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Une volonté de légitimation dépassant la nature et les capacités du droit au développement

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

1) Une volonté de légitimation dépassant la nature et les capacités du droit au développement

185. Deux confusions sur le droit au développement sont à réfuter : d’une part, le besoin

impérieux qu'il reflète n'en fait pas une de ces obligations fondamentales du droit international qui constituent le jus cogens (a). Et d’autre part, l'évolution propre de la norme, son renforcement progressif par rapport aux instruments dispersés qui la proclament et à leur relative faiblesse obligatoire, ne sont pas liées à cette catégorie, qui lui apporterait peu (b).

a) Une légitimation par l'élévation, issue d'une confusion entre le besoin impérieux de développement et les normes impératives

186. L’ambition d’une impérativité « cogens » du droit au développement. Chercher à

légitimer juridiquement le droit au développement « par le haut » est une volonté doctrinale louable, mais quelque peu superfétatoire eu égard au substrat théorique existant658, et par rapport aux évolutions contemporaines du droit international vis-à-vis du développement. Et finalement, à vouloir viser trop haut et trop vite pour le droit au développement, cela aboutit à faire douter de sa réalité, le débat restant dans les sphères abstraites et philosophiques du droit, plutôt que d’étudier son intégration dans le droit positif. Sortir le droit au développement de la sphère des garanties juridiques « ordinaires » pour le propulser au rang de norme « suprême » est périlleux et sème un trouble inopportun quant à sa place parmi les règles de droit en général.

En principe, il convient d'identifier in abstracto un contenu ferme pour une telle règle impérative, qui s’applique par rapport à l'ensemble du corps juridique. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques partagées entre le jus cogens et les droits fondamentaux659 : ils irriguent l'ordre juridique tout entier avec les principes qu'ils véhiculent. Et cette démarche devient une gageure s'il n'y a pas démonstration préalable, in concreto, de l'existence d'un consensus ferme – voire de l'unanimité – sur ce contenu du droit subjectif pour lequel on ambitionne l’impérativité, au sens de l’article 53 de la Convention de Vienne (1969).

187. Incompatibilité d’un droit composite avec les prescriptions simples du jus cogens. Or

c'est précisément l'inverse qui est fait avec la prétendue inclusion du droit au développement dans le jus cogens. Et s'il est effectivement reconnu comme un impératif juridique à réaliser dans le droit international programmatique, en faire à partir de là une règle impérative du droit 658 Cf. l’introduction générale, sect. 1, de cette thèse.

659 Pour mémoire, v. FROMONT, M., « Les droits fondamentaux dans l'ordre juridique de la République fédérale

d'Allemagne », in Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, 1977, pp. 49-64. Cette conception n'est pas ignorée du droit international, même si, selon une plaisante expression, elle y constitue un « irritant juridique » majeur d'un point de vue méthodologique (MUIR WATT, H., « Concurrence ou confluence ? Droit international privé et droits

conventionnel relève d'une déduction trop extensive. Le droit au développement est un principe fondamental car il transcende les différences entre les ordres juridiques dans son essence, mais pour être aussi polyvalent son contenu est avant tout adaptable, et composite, en fonction des régimes juridiques où il s’intègre progressivement. Évoquer le jus cogens, ensemble de normes disposant d’une force juridique supérieure ab initio, au sujet du droit au développement, prérogative construite dont l’obligatoriété est variable, cela revient à les dénaturer tous les deux.

Quant à postuler une « similarité » dans le processus de formation660 d'un droit composite comme le droit au développement, et des interdictions simples comme la prohibition de l'esclavage, cela paraît tout de même quelque peu hasardeux.

b) Une légitimation par l'autonomisation, processus particulier inutilement associé au jus cogens

188. L’inutilité d’une « sacralisation » du droit au développement dans le jus cogens.

Outre l'espoir d'une élévation du droit au développement parmi les hautes règles impératives du droit international, les tentatives d'inclusion du droit au développement dans le jus cogens relèvent du sentiment d'un besoin d'autonomisation de la norme par rapport aux actes qui la transcrivent, et aux volontés étatiques qui en sont à l'origine. La « sacralisation » du droit au développement via son insertion dans cette catégorie du jus cogens n'est pourtant pas nécessaire pour qu’il soit autonome.

En effet, le droit international connaît bien ces cas de détachement de la norme opérationnelle par rapport à l'acte formel, pour reprendre la formule du Professeur JACQUÉ661,

notamment en ce qui concerne les règles générales énoncées dans des « traités-lois » multilatéraux. Ce phénomène a lieu particulièrement en matière de droits de l'homme issus des conventions et déclarations internationales. Il est admis que ces normes disposent d'une aura et d'un impact singuliers662, et leur autorité ne se limitent pas aux seules spécifications techniques des actes qui les instituent. Dès lors, étant donné sa capacité d’évolution autonome, il est inutile de postuler une impérativité per se du droit au développement pour qu’il soit autonome. Il suffit d’en isoler les circonstances positives où, « une fois en vigueur,

la norme peut vivre distinctement de l'acte qui l'a créée et échapper au régime conventionnel

660 BEDJAOUI, M., « Le droit au développement », 1991, préc. note 657, pp. 1266-1267. 661 JACQUÉ, J.-P., « Acte et norme en droit international public », préc. note 653, p. 404.

662 Sans forcément rejoindre la position jusnaturaliste du Professeur PICARD (« Les droits fondamentaux en

France », AJDA, 1998, n° spé., p. 9 et s.), qui estime que les droits de l'homme, « catégorie hors normes », sont des objets qui ne s'épuisent pas dans le droit positif, ces droits subjectifs par leur haute valeur symbolique constituent des objets sui generis dérogeant à la technique juridique classique en droit international, comme le montrent l'absence d'exigence de réciprocité, ou encore l'indérogeabilité qui leur est dans certains cas reconnus.

originaire »663. C’est en somme « le développement du droit au développement » et non sa sacralisation, qui porte le plus d’effets juridiques intéressants dans le droit positif. Et ces circonstances d’approfondissement de la positivité demandent une approche globale et croisée des différentes apparitions de la nécessité de développement en droit international, au bénéfice des titulaires de droits, pour établir le profil et l’autonomie de la norme. L’approche du droit au développement par un renforcement réciproque, et progressif, entre ce droit et les obligations en faveur des personnes humaines dans les domaines économique, social et culturel, empêche a priori son rattachement au jus cogens.

189. Un law-making process trop fragmenté pour une approche « cogens ». Une

approche réduite à une analyse morcelée et strictement inter partes des actes distincts, mais souvent croisés dans leur application, aboutirait par ailleurs à un résultat erroné par l’apparente faiblesse de chaque élément de ce droit opposable, pris séparément, et ce malgré l'importance prise par les activités de développement dans la coopération internationale. En tenant compte du fait que, selon le statut de certaines organisations internationales comme l’OCDE, des obligations de soutenir le développement sont reconnues y compris en faveur d’États tiers, il y a lieu de constater que la norme se développe de façon souple par rapport à un « texte [qui], objectivisé en quelque sorte, va vivre de sa vie propre et, en cas de difficultés,

sera interprété non plus en fonction d'une hypothétique intention, mais de l'évolution de la société internationale »664. De ce fait, le développement prend donc la forme d'un droit subjectif, mais objectivement reconnu en fonction des variétés du contexte social et juridique. Il n'y a nulle raison ni besoin, pour l'évolution de cette norme, de considérer que son law-

making process relève du jus cogens.

2) Une démarche inappropriée vis-à-vis de la place du développement en droit

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