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Procès sur sa constitution C’est la construction même de ce droit qui est mise en

§II L’émergence du droit au développement en droit international

60. Procès sur sa constitution C’est la construction même de ce droit qui est mise en

cause. Il ne correspondrait pas à la forme et à la typologie classiques des droits subjectifs et serait, de ce fait, invalide dès l’étape de sa définition272 :

« Un droit comporte nécessairement trois éléments : un titulaire auquel il confère un

pouvoir ; un contenu déterminé – en quoi consiste ce pouvoir ? – ; et un débiteur – une ou

plusieurs personnes auxquels il impose une obligation positive ou négative »273.

Concernant les titulaires du droit, la doctrine s’était divisée sur la validité de l’exercice de ce droit par les États. Certains ont manifesté des réticences sur ce point, préférant évoquer un exercice étatique par ricochet des droits des peuples, au motif que l’État détient la 268 La CIJ a défini le mandat comme « une fonction d’administration internationale au nom de la Société des

Nations aux fins de favoriser le bien-être et le développement des habitants » (CIJ Rec. 1950, p. 132), porteuse

de véritables « obligations internationales énoncées à l’article 22 du Pacte » (ibid., p. 143). Les termes « mission sacrée de civilisation » reflètent bien l’importance primordiale accordée au développement dans la raison d’être des mandats (ibid., p. 131).

269 CIJ, Libéria et Éthiopie c. Afrique du Sud (affaire du Sud-Ouest africain), arrêt, exceptions préliminaires, 21

déc. 1962, CIJ Rec. 1962, p. 319 et s.

270 BUSTAMANTEY RIVERO, J., Opinion individuelle jointe à l’arrêt, ibid., pp. 350-351 ; le juge péruvien ajoute que

ces éléments composent « le droit qu’a chaque peuple sous-développé pour accomplir son propre destin et

d’aspirer à son indépendance politique sous la protection, et avec le respect et l’aide de la communauté internationale ».

271 CIJ, Sud-Ouest Africain (Libéria et Éthiopie c. Afrique du Sud – 2e phase), arrêt, fond, 18 juil. 1966, CIJ Rec.

1966, p. 6 et s.

272 SUDRE, F., « Échanges et débats », in Droits de l’homme en Afrique centrale, préc. note 40, p. 242 : « Je ne

suis pas certain que je mettrais le droit au développement dans la catégorie des droits de l’homme. »

personnalité juridique en droit international274. La querelle a continué : qu’il s’agisse de l’État ou du peuple, un droit collectif au développement est-il envisageable ? C’est que l’idée de droits subjectifs exercés par des groupes effraie275, au point d’en arriver parfois à la reductio

ad hitlerum276. Enfin, s’il ne pouvait pas être collectif, la question d’un droit individuel au

développement n’a finalement guère été abordée, alors que le développement en lui-même est une condition nécessaire à l’exercice des droits individuels277. Il y a un faux dilemme derrière ce débat, puisque les droits collectifs sont bien souvent liés aux droits individuels, et doivent être pensés comme un équilibre mutuel, selon le Professeur RIVERO :

« Il paraît en effet essentiel dans cette optique d’accorder une attention particulière à

ce double aspect – individuel et collectif. Ignorer le premier et faire du droit au développement seulement un droit collectif, serait imposer aux autres membres de la communauté, au nom du développement, la plus pesante des servitudes. Du point de vue du titulaire du droit, le droit au développement ne pose pas de problème particulier : il serait un

droit individuel à son commencement et à sa fin, et un droit collectif dans sa réalisation »278.

La même incertitude imprègne les débiteurs de ce droit. L’accord se fait sur l’attribution de ce rôle à l’État en interne. La question du rôle des États en coopération, soit la communauté internationale organisée, se pose depuis que les Nations Unies se sont saisies de la problématique du développement depuis les années 1960. Mais c’est là créer un titre de créance à l’encontre d’une entité extrêmement floue, et qui de surcroît n’a ni unité politique, ni personnalité juridique. Pour combler cette lacune, et en revenant à une vision interétatique du droit international, il a été avancé que la coopération internationale est devenue une obligation des États membres pour favoriser le progrès économique, social et le respect des droits fondamentaux, sur le fondement des articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies279. Le vocabulaire employé ne permet pas une affirmation sans conteste sur les conséquences juridiques des articles 55 et 56. Si la coopération au développement est bien une prescription

274 MBAYE, K., « Le droit au développement », Ethiopiques, préc. note 10 : « Malheureusement, l’État moderne

confisque le droit des peuples et en définitive, il est le véritable créancier du droit au développement. »

275 HAARSCHER, G., « Les droits collectifs contre les droits de l’homme », RTDH, n°3, 1990, pp. 231-234.

276 RIVERO, J., « Rapport introductif », Les droits de l’homme : droits collectifs ou droits individuels, actes du

Colloque de Strasbourg, 14 mars 1979 ; Paris, LGDJ, 1980, p. 17 : « Sur les droits des collectivités, la fumée des

fours crématoires projette son ombre. Les droits des collectivités sont, pour les droits de l’homme, la plus grande des menaces, car leur reconnaissance risque de donner le sceau de la justice à la domination du plus fort sur le plus faible. »

277 SUDRE, F., « Échanges et débats », in Droits de l’homme en Afrique centrale, préc. note 40, p. 242. 278 RIVERO, J., « Sur le droit au développement », préc. note 273.

279 Devenus, ensemble, la clef de voûte de l’action des Nations Unies en matière de développement : v. PELLET,

A., « Article 55, alinéas a et b », in (du même auteur) & COT, J.-P. (dir.), La Charte des Nations Unies.

faite aux Membres, il n’y a aucun moyen de la contrôler et aucun moyen de mettre en cause une responsabilité juridique sur ce fondement280.

Ce flou du droit au développement, qui le rendrait invalide dans la sphère juridique, a enfin été souligné au sujet de l’étendue de l’obligation qu’il fonde. Simple promotion politique d’objectifs de développement, obligation juridique de moyen mis à la disposition du développement, ou bien obligation de résultat, et si oui dans quelles branches du droit ? Somme toute, c’est le débat de la précision des droits de l’homme, une question importante de technique juridique, qui freine le consensus sur un droit dont les contours ne sont pas vraiment cernés. Ainsi, il est courant dans le discours juridique de refouler, sans plus de considération, le droit au développement parmi les « pseudo-droits »281, pêle-mêle avec d’autres notions. Il se trouve soit accusé d’imposture282, soit méprisé « dans une catégorie

spécifique voire marginale, [...] de nature différente et de portée secondaire », une véritable

mise au ban dans un registre mineur, celui des droits peu assurés, et au mieux accessoires283. C’est dans ces conditions polémiques qu’a eu lieu la dernière étape bien connue du mouvement international en faveur de l’émergence du droit au développement : celle de sa proclamation universelle.

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