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La valeur obligatoire de l'objectif de développement fondateur du traité

§II L'affermissement du développement en tant qu'intérêt juridique : sur les chemins de l'obligation en droit international

1) La valeur obligatoire de l'objectif de développement fondateur du traité

165. La cause de développement se renforce en tant qu'engagement juridique, au point d'entamer dans certains cadres conventionnels une migration catégorielle vers l'obligation (a). Il y a passage d’une cause métaphysique à un objectif obligatoire. De plus ces obligations sont

sui generis, car elles ne sont pas issues d'une relation contractuelle classique (b). a) Une migration catégorielle : l'obligatoriété de l'objectif

166. Caractère obligatoire de la coopération au développement et de ses objectifs. Dans le

traité d’amitié franco-djiboutien, sorte de charte bilatérale fondant les relations entre les deux 589 CIJ, Plate-formes pétrolières (République islamique d'Iran c. États-Unis d'Amérique), exceptions

préliminaires, arrêt, 12 déc. 1996, CIJ Rec. 1996 (II), p. 813 et s.

590 Ibid., p. 814, §28. 591 Ibid., p. 815, §31.

nations, et malgré l'aspect assez hétéroclite de ce texte, la Cour a reconnu le caractère d'obligation aux objectifs de coopération au développement qu'il contient, à la condition que ceux-ci soient suffisamment explicités. Cette obligation de développement est considérée comme fondatrice du traité et justifie même, selon la juridiction de La Haye, l'extension de sa valeur interprétative à d'autres traités ultérieurs censés appliquer, dans des domaines particuliers, la convention d’amitié592.

« L'objet principal du traité est le développement de la coopération dans les domaines

économique, monétaire, social et culturel. Les dispositions de fond du traité sont libellées en terme d'objectifs à atteindre, d'amitié à encourager et de bonne volonté à développer. Mais si elles renvoient à la réalisation d'aspirations, elles n'en sont pas pour autant vides de contenu juridique. Les obligations mutuelles prévues par le traité sont des obligations juridiques, exprimées sous la forme d'obligations de comportement – en l'occurrence d'obligations de coopérer – de caractère vague et général, qui imposent aux parties d'œuvrer en vue d'atteindre certains objectifs, lesquels sont définis comme des avancées dans des domaines donnés ; certaines procédures et certains arrangements institutionnels doivent leur permettre d'atteindre ces objectifs. […] Ledit traité crée des obligations juridiques qui relèvent de la catégorie définie ci-dessus »593.

167. Juridicisation des objectifs dans le droit international de coopération. Un objectif

peut donc devenir une obligation, à condition d'être suffisamment explicite et que les responsabilités respective des Parties dans sa réalisation en soient établies. Dans l'absolu, un État lésé peut donc subjectivement arguer d'un droit à des actions de développement en sa faveur, droit qui lui serait dû au vu de la constitution des organisations internationales et des traités de coopération auxquels il adhère. Cela tient au fait qu'aux anciennes priorités du droit international, qui se fondaient sur une logique de conservation des États centrée sur eux- mêmes, s'adjoignent des intérêts étatiques pour une coopération au service d'éléments d'une sorte d'« intérêt général international »594. Celui-ci se matérialise dans l’obligation de coopérer au développement, et ses diverses ramifications économiques, politiques, sociales et culturelles. Ainsi que l'exprimait déjà le Juge ALVAREZ dans son opinion dissidente jointe à un

avis de la CIJ rendu dans l'immédiate après-guerre :

592 CIJ, Certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), fond, arrêt, 4

juin 2008, CIJ Rec. 2008, p. 45, §§110-111.

593 Ibid., §104.

594 Par ailleurs matrice d'un processus coutumier qui sera développé plus loin : v. BEURIER, J.-P., « L'influence de

l'évolution du droit international sur ses sources », RQDI, 1994, vol. 8, n°2, p. 221 ; plus réc., SUY, A., La théorie

« Le nouveau droit des gens fondé sur l'interdépendance sociale a des fins différentes

de celles du droit international classique : harmoniser les droits des États, favoriser leur coopération, faire une large place à l'intérêt général ; il vise également à favoriser le progrès social et culturel. En somme, il tend à la réalisation de ce qu'on peut appeler la justice sociale internationale »595.

Bien que la position du Juge ALVAREZ pût encore être isolée au sein de la Cour dans le

contexte de l'époque, son constat d'une mutation profonde de la société internationale au service de la cause du développement s'apprécie au regard des transformations effectives de l'ordre normatif. En effet, à presque un demi-siècle de distance, le Président BEDJAOUI

considérait en 1996596 que :

« la physionomie de la société internationale contemporaine est sensiblement

différente. On ne saurait nier les progrès enregistrés au niveau de l'institutionnalisation, voire de l'intégration et de la « mondialisation », de la société internationale. On en verra pour preuve la substitution progressive d'un droit international de coopération au droit international classique de la coexistence. De tout cela, on peut trouver le témoignage dans la place que le droit international accorde désormais à des concepts tels que celui d'obligations erga omnes, de règles de jus cogens ou de patrimoine commun de l'humanité. A l'approche résolument positiviste volontariste du droit international qui prévalait encore au début du siècle s'est substituée une conception objective du droit international, ce dernier se voulant plus volontiers le reflet d'un état de conscience juridique collective et une réponse aux nécessités sociales des États organisés en communauté. »

168. Un droit au développement inhérent aux objectifs de la coopération : le cas de

l’OIT. Cette déclaration du Président de la Cour a été confortée dans des textes adoptés par

l'OIT, qui constituent en quelque sorte les lignes directrices de cette entité et de ses États membres en ce début de XXIe siècle. Ce sont la Déclaration relative aux principes et droits

fondamentaux au travail (1998)597, et la Déclaration sur la justice sociale pour une

mondialisation équitable (2008)598. La Déclaration de 1998 rappelle que « les États se sont

engagés de travailler à la réalisation des objectifs d'ensemble de l'Organisation, dans toute la mesure de leurs moyens », et ce « en vue d'instaurer un développement large et durable […] en donnant aux intéressés eux-mêmes la possibilité de revendiquer librement et avec des

595 Opinion dissidente du Juge ALVAREZ in CIJ, Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, 11 juil.

1950, CIJ Rec., 1950, p. 176.

596 BEDJAOUI, M., Opinion dissidente in CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires, avis

consultatif, 8 juil. 1996, CIJ Rec. 1996, p. 270, §13.

597 CIT, Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et à son suivi, 18 juin 1998,

86e ses.

chances égales leur juste participation aux richesses qu'ils ont contribué à créer, ainsi que de réaliser pleinement leur potentiel humain »599. En 2008, la Conférence internationale du Travail a déclaré à l'unanimité que « l'obligation solennelle »600 de l'OIT d'accompagner le développement doit se faire à la lumière de « l'objectif fondamental de justice sociale »601, en tenant compte de la subjectivité des droits économiques et sociaux dans ce processus602.

Dans ces cas précis, puisque l'OIT associe, comme il est fait dans la Déclaration de 2008 sur la justice sociale, des « Principes » directifs et interprétatifs à ses quatre « Objectifs

stratégiques », il s'ensuit un encadrement d'ordre normatif de ces derniers, s'inscrivant dans la

veine de la juridicisation de l'objet de développement. Celui-ci se s'affine dans son usage normatif dès lors qu'apparaissent parmi ses principes la reconnaissance de droits fondamentaux visant à l'« épanouissement individuel et au bien-être collectif », demandant la réalisation des objectifs de développement économique définis au niveau national603.

Prolongeant la logique de ce raisonnement, le Bureau international du Travail a déclaré officiellement que « le droit au développement peut être considéré comme inhérent

aux objectifs établis par l'OIT dans le préambule de sa Constitution en 1919 » et qu'une

« reconnaissance explicite du droit au développement se trouve plus tard dans la Déclaration

concernant les buts et objectifs de l'OIT, adoptée à Philadelphie en 1944 »604. Cette administration internationale établit ainsi, par cette relecture, le droit au développement comme la condition et le moyen des obligations formées au titre du droit de l'OIT, sur le fondement de son mandat de justice sociale.

En présentant d'ailleurs simultanément un ensemble proclamé comme indissociable d'objectifs interdépendants de coopération pour le progrès social, soutenu par des obligations solidaires et personnelles incombant aux Membres, les récents textes fondamentaux pour l'action internationale de l'OIT confirment la tendance analysée par les Juges ALVAREZ et

BEDJAOUI. Le droit international connaît de plus en plus des procédés hybrides de création de

ces normes ayant vocation à servir le développement – qu'il soit économique, social, durable ou, plus généralement, humain. Cela aboutit à un tissu dense et assez indistinct de buts « fondateurs », d'objectifs « prioritaires », d'obligations de moyen (pour une grande majorité, échelonnées sur une large gamme possible de réalisation) et de certaines obligations minimales de résultat. Le tout forme le corps polymorphe du droit au développement, qui se 599 Ibid., préambule, als. 3 & 5.

600 Ibid., préambule.

601 Ibid., al. 4 ; nous soulignons. 602 Ibid.

603 Ibid., « Méthode de mise en œuvre », point IV.

604 BIT, « L'OIT et le droit au développement », in SGNU, Consultation globale sur la mise en œuvre du droit au

trouve matérialisé à partir d'une nécessité sociale, s'intégrant dans le droit positif par la subjectivisation et l'institutionnalisation d'obligations, dont la réalisation relève d'un intérêt supérieur au seul bénéfice immédiat du titulaire de la créance.

b) Vers une obligation assumée de développement exorbitant du cadre relatif des traités 169. Notion d’obligations « assumées ». Ces obligations d'un genre particulier, tant dans

les instruments qui les établissent que dans leur contenu, empreintes des principes de solidarité et d'humanité, correspondent à cette notion d'« obligations assumées » avancée par le Professeur DUPUY605. Il s'agit d'obligations excédant le champ classique des obligations

contractuelles du droit des traités stricto sensu. Elles prennent la forme d'un engagement de l’État par le fait même de sa participation à la vie internationale et de la reconnaissance générale d'intérêts juridiques qui dépassent leur personne propre. Ces obligations se trouvent pour une bonne part exprimées dans les principes fondateurs de l'ONU (dont la supériorité sur les autres engagements étatiques est assurée en vertu de l'article 103 de la Charte). Elles sont par nature multilatérales et ne souffrent pas des limites cantonnant les « obligations

contractées », que sont classiquement l'exigence de réciprocité et la relativité de l'objet des

traités.

170. Des obligations d’une importance particulière, répondant à la question sociale. En

effet, au sein de cette catégorie doctrinale des « obligations assumées », sont identifiées des normes telles que les droits de l'homme, la protection de l'environnement, et encore la promotion et l'assistance au développement606. Cette conception d'obligations assumées paraît pertinente pour déterminer la qualité obligatoire du droit au développement. L’expression subjective d'une nécessité de développement, cause extérieure à la volonté des États, est encore fréquemment invoquée ces dernières décennies comme l'origine de la création juridique d'organisations internationales diverses. Le Traité constitutif de l'Organisation pour

l'harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) est bâti sur cette démarche :

l'engagement étatique y est lié au besoin d'établir un « pôle de développement »607 dans le continent au bénéfice des populations. Les États s’engagent sur des besoins qui s’imposent en quelque sorte à eux. Ceci exprime une prise de conscience génératrice d'obligations à assumer par les Membres de la société internationale en matière de développement. C’est un phénomène mis en lumière par le Général DE GAULLE au nom de la France dans son discours

de Mexico (1964) :

605 DUPUY, P.-M., « L'obligation en droit international », Arch. phil. droit, vol. 44, 2000, pp. 223-231. 606 Ibid., pp. 224-225.

607 OHADA, Traité relatif à l'harmonisation en Afrique du droit des affaires, Port-Louis, 17 oct. 1993,

« Le développement des pays du monde et, en particulier, de ceux qui jusqu'à présent

n'ont fait qu'entamer ce grand mouvement, est la question mondiale par excellence »608.

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