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Le rapprochement du droit au développement et des droits fondamentaux des États 208 Il est logique dès lors de faire le lien entre cette décision et une décision plus célèbre

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

1) Le rapprochement du droit au développement et des droits fondamentaux des États 208 Il est logique dès lors de faire le lien entre cette décision et une décision plus célèbre

de la juridiction de La Haye, l'arrêt au fond relatif aux Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua et contre celui-ci (1986). Dans un contexte d'atteinte au développement, la Cour a

clairement défini la liberté de se développer selon les propres choix des entités souveraines dans les domaines politique, social et économique comme un « droit fondamental de

l’État »718 .

209. Revitalisation mesurée des droits fondamentaux des États. La Cour n’utilise pas une

telle expression de façon cavalière, et son apparition dans sa jurisprudence est rare719, tant elle est porteuse de sens en droit international. Cette formule se rattache, en effet, à l'ancienne conception des « droits et devoirs des États »720 et elle est à nouveau usitée sur des sujets importants dans les dernières décennies721. La CIJ a même reconnu un « droit à la survie de

l’État », dont on aurait pu croire l'occurrence cantonnée aux commentaires du siècle

précédent722. Tel n'est pas le cas. L'existence contemporaine de ces droits fondamentaux est un

717 V. l'intervention de SE Mme RUIZ CERUTTI devant la Cour (audience du 9 juin 2006, CR 2006/48, p. 47) : « Le

présent différend ne concerne pas les mérites de la politique environnementale de l'Uruguay ni sa souveraineté ou son droit au développement économique, éléments que l'Argentine n'a jamais mis en question. » ; et v. le

mémoire en réplique de l'Argentine (livre I, 29 jan. 2008, p. 49) : « Chaque État dispose alors indiscutablement

d'un droit au développement économique ».

718 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 1986, préc. note 585, p. 131, §258. 719 POIRAT, F., « Les droits fondamentaux de l’État en droit international public », in BARBATO, J.-Ch. & MOUTON,

J.-D. (dir.), Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États membres de l'Union européenne ?

Réflexions à partir des notions d'identité et de solidarité, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2010, pp. 242-243 : « Il faut bien avouer qu'en droit international public aujourd'hui, le silence est remarquable, quasiment absolu. L'expression « droits fondamentaux », avec comme référent l’État, n'apparaît en effet […] qu'à de très rares et peu éclairantes occurrences. »

720 PILLET, A., Recherches sur les droits fondamentaux des États dans l'ordre des rapports internationaux et sur la

solution des conflits qu'ils font naître, Paris, Pedone, 1899, 112 p.

721 La juridiction de La Haye a reconnu de tels droits dans son avis relatif aux armes nucléaires ; v. CIJ, Licéité

de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, préc. note 596, p. 226, §96 : « La Cour ne saurait au demeurant perdre de vue le droit fondamental qu'a tout État à la survie, et donc le droit qu'il a de recourir à la légitime défense, conformément à l'article 51 de la Charte. »

722 La doctrine des droits fondamentaux est frappée d'une telle désuétude prima facie dans l'opinion que la simple

mention en est inscrite soit au passé, soit au conditionnel : v. DUPUY, P.-M, « Fragmentation du droit international

ou des perceptions qu'on en a ? », EUI Working Papers, Law, n°2006/14, p. 11 : « […] fut-elle justifiée par

fait, et il faut étudier les interactions que peuvent avoir avec le droit au développement ces droits étatiques d'essence particulière723.

Comme beaucoup de droits d'inspiration jusnaturaliste, il est en général inexprimé tant qu'il n'est pas manifestement violé ou sérieusement limité par une nouvelle règle du droit positif (a). D'éminents juristes tels que WOLFF ou Lord PHILLIMORE ont pourtant très tôt

mentionné ce droit comme une prérogative fondamentale de l’État (b).

a) Un droit latent mais généralement inexprimé

210. Réaffirmations épisodiques du droit au développement comme droit fondamental de

l’État. Comme les droits fondamentaux de l’État, le droit au développement n'est en général

affirmé que lorsqu'il est confronté à d'autres normes apparemment antinomiques, qui pourraient l’annihiler si elles n’étaient pas interprétées d’une façon compatible avec lui. Ces normes antinomiques peuvent apparaître avec le développement progressif du droit international.

Ainsi l'interdiction de la guerre en tant que moyen de résolution des différends, prescrite par le Pacte BRIAND-KELLOGG du 27 août 1928, a imposé une limite pacifique aux

formes du développement poursuivi par les États724, si bien que le Professeur KAUFMANN a pu parler en son temps d'un « droit au développement de toutes les capacités et facultés

nationales »725 soumis aux règles du droit international de la paix, suivant uniquement des

procédures assurant la coexistence mutuelle. Plus récemment, cette conception d'un droit de l’État au développement pacifique, notamment dans le domaine de l'énergie nucléaire civile, a été de maintes fois affirmée par l'Iran dans les difficiles négociations qui eurent lieu ces dernières années sur ce sujet726. Il a été soutenu en ce sens de l’affirmation d’un droit subjectif 723 C'est la même démarche qu'applique le Professeur DUPUY à son appréhension de la décision de la CIJ, Projet

Gabcikovo-Nagymaros (préc. note 492, p. 7 et s.), en se questionnant sur le droit à l'eau, inscrit en filigrane dans

cet arrêt en tant qu' « intérêt essentiel » de la Hongrie en cette affaire, et son attribution à l’État en tant que droit fondamental, hypothèse qu'il tient pour concevable (v. DUPUY, P.-M., « Le droit à l'eau, un droit international ? »,

EUI Working Papers, Law, n°2006/6, p. 8).

724 Confirmé en ce sens par des textes ultérieurs, qui consacrent le principe de développement pacifique dans

certains domaines induisant des volets militaires, notamment en matière nucléaire : v. en ce sens, le projet de Déclaration des droits des États de 1949 (préc. note 221), ou encore le préambule du traité EURATOM (JOUE, 2010/C 84/01) : « Résolus à créer les conditions de développement d'une puissante industrie nucléaire, […]

contribuant au bien-être des peuples ; […] Désireux d'associer d'autres pays à leur œuvre et de coopérer avec les organisations internationales attachées au développement pacifique de l'énergie atomique. »

725 KAUFMANN, E., « Règles générales du droit de la paix », RCADI, vol. 54, 1935, p. 584, §3 : « Le droit au

développement de toutes les capacités et facultés nationales ne permet pas, comme le droit de légitime défense, le recours à la guerre. Le Pacte Kellogg menace toute Puissance qui chercherait à « développer » ses intérêts nationaux en recourant à la guerre de la sanction d'être privée du bénéfice du Pacte, et il est prescrit que « tous changements » dans les relations mutuelles ne doivent être « recherchés » que par des « procédures pacifiques » et doivent être « réalisés dans l'ordre et dans la paix ». »

726 V. notam. la Lettre datée du 24 mars 2008, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de

de l’État par la diplomatie brésilienne727, traduisant une position commune qui dépasse donc le cercle des Membres du MNA728.

b) La fondamentalisation historique du droit de l’État au développement

211. Association du droit de conservation et de sa projection, le droit au développement.

Le droit au développement rejoindrait dans ce mouvement la catégorie des droits inaliénables des États. Ces droits ont souvent été combattus au XXe siècle, au nom d'une conception plus moderne, objective, du droit international, et aussi en considération des risques de dérive qu'ils portent en eux729. Lorsqu’ils s’expriment positivement, ces droits sont toujours aménagés et situés, en fonction du contexte et des obligations contractées. Néanmoins, en théorie, ils ne peuvent jamais être annihilés, sous peine de perdre la qualité étatique730. C'est là la reprise, plus ou moins consciente, d'une longue tradition : au XVIIIe siècle, le jusnaturaliste WOLFF a déjà énoncé que l'association du droit de conservation et du droit au développement

est, pour les États, bien plus qu'une prérogative, un devoir intrinsèque, dépassant en force juridique la simple faculté laissée au loisir du souverain :

« Chaque nation a droit aux choses sans lesquelles elle ne peut éloigner le péril de sa

perte et perfectionner elle et son État, ou prévenir l'imperfection d'elle-même et de son État. »731

Lord PHILLIMORE, reprenant E. ZEBALLOS, évoque lui aussi nommément dans les années

1920 le « droit de développement » comme l'un de ces « droits incidents qui sont essentiels

pour arriver à cette fin »732, à savoir la réalisation du tronc commun que représentent le droit

727 BUSTANI, J.-M., « Le Brésil au XXIe siècle et le partenariat stratégique avec la France », Politique étrangère,

2010/2, p. 385 et s., §26.

728 Le Brésil étant toujours resté un simple État observateur auprès de ce groupement.

729 Cette théorie traditionnelle s'est vue chargée de bien des maux et des vices : il faut citer notamment une

assimilation abusive entre les États et les individus en postulant pour ces deux catégories de personnes des droits subjectifs préexistants et somme toute assez parallèles, l'individualisation excessive du droit international ensuite, et enfin les incertitudes quant à l'origine de certains principes objectifs que cette théorie induit si on la considère comme étant au fondement du droit international contemporain (ce qu'elle n'est plus, manifestement). La critique est telle que dès l'entre-deux-guerres, cette vision des choses était considérée comme surannée et l'idée même de droits fondamentaux des États, abandonnée (v. SCHEUNER, U., « L'influence du droit interne sur la

formation du droit international », RCADI, vol. 68, 1939, p. 188).

730 GIDEL, G., « Droits et devoirs des nations : la théorie classique des droits et devoirs des États », RCADI, vol.

10, 1925, pp. 541-543 : « Les auteurs les opposent aux autres droits subjectifs des États. Ces droits auxquels on

donne également des noms assez divers, relatifs, contingents, secondaires, acquis, etc... sont ceux que les États acquièrent par des actes de leur volonté reçoivent une expression solennelle dans des traités, soit qu'ils se manifestent par la coutume répétée. […] Malgré les dérogations qu'ils comportent du fait des engagements conventionnels, les droits fondamentaux demeurent néanmoins la base du droit international traditionnel : ils sont véritablement ce que certains auteurs appellent le droit international constitutionnel, déterminant la position respective des membres de l'ordre juridique international à l'intérieur de cet ordre. »

731 WOLFF, Ch., Institutions du droit de la nature et des gens, Leyde, 1ère éd., 1749 (Institution 1095) ; Londres,

Forgotten Books, 2015, 592 p.

de conservation et le droit à l'indépendance733. De même, toujours durant cette décennie, H. KRAUS fait à son tour dériver le « droit de développement personnel » de l’État du plus

classique droit fondamental de conservation734.

212. Racines jusnaturalistes du droit de l’État au développement. De la sorte, même dans

l’ancien droit international alors limité à une finalité de coexistence, le droit au développement apparaissait comme une liberté essentielle et souveraine de l’État, centrée sur ses capacités à se développer par lui-même. Cela correspondait à une société internationale alors non institutionnalisée. Néanmoins, la définition du droit au développement donnée par WOLFF (le droit aux « choses nécessaires ») reste pertinente encore aujourd'hui car, malgré sa

brièveté, elle permet déjà en théorie de prolonger le « droit-liberté » de développement par un « droit-créance » au développement, puisqu'il s'agit bien d'un « droit aux choses [pour se]

perfectionner ». Cette formulation induit dans le droit au développement non seulement la

reconnaissance de la liberté de faire et de créer, mais aussi celle d'une perspective subjective dynamique, de perfectionnement, qui rejoint l'école progressiste des Lumières dont les thèses s'épanouissaient à la même époque735.

2) Le droit au développement en tant qu'élément de modernisation des droits de l’État

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