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De la complémentarité des normes à une certaine hybridation

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

2) De la complémentarité des normes à une certaine hybridation

226. Mutation des droits subjectifs face à la globalisation des problèmes. Un phénomène

de mutation normative est discrètement à l'œuvre dans les droits fondamentaux internationalement reconnus. Et ce particulièrement pour le droit au développement, dont la réalisation exige plus que la satisfaction d'une seule catégorie isolée de titulaires subjectifs. Le droit au développement suppose en effet, et c'est l'une de ses difficultés opérationnelles, une action générale qui rend sa justiciabilité potentielle – par l'intermédiaire des différents recours subjectifs (et donc partiels, limités à l'intérêt à agir du demandeur) – délicate à appréhender à travers une garantie positive précise.

Le droit au développement se conçoit donc de plus en plus comme le lien normatif transcendant les cloisonnements entre les droits subjectifs reconnus aux États, aux peuples et aux personnes humaines (a). Il peut aboutir à une pratique d'interaction mêlée entre plusieurs échelons de titulaires dans des cas où la précision exclusive des champs d'application des différentes normes protectrices laisserait des interstices de non-droit (b).

792 PELLET, A., Droit international du développement, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? »,1987, 2nde éd., p. 4. 793 Point développé au chap. IV, concernant le principe de développement durable.

794 En témoigne les difficiles négociations du cycle de Doha (O.M.C.). 795 OUA, Charte ADHP, Banjul, 1981, préc. note 16.

796 FALL, A. B., « La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme »,

Pouvoirs, 2009/2, n°129, pp. 77-100.

797 OUGUERGOUZ, F., « Hommage – Kéba Mbaye, homme de loi, homme de foi », Droits fondamentaux, n°6, 2006,

a) Le droit au développement comme lien théorique entre des catégories normatives cloisonnées

227. Le droit au développement comme conciliateur et amplificateur des autres droits. Le

droit au développement n’est pas, strictement, un droit-créance ou un droit de solidarité798, collectif, de troisième génération, bien qu’il vise à consolider et à amplifier les droits de l'homme classiques de la première (droits civils et politiques) et de la seconde (économiques, sociaux et culturels) générations. Il ne s'agit pas non plus d'opposer droit de l’État, droit des peuples et droit des individus au développement, mais de les concilier. Dans un système qui n'est plus aussi pyramidal qu'autrefois – en ce sens que la société internationale s'est diversifiée et les sources de production de son droit, tout autant –, il existe des normes polyvalentes, avec des sources polymorphes, qui ont pour effet de densifier les garanties subjectives reconnues à chaque titulaire.

228. Harmonisation des relativités régionales en matière de droits de l’homme. Le droit

au développement est en effet typique de ces normes acceptées comme un « contenant » universel, mais dont le contenu s'inscrit dans une perspective située, pouvant faire l'objet d'un certain relativisme. Cela n'aboutit pas à son inopérance en tant que droit fondamental universel. Il apparaît au contraire comme un vecteur de compréhension, si ce n'est d'harmonisation lorsque cela est possible, entre les différentes appréhensions régionales et nationales des droits de l'homme. Celles-ci existent en fait et en droit, et il paraît vain de les nier au nom d'un universalisme qui prend souvent la forme d'un occidentalisme individualiste donnant aux droits de l'homme une certaine connotation politique et idéologique799. Il a été souligné à ce sujet l'importance d'établir de façon pérenne, à la fois dans la doctrine et dans la jurisprudence, une sorte d'« herméneutique diatopique »800 pour résoudre les tensions 798 K. VASAK, pourtant à l'origine de cette classification, a rappelé que le droit au développement excédait ce

cadre, v. de cet auteur, « Sur une réinterprétation individualiste du droit au développement », in Partenariat et

développement solidaire : la dimension des droits de l'homme. Contribution à la réflexion sur le thème du Xe Sommet de la Francophonie, rapport de la Table ronde de Marrakech, 2004, pp. 99-111.

799 SOUSA SANTOS (DE), B., « Vers une conception multiculturelle des droits de l'homme », Droit et Société, 1997,

n°35, pp. 86-87 : « Le multiculturalisme est une condition préalable pour une relation équilibrée où viennent se

renforcer mutuellement une compétence globale et une légitimité locale. Les droits de l'homme ne sont pas universels quant à leur application. […] On peut retrouver la marque occidentale, à vrai dire libérale occidentale, qui caractérise le discours dominant sur les droits de l'homme dans de nombreux autres exemples : dans la déclaration universelle de 1948, qui fut ébauchée sans la participation de la plupart des peuples du monde ; dans la reconnaissance exclusive des droits de l'individu, à la seule exception du droit collectif à l'autodétermination qui cependant était restreint aux peuples assujettis au colonialisme européen ; dans la priorité donnée aux droits civils et politiques sur les droits économiques, sociaux et culturels, et dans la reconnaissance du droit de propriété comme premier et, durant de nombreuses années, unique droit économique. »

800 Ibid., p. 90 & 92 : « Une herméneutique diatopique est basée sur l'idée que les topoi d'une culture

individuelle, quelle que soit leur force, sont aussi imparfaits que la culture elle-même. Cette imperfection n'est pas visible depuis l'intérieur de la culture elle-même, puisque l'aspiration à l'achèvement conduit à prendre la partie pour le tout. […] La reconnaissance des imperfections et des faiblesses réciproques est une condition sine qua non d'un dialogue transculturel. L'herméneutique diatopique se construit à la fois sur l'identification locale

dialectiques entre les « topoi » régionaux et culturels, c'est-à-dire les conceptions occidentale, marxisante, musulmane, hindouïste – et il convient d'ajouter confucéenne, et africaine801 – des droits fondamentaux des personnes et des peuples. Le droit au développement établit une finalité commune d'épanouissement humain, et en précise au moins certaines modalités pour y parvenir, voire un esprit général d'interprétation dynamique de l'ensemble de ces droits. Il peut ainsi jouer un rôle moteur de conciliation entre des normes divergentes si leur interprétation est prise isolément, en fonction de la géographie, ou des titulaires de droits subjectifs se trouvant en conflit.

b) L'interaction mêlée entre les échelons individuel et collectif du droit au développement 229. Problème de la justiciabilité « bricolée » des droits collectifs. C'est typiquement à ce

genre de situation qu'a été confronté le Comité des droits de l'homme de l'ONU dans l'affaire de la Bande du lac Lubicon c. Canada, en 1990. Un groupe d'Amérindiens contestait l'utilisation faite par l’État des ressources naturelles des terres sur lesquelles ils vivaient. Alors que les requérants invoquaient l'article 1er commun aux deux Pactes de 1966, garantissant le droit des peuples à l'autodétermination, le Comité n’a pu que constater l'irrecevabilité de leur requête. Cette clause est expressément exclue de son activité par le Protocole facultatif802 instituant sa quasi-juridiction sur requête de particuliers803. Tout en reconnaissant que « le

droit d'un peuple à l'autodétermination et son droit de disposer de ses ressources naturelles en tant que condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de

l'homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits »804, le Comité a soulevé

d'office un moyen tiré de l'article 27 du Pacte sur les droits civils et politiques (PIDCP). Celui-ci établit le droit « des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques », à la protection et au développement de leur culture et environnement social : c’est un droit qui s'exerce « en commun avec les autres membres du groupe »805. Ainsi, pour le même objet matériel, à savoir la protection d'une communauté, là où le droit des peuples échouait, le droit des minorités et de leurs membres a été admis.

de l'imperfection et de la faiblesse et sur son intelligibilité translocale. »

801 Que ne mentionne guère B. DE SOUSA SANTOS (ibid.), dont la réflexion paraît axée sur une herméneutique

essentiellement religieuse entre les différentes cultures des droits de l'homme.

802 AGNU, Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New

York, 16 déc. 1966, rés. 2200 A (XXI), art 2.

803 CPCR, Bernard Ominayak et la Bande du lac Lubicon c. Canada, constatations, 16 mars 1990, comm.

n°167/1984, §13.3 : « le Comité a fait observer que l'auteur, en tant que particulier, ne peut se prétendre, en

vertu du Protocole facultatif, victime d'une violation du droit à l'autodétermination consacré par l'article premier du Pacte, qui traite des droits conférés aux peuples en tant que tels. »

804 Ibid., §13.4.

805 AGNU, Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), New York, 16 déc. 1966, rés. 2200 A

230. Effet solidaire des droits dans une optique « pro-développement ». De là se constate

un effet solidaire des normes en faveur du développement. Cette notion de solidarité des individus et des groupes dans la défense de leur droits s'exprime aussi dans la jurisprudence régionale des droits de l'homme806. Et en associant les personnes publiques807 à ce phénomène auxquels elles sont liées, l'aboutissement en est la reconnaissance d'un droit au développement de la communauté humaine808, prise en ses différentes branches et transcendant les diverses catégories juridiques formelles.

806 V., en particulier, Cour IADH, Norin Catriman et autres (dirigeants, membres et militants du peuple indigène

Mapuche) c. Chili, fond, arrêt, 29 mai 2014, série C n°279, §385.

807 Pour une réappropriation des droits des peuples par les personnes publiques, v. MUBIALA, M., « Les droits des

peuples en Afrique », RTDH, n°60/2004, pp. 985-1000 ; concernant l'importance de l'implication étatique dans la réalisation de ce droit subjectif, v. NONONSI, A., « Le droit au développement en Afrique : réflexions sur un droit

de l’homme subordonné à la re-légitimation de l’État », RJPEF, vol. 66, n°1, 2012, pp. 95-110.

808 BRIS (LE), C., « L'identité juridique du droit au développement : un droit de l'humanité en interaction avec les

droits de l'homme », in SFDI, Droit international et développement, préc. note 4, pp. 317-330 ; v. également, JOUANNET, E., « L'idée de communauté humaine à la croisée de la communauté des États et de la communauté

– Conclusion de section –

231. Écho du solidarisme dans la juridicisation du droit au développement. Au-delà des

travaux de l'école doctrinale du « Droit du développement et de la reconnaissance »809, cette association du droit au développement à une finalité humaine transcatégorielle constitue un écho, lointain, du solidarisme de Léon BOURGEOIS dont le Professeur SCELLE fut, en son temps,

le traducteur dans la doctrine juridique internationaliste.

La thèse de la souveraineté fonctionnelle, tout comme celle de l'interdépendance sociale des nations, s'accommodent en effet fort bien d'un droit au développement qui leur attribue un but exigible. Celui-ci, en étant de surcroît conçu comme le moyen de réaliser le principe de l'indivisibilité des droits de l'homme, constitue donc un pont entre les différentes catégories de normes. Et, à moins d'un détournement par un pouvoir autoritaire, ce droit n'est pas porteur per se du risque de « dictature du développement » craint par certains810.

232. Une norme transcatégorielle pour la cohérence et l’efficience des droits. Le rôle du

droit au développement, dans une optique solidariste, est d'organiser la cohérence des normes positives et des droits subjectifs avec l'obligation de développement. Celle-ci est diffuse à des degrés divers dans l'ensemble du corps social, qu'il soit interne ou international. Selon la Déclaration sur le droit au développement (1986), c'est un rôle de conciliation811 et non de suprématie812 qui incombe au droit au développement. Son exercice doit donc permettre d’ordonnancer entre eux les droits subjectifs, issus de trois échelons d'intérêts parfois concurrents (intérêt individuel, intérêt communautaire, et intérêt général). Car ces droits représentent autant de « pouvoirs en vue d'un but humain à accomplir, un rapport juridique

dont le point final est la protection et le développement de la vie », pour reprendre la pensée

du Professeur SALEILLES813.

Le droit au développement peut être considéré comme effectif dans un ordre juridique dès lors qu’il permet à des sujets de modifier le comportement des autres, à transformer le 809 Pour un manifeste de ce courant, TOURME-JOUANNET, E., Qu'est-ce qu'une société internationale juste ? Le droit

international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, 306 p.

810 AHADZI, K., « Droits de l’homme et développement : théories et réalités », in Territoires et liberté : Mélanges

en hommage au doyen Yves Madiot (Bruylant, Bruxelles, 2000, 509 p.), pp. 107-123 ; sur la réaffirmation de ce

slogan par des autorités politiques africaines, v. TOMETY, S.-N., La dictature de développement : un nouveau

paradigme d'économie politique à la béninoise ou chemin de l'égarement ?, Cotonou, Star Editions, 2013, 84 p.

811 Sur l'abandon de la polémique stérile de suprématie entre les droits, v. SIERPINSKI, B., « Droits de l'Homme,

droits des peuples : de la primauté à la solidarité », L'Homme et la société, n°85-86 Les droits de l'homme et le

nouvel occidentalisme, 1987, pp. 130-141.

812 Ce par rapport à quoi la conception chinoise du droit au développement, notamment, est en discordance, en

donnant au droit au développement la primauté sur les autres droits subjectifs.

813 MANCINI, A., La personnalité juridique dans l’œuvre de Raymond Saleilles (synthèse), Paris, Buenos Books,

droit existant et à orienter l’exercice des autres droits subjectifs, en considération des impératifs du développement humain.

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