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Caractère approprié de l'obligation erga omnes concernant le droit au développement 196 La défense par les États du droit de se développer selon les voies et moyens qu'ils ont

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

1) Caractère approprié de l'obligation erga omnes concernant le droit au développement 196 La défense par les États du droit de se développer selon les voies et moyens qu'ils ont

choisis, voire de solliciter la solidarité internationale pour ce faire, paraît entrer dans ce cadre des obligations erga omnes des relations interétatiques où la question du développement est d'intérêt mondial, et classiquement dans le cadre des obligations erga omnes partes688 quand il

existe des accords régissant la coopération et l'aide au développement aux niveaux bilatéraux ou régionaux689. En effet, la catégorie des obligations erga omnes est bien plus vaste que celle du jus cogens, et le développement des personnes humaines, qu'il soit économique, social ou culturel, trouve sa place dans cet ensemble en tant que droit opposable erga omnes (a), incontestablement comme liberté de développement. Ce droit subjectif se voit également assurer une exigibilité erga omnes partes (b), en tant que créance de développement.

a) Une catégorie erga omnes intégrant le droit au développement en tant que norme opposable

197. L’intérêt collectif comme critère de l’obligation erga omnes. L''obligation erga

omnes est à distinguer du jus cogens : c'est une catégorie plus large et même si certains

tendent à les confondre690, les critères d'appréciation en sont différents. Les normes impératives du droit international reposent sur leur nature fondamentale, alors que les obligations erga omnes sont simplement d'une importance suffisante pour constituer un intérêt collectif pour l'ensemble des États691. L'ambiguïté provient sans doute de l'utilisation de la 688 CRAWFORD, J., Troisième rapport sur la responsabilité des États, A/CN.4/507, 15 mars 2000, p. 37, §106 b) :

« Obligations envers toutes les parties à un régime particulier. Le deuxième cas est celui du régime international

pour lequel tous les États parties ont un intérêt juridique commun à ce qu'il soit maintenu et appliqué. Il s'agit des obligations erga omnes partes. Elles comprennent en particulier les obligations qui, dans leur libellé, ont trait aux questions d'intérêt commun des Parties (où à ce qui les sous-tend nécessairement). On trouve des exemples de ces obligations dans les domaines de l'environnement et du désarmement. » Il faut également citer,

selon la classification du même auteur, la possibilité d'un autre type d'obligations collectives, les obligations multilatérales (« Obligations auxquelles certains ou plusieurs États sont parties mais pour lesquelles les États

ou groupes d’États particuliers sont reconnus comme ayant un intérêt juridique »).

689 Ibid., p. 32, §88 : « Les obligations en matière de droits de l'homme ne constituent pas la seule catégorie

d'obligations internationales dont le respect ne concernerait pas qu'un État déterminé, considéré individuellement. Cela est vrai également de certaines obligations dans d'autres domaines, s'agissant par exemple du développement humain, du patrimoine commun de l'humanité et de la protection de l'environnement. »

690 V. l'intervention de B. SIMMA à la CDI en l'an 2000 : « Les régimes conventionnels régionaux imposent des

obligations en matière de droits de l'homme qui ne sont pas fondamentales et, par conséquent, ne sont pas des obligations erga omnes » (2621e séance de la CDI, ONU Doc. A/CN.4/SR.2621) ; la Cour internationale de

justice a pourtant bien distingué les deux notions qu'elle évoque séparément dans l'affaire des Activités armées

sur le territoire du Congo (préc. note 681, §164).

691 Pour confirmer cette position, v. ARANGIO-RUIZ, G., Quatrième rapport sur la responsabilité des États,

A/CN.4/444 Add. 1, 2 & 3, 1992, §92. : « La notion d'obligations erga omnes ne se caractérise pas par

l'importance de l'intérêt protégé par la norme – trait qui est au contraire typique du jus cogens –, mais par l'indivisibilité juridique du contenu de cette obligation. » ; le Professeur PELLET a rappelé qu'une obligation erga

omnes n'impliquait pas une nature « fondamentale » et qu'une telle interprétation est trop restrictive (2621e

locution « valeurs fondamentales » aussi bien pour le jus cogens que pour les obligations erga

omnes, dans certaines publications.

Au sein de l’IDI, les travaux de la cinquième commission chargée d'étudier les obligations et droits erga omnes ont ouvert la voie à l'intégration du droit au développement dans cette catégorie. L’IDI constate en effet « un large consensus pour admettre […] les

obligations concernant la protection des droits fondamentaux de la personne humaine, les obligations liées au droit à l'autodétermination et les obligations relatives à l'environnement

des espaces communs »692 comme faisant partie de ce type d'obligations internationales.

Les conséquences de la violation des obligations erga omnes sont sensiblement différente de celles de la violation du jus cogens. Ce dernier annule le traité qui lui contrevient ; les premières autorisent tous les États à réagir, y compris par des voies juridictionnelles, et toujours pacifiques, pour faire cesser cette atteinte à cet intérêt collectif693. Le développement est manifestement un de ces intérêts collectifs de la société internationale, dont la mise en œuvre par la voie de la coopération internationale intéresse tous les États. Toute entrave au développement par l'activité d’un autre État ou d’une organisation peut se voir, en principe, opposer par l’État atteint la préservation de son droit au développement. C'est une attitude courante des États en développement, lors des négociations environnementales, ou face aux institutions financières internationales en charge de la dette.

198. Un droit erga omnes procédant à la fois de la souveraineté et de l’intérêt général international. La question est de déterminer si ce droit opposable procède plus de la

souveraineté nationale (en tant que prérogative classique de l’État), ou de l'intérêt international collectif (de développement). Elle peut paraître de prime abord tranchée en faveur de la première proposition. Dans ce cas, le droit au développement serait un corollaire de la souveraineté erga omnes de chaque État, qui est valable à l'encontre de tous et qu’il exerce de façon purement subjective. C’est une réponse d'inspiration volontariste.

Mais au-delà, il est également possible de discerner le droit au développement des États membres de la société internationale comme issu du besoin d'équilibre de cette société. Le droit au développement est dès lors une prérogative au service d’une certaine répartition équitable de la prospérité pour éviter les conflits ou des flux migratoires déstabilisateurs pour cet équilibre. Dès lors, l'effet erga omnes du droit au développement procède, dans une optique plus objectiviste, de cet intérêt général international, perçu comme une nécessité. En

doublon du jus cogens, une catégorie sans guère d'intérêt propre, en fin de compte.

692 IDI, Les obligations erga omnes en droit international, résolution, session de Cracovie, 27 août 2005,

préambule, al. 3.

somme, les deux origines – volontariste et objectiviste – coexistent, et aboutissent tous deux à la détermination du droit au développement opposable en tant qu'obligation erga omnes.

b) L'exigibilité du droit au développement en tant qu'obligation erga omnes partes

199. Qualité erga omnes partes de la créance de développement. Il y a lieu d'opérer ici la

distinction entre opposabilité et exigibilité du droit au développement dans la sphère des obligations internationales. L'opposabilité, à savoir la capacité de faire échec à une acte ou une pratique en faisant valoir un titre subjectif, relève d'une action unilatérale de l’État issue de sa volonté propre, sans intervention d’autrui pour accomplir cette action. L'exigibilité, à savoir la capacité de faire valoir un titre subjectif pour obtenir quelque chose d’autrui, suppose une action concertée entre des Parties à une obligation acceptée, avec un créancier et un débiteur identifiés.

C'est en ce sens que l’exigibilité du droit au développement, comme phénomène positif, s’analyse essentiellement sous la forme d'obligation erga omnes partes. Cette exigibilité suppose l’identification systématique des mesures positives à prendre, en droit international, en faveur du développement. Il faut donc qu’un cadre réglementaire, conventionnel, programmatique ou coutumier, soit construit préalablement pour qu’il y ait satisfaction d’un droit au développement exigible envers des partenaires intergouvernementaux. Cela vaut dans le champ international, où la réalisation du droit au développement est demandé par l’État sous formes de prestation (coopération technique, transfert de fonds, etc.) qui sont dues dans le cadre de conventions bilatérales ou multilatérales. Le développement en constitue la cause fondatrice et acceptée par toutes les Parties, avec un certain nombre d'engagements et d'obligations associées.

Dès lors, la caractérisation de ce droit subjectif dont l'exécution est exigible à l'égard de toutes les Parties à ce type de conventions s'analyse bien comme une obligation erga

omnes partes, selon le sens qui en a été dégagé par l’IDI :

« Une obligation relevant d'un traité multilatéral à laquelle un État partie à ce traité

est tenu en toutes circonstances envers tous les autres États parties au traité, en raison des valeurs qui leur sont communes et de leur intérêt à ce que cette obligation soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous ces autres États à réagir »694.

200. Existence d’exigibilité inter partes. Le développement des populations, lorsqu'il est

organisé sous la forme d'une coopération intergouvernementale dans un cadre régional ou du moins plurilatéral, fait partie de ces valeurs communes qui appelle une responsabilité 694 IDI, ibid., art. 1er.

juridique accrue des États. A cela pourrait être objectée la position de la CIJ qui, dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (1986), a conclu que « la suspension de l'aide économique, qui présente un caractère plus unilatéral et volontaire,

ne pourrait être considérée comme une violation [du traité entre les USA et le Nicaragua] que

dans des circonstances exceptionnelles »695. Néanmoins, trois remarques sont à faire :

- il ne s'agissait en l’espèce que de l'analyse d'obligations inter partes d'un traité bilatéral, qui n'était pas d'ailleurs une convention de coopération ou de promotion des droits de l'homme, mais un simple traité d'amitié et de commerce, sans considération particulière vis-à-vis de la cause de développement ;

- ainsi que l'explique la Cour, l'aide au développement accordée par les États-Unis au Nicaragua, en l'espèce, n'était donc pas issue d'un texte international, mais d'une loi américaine ; son exigibilité se heurtait donc à son statut, un pur octroi relevant du droit interne, soumis à l'appréciation discrétionnaire du Président des États-Unis696 ;

- enfin, la Cour n'a pas pu se prononcer sur l'opposition systématique des États-Unis à toute aide au développement au bénéfice du Nicaragua dans le cadre des organisations internationales économiques et financières, puisque le contentieux porté devant elle se limitait à l'interprétation du traité bilatéral d'amitié de 1956697.

Par contraste avec cette décision remontant à plus de trente ans, il est notable que les conventions régionales d'aide au développement ont connu une croissance considérable, tel l’Accord de Cotonou (2000), qui constitue un véritable système de coopération au développement, dans lequel se discerne bien un intérêt commun de développement humain, comprenant par ailleurs un contenu identifié et des procédures d’arbitrages (article 98 de l’Accord)698. Cet intérêt commun de développement est suffisant pour qu'en son nom, n'importe quel État partie à ce genre de convention puisse exiger de ses partenaires le respect de leurs obligations en matière de développement, qu'ils soient bailleurs de fonds ou bénéficiaires de cette aide. Dès lors, ce droit au développement, compris comme un intérêt commun exigible699, est une obligation positive erga omnes partes.

695 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, préc. note 585, §276. 696 Ibid.

697 Ibid.

698 Pour une plus ample analyse du système de l’Accord de Cotonou et des APE au regard de la mise en œuvre du

droit au développement comme un droit des peuples, cf. chap. VIII, sect. 2, de cette thèse.

699 CIJ, Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, 20 juil. 2012,

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