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La vocation solidariste de l'usage erga omnes du droit au développement

– Conclusion de section –

Section 2 : Du rattachement du droit au développement aux catégories existantes de normes

2) La vocation solidariste de l'usage erga omnes du droit au développement

201. La qualité erga omnes ouvre la voie à une conception plus solidariste de ce droit, en

engageant la communauté internationale dans son ensemble, soit par la réalisation des droits de l'homme en tant qu'aboutissement du droit au développement, soit par la prise en compte spéciale de la situation défavorisée du titulaire du droit par rapport à un standard commun de la dignité humaine. En effet, les droits de l'homme, au sein desquels s'inscrit également le droit au développement, sont fréquemment associés à la notion d'obligations erga omnes700. Les débats portent néanmoins sur la question de savoir si tous les droits de l'homme, qu'ils soient reconnus au niveau universel ou régional, sont susceptibles de recevoir une telle qualification juridique701.

Le droit au développement est de façon générale un moyen erga omnes pour faire appliquer le principe de l'indivisibilité des droits de l'homme, appelant une action positive (a). C’est particulièrement visible dans les cas « situés » où les droits sont ineffectifs pour des personnes et groupes défavorisés (b).

a) Le principe d'indivisibilité des droits de l'homme, élément connexe du droit au développement par l'égale réalisation de ces normes subjectives

202. Le développement comme moyen de l’indivisibilité des droits de l’homme. Derrière

l’interrogation de l'application « prioritaire/subsidiaire » de certains droits de l'homme, se profile une remise en cause du principe de l'indivisibilité de ces droits702, ce qu'entend combattre la notion même de droit au développement telle qu'établie par la Déclaration de 1986703. La Déclaration unifie la réalisation de l’ensemble des droits de l’homme au sein du processus de développement. Dans cette optique, le droit au développement pourrait s’analyser comme un « droit à l’amélioration des droits », lié à « l’égalité des chances, qui

est une prérogative aussi bien des nations que des individus », valable à l’encontre de tous

700 « Ces obligations découlent par exemple, […] des principes et des règles concernant les droits fondamentaux

de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l'esclavage et la discrimination raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit international général […] ; d'autres sont conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel » (CIJ, Barcelona Traction, préc. note 490, §34).

701 Les juridictions internationales régionales en charge de la protection des droits de l'homme affirment toutes

l'obligatoriété erga omnes de ces droits : v. Cour IADH, Condicion juridica y derechos de los migrantes

indocumentados, avis consultatif n°18-03, 17 sept. 2003, §101 ; Com. ADHP, Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan, comm. nn°222/98 & 229/99, 33e ses. ord., 29 mai 2003, §39 ; Cour EDH, Irlande c. Royaume-Uni,

arrêt, 18 jan. 1978, req. n°5310/71, §239.

702 Proclamée pour la première fois lors de la Conférence de Téhéran (1968).

703 AGNU, DDD, préc. note 15, préambule : « Considérant que tous les droits de l'homme et libertés

fondamentales sont indivisibles et interdépendants et que, pour promouvoir le développement, il faudrait accorder une attention égale et s'intéresser d'urgence à la mise en œuvre, à la promotion et à la protection de

selon la Déclaration de 1986. Dans le même esprit, l'IDI a associé la caractérisation des droits de l'homme en tant qu'obligation erga omnes, et le devoir de solidarité des États entre eux pour réaliser cette obligation, ainsi que l'atteste sa résolution adoptée le 13 septembre 1989 à Saint-Jacques de Compostelle704 :

« Les droits de l'homme sont l'expression directe de la dignité de la personne

humaine. L'obligation pour les États d'en assurer le respect découle de la reconnaissance même de cette dignité que proclament déjà la Charte des Nations Unies et la DUDH.

Cette obligation internationale est, selon une formule utilisée par la CIJ une obligation erga omnes ; elle incombe à tout État vis-à-vis de la communauté internationale dans son ensemble, et tout État a un intérêt juridique à la protection des droits de l'homme. Cette obligation implique au surplus un devoir de solidarité entre tous les États en vue d'assurer le plus rapidement possible une protection universelle et efficace des droits de l'homme. »

203. Formalisation de la solidarité internationale. De là procède par ailleurs deux

tendances parallèles dans les travaux d'expertise organisés sous l'égide des Nations Unies : - soit établir le principe de solidarité internationale comme une composante du droit au développement ;

- soit élever la solidarité internationale en tant que droit subjectif distinct, bien que complémentaire, du droit au développement.

La tendance dominante est aujourd’hui à la formalisation de la seconde option705, qui serait étroitement associée au droit au développement tout en tenant compte des nécessités de la solidarité appliquée aux problèmes humanitaires et de catastrophes naturelles.

b) Un droit formellement inhérent et matériellement varié en fonction de la situation objectivement reconnue du demandeur

204. Subjectivité de la réalisation des obligations générales de solidarité. Le retour à une

version plus située du droit au développement, en tant qu'obligation multilatérale représentant un intérêt juridique particulier pour des « États spécialement atteints »706 – ici, les pays pauvres et les PMA, bénéficiaires de programmes et de normes spécifiques –, se fait jour dans cette perspective solidaire. Elle s'inscrit dès lors aussi bien erga omnes qu'erga omnes partes, 704 IDI, La protection des droits de l'homme et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures des

États, résolution, session de Saint-Jacques de Compostelle, 13 sept. 1989, art. 1er.

705 Le Conseil des droits de l'homme ayant chargé des Experts indépendants, Mme Virginia DANDAN puis M.

Obiora OKAFOR, de travailler à la rédaction d'une Déclaration sur le droit des peuples et des individus à la

solidarité internationale.

706 CRAWFORD, J., « Troisième rapport... », préc. note 688, p. 37, §106 c). Le parallèle peut être fait avec la

dans le cadre plus restreint – mais souvent plus dense du point de vue des obligations contractées, notamment dans les organisations internationales707 d'intégration – des accords régionaux, qui vont jusqu'à prévoir une action de développement touchant directement, sans l'intermédiaire étatique, les régions ou les populations défavorisées708. Le Professeur CRAWFORD a ainsi envisagé la possibilité d’une subjectivisation renforcée de l’exigibilité de

telles obligations générales en faveur des États les plus intéressés :

« Dans les cas d'obligations multilatérales, qu'il s'agisse des obligations erga omnes

ou non, il est possible que des États ou sous-groupes d’États particuliers aient un intérêt

juridique particulier à ce qu'elles soient respectées. »709

205. Opposabilité erga omnes, exigibilité erga omnes partes. Un exemple parlant de cette

obligation erga omnes solidariste d’agir pour le développement, générant un droit subjectif et

exigible à l’aide internationale, se trouve au niveau universel dans l'Acte constitutif de l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI). Ce texte pose

pour principe dans son préambule que les États parties reconnaissent la coopération internationale au développement non seulement comme un objectif partagé, mais surtout comme une « obligation commune de tous les pays »710. C'est, dans ce registre des organisations internationales, la démonstration juridique la plus explicite de la reconnaissance d'une obligation universelle d’agir pour le développement. C’est ce type de construction juridique qui permet, à un niveau intergouvernemental, de voir émerger un intérêt collectif et une prérogative subséquente, le droit au développement : généralement opposable erga

omnes, et plus particulièrement exigible par l'exécution de programmes erga omnes partes.

§II. De l'ombre de l’État à l’essaimage vers les autres personnes juridiques :

quelques remarques sur la pluralité catégorielle des titulaires

206. Expansion des titulaires du droit au développement. Aspect mal assumé du droit au

développement car potentiellement dangereux pour les droits des individus, il est pourtant 707 La non-réalisation (ou la mal-réalisation) d'un programme de développement par une organisation

internationale mandatée pour ce faire ne pourrait-elle pas, in abstracto, constituer la violation d'une obligation internationale dont l’État victime demanderait réparation ? Ici paraît envisageable le cadre défini par les articles 10 et 43 du Projet d'articles sur la responsabilité des organisations internationales publié par la CDI en 2011. Ce genre de question n'est pas cantonnée à l'hypothèse d'école : la responsabilité de l’ONU dans l'apparition d'une épidémie de choléra en Haïti a montré quelques-unes de ses implications pratiques.

708 Tel est le cas des Fonds structurels européens, parmi lesquels il convient de citer le Fonds social européen

(FSE) et le Fonds européen de développement régional (FEDR) dont l'action est plus transnationale qu'internationale.

709 CRAWFORD, J., « Troisième rapport... », préc. note 688, p. 37, §106. Sur le droit au développement renforcé de

ces États objectivement identifiés comme vulnérables, cf. chap. III, sect. 2, de cette thèse.

710 ONUDI, Acte constitutif, Vienne, 8 avril 1979, préambule. La version française ne mentionne qu'un

« devoir » ; choix de traduction étonnant car tant les versions anglaise qu'espagnole témoignent explicitement d'une « obligation » / « obligacion ».

indubitable que ce droit a vocation, dans la sphère des relations internationales, à être actionné par les personnes souveraines (A). Cette légitime prévention relatée, il n'empêche que les transformations du droit international, notamment par la participation accrue des personnes autres qu'étatiques dans la communauté internationale, ainsi que l'incorporation dans certains cas au droit interne, incitent à étendre l'exercice du droit au développement à d'autres titulaires de droits (B). Ici, le droit au développement se révèle une prérogative transcatégorielle.

A) Le droit au développement en tant que droit de l’État

207. « Il doit être tenu compte de la nécessité de garantir le droit au développement

économique des États riverains »711 : cet énoncé de la CIJ dans l'affaire des Usines de pâte à

papier sur le fleuve Uruguay, opposant l’Uruguay à l'Argentine, est passé à peu près inaperçu

dans les commentaires de ce contentieux, alors qu'il a été inscrit itérativement tant dans la procédure conservatoire que dans l'arrêt au fond712. Il est vrai que la juridiction est restée quelque peu sibylline et économe de motifs à ce sujet, ainsi que l'a souligné le Juge ABRAHAM

dans son opinion individuelle713. On ne sait guère, en effet, si ce droit au développement économique s'inscrit dans une catégorie large qui serait celle du « droit fondamental qui

appartient à toute entité souveraine d'agir comme bon lui semble pourvu que son action soit conforme au droit international »714, ou bien s'il s'agit d'un droit souverain plus particulièrement identifié. Ces incertitudes proviennent du fait que la Cour n'a évidemment pas pour obligation de dresser une théorie générale des normes qu'elle utilise à l'occasion de sa jurisprudence715. L’essentiel est que le principal organe judiciaire des Nations Unies a mentionné le droit au développement en l'affirmant de façon autonome, en rappelant la nécessité de le garantir, et ce en-dehors de tout cadre conventionnel, notamment par rapport au Statut bilatéral du fleuve Uruguay établi entre les deux États colitigants716.

Cette formulation et le sens à interpréter qui en découle sont tout à fait intéressants, car l'acte conventionnel (le Statut du fleuve Uruguay) n'a ainsi pas entamé la substance du droit au développement reconnu à l'Uruguay en sa qualité d’État. Ce point a d'ailleurs été 711 CIJ, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires,

ordonnance, 13 juil. 2006, CIJ Rec. 2006, p. 133, §80 ; nous soulignons.

712 CIJ, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), fond, 2010, préc. note 683, p. 38,

§79.

713 ABRAHAM, R., Opinion individuelle in CIJ, Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, 13 juil. 2006, préc.

note 711, p. 137, §2.

714 Ibid., p. 139, §6. 715 Ibid., p. 137, §2.

716 Le Statut du Fleuve Uruguay du 26 fév. 1975 (RTNU, vol. 1295, n°21425) ne mentionne d'ailleurs pas le

développement dans ses buts (chap. premier), évoquant seulement en son art. premier la nécessité d'un strict respect des droits et obligations des Parties issus des traités et des autres instruments internationaux en vigueur pour chacune d'entre elles.

reconnu par l'Argentine717, cette dernière ayant précisé dans ses différentes interventions qu'elle ne contestait pas la réalité de ce droit au développement économique exorbitant du traité régissant l'utilisation du fleuve frontalier. Cet exemple témoigne du rapprochement entre le droit au développement et les droits des États (1), dont il est d'ailleurs un élément de modernisation dans un contexte pluraliste (2).

1) Le rapprochement du droit au développement et des droits fondamentaux des États

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