment celles portant sur les enjeux environnementaux et climatiques. Force est de constater qu’une majorité d’organisations se plient à ses règlementations mais n’ont pas de démarche volontaire, même lorsqu’il s’agit de reporting environnemental ou sociétal. Les pressions sociales sont également à prendre en considération (Capron, 2009a). Pour d’autres auteurs, la façon de juger du statut de la RSE au sein de l’organisation est de mesurer son influence sur la stratégie, ce qui peut être envisageable en examinant le rapport qu’entretiennent les performances financières et sociétales (Gendron, 2000). Au sein des collectivités, nous pouvons ainsi nous poser la question de l’utilisation des reporting de développement durable (obligatoires pour les métropoles) lors des prises de décisions annuelles lors du Conseil Métropolitain.

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collectivités territoriales. Mais, il s’agit de savoir si toutes les métropoles réagissent de la même manière à ces pressions et si elles ont le même système de management et de pilotage, si elles utilisent les mêmes outils. En effet, les métropoles peuvent agir de façon mimétique ou non. Pour certains auteurs du néo-institutionnalisme, des raisons institutionnelles et symboliques peuvent expliquer l’adoption de pratiques identiques dans les organisations. Pour Meyer et Rowan (1977), ce sont des « mythes » et des « cérémonies » auxquels il faut se conformer au- delà des préoccupations financières, permettant ainsi de mettre les organisations en phase avec les attentes de l’environnement externe. Pour DiMaggio et Powell (1983), il existe trois mécanismes, appelés « isomorphismes ». Le premier est l’isomorphisme coercitif, c’est-à-dire que les contraintes sont imposées par l’Etat, ou d’autres organisations qui sont en position de force. Le second est l’isomorphisme normatif s’exerçant dans les milieux professionnels. Le dernier est l’isomorphisme mimétique qui intervient lors d’une situation de forte incertitude lorsqu’une organisation se met à imiter le comportement d’autres organisations considérées comme des modèles.

« Outre les processus isomorphiques, le concept de légitimité permet d’expliquer en partie pourquoi certaines pratiques ou formes organisationnelles sont plus répandues que d’autres » (Renaud, 2009). Pour Boiral (2004), la recherche de légitimité est au centre de la théorie néo- institutionnelle. Ce concept de légitimité est d’autant plus important au sein des collectivités territoriales devant faire face aux pressions des citoyens, de l’Etat. Il en va de l’enjeu électoral. « La légitimité peut être maintenue grâce à des outils de gestion symbolique » (Buisson, 2005, p. 156). D’ailleurs « Brown (1994) montre que l’utilisation d’actes et de paroles symboliques par la direction permet de manipuler l’interprétation de l’audience, et donc de servir l’intérêt de l’entreprise. Ainsi, des décisions apparemment irrationnelles deviennent compréhensibles lorsqu’elles sont intégrées dans le processus de légitimation de l’organisation » (Buisson, 2005, p. 156). Les collectivités répondent aux enjeux des normes, des valeurs et des croyances sociales. Leurs actions se positionnent comme désirables, convenables et appropriées à ce système de valeurs (Suchman, 1995). Or ce système de valeurs évolue avec le temps et le contexte économique et environnemental de la société. Ce qui fait que la collectivité est dans l’obligation de réagir rapidement pour ne pas perdre la force de sa légitimité. Elle peut donc faire appel à l’hypocrisie organisationnelle pour cacher certains comportements allant à l’encontre du système de valeurs imposé par la société. L’hypocrisie organisationnelle serait donc un outil permettant d’améliorer la légitimité de la collectivité territoriale vis-vis de ses parties prenantes.

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Bien sûr, à l’heure actuelle c’est le domaine du développement durable qui évolue le plus avec les changements de lois et de règlementations face à l’urgence des catastrophes naturelles et l’augmentation des prises de conscience, comme s’il fallait une augmentation des catastrophes naturelles (tempêtes, feux, disparition de glaciers) pour que la société prenne conscience d’un modèle économique peu compatible avec la préservation de l’environnement. Pourtant ces questions emblématiques ont surgi avec l’augmentation de la population, des nouveaux modes de production imposant la surconsommation et de l’amoindrissement des ressources naturelles, notamment énergétiques et alimentaires. Certaines organisations (entreprises ou organisations politiques) vont changer de comportements de façon plus ou moins proactive ou réactive suivant la sensibilité écologique du dirigeant, mais également suivant l’intensité des contraintes externes, et le développement de compétences dans ce domaine (Boiral, 2006). Nous pointons ici le problème de la formation des agents mais également le fait que plus l’organisation possède des contraintes et des obligations, plus elle s’adaptera rapidement. Peut-être faut-il plus de contraintes pour faire changer les mentalités ? Les organisations sont confrontées à de multiples « stakeholders environnementaux » (Marquet-Pondeville, 2003), identifiables en fonction de leur type d’isomorphismes (tableau 6).

Tableau 6 : les différents stakeholders environnementaux

Source : Renaud, 2009, p.350

Ces stakeholders peuvent être adaptés au sein des collectivités territoriales. Les stakeholders réglementaires sont ceux qui vont imposer les lois et les règlementations. Ils sont identiques pour le privé et le public. Les stakeholders défenseurs de l’environnement prennent position pour la défense de l’environnement et sont sensiblement les mêmes concernant les collectivités.

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Les stakeholders organisationnels ont un lien direct avec l’organisation. Nous pouvons remplacer les dirigeants, actionnaires et propriétaires par les élus et les salariés par les agents territoriaux (directeurs et chargés de mission). Enfin, les stakeholders de marché représentent les acteurs externes à l’organisation. Il s’agit pour les collectivités plus particulièrement des citoyens, des partenaires comme les entreprises du territoire qui sont des sources de pression plutôt coercitives. Pour les pressions normatives, nous pouvons y introduire les organismes tels que l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) qui amènent des pressions normatives. Ce sont des organismes décentralisés de l’Etat pour conseiller les collectivités dans leurs politiques publiques de développement durable, les inciter à appliquer les recommandations et expérimenter des outils élaborés à la demande du Ministère. Concernant les pressions mimétiques, nous pouvons y introduire les autres collectivités territoriales du territoire de la métropole mais également celles présentent sur d’autres territoires. Nous pouvons y inclure les organismes nationaux ou européens délivrant les différents labels, tels que le label Cit’Ergie.

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Synthèse du chapitre 3

Cette dernière partie de la revue de littérature permet de mettre en évidence la multiplicité des comportements des organisations face à la prise en compte des préoccupations du développement durable. En particulier, deux logiques s’opposent : la première selon laquelle les outils de la mesure environnementale seraient utilisés pour contrôler la performance de l’entreprise et la seconde selon laquelle ces outils ne seraient utilisés qu’à des fins de communication à l’égard des stakeholders (Janicot, 2007). Cependant pour Renaud (2009, p.360), ces logiques sont complémentaires et non opposées : « nous avons cherché à montrer que des ponts existaient entre ces deux logiques, qui sont à notre sens complémentaires, afin de réduire les écarts constatés entre les discours et les pratiques des entreprises ».

Face aux stakeholders « environnementaux », aux évolutions des lois et des règlementations et aux pressions institutionnelles, les collectivités territoriales ont des logiques de quête de légitimité, de communication ou de mimétisme. La légitimité n’est d’ailleurs pas statique et résulte d’un processus continu (Beaulieu, Roy et Pasquero, 2002 ; Capron, 2009a, p.478). L’information relative à la performance est alors peu influente lors des décisions et du management des ressources publiques. Maurel et al. ont mené une étude sur quatre collectivités et ont constaté « un système de planification développé mais la responsabilisation et l'évaluation le sont moins, alors qu'une attention est portée à l'intégration maximale des acteurs (tant politiques qu'administratifs, dans les collectivités territoriales) » (Maurel et al. 2014a, p.22-23). Par ailleurs, pour mener des politiques publiques de développement durable, il faudrait que les élus soient impliqués. « La faible dimension politique des démarches locales françaises pourrait, tout d’abord, entraîner des conséquences à la fois managériales et démocratiques. Managériale, d’une part, par un manque de pertinence dans la détermination des politiques publiques avec les besoins environnementaux ou bien dans l’allocation des moyens aux objectifs de la collectivité. Démocratique, d’autre part, par l’insuffisante qualité de la réédition de comptes vers l’extérieur de la collectivité » (Favoreu et al., 2015, p.730). Cette dernière partie nous permet de mieux cerner notre recherche terrain, à savoir si les outils sont utilisés à des fins de communications ou à s’ils ont un réel impact dans les prises de décisions des pouvoirs publics, ce qui implique que le développement durable soit au centre des décisions et donc au niveau stratégique. Or si l’information relative à la performance globale n’a pas d’influence sur les décisions et le management, alors cela « démontre actuellement une déconnexion, à l’instar de ce qu’observe Poister (2010) dans le cas

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américain, entre le management stratégique et le management par la performance au sein des organisations publiques » (Maurel et al., 2014a, p.23). L’environnement ne ferait pas partie des priorités et un écart entre le « désir d’agir » et les conduites au quotidien se ferait ressentir dans les organisations, même s’il existe une « conscience environnementale » liée aux pressions sociales (Draetta, 2003). Cependant pour d’autres, la décentralisation serait au service du développement durable, et le service public local serait le moyen de le concrétiser (Kaïd- Tlilane, 2009).

Par ailleurs, différentes stratégies vertes sont recensées dans la littérature, à savoir la stratégie de prise en compte de l’environnement. Les plus citées sont les stratégies passives ou marginales, les stratégies intermédiaires et les stratégies proactives (Renaud, 2015, p.56), qui définissent un « continuum ». Les stratégies passives « ne tiennent pas compte des problématiques environnementales par ignorance ou de façon intentionnelle », ce qui peut aller à l’encontre des lois et des règlements. Certains ne perçoivent pas l’intérêt de prendre en considération les enjeux environnementaux, ou les considèrent comme une mode ponctuelle, ou parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers et humains pour les mettre en œuvre (Martinet et Reynaud, 2004). Il convient de s’interroger si les collectivités territoriales sont effectivement contraintes de mettre en place de telles mesures (à part le fait de remplir le rapport de développement durable). Les stratégies intermédiaires sont généralement des stratégies de conformité, c’est-à-dire qu’elles permettent de respecter la législation (Renaud, 2015). Enfin, certaines organisations cherchent à aller au-delà des règlementations et intègrent l’environnement dans leur stratégie économique, ce sont les stratégies proactives (Renaud, 2015). Les entreprises peuvent donc adopter une « attitude réactive, accommodante, défensive, exploratrice ou proactive » (Poisson-de-Haro, 2011, p.65). Cependant cette intégration au niveau stratégique prend du temps. (Poisson-de-Haro, 2011). Renaud a également défini quatre configurations du contrôle de gestion environnemental (CGE) d’entreprises, à savoir l’éco- concepteur où le CGE permet d’innover, l’éco-institutionnel où le CGE est utilisé à des fins politiques, l’éco-gestionnaire où le CGE à une visée tactique, et enfin l’éco-éducateur où l’utilisation du CGE a un objectif pédagogique (Renaud, 2013, p.107).

Afin de répondre à ces préoccupations et de pouvoir mettre en avant les configurations des métropoles suivant les configurations, nous présentons dans la seconde partie l’étude empirique sur les métropoles françaises pour tenter de répondre à notre question de recherche : comment le développement durable est-il pris en compte au sein des métropoles françaises ?

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Partie 2.

L’étude empirique de la prise en compte