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Le droit au développement en tant qu'élément de modernisation des droits de l’État 213 Ce droit de l’État au développement est un facteur de modernisation de l'ancienne

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

2) Le droit au développement en tant qu'élément de modernisation des droits de l’État 213 Ce droit de l’État au développement est un facteur de modernisation de l'ancienne

doctrine des droits et devoirs fondamentaux des États. En effet, il s'exprime dans un contexte où l’État assume de nos jours un rôle directeur dans le domaine économique et social, et ce quel que soit le vocabulaire utilisé, qu'il s'agisse de l’État « providence » ou de l’État « stratège ». Cet interventionnisme est d’ailleurs justifié, juridiquement, sur le fondement de la réalisation des droits de l’homme, en vertu des obligations positives inscrites dans les conventions à ce sujet.

Le droit international contemporain connaît donc une revitalisation des droits fondamentaux de l’État au titre de la recherche du développement (a). Mais de plus, ces droits souverains apparaissent de plus en plus conditionnés par les droits de la population et des ressortissants de l’État, placés sous sa protection, et la responsabilité y attachée est un champ majeur de la prospective internationaliste actuelle (b).

733 L'auteur joint d'ailleurs le droit de développement en tant qu'attribut de l’État à ses compétences

économiques : « On conçoit le droit d'acquisition comme le droit d'acquérir les richesses, d'exploiter son

territoire, d'en tirer les minéraux qu'il contient, de faire usage de tous les moyens intellectuels de ses citoyens, d'augmenter son commerce, enfin de se développer. Et le droit de développement, celui de se défendre contre les entreprises de quelque voisin jaloux, est indiscutable. » (ibid., p. 53).

734 KRAUS, H., « Les domaines d'applicabilité de la morale internationale », RCADI, vol. 16, 1927, p. 523. 735 Cf. l'histoire conceptuelle du droit au développement (introduction générale, sect. 1, de cette thèse).

a) La revitalisation tardive des droits fondamentaux des États dans le contexte d'un droit international saisi par la question du développement

214. La souveraineté humanisée par le syncrétisme droits des États / droits de l’homme.

Les droits fondamentaux des États n'ont pas complètement disparu dans le droit international contemporain et prennent leur place dans le nouvel équilibre multipolaire qui se forme dans la société internationale d'aujourd'hui, post-blocs. Ce sont les prérogatives subjectivistes d'une souveraineté relative736 (ou du moins, tempérée, par un maillage de conventions plus ou moins dense, et de droit dérivé des organisations internationales737), dans un contexte où l’État évolue en considération des phénomènes de mondialisation économique738, de renforcement des organisations régionales et d'appréhension globale du changement climatique739.

Dès lors, dans un tel contexte, le constat classique qui faisait de l’État le principal ennemi des droits de l'homme est plus que vieillissant740, et apparaissent les prémices d'une association accrue entre la souveraineté (et les droits qu'elle comporte) et les droits de l'homme741. La Cour internationale de Justice a eu l’occasion d’affirmer cette complémentarité, voire cette interdépendance selon ses propres termes742, dans sa 736 Pour un point de vue français, v. MORTIER, P., Les métamorphoses de la souveraineté, thèse de doctorat en droit

public (PECHEUR, A., dir.), Univ. d'Angers, 2011, 473 p. En droit international de l'environnement, v. DEMERS, V.,

Vers de nouvelles modalités d'exercice de la souveraineté. Les ONG et les accords internationaux sur les changements climatiques, mémoire de maîtrise (GENDRON, C., dir.), UQAM, 2008, 194 p.

737 Même en matière de droits de l'homme universellement reconnus, la souveraineté n'est point annihilée par une

« uniformisation » internationale : la formulation volontairement « ouverte » de certains droits, la technique reconnue de la marge nationale d'appréciation inscrite dans le système européen des droits de l'homme par exemple (v. le protocole additionnel n°15 à la Conv. EDH du 24 juin 2013, STCE n°213), sont autant de moyens d'associer la souveraineté au droit, plutôt que de prétendre la réduire comme un ennemi (ce qui relève de l'idéologie et non du droit en vigueur). V. PELLET, A., « La mise en œuvre des normes relatives aux droits de

l'homme : 'souveraineté du droit' contre souveraineté de l’État ? », rapport introductif in THIERRY, H. & DECAUX,

E., Droit international et droits de l'homme, actes du colloque des 12-13 oct. 1989, Paris, Montchrestien, 1990, pp. 101-140.

738 CARBONE, S.M. & SCHIANODI PEPE, L., « States, Fundamental Rights and Duties », in WOLFRUM, R. (éd.), Max

Planck Encyclopedia of Public International Law, 2009, §§34-36.

739 V. par ex. : BRACQ, N., Changement climatique et droits des États – L'exemple de Tuvalu, Loudun, Les Savoirs

Inédits, 2012, 114 p.

740 Car fondé sur le sentiment de l'unicité de la menace de la force, dont serait seul capable l’État. Bien d'autres

acteurs sont aujourd'hui un danger potentiel pour les droits de l'homme, telles les organisations terroristes, ou dans un autre domaine les firmes transnationales cherchant la main-d’œuvre la moins coûteuse ou la moins protégée socialement parlant. Ce problème a d'ailleurs été pris en compte par l’ONU qui a établi un Groupe de

travail intergouvernemental sur la question des droits de l'homme et des sociétés transnationales, dont le rapport

2015 (A/70/216) énonce que « les entreprises peuvent dans tout pays avoir des incidences négatives sur chacun

des droits de l'homme » (p. 2).

741 DONNELLY, J., « State Sovereignty and International Human Rights », Ethics & International Affairs, n°28,

2014, pp. 225 : « International society constructed an absolutist conception of exclusive territorial jurisdiction

that was fundamentally antagonistic to international human rights. […] Over the past two decades, dominant understandings of sovereignty have become less absolutist and more human rights-friendly ».

742 CIJ, Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, 31 mars 2004,

CIJ Rec., p. 36, §40 : « Dans ces circonstances toutes particulières d’interdépendance des droits de l’État et des droits individuels, le Mexique peut, en soumettant une demande en son nom propre, inviter la Cour à statuer sur la violation des droits dont il soutient avoir été à la fois directement et à travers la violation des droits individuels conférés à ses ressortissants […] ».

jurisprudence récente743. A cheval entre ces deux catégories des droits de l’homme et des droits des États, le droit au développement, par sa polyvalence, peut jouer un rôle majeur dans leur articulation.

Certains auteurs associent non sans raison cette transformation des droits et de la responsabilité étatiques avec l'apparition de nouveaux États, peu puissants et peu assurés d’eux-mêmes, ceux de l’ancien Tiers monde, accoutumés depuis leur indépendance à l'accompagnement de leur action par des organismes internationaux744. Le phénomène y est lié, mais il est sans doute plus profond. D'autres auteurs, de façon générale et depuis deux décennies, décèlent une sorte d'humanisation de la souveraineté745, dont se distinguent les avatars à travers les notions récentes de responsabilité de protéger, de sécurité humaine ou de souveraineté alimentaire. Dès lors, dès l'après-guerre, pour certains commentateurs, « la

résurrection de la notion de droits fondamentaux des États, comme celle connexe des droits

de l'Homme, était inévitable »746. Néanmoins, en-dehors des Amériques, cette résurgence n'a

pas formellement eu lieu en droit international général747, et elle commence à peine à s’y exprimer en matière d’environnement et de développement.

215. Solidité des droits fondamentaux de l’État dans leur pré carré. Il faut donc raison

garder lorsqu'on parle de droits fondamentaux des États, l'expression, autrefois courante748, a tout de même connu une importante césure. Ils reprennent de la vigueur, comme tout droit naturel inexprimé, que lorsqu’il sont menacés d’extinction : en droit international, avec les négociations environnementales ; en droit interne français, notamment, avec l'affirmation d'une identité constitutionnelle qui serait hors d'atteinte des normes internationales749 ; ou encore, selon le droit européen750, d’une identité culturelle de l’État renforcée par le droit dérivé régional.

743 CIJ, Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination

raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance, 23 juil. 2018, §51 : « Il existe une corrélation entre le respect des droits des individus, les obligations incombant aux États parties au titre de la CIEDR et le droit qu’ont ceux-ci de demander l’exécution de ces obligations ».

744 MEKINDA BENG, A., « Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans la conjoncture institutionnelle actuelle

des États du Tiers-monde en mutation », RTDH, 2004, n°58, pp. 521-522.

745 PETERS, A., « Humanity as the A and the Ω of Sovereignty », EJIL, vol. 20, n°3, 2009, pp. 513-544. 746 ROLIN, H., « Les principes de droit international public », RCADI, vol. 77, 1950, p. 354.

747 En témoigne l'oubli dans lequel est tombé le projet de Déclaration des droits et devoirs des États (1949), préc.

note 221.

748 ROLIN, H., « Les principes de droit international public », préc. note 746, p. 354.

749 COMBACAU, J., « La souveraineté internationale de l’État dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel »,

Cahiers du Conseil constitutionnel, n°9, fév. 2001.

750 UE, Charte des droits fondamentaux, Nice, 7 déc. 2000, JOCE C 364 du 18/12/2000 ; préambule : « L'Union

contribue à la préservation et au développement des valeurs communes […] ainsi que de l'identité nationale des États membres […] ; elle cherche à promouvoir un développement équilibré et durable […]. A cette fin, il est nécessaire, en les rendant plus visibles dans une Charte, de renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l'évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques. »

Le thème apparaît avec plus d'acuité dans les organisations continentales, qu'il s'agisse d'intégration comme dans l'UE751, ou de coopération. Pour ce dernier cas, l'OEA offre sans doute, à travers la Convention de Montevideo de 1933752 et la Charte de l'OEA de 1948753, la meilleure illustration de codification de droits fondamentaux des États encore en vigueur, malgré les révisions successives754. Le droit au développement s’y intègre d’ailleurs explicitement, aux articles 15 et 17 de la Charte de l’OEA :

« Le droit que possède un État de protéger son existence et de se développer ne

l’autorise pas à agir injustement envers un autre État. […] Chaque État a le droit de développer librement et spontanément sa vie culturelle, politique et économique. Ce faisant, l’État respectera les droits de la personne humaine et la morale universelle. »

b) La révision conceptuelle de droits syncrétiques assumés par des États délégataires de prérogatives de développement

216. Conjugaison des droits de l’État et des droits de l’homme dans le droit au développement. Ces droits fondamentaux des États, dans lesquels se retrouve le droit au

développement, ont changé de signification par rapport à autrefois. D'attributs consubstantiels d'une souveraineté absolutiste, ils se sont humanisés, en ce sens qu'ils doivent s'associer aux droits fondamentaux des personnes et groupes placés sous l'autorité étatique, et non pas s'exercer en opposition à ceux-ci.

L’État est ainsi de plus en plus invité à faire usage de ses droits souverains pour faire respecter et promouvoir les droits de l'homme, selon la tendance issue des Nations Unies755. Il existe en effet, concernant le développement, des intérêts matériellement similaires, mais protégés par des droits en apparence organiquement différents. En ce sens, les catégories formelles de droits subjectifs n'épuisent pas la norme objective à protéger (l'impératif, l'obligation de développement). Ces catégories de droits peuvent même utilement se compléter, bien que la détermination du droit international positif ne dépende pas seulement, loin s'en faut, de leur source756. Le droit au développement est un exemple de cette 751 BARBATO, J.-Ch. & MOUTON, J.-D., Vers la reconnaissance de droits fondamentaux aux États membres de

l'Union européenne ? Réflexions à partir des notions d'identité et de solidarité, 2010, préc. note 719.

752 VIIe Conférence internationale américaine, Convention sur les droits et devoirs des États, Montevideo, 26

déc. 1933, Rec. Traités SDN, 1936, n°3802.

753 IXe Conf. internationale américaine, Charte de l'Organisation des États américains, Bogota, 1948, A-41. 754 La dernière en date est le Protocole de Managua du 10 juin 1993.

755 CHRESTIA, Ph., « L'influence des droits de l'homme sur l'évolution du droit international contemporain »,

RTDH, 1999, n°40, p. 738 : « Les droits de l'homme donnent une nouvelle traduction de la souveraineté : ce n'est plus l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais d'une compétence liée. »

756 H. ROLIN expose ainsi de façon pragmatique la pertinence des différentes déclarations de droits (préc. note

746, p. 355) : « En somme, une Déclaration des droits fondamentaux des États ne se justifie ni plus ni moins en

droit des gens que les Déclarations des droits de l'Homme dans les nombreuses constitutions qui […] leur ont réservé une place. Assurément, elles ne sont pas indispensables, ne se suffisent pas à elles-mêmes et doivent être

complémentarité des droits subjectifs, se déclinant sur plusieurs tableaux qui s'enrichissent mutuellement.

217. Des droits de l’État au service des droits fondamentaux. Pour ce qui est de l’État

comme acteur de développement, c'est finalement la vision de droits de sauvegarde inscrits dans la société internationale qui demeure, au bénéfice de sa population. Peut-être sont-ils dénués nommément de cette qualification de « droits fondamentaux » si décriée pour un acteur étatique – et qui porte encore des oripeaux de droit naturel757. En tout cas, ces droits des souverains s'inscrivent dans la pratique contemporaine, dans une acception renouvelée au contact des droits des personnes humaines758. Ils traduisent dès lors des garanties subjectives d’autodétermination et d’autonomie dans un monde « ouvert », où les relations transnationales se sont considérablement développées. Ils sont tempérés par diverses obligations de forme et de fond en fonction des intérêts objectifs de la communauté internationale.

C’est cette approche qui transparaît à travers la reconnaissance, sans aucun support textuel759, du droit au développement de l'Uruguay dans l'affaire des Usines de pâte à

papier760.

B) L'association des différents titulaires de droits par l'exercice du droit au développement

218. Issus de deux écoles de pensée différentes, mais nées parallèlement, le développement

et les droits de l'homme ont longtemps pu être décrits en droit international comme des « frères ennemis » dont la conception et l'application sont potentiellement conflictuelles761. Le droit au développement a pourtant été progressivement assimilé au sein des droits de l'homme et des peuples (1), aboutissant à un mélange normatif répondant aux enjeux contemporains des droits fondamentaux (2).

explicitées par une série de règles complémentaires. Mais, en tant qu'elles expriment les principes dont les règles s'inspirent, elles peuvent légitimement être utilisées en vue de leur interprétation et s'inscrivent, à ce titre dans le droit positif. »

757 R. AGO indiquait déjà en 1980 qu'en matière de droit au développement, il fallait se garder d'un retour en

arrière vis-à-vis des « conquêtes de la science juridique », parmi lesquelles il range la disparition de la doctrine des droits fondamentaux de l’État, « un concept propre au jusnaturalisme » (AGO, R., « Ouverture du Colloque »,

in DUPUY, R.-J., Le droit au développement au plan international, préc. note 226, p. 9).

758 POIRAT, F., « Les droits fondamentaux de l’État en droit international public », préc. note 719, p. 243.

759 L'Uruguay a, bien entendu, mentionné – sans développer l'argument plus avant, selon ses écrits – la

Déclaration sur le droit au développement dans son argumentation. Le juge de La Haye n'a pas repris ce point

dans son raisonnement. Il est vrai que cela aurait consisté à opposer une résolution de l'AGNU, dont le statut est incertain, à un traité bilatéral de force obligatoire incontestable : l'économie a donc été faite d'un débat sur la juridicité de la Déclaration de 1986 (cf. chap. II, sect. 1, de cette thèse).

760 Cf., pour une analyse détaillé, préc. note 717.

761 V. COT, J.-P., « Droits de l'homme et développement dans les années 1990 – Quoi de neuf ? », in PELLET, A. &

1) L'assimilation du droit au développement par les droits de l'homme et des peuples

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