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3 Le processus de construction des connaissances : la démarche exploratoire

Ce paragraphe vise à préciser le processus de construction des connaissances qui repose sur une exploration hybride (A) avec une démarche abductive (B) dans un contexte de recherche qualitatif (C).

A - Une exploration hybride

Dans tout travail de recherche, nous devons nous questionner sur comment chercher ? Pour Charreire Petit et Durieux (2007), il existe deux processus complémentaires de construction des connaissances : l’exploration et le test. Le test renvoie « à la mise à l’épreuve de la réalité d’un objet théorique ». L’exploration correspond à « la démarche par laquelle le chercheur a pour objectif la proposition de résultats théoriques novateurs » (p.58). Etant donné que le phénomène étudié est relativement nouveau (du fait de la prise de conscience récente liée à l’environnement et du contrôle de gestion encore peu présent dans les collectivités territoriales) et que le terrain est peu exploité (création des métropoles récente), notre recherche s’inscrit davantage dans une démarche exploratoire. Notre but est de comprendre ce phénomène peu étudié dans la littérature.

Cependant, si le chemin emprunté est celui de l’exploration, celle-ci se veut « hybride » et vise à « procéder par allers-retours entre des observations et des connaissances théoriques tout au long de la recherche » (Charreire Petit et Durieux, 2007, p.58). L’exploration hybride repose sur une logique de raisonnement abductif (David, 1999 ; Avenier et Gavard-Perret, 2008).

122 B - Un raisonnement abductif

Tout chercheur doit se poser la question du mode de raisonnement à mobiliser pour produire des connaissances. Trois possibilités s’offrent à lui : l’approche hypothético-déductive, l’induction ou l’abduction (David, 1999). Dans le cadre de notre recherche, c’est la démarche abductive qui nous est apparue la plus appropriée pour répondre à notre question centrale. En effet, la revue de littérature ne nous a pas permis de déboucher sur un cadre conceptuel clairement établi, délimité, décomposé en variables ou en dimensions prédéfinies. Nous n’avons pas souhaité formuler des propositions ou des hypothèses à confronter à nos différentes études de cas. Nous avons suivi les recommandations de Glaser et Strauss (1967), Eisenhardt (1989) et Yin (1994), selon lesquelles des perspectives pré-ordonnées ou un corps d’hypothèses élaboré au préalable de l’étude empirique, peuvent biaiser et limiter les découvertes. L’induction quant à elle sert à produire des connaissances à partir du terrain. L’induction pure est « une étude scientifique qui commence par l’observation libre et sans préjugé des faits, procède par inférence inductive à la formation de lois universelles à ces faits et enfin parvient par induction supplémentaire à des propositions encore plus générales appelées théories » (Blaug, 1982, p. 4). L’induction suppose une observation libre de la réalité et la formulation de lois universelles qui débouchent sur une théorie.

Cependant notre travail de recherche ne peut être une observation libre et sans préjugés, compte tenu de notre prise en compte de la littérature qui a permis l’élaboration de notre guide d’entretien. Cette revue de littérature nous a aidé à déterminer les questions à poser, et nous a fourni quelques indicateurs sur les phénomènes à étudier. D’ailleurs lorsque le chercheur s’intéresse à certains phénomènes sociaux déjà explorés, l’induction est une « perte de temps » (Miles et Huberman, 2003). Le chercheur effectue un maximum de lectures théoriques sur les thématiques étudiées de son domaine de recherche. Nous ne pouvions donc pas appréhender nos terrains des métropoles sans avoir étudié la littérature du contrôle de gestion environnemental et du management public. Ainsi, la revue de littérature nous aide sur le terrain à récolter les données et à analyser en nous interrogeant sur les concepts mis en avant dans la revue de littérature. L’étude de plusieurs cas nous oblige à pré-structurer notre recueil de données (guide d’entretien thématique suivant les différents points abordés tout au long de la revue de littérature). La seconde raison qui motive l’impossibilité d’avoir mené une observation libre et sans préjugés, est le chercheur lui-même, puisqu’il a une certaine expérience, a acquis certaines connaissances ainsi qu’une logique de raisonnement. Les questions qu’il se pose au

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début, pendant et à la fin de la recherche peut influencer sa façon d’interpréter, de retranscrire la réalité. Chacun va interpréter la même situation suivant ses savoirs, ses expériences, ses croyances, ses attentes. Ainsi, la déduction vise à générer des conséquences des théories, l’induction permet de construire des règles générales et l’abduction a pour objectif la construction d’hypothèses (David, 1999). Notre démarche de recherche ne peut s’inscrire dans une approche inductive mais plutôt abductive, d’autant plus que le but de notre recherche n’est pas de mettre en évidence des régularités étant donné que les métropoles ont leurs propres spécificités et que chaque collectivité fonctionne différemment.

L’abduction a été introduite par le sémiologue Peirce (La Ville, 2000). Elle permet de générer « des idées nouvelles » par l’interprétation (David, 2009). « Alors que l’induction vise à dégager de l’observation des régularités indiscutables, l’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter » (Koenig, 1993, p.7). L’abduction est la démarche qui rend le mieux compte de la démarche interprétative, caractérisant la recherche idiographique. « C’est à travers une démarche abductive que le chercheur va constamment mêler les caractéristiques de son cas, celles d’autres situations comparables, ainsi que différentes constructions théoriques, faisant ainsi progressivement émerger de multiples raisonnements heuristiques » (La Ville, 2000, p. 80). Notre recherche a été menée en faisant des allers-retours entre le terrain et la littérature, faisant émerger d’autres conjectures qui n’avaient pas été prévues au départ. Ces conjectures pourront être infirmées ultérieurement par une démarche déductive et inductive. « L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter » (David, 1999, p.7). Le fait d’adopter une logique abductive a eu pour conséquence d’évoluer à travers un modèle et un design de recherche qui n’ont cessé d’évoluer et se sont stabilisés a posteriori, comme notamment le guide d’entretien, la reformulation de la question de recherche et le changement de cadre théorique (Avenier et Gavard-Perret, 2008). La souplesse requise par ce mode de raisonnement a été possible par le choix de la méthodologie qualitative.

C - La justification du choix de l’approche qualitative

L’approche qualitative permet de collecter des données au plus près du terrain, surtout lorsque nous ne pouvons accéder aux données. Le terrain des métropoles est encore peu exploré. L’approche qualitative permet d’être au plus près du terrain et de comprendre le contexte de l’étude. Les données sont les interprétations de la réalité, subjectives et plurielles. « La visée de l’analyse qualitative des données se préoccupe de comprendre la complexité, le détail et le

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contexte. La finalité de l’analyse est de construire des lectures interprétatives, c’est-à-dire de donner du sens à des phénomènes sociaux et humains caractérisés par une grande complexité. C’est par l’adoption d’une « attitude réalisative » (…), par un effort conjoint, par un dialogue entre chercheur et participant, que pourront se construire des perspectives de compréhension plus complexes que celles construites exclusivement à partir du point de vue du chercheur et des théories préexistantes à la recherche » (Anadon et Savoie Zajc, 2009, p.1). L’approche qualitative permet de s’intéresse aux situations naturelles et spécifiques, tandis que les recherches quantitatives se focalisent sur les régularités statistiques (Giordano, 2003). Il est essentiel dans l’approche qualitative de justifier et d’expliquer le processus de recherche qui est décomposé en quatre grandes étapes : concevoir, mettre en œuvre, analyser et évaluer et enfin diffuser (figure 25).

Figure 25: le processus de recherche qualitatif

Source : d’après Giordano, 2003, p.27

Ainsi, le processus de recherche n’est pas linéaire et est composé d’allers-retours permanents, ce qui explique les éventuels changements de problématique et de question de recherche. La revue de littérature peut également évoluée. La démarche de recherche est une démarche itérative comprenant quatre principales activités : la problématisation (à l’issue de la revue de littérature), la collecte de matériau empirique, l’analyse du matériau collecté et la rédaction des résultats de l’analyse. Ces quatre activités se superposent et s’influencent de manière circulaire (Lejeune, 2014, p.21). Elles « interagissent et s’informent mutuellement » (p.22), ce qui explique l’évolution de la revue de littérature tout au long de l’étude terrain.

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Cette première section nous a permis de mettre en perspective notre épistémologique et notre processus de construction des connaissances, principalement fondé sur l’abduction. Présentons maintenant, notre méthodologie.

Section 2 - Recueil et analyse des données dans le cadre d’une étude de cas

multiples

Bien que la méthodologie quantitative soit souvent assimilée au positivisme et la méthodologie qualitative au constructivisme et à l’interprétativisme, il ne convient pas d’en identifier un lien équivoque entre les choix méthodologiques et les choix épistémologiques (Giordano, 2003). Le but de notre recherche n’étant pas de quantifier des récurrences des faits mais de comprendre le phénomène organisationnel, la recherche qualitative semble plus appropriée. La recherche qualitative ne repose pas sur une étude statistique infirmant ou réfutant une hypothèse. Il faudrait d’ailleurs pour cela avoir des données sur le terrain étudié. Or, les sites internet des collectivités territoriales ne présentent pas tous les éléments permettant de mener une analyse statistique. Ils ne sont pas forcément à jour et certaines collectivités ont du mal à communiquer. Les méthodes qualitatives recherchent, explicitent et analysent des phénomènes non mesurables, visibles ou cachés (Mucchielli, 1994). La recherche qualitative repose sur la présence humaine, la capacité d’empathie et l’intelligence inductive du chercheur. Elle suppose que « l’intervention se déroule dans un cadre ordinaire plutôt que des conditions artificielles comme pour l’expérimentation » (Giordano, 2003, p.16). L’analyse qualitative est un processus démarrant dès les premiers questionnements du chercheur (Miles et Huberman, 2003). Elle comporte ainsi de nombreuses méthodes de recueil et d’analyse des données dépendant des choix épistémologiques et méthodologiques. Il convient d’en exposer les différents éléments. Afin de répondre à la problématique : « comment le développement durable est-il pris en compte au sein des métropoles françaises ? », une étude qualitative est envisagée, notamment car il n’existe que peu de données dans la littérature du secteur public (Yin, 2009). Plus précisément, existe-t-il un tableau de bord (permettant le suivi des actions et de la performance) alliant développement durable et spécificités de la collectivité territoriale ? Ce tableau de bord prend-il la forme d’un outil du secteur privé ? Quels indicateurs sont pris en compte et pourquoi ? Comment le tableau de bord est-il élaboré par les agents ? Quel rôle joue le tableau de bord au sein de la métropole ? Une étude de cas multiples des métropoles de France est envisagée afin de comparer les différents outils mis en place (Yin, 2009).

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Dans un premier temps nous présenterons la méthodologie retenue à savoir une étude de cas multiples (§ 1). Cette méthode a été choisie car elle permet de faire un tour d’horizon des différentes pratiques des métropoles. D’autant plus, que « de multiples facteurs, liés à la fois au contexte organisationnel, à la pratique adoptée et aux acteurs qui la mettent en place et se l’approprient, viennent confirmer le fait qu’une pratique peut prendre des formes et usages différents selon les organisations, et par conséquent se révéler plus ou moins efficace » (Brasseur et Buisson, 2008, p.12). Au départ, une étude des communautés d’agglomérations était prévue. Cependant les différentes réformes et réorganisations des collectivités, notamment la loi MAPTAM, la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles du 27 janvier 2014 ont mis en avant ces nouvelles structures territoriales que sont les métropoles. Ainsi, l’objet d’étude a été modifié pour être plus dans l’actualité des règlementations. Par ailleurs, peu de données existent sur ce sujet ce qui nous pousse à aller récolter l’information sur le terrain afin d’enrichir la littérature. L’étude d’une seule métropole n’aurait pas été appropriée d’autant plus que nous avons pu remarquer des différences au sein même de l’organigramme et des outils utilisés. Ces travaux permettront donc d’enrichir la littérature mais également d’apporter aux praticiens des collectivités territoriales un ensemble d’éléments leurs permettant de faire un benchmarking (plusieurs sollicitations ont été faites pour obtenir les résultats de notre recherche). Ensuite nous présenterons les méthodes choisies pour la collecte des données : l’entretien semi-directif a été l’instrument principal de notre collecte. (§ 2). Le troisième point vise à expliciter l’analyse des données et la manière dont les résultats ont été produits à partir des 60 entretiens semi-directifs intégralement retranscrits (voir annexes). Il s’agit d’une analyse de contenu dont nous précisons à la fois le processus et le codage (§ 3). Enfin, nous présenterons les principaux critères d’évaluation des connaissances produites en tenant compte de nos choix épistémologiques et méthodologiques (§ 4).